Edité par l’association “Mères en lutte”, tous droits réservés, mars 2000.
Coordination: Léo Thiers-Vidal
Sommaire
I. Mères en lutte
1. L’association
2. Premières initiatives
2.1. Manifestation à Villefranche
2.2. Conférence-débat avec Dr Catherine Bonnet
3. Le témoignage d’une mère
II. Eléments de réflexion
1. Violences sexuelles incestueuses…
1.1. … durant un mariage, concubinage
1.1.1. Villefranche : cinq ans pour le père incestueux
1.1.2. Trois ans ferme pour un comportement un peu trop
intime
1.1.3. Quatorze ans de prison pour le père incestueux
… après le divorce, la séparation
1.2.1. Trois ans ferme pour un père indigne
1.2.2. Tonton Bobo
1.2.3. Poursuivi pour agression sexuelle sur sa fille. Le père de
famille a été relaxé
- Ces femmes qui résistent pour protéger leurs
Enfants
2.1. Prête à tout pour son fils
2.2. Pour protéger ma fille, je suis rentrée dans la clandestinité
2.3. Protéger son enfant contre un père agresseur devient de
plus en plus souvent pour la mère un long et vain combat
3. La loi du silence…appliquée
3.1. aux mères et aux enfants
3.1.1. Six mois de prison ferme pour la mère gréviste de la faim
3.1.2. Ces violences qu’on ne veut pas voir
3.1.3. La parole de l’enfant ne pèse pas lourd pour la justice
3.2. aux médecins et aux travailleurs sociaux
3.2.1. Les professionnels de la maltraitance s’organisent
3.2.2. Trois psychiatres face à la colère d’un père divorcé
3.2.3. Maltraitance : l’inconcevable refus de vérité
4. Pères incestueux : la nécessaire prise de conscience
4.1. Les pères incestueux se rebiffent
4.2. Fausses allégations ou vrais drames ?
4.3. Certains médecins libéraux ont peur de faire des signalements
5. Une problématique internationale
5.1. Paternité, enfants et violence : le Royaume-Uni et le contexte international.
5.2. Les femmes et les enfants mentent-elles à propos des sévices infligés au sein de la famille ? La situation aux USA.
I. Mères en lutte
1. L’association
Origines
Mai 1999, une jeune mère lyonnaise est incarcérée à la maison d’arrêt Mont Luc pour non-représentation d’enfant. Par “chance”, V. ne séjournera que quinze jours en prison au lieu des douze mois prévus. Accueilli comme exemplaire par la presse et certaines associations, le verdict est aussi lourd que les raisons qui ont conduit V. à se mettre hors la loi : depuis des années elle se bat pour obtenir des mesures de protection pour sa fille aujourd’hui âgée de quatre ans et demi. En dépit du témoignage sans équivoque de sa fille, de nombreux certificats médicaux et des signalements auprès de la justice, elle ne peut actuellement plus protéger son enfant, contrainte de rendre visite à son agresseur.
Scandalisées par la situation de V., plusieurs personnes sont entrées en contact avec elle dont des mères également désarmées dans leur démarche de protection. Nous avons en commun un parcours jonché de difficultés pour faire reconnaître les violences incestueuses infligées à nos enfants – presque toujours par des pères. Les rencontres nous ont permis de faire émerger un constat pessimiste: les problèmes ne sont pas individuels, il s’agit d’un problème structurel rencontré par de nombreuses mères séparées ou en cours de séparation. En effet, une mère qui tente de porter la parole de son enfant dans le cadre d’une séparation est d’emblée suspectée de manipulation, comme en témoigne le dossier rédigé par le Collectif Féministe Contre le Viol présenté fin 99 au ministère de la jJustice.
Pour réagir contre ces dénis de justice, nous avons décidé de créer une association : nous sommes des “Mères en lutte”.
Enjeux
Si tu parles, prison pour moi, foyer pour toi.
Parce que nous sommes des mères,
Parce que nous avons été des épouses,
Parce que nous sommes des mères en séparation,
Pour tout cela, tombe sur nous le discrédit.
Ainsi, nos enfants, nos tous jeunes enfants ne sont plus les victimes des agresseurs qu’ils désignent, ils deviennent les victimes de leurs mères. Taxées de mères abusives, de manipulatrices, nous serions des vecteurs de névroses. Et tandis que l’on s’acharne sur nos piètres compétences éducatives, nos enfants sont oubliés, voire rendus à leur agresseur. Et par un phénomène qu’il aurait été difficile d’imaginer, les mères deviennent coupables ; ce sont elles que l’on condamne, pour non représentation d’enfants. Car si les agresseurs nient, les mères continuent de se battre, et ce combat, traduit comme un acharnement, se retourne contre les enfants. En cours de route, on aura oublié les témoignages (requalifiés en “allégations”), gommé la peur de l’agresseur (“climat maternel instable”), tant appliqué à démontrer les manoeuvres machiavéliques d’harpies hystériques.
Des signes que nous n’avons pas vus, des dessins que nous avons jetés, des idées que nous n’avions pas ; un jour nos enfants nous envoient au détour d’une conversation ce qu’il est impossible d’admettre : des violences incestueuses. Si vite, c’est la vie qui s’écroule, un homme que nous avons aimé, un enfant que nous avons porté, les deux ont vécu dans le coin d’une chambre, sur le canapé d’un salon, un rapport qu’un seul a décidé. Ce “rapport”, ces sévices sexuels, ce n’est plus la télé qui les raconte, ce sont nos très jeunes enfants ; ils ont moins de cinq ans. Des doigts dans les fesses, au pipi dans la bouche, des “j’aime pas ça” à “ça fait mal”, les descriptions affluent. Mais cette parole qui les libère, qui nous anéantit, les conduit dans un autre cauchemar. Et si “par chance” nos enfants continuent de parler, quand ils le disent à la police, quand des experts psychiatres, reconnus sommités, valident leur triste vécu, c’est l’étau qui se resserre. Nos enfants ne risquent plus seulement alors de continuer à subir, ils risquent d’être séparés de leurs mères, prison pour elles, foyers pour eux. Tandis que l’agresseur est traité en victime, on valorise à l’excès toute trace de “tendresse”, de “fibre paternelle”…
Quand un parent viole en dehors du cercle familial, même si le combat pour ces enfants reste difficile, les “affaires” sortent de plus en plus ; on brise alors un premier tabou, celui de la pédophilie, son noir cousin l’inceste reste par contre à l’écart.
Nos enfants ne sont pas plus à plaindre, mais leur souffrance est triple, et leur guérison incertaine : victime d’un parent, c’est leur construction qui s’effondre, victime d’abus sexuel, c’est leur corps d’enfants que l’on profane ; victime d’un tabou, c’est leur guérison qu’on leur interdit.
Enferrés dans cette loi du silence, nos enfants n’ont, semble-t-il, pas d’autre choix que celui de se taire. Pourtant ces complots dont on nous accuse, ces manipulations dont on nous fait reines ne sont que des prétextes : nos enfants, les moins de cinq ans, nous abandonnent dans nos desseins lorsqu’ils miment, qu’ils pleurent, ou qu’ils dessinent. Notre force de persuasion a ses limites face à un enfant de cinq ans, celle des agresseurs aussi. Car les enfants parlent … mais qui les écoute ? Nous, leurs mères, pour les défendre, les protéger sommes contraintes de les exposer plus encore.
Parce que nous avons mis au monde ces enfants.
Parce que notre joie c’est leur bonheur.
Parce qu’ils grandiront et porteront plus loin leur vécu.
Pour nos enfants, pour leurs enfants, pour nos juges de demain, nos présidents, nos travailleurs sociaux, nos ministres, pour nos citoyens, et pour tous ceux qui subiront encore, nous, mères en lutte, sommes décidées aujourd’hui à nous battre, encore et encore. Jusqu’à ce que nos enfants puissent un jour ne plus avoir peur.
Objectifs
– Permettre à d’autres femmes et enfants de sortir de l’isolement et du doute.
– Mettre en place une ligne d’appel et un accueil régulier. Des groupes de paroles permettront également d’apporter un soutien moral et de proposer une écoute respectueuse.
– Accompagner ces mères et enfants : rencontre de juristes, de psychologues et de médecins spécialisés afin d’obtenir plus rapidement des décisions de justice ainsi qu’un soutien thérapeutique pour les enfants.
– Sensibiliser juristes, magistrats, médecins, médias, société à la question des violences sexuelles incestueuses post-séparation.
2. Le témoignage d’une mère
En octobre 1993, je fais la connaissance de Mr. V. Je suis divorcée avec deux garçons de mon premier mariage nés en 1982 et 1984 et une petite fille née en 1990 hors mariage. En avril 1994, nous choisissons de vivre ensemble.
Très vite je prends conscience des problèmes psychologiques de Mr. V (crises de colère soudaines avec agressions verbales et mots orduriers ; après ces crises, il revient avec la mine contrite et s’excuse ; difficultés à assumer certains faits de son enfance et le divorce de ses parents qu’il avait vécu au sortir de l’adolescence ; difficultés à rester attentionné à un travail quelconque : il commence différents travaux dans la maison qu’il ne finira jamais ; envies très soudaines de se coucher et dormir à toute heure du jour…) mais j’ai l’espoir qu’avec une vie de famille et beaucoup d’amour tout va s’arranger. Notre vie de couple s’installe avec des hauts et des bas. En septembre 1994, je découvre que je suis enceinte.
Je décide de garder cet enfant, consciente que j’attendais cette quatrième grossesse pourtant non prévue. Mr. V a des difficultés à accepter son nouveau rôle de futur père et refuse de reconnaître l’enfant pendant ma grossesse, il ne le fera qu’après que je sois allée moi-même reconnaître le bébé à la mairie dans les dernières semaines de ma grossesse. B. naît le 26 mai 1995 et porte mon nom. A partir de sa naissance, son père prend soudain conscience de sa paternité et se met à choyer le petit. Au cours des mois qui suivent, il est constamment après l’enfant, le surprotège, les trois frères et sœur sont relégués au second plan. Lorsque B. dort plus personne dans la maison ne doit faire un moindre bruit.
En juillet 1995 Mr. V reconnaît à la mairie ma fille E..
En juin 1996 nous nous marions et E. et B. ainsi légitimés par notre mariage changent de nom et s’appellent dorénavant V.
A partir de notre mariage le comportement colérique de Mr. V s’aggrave. Il me dira souvent : “ Maintenant que nous sommes mariés, tu ne pourras plus t’en aller, tu es coincée là avec 4 enfants, sans travail et sans argent. Je peux te dire et te faire n’importe quoi ”. Il se met à être de plus en plus dur avec les trois autres enfants, s’en prenant surtout à D. mon deuxième garçon, que je dois un jour lui enlever des mains alors qu’il a enfoncé la porte de la chambre où D. s’était réfugié. Je n’ai que le temps d’arriver, il est en train d’étrangler l’enfant qui a dix ans à cette époque.
En septembre 1997, ne pouvant plus faire face à cette situation qui est en train de me détruire psychologiquement, j’annonce à mon mari que je le quitte. Il s’écoule deux mois avant que je ne parte définitivement. Deux mois d’enfer où nous subirons brimades et insultes. Il n’ose pas toutefois lever la main sur moi qui le défie un jour de porter plainte. Jusqu’au jour de mon déménagement, il ne croira pas que je vais vraiment partir.
Je m’installe fin novembre 1998 non loin de là dans un petit village où je commence une nouvelle vie et des démarches de création d’entreprise.
Mr V prend son fils tous les week-ends et refuse de m’aider financièrement. J’entame donc une procédure de divorce en février 1998. Nos rapports sont souvent conflictuels mais j’essaye au maximum de protéger mon fils qui est content de partir chez son père les week-ends, les mardis après-midi et presque entièrement chaque période des vacances (son père est dans l’enseignement). Depuis notre séparation, Mr V se désintéresse complètement d’E. qu’il a reconnue, il ne demandera pas une seule fois un droit de visite pour elle.
