L'Humanité Histoire secrète. Un répertoire photographique et un cédérom restent inexploités dans la lutte contre les réseaux transnationaux.

Pédophilie : les regards insoutenables
470 photos d’enfants.
Des garçonnets, des fillettes, des pré-ados. Parfois, des bambins de deux ou trois ans. Visages insoutenables. Le tableau de chasse de trafiquants pervers. Photos récentes ? S’agit-il d’enfants disparus depuis des mois, voire des années ? Mineurs, étrangers clandestins échappant au maillage des services sociaux et des éducations nationales ? Progénitures prostituées avec le consentement de leurs parents ? Qui sont-ils ? C’est peu dire qu’ils sont en danger. Sur de nombreux clichés, on lit la souffrance, la peur. Parfois un regard révulsé ou vitreux nous glace. La jeune victime est-elle droguée ? Est-elle encore en vie ? On découvre aussi des scènes de tortures…Ces portraits font de nous les témoins d’un massacre, dans une indifférence institutionnelle presque totale. La chasse aux immigrés clandestins est une priorité. Le démantèlement des réseaux pédophiles ne l’est pas, dans aucun des pays européens. Certes, les déclarations officielles abondent lorsque, sporadiquement, une affaire de pédophilie défraie la chronique. Il s’agit alors de s’indigner et de rassurer l’opinion publique. Mais les actes ?Cet album de photos est un nouvel élément qui témoigne de la curieuse apathie qui frappe les polices et les justices d’Europe. Pourtant, on nous rebat les oreilles de l’espace Schengen et d’Europol. Cette appréciation sévère paraîtra injuste aux trop rares enquêteurs, gendarmes, policiers, qui tentent de faire leur délicat travail. Mais combien sont-ils ? Quels sont leurs moyens ?

Réalisé par la police hollandaise, cet album de photos reste confidentiel, pour ne pas dire inexploité. Il contient pourtant les portraits de 14 pédophiles qui ont eu l’imprudence de se laisser filmer ou photographier en action. Qui sont ces violeurs ? Pourquoi ne sont-ils pas activement recherchés ?

Les 470 visages d’enfants sont certes de qualité inégale, mais permettent souvent une identification précise. Parfois, c’est moins évident. Images floues, extraites de vidéos pédophiles. Inexploitables et trop anciennes, affirment certains enquêteurs. Étonnant renoncement. Les familles seraient parfaitement capables d’identifier leurs enfants disparus, même depuis plusieurs années.

Ce document démontre que le phénomène pédophile ne peut se réduire à la juxtaposition de faits isolés. Il est massif. La police hollandaise a établi ce répertoire photographique à partir d’un cédérom contenant plus de 10 000 images ou séquences pornographiques, appartenant à un pédophile néerlandais domicilié à Zandvoort, Gerrit Ulrich. Lequel a été assassiné en juin 1998 près de Pise, par son ex-ami belge, Robby Vander Plancken, qui purge actuellement, pour ce crime, une peine de 15 années de réclusion criminelle, en Italie. Le pédophile assassiné, l’enquête a été vite arrêtée. Les autorités néerlandaises ont même conclu, en avril 1999, que  » la présumée filière  » Zandvoort était  » une piste vaine  » et  » qu’il n’existait aucune preuve directe de la production de pornographie enfantine à Zandvoort « . Autrement dit, Gerrit Ulrich n’aurait été qu’un amateur solitaire de  » fruits verts « .

Crédible ? À Zandvoort, la société informatique Cube Hardware, commercialisait notamment des cassettes pédophiles. Ses responsables étaient en relation avec les organisateurs de croisières de luxe, tarifs tout compris, y compris la fourniture d’enfants, à bord du yacht Apollo. Il arrivait que ce voilier embarque des  » clients  » à Bordeaux. Destination la Hollande, via l’Angleterre. Sur le carnet d’adresses de Gerrit Ulrich, nous avons relevé des contacts en Hollande, bien sûr. Mais aussi en France (voir article ci-contre), en Grande-Bretagne, en Espagne, en Suède, aux USA, en Bulgarie, en Ukraine, en Pologne et en Lettonie. Et des références bancaires à l’Europabank for Reconstruction and Development, à la Banque nationale d’Ukraine, au Crédit agricole, au Crédit lyonnais et à la banque espagnole Banesto.

Le fait de figurer sur le carnet d’adresses d’un criminel ne fait pas de vous son complice. Mais celui de feu Gerrit Ulrich révèle un vaste champ de relations. Autant de faits qui constituent de graves présomptions sur l’existence d’un réseau international. Pourtant aucune investigation internationale sérieuse ne semble avoir été menée. Le réseau Zandvoort reste toujours opérationnel.

L’affaire Gerrit Ulrich a été traitée comme presque tous les dossiers qui l’ont précédée. Les réseaux pédophiles ? Des fantasmes de journalistes. Il n’existerait que des actes individuels. En Belgique, après le dessaisissement du juge d’instruction Connerotte, l’enquête sur l’affaire Dutroux a été réorientée. Elle vise désormais à présenter Marc Dutroux comme un détraqué sexuel isolé. Un enterrement royal pour éviter que l’enquête ne remonte trop haut.  » Nous assistons probablement, à l’avènement d’un concept, celui de criminalité protégée ou légitime « , écrit le juge Connerotte au roi des Belges en janvier 1996. Il dénonce  » le dysfonctionnement judiciaire érigé en véritable institution  » et garantissant l’impunité des criminels. Le juge Connerotte avait déjà été dessaisi de deux dossiers très sensibles, dont celui de l’assassinat du ministre André Cools.