Avec les mois qui passent nos rapports s’améliorent quelque peu et Mr V accepte un divorce à l’amiable. En avril 1998 a lieu une tentative de conciliation avec mise en place d’un droit de visite un week-end sur deux et la moitié des vacances. Jusqu’en septembre 1998, B. continue de partir toutes les fins de semaines, les mardis et chaque période des vacances chez son père. Durant l’été 1998, je travaille beaucoup et mon fils part presque deux mois avec son père.
Les faits
A partir de septembre 1998 le comportement de B. change, il refuse chaque week-end de partir avec son père, se met à régresser, fait pipi au lit et dans la journée, fait des cauchemars la nuit. A l’école la maîtresse constate qu’il est devenu renfermé, refuse de jouer, de chanter. Tous les vendredis soirs, il hurle et s’accroche à mon cou en me disant qu’il veut rester avec moi. Je le force à partir, croyant à des caprices.
Le dernier mardi de septembre 1998, B. a une réaction très violente et claque la porte au nez de son père. Lorsque je demande à celui-ci s’il se passe quelque chose, il se trouble et crie. Je lui dis alors que j’ai le sentiment que je ne peux plus lui faire confiance, il part.
Le lendemain, mercredi, voyant mon fils perturbé et toujours suspendu à mon cou je l’interroge et il m’avoue qu’il ne veut plus aller chez son papa car celui-ci “met son zizi sur lui, dans ses yeux, son nez et sa bouche et qu’il fait pipi sur lui”.
Jeudi 29 septembre 1998, j’emmène B. chez mon médecin traitant à qui il fait les mêmes révélations. L’après-midi même je vais à la gendarmerie faire une déposition. Je suis entendue dans un bureau et mon fils est auditionné par le chef de la brigade, à part, en présence de ma sœur qui m’a accompagnée. L’enfant renouvelle ses affirmations et ajoute qu’il n’est pas content que son papa lui ait fait ça. Les gendarmes lui disent que son père n’avait pas le droit d’agir ainsi, l’enfant approuve.
Vendredi 30 septembre, le chef de brigade de la gendarmerie nous emmène B. et moi chez le gynécologue expert auprès du tribunal à Villefranche-sur-Saône. B. renouvelle encore une fois ses affirmations. A la question du médecin : “Comment cela a-t-il commencé ?” il répond que son papa a d’abord mit son zizi dans ses mains, puis sur son visage et dans sa fesse.
Le gynécologue ne pourra pas déceler d’hématomes prouvant qu’il y a eu pénétration et m’affirme que ce n’est pas ce qui prouve que celle-ci n’ait pas eu lieu mais que plusieurs jours s’étant écoulés depuis la dernière visite de B. chez son père, les muscles ont pu se remettre en place. Il me dit que, pour lui, il n’y a aucun doute quant à la véracité des dires de l’enfant et m’annonce d’un air navré que j’entame un dur combat !
Le soir même, Mr V est emmené à la gendarmerie et placé en garde à vue jusqu’au lendemain où il est relâché sur ordre du procureur de Villefranche-sur-Saône qui ne l’a même pas entendu. Pendant toute sa garde à vue, il niera et accusera mon deuxième garçon D. d’avoir poussé son petit frère a dire ça.
Ce jour-là, samedi 1er octobre 1998, je dépose plainte pour agressions sexuelles. Mon premier mari et mes deux grands enfants de 14 et 16 ans seront entendus.
Lundi 3 octobre 1998: toujours avec le chef de brigade, nous emmenons B. chez le professeur D., experte psychiatre auprès du tribunal à Lyon.
B. ne veut plus parler. La visite se passe dans des conditions déplorables (cinq minutes entre deux rendez-vous, la porte grande ouverte) le médecin n’ayant visiblement pas le temps de nous recevoir. Mon fils fait quand même des dessins. Le médecin promet son rapport faxé dans la même semaine. Elle mettra un mois pour le rendre. Le rapport stipule que B. a certainement subi des agressions sexuelles mais qu’elle ne peut préciser s’il s’agit de son père étant donné qu’il n’a pas voulu lui parler.
En novembre 1998, je suis convoquée chez le capitaine de gendarmerie qui m’assure du soutien total des gendarmes dans cette affaire. Pendant six mois nous n’allons avoir aucune nouvelle de Mr V à qui les gendarmes ont conseillé de ne pas s’approcher de nous.
Le 7 octobre 1998, j’envoie un courrier au procureur pour lui faire part de mon désarroi et demander une contre expertise psychiatrique: aucune réponse.
Le 5 janvier 1999, 1er courrier à Jacques Chirac. On me répond que ma lettre est chez le ministre de la Justice. Le 29 janvier, réponse de Mme Guigou qui fait intervenir le directeur des affaires civiles et du sceau, puis, plus rien.
Fin janvier 1999, les gendarmes viennent m’annoncer qu’ils sortent du bureau du procureur et que celui-ci a décidé de passer le dossier à l’instruction pour une mise en examen.
En février 1999, je reçois une lettre de cinq pages de Mr V qui me propose une “discussion” sur l’avenir de mes quatre enfants. Pas une seule fois dans toute cette lettre, il ne demande à voir son fils. Il enverra une copie de cette lettre accompagnée de longs courriers à mon ex-mari, mes parents et mon frère. Je fais à ce propos une nouvelle déposition à la gendarmerie pour harcèlement.
Fin février 1999, je reçois une demande de visite de Mr Robert V, grand-père de B.. Je le reçois le 13 mars avec l’accord de B. qui est assez indifférent à la visite, il n’a jamais eu de rapports très proches avec son grand-père. Celui-ci dévoile vite le vrai but de sa visite et me demande un entretien. Il me propose un “ compromis ” et me traite de menteuse, je lui demande de partir. Il ne redemandera jamais à revoir son petit-fils.
Fin mars 1999, Mr V m’informe par courrier recommandé qu’il viendra chercher B. à partir du 8 avril pour exercer son droit de visite. Il précise que, malgré ses demandes réitérées, j’ai toujours refusé de lui présenter l’enfant (il n’a fait aucune demande dans ce sens depuis six mois) et qu’il me fera poursuivre pour non-représentation d’enfant.
Le 2 avril, Mr V rentre dans la cour de l’école, voit son fils, le prend dans ses bras et lui donne un jouet et des bonbons sans que personne ne s’oppose à son action. Le soir, B. est à nouveau perturbé et me dit : “ Aujourd’hui papa n’a pas essayé de mettre son zizi sur moi ”. Je fais le même jour un courrier au procureur et au rectorat, réponse le 17 mai où on m’informe qu’après enquête, il apparaît que Mr V a usé d’un subterfuge pour pénétrer dans l’école pendant les horaires scolaires.
Le 8 avril 1999, Mr V se présente à mon domicile accompagné de trois hommes que je ne connais pas et réclame son fils. Je refuse de lui donner l’enfant. Il fera la même démarche trois fois en avril, chaque fois accompagné de témoins différents.
Pendant ensuite plusieurs mois, chaque fois que mon avocate demandera une suspension du droit de visite, Mr V s’arrangera pour déposer une nouvelle pièce au dossier au dernier moment. L’affaire est donc chaque fois renvoyée à une date ultérieure.
Le 11 avril 1999, je fais un nouveau courrier à Mme Guigou (pas de réponse).
Le 11 avril 1999, nouveau courrier au procureur (pas de réponse).
Début mai 1999, les gendarmes m’annoncent que le dossier est finalement classé sans suite.
Le 10 mai 1999, je dépose plainte directement auprès du juge d’instruction avec constitution de partie civile.
Le 18 mai 1999, je reçois une citation directe à comparaître de la part de Mr V pour le 8 juin 1999.
Le week-end de l’Ascension, Mr V tourne autour de la maison et prend des photos de moi, des enfants et de ma boutique. Le lendemain, je dépose à nouveau une plainte.
Le 20 mai 1999, j’adresse à nouveau un courrier à Jacques Chirac où je déclare que si, pour faire reconnaître les droits de mon enfant, je dois aller m’enchaîner devant l’Elysée et y entamer une grève de la faim, je suis tout à fait capable de le faire.
Une enquête sociale est alors demandée. L’assistant social du secteur y précisera qu’il est inquiet surtout de voir que je suis obligée d’être en infraction avec la loi pour pouvoir protéger mon fils.
Le 8 juin 1999, je me retrouve pour la première fois en correctionnelle. L’audience est renvoyée au 14 décembre 1999.
Le 16 juin 1999, je suis convoquée chez le juge d’instruction avec qui je reprends l’affaire depuis le début. Il m’écoute et me dit qu’il n’est pas certain de rouvrir le dossier.
Le 30 juin 1999, je constate qu’aucune solution n’est apportée au problème avec une ordonnance du juge de la mise en état qui confirme purement et simplement l’ordonnance d’avril 1998, ne suspend toujours pas le droit de visite et déclare qu’il convient de me rappeler fermement que Mr V bénéficie toujours de la présomption d’innocence.
Le 2 juillet 1999, fort de cette nouvelle ordonnance, Mr V se présente à mon domicile avec gendarmes et témoins. Je refuse toujours de présenter mon fils. Il dépose une plainte.
Pendant les deux mois d’été, je suis découragée, épuisée par la lenteur de la procédure ; les visites intempestives et l’espionnage constant de Mr V pendant juillet et août nous terrorisent mes enfants et moi.
Le 5 juillet 1999, je fais un nouveau courrier au Juge des Affaires Familiales et au Juge d’Instruction : pas de réponses. Je supplie que l’on entende mon désespoir de ne pouvoir protéger seule mon enfant. Courant de juillet, je vais voir le Conseiller Général et le Député de ma circonscription qui ne peuvent m’aider.
Le 22 septembre 1999, B. est convoqué par le Juge d’Instruction. Il restera deux heures seul avec lui et mon avocate. Il en ressort nerveusement épuisé, se jette dans mes bras, et me serre fort. Mon avocate me dit qu’il a été formidable, il a renouvelé ses affirmations, et insisté sur tous les détails sordides des souffrances qu’il a endurées.
Il a répété à nouveau qu’il n’était pas content que son père ait osé lui faire ça. Il a raconté que son papa mettait son zizi sur lui, dans sa bouche, qu’il faisait pipi et caca sur lui, et qu’après il lui demandait pardon.
A partir de cette date, je décide de prendre un avocat pour B.
Le Juge d’Instruction ordonne une expertise psychiatrique de B. qui aura lieu pendant cinq heures sur deux séances. B. est toujours aussi affirmatif. L’expert me dit que, pour elle, il n’y a aucun doute sur ce qu’il a subi, que ses troubles du langage n’en sont que confirmation.
En septembre 1999, mon fils aîné R.-P., dix-sept ans, est convoqué à la gendarmerie pour être entendu à propos d’une plainte déposée par Mr V. Celui-ci se plaint que R.-P. l’ait poussé et insulté lors d’un concert en plein air au mois de juillet. Mon fils avoue qu’il a ressenti une telle haine pour cet homme qui avait violé son petit frère que, lorsqu’il l’a vu en train de danser, il n’a pu se retenir. Les gendarmes sont compréhensifs. Nous ne savons toujours pas si la plainte a été classée ou non.
En octobre 1999, un jour de semaine, je trouve Mr V à la sortie de l’école. Il m’attend, nous suit ma fille E. et moi. Il hurle qu’il va se faire soigner, et guérir, mais qu’il me fera payer cher d’avoir osé parler. Ma fille est terrorisée et tremble, il insiste, nous suit pendant plus de cinq minutes. Le lendemain, je dépose une plainte pour harcèlement et j’informe le Juge d’Instruction de ce qui s’est passé.
Le 2 novembre 1999, j’écris à nouveau au Juge d’Instruction pour lui demander de l’aide. Mr V me suit à nouveau dans la rue, reste planté durant des heures devant chez moi sans bouger, et essaie de rentrer derrière moi dans la maison, en m’insultant. Mes enfants et moi-même vivons dans un état de tension extrême. Le moindre bruit nous fait sursauter, et je ne dors pratiquement plus.
Le 23 novembre 1999, je suis à nouveau convoquée devant le Tribunal Correctionnel par le Procureur, toujours pour non représentation d’enfant. Je suis calme et sereine et j’arrive à faire entendre mon inquiétude. Le Tribunal accepte enfin de faire le lien entre l’affaire civile (non représentation d’enfant) et l’affaire pénale (plainte pour agressions sexuelles). Le verdict est mis en délibéré au 14 décembre 1999. Mr V a un comportement très agressif devant la cour. Le Procureur questionne :
– “ D’après vous, quelle est la raison pour laquelle Mme n’a plus voulu vous présenter l’enfant à partir de septembre 1998 ? ”
- “ Je n’ai pas consulté mes dossiers. J’avais plusieurs hypothèses, mais je ne m’en souviens plus ”, telle est la réponse de Mr V.
Le même jour, je découvre avec stupeur que Mr V a rencontré au mois de mai 1999 une de mes anciennes amies : il la recherchait pour lui apprendre mon décès. D’après lui, j’étais morte trois mois plus tôt des suites d’un cancer. Cet homme donne l’impression de s’enfoncer chaque jour un peu plus dans une psychose destructrice, et j’ai vraiment peur.
Le 14 décembre 1999, je suis à nouveau convoquée devant le Tribunal Correctionnel pour entendre le verdict du 23 novembre. Je suis déclarée coupable de non représentation d’enfant, le verdict est ajourné au 13 juin 2000. Le même jour, je comparais pour la non représentation du mois d’avril 1999. L’audience est renvoyée au 13 Juin 2000. Le Juge d’Instruction qui préside le Tribunal ce jour-là précise qu’il a en charge un dossier dont il entend bien ne pas se séparer, avec les affirmations d’un enfant qu’il entend bien protéger. Mr V se comporte à nouveau avec agressivité et remercie sèchement le Président pour son manque de compréhension.
Le 15 décembre 1999, la Juge aux Affaires Familiales prononce le divorce, et une suspension du droit de visite (il aura fallu quinze mois pour obtenir cette suspension). Un droit de visite est fixé en lieu neutre dans l’attente du résultat de l’action publique.
II. Eléments de réflexion
1. Violences sexuelles incestueuses…
1.1. …durant un mariage, concubinage
1.1.1. Villefranche: cinq ans pour le père incestueux
(Le Progrès, 6 janvier 2000, Geoffroy Mercier.)
Père de six enfants, Jean, un chauffeur routier de 40 ans a exercé pendant près de quatre années des sévices sexuels sur deux de ses fillettes âgées, a l’époque des faits, de 8 à 10 ans. Il a été condamné par le tribunal correctionnel de Villefranche à cinq années d’emprisonnement.
Plus de trois années auront été nécessaires, pour que la femme de Jean (1), un chauffeur routier de 40 ans, se rende compte des agissements de son mari sur deux de ses enfants. Deux fillettes âgées pendant les faits de 8 à 10 ans.
Des enfants, le couple en a eu six. Une famille sans histoires. Mais peu à peu le père est présenté comme violent. II n’est pas avare de “corrections ”. Nerfs de bœufs, martinet comme ustensiles de prédilection pour faire entendre raison aux plus turbulents.
Mais Jean n’est pas dans le box des prévenus pour ça. Pendant plusieurs années, il a pratiqué des caresses, des attouchements, des baisers sur ses deux filles. Il les rejoignait la nuit tombée dans leur lit. Pendant qu’elles dormaient, à leur domicile de Saint-Georges-de-Reneins. Emmenée lors de voyages professionnels, une fillette a également subi les assauts répétés de son père dans la cabine de son camion. Décrit comme “immature” par les psychiatres, il aurait tendance à confondre l’amour marital et l’amour paternel.
C’est son épouse qui a déposé plainte en juillet dernier auprès de la gendarmerie de Belleville-sur-Saône. Quelques heures de garde à vue auront suffi pour qu’il passe aux aveux. Sa femme l’a surpris sortant précipitamment de la chambre des filles. Elle comprendra, un peu tard. Les fillettes sont choquées, leurs résultats scolaires devenus médiocres. C’est toute la cellule familiale qui a été désagrégée. Un fossé s’est creusé entre les frères et soeurs. Un silence pesant, oppressant, qui fait oublier les années heureuses, s’est installé.
“ Je ne sais pas comment j’ai pu faire ça ”
Dans le box, le prévenu est penaud. Ne relevant la tête que pour répondre du bout des lèvres au président du tribunal qui tente de comprendre, à tout le moins de déterminer les circonstances de ce drame qui s’est déroulé à huis-clos. Et c’est en relisant les procès-verbaux dressés par la gendarmerie ainsi que les auditions du magistrat instructeur que le tribunal tentera de se forger une opinion. D’ailleurs, le prévenu ne nie pas. Les mains jointes dans le dos, une large moustache débordant sur le coin de ses lèvres, une grande mèche blanche sur sa chevelure brune, le père incestueux n’aura qu’une phrase : “Je ne sais pas comment j’ai pu faire Ça”..Et tout le talent du Bâtonnier Dubuis n’aura suffi pour convaincre les juges de minorer les réquisitions du représentant du Parquet.
Maître Minodier, qui représente les petites victimes et leur mère, souligne le trouble occasionné par ces actes “particulièrement terribles ”. Pour les experts, les fillettes souffrent d’un trouble “ très important de la personnalité et devront faire l’objet d’un suivi psychologique et psychiatrique durable ”. “Ces agissements les ont déstructurées”, poursuivra la partie civile, ajoutant que “!es autres enfants ont également des troubles du comportement”.
Contrainte et violence
“Le tribunal a la lourde tâche de rétablir un équilibre affectif et normatif totalement détruit par le prévenu”, souligne le substitut Rakic en préambule de son réquisitoire, insistant sur la contrainte et la violence dont ont été victimes les fillettes et le caractère presque “ criminel ” des pratiques.
“La peur de voir leur père en prison et de passer pour ce qu’elles ne sont pas et ne seront jamais : des bourreaux”.
“Je suis coupable, je demande pardon à mes enfants, à mon épouse. Ce sont les propos que m’a tenus le prévenu”, dira Maître Jean Dubuis retraçant le parcours chaotique d’un homme, aujourd’hui le regard fuyant, qui a perdu un enfant, une demi-sœur, qui s’est marié deux fois avec la même femme, et qui reçoit toujours les messages d’amour de ses enfants, “Papa je t’aime et tu me manques beaucoup ”, écrira l’une des filles. Suivant les réquisitions du ministère public, le tribunal a condamné l’auteur des agressions sexuelles à cinq années de prison et à une obligation de se soigner.
(1) L’identité véritable du prévenu n’a pas été révélée par souci de protection des victimes.
1.1.2. Trois ans fermes pour un comportement un peu trop intime (Le Progrès, 12 janvier 2000, Christophe Gallet)
Beau-père de Magali, François avait commencé il y a un peu plus de deux ans à avoir un comportement un peu trop intime avec sa belle-fille alors âgée d’une douzaine d’années. Les faits ont été découverts fin 1998. En détention depuis quatorze mois, il a été condamné à trois ans de prison ferme par le tribunal de Belley.
François (1) a la trentaine. C’est un homme du Nord, né à Valenciennes, installé dans l’Ain avec sa concubine Valérie (1) pour échapper au chômage. Le couple est arrivé il y a trois ans avec ses enfants. Si François est le père du petit dernier, les deux autres, nés d’une autre liaison, le considèrent également comme leur “ papa ”. Quand François s’est mis en ménage avec Valérie, Philippe (1) avait 8 ans, et Magali (1), née en 1985, 4 ans. C’était il y a tout juste dix ans.
Grain de sable
Il avait parié sur une nouvelle vie dans le Bugey. Et tout a d’emblée fonctionné. Peut-être trop bien, à en croire François. Machiniste, il s’est retrouvé avec plus d’argent qu’il n’en avait jamais gagné auparavant, lui, dont le seul diplôme, un CAP de maçon, a été obtenu lors de son premier séjour en prison sur ses trois effectués (vol, recel, etc.), alors qu’il était jeune adulte. “ Je gagnais 17 000 F, après avoir fait rentrer Valérie dans la même entreprise que moi. Cela m’a brûlé les doigts, j’ai fait n’importe quoi, je me suis mis à boire…”, tente-t-il d’expliquer au tribunal correctionnel de Belley pour justifier l’alcoolisme effréné, lequel, selon lui, l’a conduit à commencer à avoir des pratiques trop intimistes avec sa belle-fille, Magali, alors âgée d’environ 12 ans. Des pratiques commencées d’après l’enquête en juin 1997, juste après l’arrivée de la famille dans l’Ain. Elles se seraient interrompues quelque temps pour être ensuite reprises, et finalement stoppées en novembre 1998, suite à l’interpellation de François. Les faits, des attouchements sexuels, accompagnés de mises en scène plus ou moins voyeuristes, ont été révélés après une fugue de Magali, alors scolarisée en CM2. La directrice de l’école avait aussitôt alerté les personnes compétentes. La machine était alors lancée.
Au cours de l’audience, on apprendra aussi que Valérie avait surpris François au moment des derniers gestes reprochés par la Justice. Devenu trop proche de sa belle-fille, il l’était aussi et surtout pour cause de dégradation des relations avec sa concubine. Cette dernière se refusait trop souvent à lui. Il a commencé à voir en Magalie, dont le corps se formait, le possible substitut de Valérie pour assouvir ses fantasmes. L’alcool et d’autres troubles ont fait le reste, a argumenté Me Berton, avocate du prévenu dont l’examen psychiatrique a montré un homme très perturbé.
Chargée des intérêts de la victime, Me Malatrait a mis en évidence le fait que ces événements ont eu l’effet d’une catastrophe psychologique pour Magali. “Elle a eu sa vie gâchée. Cela a duré d’autant plus longtemps qu’elle avait peur des menaces et qu’elle pensait qu’on ne la croirait pas si elle parlait”. A ce propos, l’avocate, sachant la volonté émise par Valérie de reprendre sa vie avec François à sa sortie de prison, a insisté pour qu’une mesure soit prise afin que le prévenu ne puisse plus entrer en contact avec Magali.
Le prévenu reconnaît tous les faits, même ceux dont il ne souvient pas, parce que trop saoul au moment des faits. “ Magali n’est pas une menteuse, elle doit donc dire vrai ”, explique-t-il à Pascale Dumollard, la présidente du tribunal, en rappelant qu’il suit désormais une thérapie constructive en prison : “ Je comprends maintenant mes problèmes de comportement, j’ai besoin de soins et je regrette ce que j’ai fait ”. Franck Taisne de Mullet, le procureur de la République, a requis une peine de prison ferme comprise entre quatre et cinq ans.
Au terme d’un délibéré, François a été condamné à trois ans de prison fermes. Une injonction de suivre des soins lui a également été faite et il lui a été interdit de rencontrer sa victime.
(1) Prénoms d’emprunt
1.1.3. Quatorze ans pour le père incestueux
(La Dépêche, 25 Septembre 1999, ?)
Le père violeur a été condamné à 14 ans de réclusion criminelle. L’avocat général avait requis 9 ans, dont deux avec sursis.
La session d’assises de ce mois de septembre 99 aura été marquée par deux procès à huis-clos.
Le premier, mardi dernier, menait à la barre un beau-père quinquagénaire accusé du viol des deux fillettes de sa compagne. A la demande de l’une des parties civiles, le président Christian Toulza ordonnait l’évacuation de la salle pour un huis-clos total.
Pour la seconde affaire de viol, le déroulement était quasiment identique sauf que, cette fois, alors que les parties civiles représentées par Me Claudine Comolli, de Paris, ne réclamaient que le huis-clos partiel pour le témoignage de la victime, l’avocat général, Henri Melchior, du parquet de Narbonne, estimait “qu’en raison des faits et des déclarations de certains témoins, il était préférable d’ordonner le huis-clos total”.
Surprise et incompréhension, tant pour la presse que pour les parties civiles.