Ces jours-ci, la Grande-Bretagne découvre avec effroi l’ampleur d’une affaire de sévices à connotation sexuelle, infligés à quelques 650 enfants dans les centres d’accueil du pays de Galles. Plus de cent témoignages ont été recueillis. 80 adultes, mis en examen, devraient être jugés. Les noms de deux députés et d’un membre de la Chambre des lords ont été prononcés. L’assistante sociale qui avait osé dénoncer ces pratiques avait été licenciée en 1986. Ce scandale a perduré pendant vingt-cinq ans. Cela aurait-il été possible sans une tolérance certaine de la pédophilie, comme en témoigne l’insuffisance de sa répression ?

En 1993, la justice anglaise avait déjà eu à traiter l’affaire Stamford. Ce multirécidiviste, pasteur défroqué, éditait un guide homosexuel, Spartakus, qui fournissaient aux amateurs tous les renseignements utiles pour faire du tourisme sexuel au meilleur prix. Le pasteur Stamford eut la délicatesse de mourir avant son procès, inculpé mais libre, après quatre mois de prison préventive. Crise cardiaque, selon la version officielle. Alors que l’affaire du guide Spartakus impliquait l’existence d’un réseau, les investigations furent stoppées à la mort de son présumé principal responsable. Comme dans l’affaire de Zandvoort, dénoncée par l’association Morkhoven, la chute du pasteur Stamford n’est pas le fruit d’investigations policières. La plainte avait été déposée par Terre des Hommes, qui dénonçait les activités de Stamford depuis… 1981 ! Soit douze ans de complète impunité.

Interpol avoue son impuissance. Le 7 décembre 1999, dans ses locaux à Lyon, lors d’un colloque sur les disparitions et l’exploitation sexuelle des enfants, un spécialiste d’Internet, Louis Alexander déclarait :  » Pour traquer cette forme de criminalité exponentielle [sur le Net – NDLR] nos méthodes ne fonctionnent plus…  » L’explication paraît courte. Interpol échouerait là où des associations sans moyens, telles Terre des Hommes, Morkhoven et le Bouclier, arrivent à des résultats que la justice valide ? Le rapport Campbell (voir l’Humanité du 8 février 2000), discuté cette semaine au Parlement européen, à Bruxelles, confirme l’existence d’un réseau d’espionnage anglo-saxon, sous l’égide des États-Unis, capable de surveiller et de traiter les communications mondiales, téléphone, fax et Internet compris. Mais Interpol ne serait pas capable de surveiller et de neutraliser des réseaux dont les principaux acteurs sont déjà connus des services de police ? En France, la chancellerie et le ministère ont été sollicités de notre part : nous n’avons, à ce jour, reçu aucune réponse.

Existe-t-il des connections directes entre le réseau Spartakus et le scandale actuel au pays de Galles ? Nous l’ignorons. Mais nous pouvons révéler qu’il en existe entre le réseau Zandvoort et l’affaire Stamford. Rien d’étonnant. Les pédophiles récidivistes forment un microcosme. Le non-démantèlement d’un réseau préfigure l’apparition d’une nouvelle filière. Ces structures sans cesse renaissantes ne visent-elles pas à satisfaire les mêmes clientèles huppées ? Les enfants, mais aussi les images de leurs viols et de leurs supplices, se vendent très cher. Selon l’expression d’un juge belge  » la pédophilie, c’est d’abord le jouet des riches « . Un jouet devenu hyper sophistiqué. En deux décennies, on est passé de la photo à la vidéo puis aux flux d’images sans frontières sur Internet, avec une demande croissante d’images d’enfants de plus en plus jeunes (certains portent encore des couches) et de scènes de tortures. La pédophilie offre, par ailleurs, un excellent moyen de chantage sur des personnalités, piégées au cours de  » parties fines « . Avec l’évolution des mours, c’est quasiment la seule pratique sexuelle qui permettent de  » tenir  » des hommes de pouvoir en Europe. Un aspect du problème qui n’est jamais abordé et qui pourrait cependant expliquer l’enlisement de certaines procédures.

Dans le contexte de l’étouffement de l’affaire Dutroux, et pour briser la loi du silence, une militante de l’association Morkhoven, Gina Bernaer, quarante et un ans, travailleuse sociale, a fait parvenir au Cide (Comité international pour la dignité de l’enfant) à Lausanne, en Suisse, une copie du cédérom de Gerrit Ulrich. Elle a également révélé avoir mis la main sur une cassette de snuff-movie, un film sans trucages, au cours duquel la petite victime est mise à mort. Le Cide ne recevra jamais cette vidéo. Gina Bernaer est morte. Un accident de voiture dans la nuit du samedi 14 novembre 1998, à quatre kilomètres de son domicile. On n’a relevé aucune trace de freinage avant l’impact du véhicule contre un pont. Dossier classé sans suite.

Que faire du cédérom et du fichier photographique que nous nous sommes procurés ? Ne devraient-ils pas servir à la création d’une base de données accessible aux enquêteurs et aux travailleurs sociaux ? On ne trouve que ce que l’on cherche. L’omerta qui protège aujourd’hui les organisateurs de réseaux prépare les crimes de demain.

Serge Garde.

Source: http://www.humanite.fr/node/222924

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