Hier, dans le box des accusés, ce n’était plus un beau-père mais un père violeur que les jurés avaient à juger. Un autre quinquagénaire, au teint hâlé, au ventre bedonnant et à la calvitie ciblée sur la partie supérieure du crâne.
L’affaire a éclaté au grand jour, en septembre 1996. Des troubles psychologiques ont permis de révéler le calvaire d’une adolescente mineure de 15 ans. Alors qu’elle était dans un centre de vacances, souffrant d’anorexie, la victime avait dû être hospitalisée à Montpellier.
C’est là qu’elle se confiait à l’équipe soignante. Des propos étonnants sur des actes horribles que l’enfant n’avait jamais pu oublier et n’oubliera certainement jamais. Ces faits auraient duré pendant plus de 5 ans, de 1988 à 1993.
Aussitôt alertés, les policiers de Montpellier contactaient leurs collègues de Narbonne.
L’interpellation du père incestueux s’ensuivait. Lors de son audition, il reconnaissait les faits.
Hier, lors de son jugement, l’avocat général a requis contre ce père incestueux 9 ans, dont deux avec sursis. Les jurés ne l’ont pas suivi, condamnant l’accusé à 14 ans de réclusion criminelle.
1.2. …après le divorce, la séparation
1.2.1. Trois ans ferme pour un père indigne.
(La Provence, 19 janvier 2000, ?)
Il reconnaît avoir commis pendant trois ans des abus sexuels sur sa fillette, expliquant qu’il n’y avait pas d’autre femme…
Un Orangeois de 36 ans comparaissait hier après-midi devant le tribunal correctionnel de Carpentras pour y répondre d’agressions sexuelles commises pendant trois ans sur sa propre fille, les faits ayant commencé alors qu’elle était âgée de 6 ans. Les faits s’étaient déroulés chez lui, dans le cadre du droit de visite et d’hébergement qu’il exerçait à la suite de sa séparation d’avec la mère de l’enfant. L’homme excessivement frustre explique qu’il a agi sous l’effet de l’alcool et « parce qu’il n’y avait pas d’autre femme ». Explication qui a le don d’accabler le président Picard. Et le procureur Jean-Michel Tissot, qui requiert contre lui quatre ans de prison ferme. Le tribunal condamne finalement le père indigne à quatre ans de prison, dont un avec sursis et mise à l’épreuve pendant trois ans, avec obligation de soins.
1.2.2. Tonton Bobo
(Le Patriote beaujolais, 18 juin 1999, Gérard Tixier)
Avec les mots de son âge, la toute petite fille saura bien expliquer les sévices sexuels qu’elle a eu à subir et nommer leur auteur : son oncle.
Même lors des premières atteintes sexuelles, que sa proche famille avait soupçonnées, la petite C. – très éveillée malgré ses seulement 2 ans avait – bien su expliquer où son oncle lui avait fait mal. Cela dans des termes que la pudeur nous interdit de rapporter ici, de même que ceux – plus tard, à l’âge de trois ans et demi – qu’elle saura utiliser pour expliquer une autre série de sévices à connotation sexuelle. Pour les enquêteurs spécialisés, même avec des mots d’enfant, les descriptions furent très précises et n’avaient pas pu être inventées. Enfant du divorcé, la petite fille est reçue un week-end sur deux au domicile de la famille de son père. C’est précisément à la suite de deux de ces visites qu’elle aura un comportement étrange, posera des questions précises et, interrogée, décrira des attouchements sexuels que lui a prodigués et fait prodiguer une personne qu’elle nommera, C., son oncle. Ce dernier au moment des faits, venait tout juste d’atteindre sa majorité. Cité devant le tribunal correctionnel, il niera tout au long de son passage devant les juges avoir eu le moindre geste coupable envers sa nièce..
Dans son réquisitoire, le procureur reviendra en détail sur les entretiens de la petite fille avec les enquêteurs : que des questions ouvertes (pas de réponse par oui et par non) et, en conclusion, une somme de descriptions très précises (le sordide dépasse largement ce dont une enfant même quatre fois plus âgée aurait pu avoir la connaissance). Si aucune trace physique de sévices sexuels n’a pu être décelée, il est certain – comme le fera remarquer le procureur – qu’une si jeune enfant ne pouvait avoir décrit de tels détails physiologiques sans que rien ne se soit passé. De plus, la véracité de son témoignage ne pourrait être mise en doute, les psychologues ayant trouvé une enfant équilibrée et même très éveillée.
Du côté du prévenu, les mêmes experts n’auront rien décelé d’anormal, précisera son défenseur, qui par ailleurs apportera au dossier des témoignages élogieux dé la part l’employeur de son client. L’avocat de la défense mettra en doute, comme il se doit; la réalité des propos de la petite victime; « qu’on ne lui a peut-être pas fait volontairement donner, mais… « . L’argument d’une vengeance de la part de la mère de l’enfant ne convaincra guère, les juges se demandant pourquoi elle se serait exercée à l’encontre de l’oncle plutôt que de l’ancien époux. Le ministère public requerra quatre ans d’emprisonnement dont un avec sursis, assorti d’une mise à l’épreuve avec obligation de soins. Jugement mis en délibéré au 6 juillet.
1.2.3. Poursuivi pour agression sexuelle sur sa fille. Le père de famille a été relaxé.
(La Lozère Nouvelle, 21 février 2000, ?)
Cette affaire se situait dans un contexte de séparation conjugale particulièrement conflictuel.
Il y a quelques semaines avait comparu devant le Tribunal correctionnel de Mende, un père de famille qui était poursuivi pour une agression sexuelle commise sur sa fille âgée de 3 ans et demi.
L’enfant se plaignait que son père « lui faisait de vilaines choses et qu’il lui faisait mal » alors que le père niait avoir pratiqué des attouchements.
Dans ce dossier, le juge d’instruction Bernard Salvador avait conclu à une insuffisance de charges et rendu une ordonnance de non lieu. La mère qui s’est constituée partie civile fit appel et la Chambre d’accusation de la Cour d’appel de Nîmes décida de renvoyer en correctionnelle le père de l’enfant.
Christine Montaudon qui présidait l’audience parla d’abord des éléments précis du dossier. Il est certain que l’enfant s’est plainte des conditions dans lesquelles le père a exercé son droit de visite et d’hébergement, cela représentait pour elle difficulté et souffrance. Et Christine Montaudon d’ajouter : “Ni les actes médicaux, ni les expertises n’ont permis de retenir que les plaintes de l’enfant étaient justifiées par une agression d’ordre sexuel. Les difficultés exprimées par cet enfant le furent dans un contexte de séparation conflictuel entre le père et la mère. Cette gamine avant et pendant la période du divorce était en très grand danger du fait de la fragilité de la maman et du papa. La séparation des parents s’effectua dans un contexte de violence physique et verbale ”.
À l’audience correctionnelle, le père expliqua qu’il avait l’habitude d’attraper son enfant par l’entrejambe : “ Je mettais, a-t-il dit, ma fille à cheval sur mon bras, c’était une façon de la porter ; il n’y avait là aucune connotation sexuelle ”. Au nom de l’UDAF, Me Pradier indiqua d’abord : Lorsqu’il y a des difficultés dans un couple, des accusations peuvent être portées de façon hâtive. Au fur et à mesure de la procédure, nous avons rejoint la position de la mère qui a développé une argumentation qui nous a parue objective. En dépit des difficultés conjugales, les affirmations de l’enfant et la crainte de la mère sont fondées ; nous demandons 60 000 francs pour le préjudice subi par l’enfant ”.
Me Bensoussan : “ Une affaire grave ”
Me Bensoussan, au nom des parties civiles déclara : “ Les révélations de l’enfant sont très précises ; elle n’a pas varié dans ses déclarations. La mère a eu raison de vouloir protéger son enfant qui a souffert pendant des années. Cette affaire est particulièrement grave et douloureuse. Il ne faut pas que le calvaire, qu’a connu l’enfant, recommence. Nous demandons 50 000 francs de dommages et intérêts ainsi que la déchéance pour le père de son autorité parentale ”.
Florence Esposito demande la relaxe
Florence Esposito, substitut du procureur de la République, faisant preuve d’une grande rigueur intellectuelle s’en est tenue au dossier; elle s’est référée notamment à l’examen gynécologique de l’enfant qui est normal et aux auditions faites pendant l’instruction.
Parlant de ce père de famille, elle a déclaré : “ Cet homme n’a rien d’un pervers, il est d’une étonnante pudeur à l’égard de sa petite fille. Il a pu lui faire du mal en la prenant dans ses bras de façon malhabile. Il est maladroit et inexpérimenté avec les enfants et il se défend avec maladresse. L’enfant n’a pas menti, elle avait mal, elle avait des mycoses. À deux reprises, elle a dit : maman, tu me fais mal comme papa ”.
Florence Esposito devait conclure en demandant au Tribunal de prononcer non pas une relaxe au bénéfice du doute mais une relaxe pure et simple.
Me Gousseau : “ Le dossier est vide ”
D’emblée, l’avocat du prévenu déclarait : “ Dans ce dossier, il n’y a aucun élément objectif qui prouve la culpabilité de ce père de famille, un homme complètement maladroit, naïf et innocent. Si on cède au dérapage de la partie civile, c’est le boulevard vers l’erreur judiciaire. Cet homme n’a pas vu sa fille depuis deux ans et demi, il veut la revoir et exercer son droit de visite.
Il vit aujourd’hui avec une personne qui l’aime et il est en voie de retrouver la stabilité, la reprise de la relation avec sa fille s’effectuera
progressivement ”.
Cette affaire, examinée le 9 décembre, fut mise en délibéré ; la semaine dernière le Tribunal a rendu son verdict et prononcé une décision de relaxe en faveur du père de famille.
2. Ces femmes qui résistent pour protéger leurs enfants.
2.1. Prête à tout pour son fils.
(Le Patriote beaujolais, 26 novembre 1999, Estelle Granet)
Une mère comparaissait mardi devant le tribunal correctionnel de Villefranche pour ne pas avoir respecté le droit de visite accordé au père de son enfant. Elle a plaidé la relaxe alors qu’une instruction est ouverte concernant des attouchements sexuels dont s’est plaint le petit garçon. Venus assister à l’audience, les membres du comité Mères en lutte contre les Viols Incestueux ont dénoncé le fait que la justice n’établisse pas le lien entre les deux affaires.
Prête à tout pour son fils
Mardi dernier, une dizaine de personnes brandissait des pancartes et distribuait des tracts à l’entrée du plais de justice de Villefranche. Membres du récent comité lyonnais Mères en Lutte Contre les Viols Incestueux, ces hommes et ces femmes étaient venus soutenir Françoise (nom d’emprunt) citée à comparaître devant le tribunal correctionnel pour non représentation d’enfants à personne ayant droit. Le 2 juillet dernier, cette mère a en effet refusé à son ex-mari de rencontrer son fils dans le cadre du droit de visite accordé par le juge aux affaires familiales. Un dossier malheureusement banal dans le contexte de divorce. Sauf qu’en toile de fond se joue un autre drame puisque Françoise s’est constituée partie civile contre son ancien compagnon pour attouchements sexuels sur l’enfant.
“ C’était après l’été 1998. Quand Jean (nom d’emprunt) est rentré de chez son père; je l’ai senti perturbé. Puis il a refusé de le revoir. D’abord, je l’ai forcé jusqu’à ce qu’il craque », a raconté Françoise à la barre du tribunal correctionnel. Du haut de ses 3 ans, le petit bonhomme aurait alors parlé, expliqué les gestes et les circonstances avec des détails a priori surprenants dans la bouche d’un si jeune enfant. Aussitôt, il a été entendu par les services de gendarmerie. Une plainte a été déposée. Le parquet de Villefranche s’est saisi du dossier pour finalement le classer sans suite. C’est Françoise qui a relancé l’enquête en se constituant partie civile directement auprès du juge d’instruction. Pour elle, mardi dernier, l’incompréhension était à son comble. « On me juge pour ne pas avoir présenté Jean à son père alors que celui-ci est mis en examen pour des faits aussi graves que des attouchements sexuels. Je ne comprends pas », commentait-elle avant l’audience.
Pourtant, cette situation est loin d’être exceptionnelle. La permanence Viol femmes informations, créée en 1985 sur la région parisienne, a entrepris, en 1998, une étude autour des agressions sexuelles incestueuses dans un contexte de séparation des parents. Cinquante et un, dossiers ayant fait l’objet d’une procédure pénale lui ont été signalés en deux ans et demi. Dans 20 % des cas, l’affaire s’est accompagnée d’une plainte contre la mère pour non représentation d’enfant.
Une justice jugée trop cloisonnée
Tout en soutenant Françoise, le comité Mères en lutte contre les viols incestueux a lancé une pétition pour dénoncer ce qu’il considère comme un dysfonctionnement de la justice en matière d’agressions à caractère sexuel sur mineurs dans le cadre des procédures de divorce. « Dès qu’il y a mise en examen de l’un des parents, il faudrait suspendre le droit de visite », insistaient mardi les manifestants. Un droit de visite et d’hébergement avait été accordé au père du petit Jean en avril 1998. Depuis septembre 1998, Françoise avait demandé la suspension de ce droit. Elle a été déboutée de sa requête : le 30 juin dernier, le juge aux affaires familiales a confirmé le droit de visite.
« On ne veut pas faire le lien entre les deux dossiers », déplore Françoise. « Le problème vient d’un manque de coordination entre la justice civile et la justice pénale ”, s’entendent à dénoncer les manifestants. “Un juge aux affaires familiales n’a pas à s’occuper de l’instruction d’un dossier d’attouchements sexuels et un juge d’instruction ne se mêle pas de la procédure de divorce. Seul le parquet fait le lien entre les deux”, reconnaît effectivement le substitut au procureur, Draguicha Rakic. Mais quelques minutes plus tôt, dans son réquisitoire, il n’avait pas manqué de souligner : “ Préserver les intérêts de l’enfant est la pierre angulaire de notre système judiciaire ”. Et, en aparté, il commente : ”Qu’on ne vienne pas me dire à Villefranche que la justice traîne à réagir. Si nécessaire, tout peut aller très vite. Il m’est déjà arrivé de recevoir un signalement le matin et de retirer l’enfant quelques heures plus tard. ” Est-ce à dire, dans le cas de Jean, que l’avancement de l’instruction ne justifie pas, pour l’instant, une telle mesure ?
Seul doit compter l’enfant
La mère, le père et le procureur, tous sont tombés d’accord sur ce principe. Mais que faire quand les faits d’attouchements sexuels ne sont pas encore clairement établis ?
Si effectivement l’enquête confirme les déclarations du petit Jean, comment admettre que pendant des mois, la justice n’ait pas soustrait l’enfant à son père ? Mais, en sens inverse, comment envisager de séparer un père de son fils sur la base de ce qui n’est pour l’instant qu’un soupçon pouvant ensuite s’avérer sans fondement ? Telles sont les principales questions qu’a provoqué mardi dernier le procès opposant Françoise à son ex-mari. Un débat dans lequel il est difficile de se situer sans maîtriser tous les éléments d’un dossier encore sous le coup du secret de l’instruction. Que sait-on pour l’instant ? Rien d’autre que ce que les parents ont livré à l’audience afin de replacer dans leur contexte les faits de non représentation de l’enfant.
Pour Françoise, les propos tenus par son fils ne laissent planer aucun doute. « Il a répété sa version des faits avec les mêmes précisions aux gendarmes puis au gynécologue chargé de l’examiner, explique-t-elle à la barre. Un expert psychiatre, par le biais de dessins, a confirmé dans son rapport la forte probabilité pour qu’il ait subi une agression sexuelle. » Une seconde expertise psychiatrique de l’enfant, ordonnée par le juge d’instruction, a eu lieu en septembre dont les conclusions n’ont pas été, mardi, versées au débat. Du côté du père, c’est évidemment un tout autre discours. Par ailleurs enseignant et responsable d’internat, l’homme rejette en bloc les accusations de son ex-épouse. « Ma petite nièce a été agressée. Elle et Jean ont passé beaucoup de temps ensemble. Ils ont pu en parler », avance-t-il pour expliquer les propos de son fils. Tout en distillant le doute quant à une éventuelle manipulation de la mère. Jusqu’à évoquer une entreprise de lavage de cerveau. Son avocat sera encore plus véhément, dénonçant la présence aux côtés de Françoise « d’associations féministes très vindicatives ».
Le délibéré, en ce qui concerne les faits de non-représentation d’enfants sera rendu le 14 décembre prochain. Concernant les attouchements sexuels, l’instruction suit son cours. Mais quelles que soient les conclusions du juge, « je ne félicite personne « , souligne déjà le substitut au procureur Rakic. « Ni la mère qui laisse supporter à l’enfant le poids de cette procédure en lui rappelant sans cesse la situation, ni le père qui, s’il avait un minimum d’objectivité, n’envenimerait pas les choses. » Dans cette affaire, « c’est Jean qui est à plaindre », poursuit le représentant du Ministère public, comme si l’enfant et ce qu’il a peut-être vécu ne devenaient qu’un prétexte à des querelles d’adultes.
2.2. Pour protéger ma fille, je suis rentrée dans la clandestinité (Femme Actuelle, Frédérique Spitz)
(Parce que la justice n’a pas su défendre Tess de son père incestueux, il y a 8 mois, Catherine a fui la France avec son enfant. Vivre cachées était l’unique moyen d’éviter de nouvelles violences.)
En février dernier, pour protéger Tess, je me suis réfugiée à l’étranger avec elle, aidée par les membres d’une association suisse. Je n’avais pas d’autre choix pour respecter la promesse que je lui avais faite « Plus jamais ton père ne te fera de mal ». Tess a aujourd’hui 6 ans. J’en avais 28 lorsque j’ai rencontré son père, en 1990. Il préparait son diplôme d’avocat tandis que je travaillais comme responsable dans une imprimerie. Notre histoire a commencé par des escapades amoureuses et des bouquets de fleurs. Très vite, il m’a présentée à ses parents et à ses soeurs. Loin des miens, je retrouvai l’ambiance sécurisante d’une vraie famille. F. était charmant, c’était le bonheur.
En mars 92, j’étais enceinte. De façon mystérieuse, à partir du sixième mois de ma grossesse, F. instaura une distance entre nous. Le 27 octobre, Tess naissait. F. ne m’avait pas accompagnée à la maternité. Quand il finit par nous rendre visite, il était gêné, froid. J’avais l’impression de me trouver en face d’un étranger. Mes proches me rassurèrent : les pères ont parfois de drôles de réactions… Le temps arrangerait les choses. Je suis rentrée à la maison, prête à déplacer des montagnes pour défendre notre bonheur à trois. Peine perdue: ni mon optimisme ni les attentions n’ont eu raison de son indifférence. Ce n’est qu’en présence de tiers qu’il devenait un compagnon et un père attentif et aimant.
Une nuit Tess, qui avait alors 2 mois, s’est mise à pleurer. Je revois F. se lever brutalement et secouer notre bébé en hurlant : « Tu ne vas pas me faire chier toute ma vie ! » J’étais sidérée. Comme une automate, je lui ai retiré Tess des mains. Je cherchais à la calmer, je pris la peine de lui expliquer des choses élémentaires, qu’il était normal qu’un bébé pleure la nuit… F. s’est rendormi, tandis que je restais les yeux grands ouverts, incapable de trouver le sommeil. Le lendemain, il semblait avoir tout oublié. Pour ma part, je ne pouvais pas faire comme s’il ne s’était rien passé. Je voulais absolument qu’il me dise ce qu’il ressentait. Je lui proposai que nous consultions ensemble un psychologue. Il refusa tout et me signifia que le débat était clos.
Quelques semaines plus tard, Tess est tombée malade. En présence du généraliste, F. s’est montré inquiet, mais dès son départ, il m’a hurlé que s’était « l’occasion ou jamais de la laisser crever ! ». Je n’en croyais pas mes oreilles. Ses accès de haine me paralysaient. Mais comme on me le disait, il vivait mal sa paternité, il avait besoin de moi, c’était mon rôle de l’aider. Il me fallait être forte.
Noyée au milieu de toutes ces recommandations, espérant retrouver l’homme que j’avais connu, ma vigilance s’est assoupie. Quelques jours plus tard, le réveil fut brutal. Le temps de préparer le biberon, j’avais confié Tess à son père. J’avais à peine tourné le dos que je le retrouvai sur le balcon, tenant Tess au-dessus du vide. Soudain, tout est devenu clair, évident : il ne traversait pas une crise passagère de paternité… Je commençais à avoir très peur.
A la suite de cette épisode, nous avons eu de violentes disputes. F. éructait en parlant de notre fille, hurlait qu’il n’allait pas « se trimbaler cette chieuse toute sa vie ». Il était temps de se séparer… C’est avec soulagement qu’il me vit faire mes valises. Avec ma petite Tess, je pris l’avion pour Bordeaux, où résident mes parents. Ils nous attendaient à l’aéroport. C’était le 6 septembre 1993.
Tess et moi avons alors commencé une nouvelle vie. Très vite, j’ai retrouvé du travail et par là, mon indépendance. F. ne nous donnait aucune nouvelle. Je l’imaginais libéré et nous sentais enfin à l’abri. Jusqu’à ce jour de décembre où il a débarqué à l’improviste. Il avait intenté une action en justice pour obtenir un droit d’hébergement. Mais pour moi, c’était impensable. J’avais la certitude que nous avions évité le drame de si peu qu’il n’était pas question d’exposer ma petite fille à de nouveaux dangers.
Au juge j’ai raconté les violences physiques et verbales que F. avait infligées à notre enfant. Et sa demande n’a pas abouti. Pendant trois ans, malgré les multiples procédures, aucun juge, au vu des violences évoquées, n’accepta de lui confier Tess. Il voyait sa fille une fois par mois en ma présence, chez moi. La situation paraissait idéale : le lien paternel n’était pas rompu et Tess se trouvait en sécurité.
Du moins l’ai-je cru, jusqu’à ce jour où je surpris F., assis devant la télévision en train de caresser Tess entre les jambes. Je le menaçai d’appeler la police. Il quitta la maison aussitôt avec cet air arrogant que je lui connaissais bien. En état de choc, je suis allée tout de suite au commissariat. L’inspecteur de police m’a comprise et m’a conseillé de « porter plainte pour attouchements sexuels sur mineur de moins de 15 ans, sans violence ». Submergée par l’émotion, je n’ai pu dire l’impensable. Je n’ai pas été capable de prononcer le mot « sexe » ; au lieu de cela j’ai parlé de « l’aine », de « l’entrejambe », mais je n’arrivais pas à parler du « sexe » de mon bébé. Les mots précis manquaient à la déposition. L’affaire fut classée. Il nous fallu continuer à supporter les visites de F.
Avec une détermination et un savoir-faire professionnels, il entreprit d’émouvoir le juge en argumentant que je faisais obstacle à sa relation avec Tess ; il n’avait pas d’intimité avec elle, sa fille lui manquait… Chose incroyable, il obtint gain de cause. Son droit de visite s’exercerait désormais dans un « point-rencontre », un centre où, le premier samedi de chaque mois, il verrait Tess en présence d’éducateurs. J’étais persuadée que l’institution remplirait son rôle protecteur.
Ponctuel, avenant, flatteur, jouant le père modèle, on lui accorda, dès la première entrevue, l’autorisation de quitter le centre avec Tess, le temps d’une « promenade » de 15 h à 18. De sa petite échappée avec Tess, F. revint à l’heure prévue, affichant un visage rassurant, parfaitement maître de lui-même, remerciant les éducateurs, avant de me lancer, une fois seuls : « Un accident est si vite arrivé. La petite qui passe sous les roues d’un camion, et toi, je te verrai devenir folle d’apprendre sa mort ! ». Puis un jour, en 1996, l’institutrice de ma fille m’a convoquée. Au cours d’un jeu collectif, Tess lui avait confiée, en montrant sa culotte : « Mon papa, il me touche là. C’est pas bien ». Entendue par la police, son institutrice signa et confirma sa déclaration. Plus tard, F. me menaça devant Tess avec un pistolet et déclara : « Tu ne peux rien contre moi, la justice me protège. Tu es morte ». Lorsqu’il fit feu, il s’avéra que c’était un pistolet à eau. Je portai plainte pour menace de mort et signalai les faits au procureur. L’affaire fut classée faute de preuves. F. avait réussi à inverser les rôles : il était un martyr et j’étais une procédurière névrosée. Je m’enlisais dans un cauchemar. Difficile de décrire le sentiment d’abandon et l’écoeurement face à ce constat d’impuissance.
En 1997, fort de cet avantage, il renouvela sa demande de droit d’hébergement sur sa fille. Faisant fi de mes plaintes et des violences reconnues, le juge lui attribua un droit de visite conventionnel: un week-end par mois et la moitié des vacances scolaires. Accablée, je fis appel. On me rétorqua alors qu’en matière d’inceste, neuf dossier sur dix n’étaient qu’affabulation et règlements de compte entre les parents. Débordés, les magistrats ne peuvent consacrer aux affaires tout le temps et l’attention nécessaires pour que la vérité éclate.
Tess ne mentait pas. Mais comment l’auraient-ils su ? Jamais elle n’avait été véritablement entendue. Sur les conseils de mon avocat, j’écrivis à différents ministères. Tous renvoyèrent le dossier au procureur, qui considéra à nouveau qu’il n’y avait aucun danger pour l’enfant et que son père pouvait la prendre au mois d’août. À bout de ressources, sans plus d’armes pour m’opposer au droit d’hébergement, j’expliquai à ma petite fille qu’elle devait partir. La veille de son départ, elle alla se cacher dans la valise, se débattit, cria qu’elle ne voulait pas y aller. Mais Tess est partie, je me sentis mourir de désespoir.
A son retour, c’est une enfant meurtrie qui s’est avancée vers moi. Amaigrie, les yeux cernés, le regard plein d’effroi. Elle hurlait la nuit, se réveillait terrorisée. « Mon père m’a touché la zézette, j’ai peur… Je ne peux plus respirer », répétait-elle, en s’arrachant la peau. Tout se brisait en moi.
Nous avions besoin d’aide, de toute urgence. Je pris rendez-vous chez un psychologue pour enfants. Là-bas, Tess se mit à rouler par terre, à lécher les pieds de la table, à ramper sur le sol. « Mon père m’a touchée partout, et puis là, dit-elle, en écartant les jambes ». Tess poursuivit: « Il m’a dit que si je le disais, ma maman ne m’aimerait plus, qu’il la mettrait en prison et qu’il me tuerait ». Elle se cacha derrière un siège. Le psychologue lui tendit des crayons. Elle dessina un sexe en érection, puis au repos. Elle bavait, on aurait dit un petit animal. C’était insoutenable. La psychologue la réconforta : « Tess, tu es une petite fille très courageuse. Tu n’es pas responsable de ce qu’à fait ton père ». Le psychologue fit un signalement à la justice. Malgré celui-ci, je fus sommée de présenter l’enfant à son père. Tess me suppliât de lui dire qu’elle « était morte ». Je croisais F. au point-rencontre. Il me glissa en saisissant sa fille : « Cela doit être horrible pour toi de ne pas savoir à quel moment je la touche ». Tess hurlait de terreur…
Quand elle revint, elle était complètement déboussolée. Je l’emmenai consulter un pédopsychiatre. Il fut constaté que son père avait réitéré ses attouchements, cette fois en présence d’un tiers. « Ils me disaient : « c’est bien »… Il m’a mis un petit zizi dans la bouche puis un gros. Je ne pouvais pas respirer. Il a mis son doigt dans mon derrière, je voulais pas… », répétait-elle, en sanglotant. Le pédopsychiatre fit un nouveau signalement de mineur en danger au procureur. Des gendarmes entendirent de nouveau Tess pendant plus de deux heures, hors de ma présence. Convaincus qu’elle disait bien la vérité, un procès-verbal fut transmis au juge qui indiquait que des « indices graves et concordant étaient réunis de manière à poursuivre le père pour agressions sur mineure de moins de quinze ans par ascendant ».
A ce jour, ma plainte pénale pour atteintes sexuelles est en voie de classement malgré les nombreux certificats médicaux et la déposition de Tess faite à la gendarmerie. Je suis sous le coup de quatre condamnations civiles pour avoir demandé la suspension du droit de visite et d’hébergement du père.
Sans l’aide de Terres des Hommes, une association suisse qui, entre autres actions, a entrepris de lutter contre la pédophilie, je vivrais aujourd’hui séparée de ma fille. Ses juristes, engagés corps et âmes dans la défense des droits de l’enfant, ont repris le dossier pièce par pièce. Son calvaire a été reconnu par des experts pédopsychiatres. Grâce à eux, Tess retrouve une certaine confiance dans la vie.
Elle sait désormais que les hommes ne sont pas tous des agresseurs comme son père. Nous vivons de solidarité, hébergées, soutenues moralement et protégées dans notre anonymat. Aujourd’hui, l’objectif de l’équipe qui m’entoure, c’est que la justice française entende enfin Tess et reconnaisse la culpabilité de son père.
2.3. Protéger son enfant contre un père agresseur devient de plus en plus souvent pour la mère un long et vain combat.
(Extrait du Dossier « Agressions sexuelles incestueuses dans un contexte de séparation des parents: dénis de justice? » Copyright Coll. Fém. Contre le Viol, 9 Villa d’Este, 75013 Paris, tél 01 45 82 73 00)
Au vu des 67 fiches complétées et analysées, protéger son enfant contre un père agresseur devient de plus en plus souvent pour la mère un long et vain combat. Ceci tient à plusieurs facteurs que nous allons tour à tour aborder.
2.3.1. Difficultés liées à l’âge de la victime
88 % des victimes ont moins de 7 ans; 22 % ont moins de 3 ans et savent à peine parler. 78 % des victimes sont des filles. Leur jeune âge joue en leur défaveur. En effet, il est encore courant pour les adultes de penser qu’un enfant qui dénonce une agression sexuelle peut facilement mentir ou être influencé par un tiers. Ce préjugé tient à la fois au manque de formation dans l’écoute et l’interprétation de la parole des jeunes enfants et aux résistances personnelles devant la réalité des agressions sexuelles à l’encontre des mineurs. Et pourtant, certaines paroles enfantines ne laissent aucun doute sur la véracité des faits. Même lorsqu’un professionnel – médecin, assistante sociale, expert – affirme la crédibilité du discours de l’enfant, une contre-expertise ne tardera pas à certifier l’inverse et/ou semer le doute dans l’esprit des juges.
Les intervenants minimisent souvent la gravité de l’agression lorsqu’il s’agit d’exhibitions sexuelles et d’attouchements sexuels. On oublie que les exhibitions ou les attouchements sexuels peuvent traumatiser un enfant tout autant qu’un viol. Ces actes constituent aussi des infractions sanctionnées par le Code pénal, aggravées lorsqu’il s’agit d’un mineur victime et d’un agresseur ascendant.
Notons que dans l’ensemble des procédures pour agression sexuelle analysées, très peu de victimes ont bénéficié d’un avocat d’enfant, défenseur de sa parole propre. C’est une carence qui devrait, nous l’espérons, être comblée si la loi du 18 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs est appliquée.
2.3.2. Difficultés liées au contexte de la révélation et de la dénonciation
90 % des agresseurs dénoncés au N° Vert Viols Femmes Informations sont des pères. C’est la raison pour laquelle on parlera en général de la mère comme parent protecteur et du père comme parent agresseur. Mais il existe aussi des pères qui essaient de protéger leurs enfants d’un beau-père ou d’une mère agresseuse.
Le contexte de la révélation des agressions sexuelles, avant, pendant ou après la séparation de la mère et de son conjoint agresseur, jette un discrédit immédiat sur la parole de l’enfant. La mère est d’emblée soupçonnée de manipuler son enfant en l’incitant à accuser son père, afin d’obtenir un divorce aux torts de son ex-mari et la garde exclusive de son enfant.
Lorsque, dans la majorité des cas, la révélation des violences sexuelles a lieu après la séparation, pour des agressions antérieures à elle et/ou pour des agressions qui se produisent encore pendant les droits de visite, la justice n’y voit que manipulation de la mère pour supprimer a posteriori les droits de visite et d’hébergement accordés au père au moment de la séparation.
Il n’est jamais prêté attention au fait que la parole de l’enfant émerge dans le contexte de séparation, où, à l’abri des menaces et des pressions du parent agresseur, l’enfant se sent libre enfin de parler. A ce moment-là, la mère plus disponible, lui accorde une meilleure écoute et peut prendre des dispositions pour tenter de le protéger.
Lorsque la révélation des violences sexuelles intervient avant la séparation, les démarches entreprises par la mère (séparation, changement de domicile, plainte au pénal) apparaissent elles aussi sous l’angle de la manipulation de la mère sur l’enfant en vue de l’exclusion du père. Elles ne sont pas considérées comme la manifestation d’une détermination à protéger l’enfant dans l’urgence.
Il y a encore peu de temps, on accusait systématiquement les mères d’être aveugles » face aux agressions sexuelles commises par le père ou même complices » de ses agissements délictuels ou criminels. Aujourd’hui, lorsque de plus en plus de mères osent entendre et protéger leurs enfants et qu’elles agissent avec diligence et persévérance, on les accuse systématiquement d’être des « manipulatrices ».
2.3.2. Dysfonctionnements dans le cadre de la procédure pénale et civile
La suspicion de la police et de la justice dans ce contexte de séparation est telle que les agressions sexuelles sont extrêmement rarement reconnues et leurs auteurs exceptionnellement sanctionnés. Et pourtant, dans 77 % des cas, les enfants ont explicitement décrit les faits et nommé l’agresseur (par exemple : “ papa, il a fait pipi sur mes fesses, et c’était tout chaud. ” ou “ il frottait son bisi contre mon bisi, et après du blanc sortait de son bisi ”).
Les certificats médicaux qui attestent des lésions génitales ou anales ne suffisent pas à convaincre les magistrats de la réalité des faits. En revanche, lorsque les certificats médicaux ne parviennent pas à établir de preuve médico-légale des agressions, ils sont utilisés à tort pour prouver l’absence d’agression sexuelle. On sait pourtant qu’un examen somatique qui ne diagnostique rien d’anormal ne veut pas dire absence de mauvais traitement ou absence d’agression sexuelle.
51 % des plaintes au pénal sont classées sans suite sans qu’une véritable enquête préliminaire n’ait eu lieu: enfants non entendus ou trop brièvement, personne mise en cause non interrogée, témoins de la parole de l’enfant non entendus, absence de constat médical, etc..
Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, une (contre-) expertise en défaveur de la mère et/ou de l’enfant est réalisée sans les avoir rencontrés ou trop peu de temps, et suffit à invalider le faisceau de preuves existantes (paroles, comportements et symptômes de l’enfant, certificats médicaux, expertises psychologiques, attestations de témoins de la parole de l’enfant, etc.). 9 % des plaintes aboutissent à des non-lieux.
Dans 22 % des cas, les suites judiciaires ne sont pas connues de la victime et de son parent protecteur au moment de l’appel au numéro vert.
In fine, sur 90 agressions sexuelles et viols dénoncées entre 1996 et 1998, seul un agresseur sur 69 a été condamné.
Discréditer le parent protecteur
Trop souvent, on assiste à une interprétation abusive du comportement et de l’attitude de la mère.
Si elle se montre déprimée et anxieuse du fait du dévoilement de l’agression sexuelle par l’enfant et de l’effondrement qu’il provoque en elle, on la suspectera de projeter sa propre souffrance sur l’enfant. On lira, par exemple, dans une expertise psychiatrique des deux parents (Récit 8) : « elle projette sur sa fille des souffrances ou du moins des expériences infantiles qui l’ont elle-même traumatisée ».
Parallèlement, le fait que cette mère croit son enfant et se batte pour obtenir justice sera disqualifié. On lira, par exemple, dans la même expertise (Récit 8) : « elle raconte la scène de manière extrêmement théâtrale… » ou « le discours de Mme T. traduit une extrême dramatisation de la ‘souffrance psychique’ de sa fille ».
On lira, par ailleurs, dans les attestations d’un psychanalyste-psychothérapeute qui n’a jamais rencontré la mère, produites pour le père dans le cadre de procédures civiles (Récit 7) :
“ Mes observations concernant la mère d’O. (…) tiennent en quelques mots : névrose hystérique, ce qui signifie : fixer le père et l’homme en position de défaillance, pour supporter son être d’une impuissance imaginaire, et utiliser son fils comme objet de son désir, inconsciemment incestueux. O., dans cette situation, si la justice ne pose pas le père comme son représentant symbolique, n’aura que trois destins : homosexuel, délinquant ou débile. ”
Ou encore: “ Les allégations de Mme M. sont le fruit de ses fantasmes et désirs obscurs concernant son fils (…) Il me semble que toute mère, décidée à capter l’enfant dans sa jouissance peut lui attribuer toutes les paroles qui confortent la démonstration qu’elle veut inventer pour détruire la fonction paternelle. Il s’agit d’une mise en scène d’un fantasme de séduction sexuelle, toujours caractéristique d’une structure féminine hystérique, projeté sur la personne du Père séducteur de l’enfant. ”
Et pourtant les actes délictueux et criminels du père justifient bien le retrait total de son autorité parentale. Une mère qui maintiendrait cet homme en position de père serait complice de ses transgressions. Une mère qui se bat pour que son enfant obtienne justice et ne soit plus en contact avec son père adopte, quant à elle, une position courageuse qui devrait être soutenue et reconnue.
En bref, quelque soit le comportement ou l’attitude de la mère, il faut croire qu’il y a toujours moyen de les discréditer en faisant appel à des catégories psychiatriques apportant un vernis de scientificité (“ névrose hystérique ”, “ syndrome d’aliénation parentale ”, etc.) pour compenser l’absence de fondement clinique à une telle interprétation (mère non rencontrée ou rencontrée trop brièvement).
Discréditer la parole de la victime
Si ce n’est la personnalité ou la crédibilité de la mère qui fait l’objet de critiques, c’est la parole de l’enfant qui, plus fragile que celle de l’adulte, est remise en cause. Là où, par exemple, en première instance, les magistrats auront jugé les “ différentes déclarations convergentes de la fillette elle-même, ainsi que des praticiens qui ont été amenés à l’examiner ”, les juges, en appel, souligneront le “ caractère incertain et douteux des déclarations de l’enfant ”. Ici encore, les interprétations scientifiquement et méthodologiquement peu rigoureuses ne manquent pas face au témoignage de l’enfant et à ses particularités (entrée de l’enfant dans le mutisme, rétractation, détails périphériques de l’agression soumis à variation suivant l’âge et le stade du développement cognitif de l’enfant, confusion dans le récit entre les différentes agressions, difficulté de chronologie, etc.).
Et pourtant, le comportement, les paroles, les réactions physiques et psychologiques de l’enfant victime d’agressions sexuelles, s’ils font l’objet d’une étude approfondie par des intervenants formés à l’écoute et l’évaluation des témoignages d’enfants maltraités, ne sauraient être confondus avec le comportement et le discours de l’enfant qui aurait été manipulé.
Divergences judiciaires
Bien que souvent deux procédures soient engagées pour protéger l’enfant, l’une au pénal, l’autre au civil, ce n’est pas toujours à une convergence des décisions judiciaires à laquelle on aboutit, mais à une divergence, voire à une contradiction.
Dans un cas, alors que la justice pénale n’a pas reconnu la réalité des agressions sexuelles, la justice civile va parfois tenir compte de la présence de fortes suspicions et décider d’un exercice du droit de visite du parent agresseur dans un point de rencontre. Pis-aller qui n’est pas systématique pourtant.
Dans un autre, alors que la justice pénale a reconnu l’existence d’agressions sexuelles, la justice civile va rétablir le droit de visite du père à sa sortie anticipée de prison. Le retrait partiel ou total de l’autorité parentale du parent mis en cause n’a été prononcé dans aucun des 67 dossiers analysés.
Notons que le Juge aux Affaires Familiales, qui décide des conditions d’exercice de l’autorité parentale et notamment du droit de visite, n’a pas l’obligation d’entendre l’enfant, ce dont il se dispense la plupart du temps et qui est très dommageable. Lorsqu’un-e aîné-e d’une fratrie a subi des agressions sexuelles et qu’il/elle les a révélées, les droits de visite peuvent n’être suspendus que pour l’aîné-e en oubliant qu’il est fréquent, voire habituel que l’auteur agresse aussi les plus jeunes qu’on omet d’interroger.
La solution des points de rencontre comme mesure provisoire, y compris quand les enfants ont exprimé clairement le refus de revoir leur père (ex : “ je ne veu pas le voire parce qu il menbète ce vieu con de père, parce quil ma fait du mal. ”), est en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant et a des effets catastrophiques sur le plan psychologique. C’est en effet une négation de la violence que l’enfant a subie que de le remettre en contact avec le parent auteur même sous surveillance. Qui penserait à contraindre une femme violée à revoir son agresseur ? Les points de rencontre ne protègent pas toujours les enfants qui peuvent continuer à subir des agressions, des menaces et des pressions lorsqu’ils sont accompagnés dans les toilettes ou en sortie par leur parent agresseur. La “neutralité” du point de rencontre ne devrait pas servir de prétexte pour laisser l’enfant seul avec son parent agresseur ou ne pas signaler un enfant qui parlerait à nouveau dans ce lieu des sévices sexuels subis.
Signalons, par ailleurs, que le Juge des enfants est peu intervenu dans les situations étudiées. Quand il est saisi, à la suite d’un classement ou d’un non-lieu, il n’a d’autres ressources que les mesures d’A.E.M.O., inaptes à protéger l’enfant, ou la décision de placement, qui conduit, pour protéger l’enfant de son père, à le priver injustement de sa mère et de la vie dans son cadre familier.
2.4. Profil et stratégies des parents agresseurs
Les agresseurs appartiennent à toutes les classes sociales. Nombre d’entre eux disposent d’un statut social élevé (avocat, polytechnicien, PDG, ingénieur, directeur du personnel, dentiste, adjoint de direction pénitentiaire…), ce qui semble les placer au dessus de tout soupçon et leur donner les moyens financiers et appuis politiques pour une riposte judiciaire : attaque de la mère en dénonciation calomnieuse et/ou pour non-représentation d’enfant, attaque des médecins qui ont fait des certificats ou des signalements pour protéger l’enfant, devant le Conseil de l’Ordre des Médecins et/ou devant les Tribunaux pour immixtion dans les affaires de famille, rédaction de certificat de complaisance, atteinte à l’honneur, violation du secret professionnel, dénonciation calomnieuse, etc.
2.5. Conséquences des dénis de justice
Les conséquences du classement sans suite ou du non-lieu sont catastrophiques pour l’enfant. Dans le meilleur des cas, un aménagement de l’exercice du droit de visite et d’hébergement est décidé par le J.A.F. Mais ce pis-aller n’intervient pas toujours. Quoi qu’il en soit, l’enfant est obligé de revoir l’agresseur, ou même de partager le quotidien avec lui. Cela signifie qu’il peut continuer à être agressé, avec pour différence que désormais il ne parlera plus. De plus en plus souvent, la situation se renverse même complétement : la mère peut faire l’objet d’une citation directe pour dénonciation calomnieuse ; elle peut également être mise en examen, parfois incarcérée pour non-représentation d’enfant. La garde peut alors être donnée au père agresseur, après un séjour en foyer de l’enfant pour qu’il réapprenne “à aimer son père” agresseur.
De 1996 à 1998, non seulement les plaintes à l’encontre de la mère pour non-représentation d’enfant augmentent (20% des situations), mais un tiers des mères poursuivies sont condamnées. Conscientes d’être “ hors la loi ”, ces mères n’ont plus que deux choix insatisfaisants l’un comme l’autre: renoncer à protéger leur enfant, ou s’enfuir avec lui à l’étranger. Si les juges font preuve de prudence avant de condamner un père qui nie avoir agressé sexuellement son/ses enfants, pourquoi n’exercent-ils pas la même prudence avant de condamner une mère qui nie avoir manipulé son/ses enfants? Pourquoi un tel acharnement contre ces mères?
3. La loi du silence…appliquée
3.1 …aux mères et aux enfants.
3.1.1. Six mois de prison ferme pour la mère gréviste de la faim (La Montagne, 12 janvier 2000, ?)
Rachel, l’une des femmes grévistes de la faim, à Clermont-Ferrand, en décembre dernier, pour dénoncer les mauvais traitements qu’auraient eu à subir leurs enfants ou petits-enfants, a vu, hier après-midi, le tribunal correctionnel de la ville procéder à la révocation de son sursis de six mois de prison pour non présentation d’enfant. Cette mère de famille d’un garçon âgé de 8 ans soupçonne son ex-mari d’avoir fait subir des sévices sexuels au petit garçon. Aussi, elle a toujours refusé d’octroyer au père son droit de visite. Du coup, la justice l’a condamnée avec sursis, d’abord en correctionnelle, puis devant la Cour d’appel de Riom.
Le juge d’application des peines avait demandé cette fois, la révocation du sursis. Le tribunal correctionnel de Clermont a confirmé cette décision. Mais elle n’est pas immédiatement exécutoire et Rachel a dix jours pour faire appel… Des représentants de différentes associations ou partis – Droit de choisir, Droit des femmes, SOS Femmes, Agir contre le Chômage, PCF, Verts – étaient présents dans la salle pour soutenir cette femme qui avait observé près de trois semaines de jeûne en fin d’année. Avec ses collègues grévistes de la faim, elle avait stoppé son mouvement contre la promesse d’un rendez-vous avec un représentant du ministère de la Justice, en vue de l’étude de leur dossier respectif.
3.1.2. Ces violences qu’on ne veut pas voir
(l’Humanité, 5 octobre 1999, Maud Miquel et Emilie Rive)
Des médecins sanctionnés, des mères traitées d’hystériques, des travailleurs sociaux licenciés : il ne fait pas bon signaler la maltraitance.
Aurait-on eu connaissance des sévices endurés par le petit Johnny sans l’intervention inespérée d’un menuisier, Joël Tajana ? Rien n’est moins sûr.
Des voisins, semble-t-il, étaient intervenus auprès du maire de la commune mais il n’y a jamais eu de suites. Ce drame pose entre autres la question du fonctionnement du dispositif de protection de l’enfance, et en particulier du rôle des signalements qui sont une clé de voûte du système. En 1998, les statistiques retiennent 19 000 signalements d’enfants maltraités, victimes de violences physiques, d’abus sexuels, de cruauté mentale, de négligences lourdes, soient deux mille de moins qu’en 1997. Par ailleurs, 64 000 enfants ont été signalés en » risque de maltraitance. (1)
Des chiffres qui interrogent
Ces chiffres émanent de l’Observatoire national de l’enfance maltraitée et portent sur les recensements des conseils généraux. Si les signalements pour violence sont stables (7 000), on note une baisse du chiffre des abus sexuels recensés (5 000, contre 6 800 l’année précédente). Selon Marcelline Gabel, directrice de l’Observatoire, la baisse ne s’explique pas par un progrès, mais par une mise en cause des témoignages. Si » l’affaire Dutroux a déclenché une véritable émotion et une prise de conscience dans l’opinion publique « , celle-ci se trouve depuis deux ans en butte au doute et à la suspicion. » Que les faits soient avérés ou présumés, note Marcelline Gabel, ils doivent être signalés par les professionnels. Or que veut dire présumé ? Nous sommes dans une justice de preuves en France. Quand il n’y a pas de preuve, la justice ordonne le non-lieu. C’est une parole contre une parole ».
De son côté, le Collectif féministe contre le viol souligne que la parole de l’enfant est souvent libérée lorsque ses parents se séparent » à l’abri des menaces et des pressions du parent agresseur « . La suspicion dépasse le raisonnable quand la parole de la mère est systématiquement mise en doute, sous le prétexte que certains parents utilisent l’inceste comme une arme pour régler leurs différends de couple, et cela même quand le signalement provient d’un travailleur social ou d’un médecin.
Effets pervers
Certains professionnels sont victimes de pressions, d’autres, comme le Dr Catherine Bonnet, sont condamnés par le Conseil de l’Ordre sur plainte des parents visés. » Le devoir de signalement fait partie de la loi, je ne comprends pas la base juridique de ce type de condamnation « , dénonce Jean-Pierre Rozencweig, juge pour enfants au tribunal de Bobigny, qui évoque aussi les conflits entre médecins et juges : » Il faut que le psychiatre apprenne que la voix de la République passe avant la voix de Freud. Nous coopérerons régulièrement, mais, de temps en temps, la logique du psychiatre croise la logique judiciaire et la porte est parfois étroite.
» Pour Annie Gaudière, responsable du numéro vert Allô Enfance maltraitée, « L’auteur présumé d’un mauvais traitement n’a plus qu’un seul recours pour se défendre : il attaque le porte-parole de l’enfant, le travailleur social, le médecin. À partir du moment où les pouvoirs publics insistent pour que le citoyen et le professionnel fassent leur travail d’alerte, il faut automatiquement les protéger. Sinon les chiffres répertoriés seront de moins en moins crédibles. »
L’affaire des trois salariées de la communauté Guy-Debeyre, à Perrancey, petit village près de Langres, en Haute-Marne, licenciées pour avoir fait un signalement en justice, est exemplaire. Près de 200 professionnels seraient menacés de licenciement ou déjà licenciés après avoir signalé des violences ou des maltraitances. Jean-Yves Baillon, secrétaire général de l’Union fédérale de l’action sociale CGT, insiste : « Bien évidemment, ils ne sont pas sanctionnés sur ce motif. Des directeurs s’enferment dans une coquille : » Ce n’est pas vrai, il n’existe rien « , disent-ils. Des associations font la même chose et virent les éléments perturbateurs. Ces gens ont peur: plutôt que d’ouvrir et regarder, on se débarrasse du problème en se disant qu’on n’en parlera plus. » Parmi les propositions qu’il entend présenter aux pouvoirs publics, à la demande du ministre, ce responsable demande que soit accordée aux salariés la même protection que celle des représentants du personnel, pendant six mois après la conclusion d’une affaire.
Tout est-il recensé ?
Les chiffres eux-mêmes semblent sujets à caution. Marie-Paule Poilpot, directrice de la Fondation pour l’enfance, relève » un manque de lisibilité dans le calcul « . L’Observatoire ne prend, en effet, en compte que les résultats recensés par les conseils généraux. D’autres proviennent du numéro vert du service d’accueil téléphonique et des services de police et de gendarmerie. Ceux des associations ne sont pas comptabilisés. « Il manque donc un observatoire national pour collecter toutes les informations, afin d’avoir un résultat plus complet et plus global de la situation », assure Marie-Paule Poilpot. » Il y aurait des cas de maltraitance plus graves que d’autres ? ajoute-t-elle. La violence psychologique, par exemple, n’apparaît dans les statistiques que depuis 1997 et 1 700 cas seulement ont été dénombrés en 1998. Son diagnostic est particulièrement difficile, précise le Dr Mario Silva, médecin au Centre municipal de santé de Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis: » Il n’y a pas de coups, pas de traces, mais les demandes, la parole de l’enfant ne sont systématiquement pas écoutées. Les enfants se sentent livrés à eux-mêmes, complètement abandonnés. Les conséquences? Retard de croissance, troubles alimentaires, perturbation du sommeil avec baisse des capacités de récupération, retards scolaires dans l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, retards que l’on découvre souvent très tard. Les attouchements peuvent être tout aussi dramatiques, psychologiquement, que les viols. »
Développer la prévention
Dominique Gillot, secrétaire d’Etat à la Santé, entend développer le « dépistage précoce » de la maltraitance : « C’est justement ces risques, comme les violences psychologiques, qui peuvent mieux être pris en compte par les services sociaux, les services scolaires et qui méritent d’être vérifiés. Je pense qu’il faut vraiment agir pour la prise en compte précoce, pour préserver l’enfant dans son milieu, dans son environnement, avec une attention, un soutien particulier aux adultes qui en ont la charge. » Dans ce domaine, le Dr Mario Salvi est plus exigeant : « Les personnels devraient être plus formés à ces différents aspects de la maltraitance pour pouvoir les dépister plus tôt. La médecine scolaire fait cruellement défaut : pas suffisamment de postes de psychologues, de médecins, d’assistantes sociales et d’infirmières. C’est pourtant par là que passent tous les enfants de ce pays et là que devrait se faire tout le travail de contact avec les parents. Quand cela existe, il manque des relais : chacun travaille dans son coin. Il faut améliorer les coordinations, créer de véritables réseaux et la prévention permettrait un vrai travail. Améliorer aussi la coordination avec les juges. » Marie-Paule Poilpot conclut: « Plus une famille est isolée, économiquement, socialement, plus les enfants sont en danger. »
(1) Ces chiffres ont été récemment publiés par l’Observatoire national de l’enfance en danger.
3.1.3. La parole de l’enfant ne pèse pas lourd pour la justice.
(Le Soir, 21 septembre 1996, Martine Vandemeulebroucke)
La justice a-t-elle changé d’attitude face à la dénonciation des abus sexuels ? Rien n’est moins sûr.
Le délégué général aux droits de l’enfant Claude Lelièvre a transmis vendredi au magistrat national André Vandoren 18 dossiers relatifs à des faits de pédophilie qui méritent l’attention de la justice. Pour certains d’entre eux, la procédure judiciaire n’a pas abouti. D’autres dossiers pourraient, à la lumière des événements récents, être rouverts.
La délégation aux droits de l’enfant est confrontée depuis plusieurs années à ce type de plaintes mais depuis le début de l’affaire Dutroux, celles-ci se sont multipliées. Auprès du délégué comme auprès des parquets. Les langues se délient, confirment des magistrats. Mais la Justice, dont on a beaucoup critiqué ces jours-ci la passivité face au problème de la pédophilie et le manque d’écoute des victimes, a-t-elle réellement changé ?
Les témoignages de lecteurs que nous avons reçus ces dernières semaines ne semblent pas le prouver. Claude Lelièvre fait le même constat.
– L’électrochoc de l’affaire Dutroux s’est produit chez les magistrats et les policiers déjà motivés et auprès du public.
Ailleurs, les mêmes réflexes se maintiennent. Pis: dans certains arrondissements judiciaires, des juges d’instruction croient prouver leur » indépendance » dans le climat d’émotion actuel en n’arrêtant pas des pédophiles pour lesquels les faits sont pourtant prouvés. Et tant pis si l’homme continue à faire d’autres petites victimes.
Les blocages ou les réticences se situent à plusieurs niveaux. Au commissariat du quartier de la victime d’abord, où certains policiers refusent d' »acter » la plainte (Les enfants racontent n’importe quoi) ou conseillent aux plaignants d’aller voir ailleurs, à la gendarmerie par exemple.
Auprès du Parquet ensuite. Une jeune femme de Mouscron a dénoncé en février dernier des faits d’inceste qui l’ont même amenée à devoir subir un avortement, il y a plusieurs années. En juillet, le dossier a été rouvert parce que son frère a fini lui aussi par dénoncer les abus sexuels qu’il a subis de son père.
– La PJ de Tournai m’a dit que c’était à moi de prouver les faits, d’amener des preuves. Comme celle de mon passage dans cet hôpital hollandais quand je me suis fait avorter. J’ai demandé à plusieurs reprises au procureur du Roi des nouvelles de mon dossier. Je n’ai jamais reçu de réponse.
Dans d’autres cas, les devoirs d’enquête sont menés mais l’instruction du dossier n’aboutit à aucune inculpation. Trois affaires de ce genre nous ont été signalées pour l’arrondissement de Nivelles. Deux d’entre elles concernaient des cas d’abus sexuel intrafamilial pour lesquels l’auteur est toujours en liberté. Les familles concernées sont unanimes à reconnaître la rapidité d’intervention de la BSR de Wavre et surtout la qualité de celle-ci. Mais cette première étape dans l’instruction du dossier en est restée là. Les dossiers dorment dans les tiroirs des juges d’instruction.
Le cas de la famille O. est exemplaire à cet égard. M.O., qui vit séparé de son épouse depuis plusieurs années, partage avec celle-ci la garde de la petite Alice (c’est ici un prénom fictif), âgée de cinq ans. Fin juillet, à l’issue d’une garde de près d’un mois chez la mère, M.O. trouve l’enfant dans un état d’angoisse extrême. La petite fille finit par expliquer que son grand-père a commis sur elle des actes d’abus sexuels, en présence de sa mère.
A l’issue de l’audition (en vidéo) par la BSR de Wavre, le père apprendra, effaré, qu’il s’agit d’un viol technique. Une ordonnance en référé va supprimer, début septembre et de manière provisoire, toute garde à la mère. L’ordonnance parle de « faits graves qui ne sont d’ailleurs pas contestés par la demanderesse (la mère) ». La tante d’Alice va reconnaître auprès des enquêteurs qu’elle-même et la mère de la petite Alice ont été victimes d’inceste au cours de leur enfance. Le dossier a été transmis au juge d’instruction le 6 septembre et depuis lors plus rien ne bouge. Le grand-père, qui nie les faits, n’a pas été inculpé. Ce qui fait dire au père d’Alice qu’on est décidément toujours dans un système où la parole de l’enfant est mise en doute.
Dans ce dossier comme dans bien d’autres, les magistrats expliquent souvent qu’il leur est impossible de trancher « entre la parole de l’enfant et celle de l’adulte », même si des expertises psychiatriques donnent foi aux accusations de l’enfant. Ces expertises ne sont pas considérées comme des éléments de preuve et le doute profite alors toujours à l’adulte. C’est aussi l’argument que donne le procureur du Roi de Bruxelles, Benoît Dejemeppe, pour justifier que plus aucun fait de pédophilie ne soit porté à la connaissance du public, via la presse, depuis plus d’un an. Ce sont des affaires délicates, touchant à la vie privée et qui sont souvent contestées, explique-t-il.
Alors la justice attend parfois très longtemps d’avoir toutes ses certitudes. Dans la région de Chimay, un pédophile a été plusieurs fois dénoncé auprès des autorités judiciaires. A chaque fois que les faits se produisent, on répond aux parents que « l’enquête se poursuit », avec ces éléments nouveaux. Le cri de colère des parents de Julie et de Mélissa n’a apparemment pas encore été entendu partout.
3.2. … aux médecins et aux travailleurs sociaux
3.2.1. Les professionnels de la maltraitance s’organisent
(Alternative Santé, L’impatient, Décembre 1999, Martine Lagarnier)
La stratégie des agresseurs consiste non seulement à mettre en doute la parole de l’enfant mais encore à s’attaquer aux professionnels de la maltraitance. On assiste à des plaintes contre les médecins qui signalent les violences sexuelles (c’est le cas du Dr Catherine Bonnet (1), à des campagnes de calomnies contre les psychiatres et les psychologues (comme Bernard Lempert), mais aussi à des licenciements de travailleurs sociaux ayant dénoncé des abus sexuels. Ces problèmes auxquels sont confrontés les professionnels de l’enfance maltraitée ont entraîné le report d’un colloque à la fin du mois d’août 1999 à Quimper. Deux thérapeutes, qui devaient intervenir, étaient accusés d’appartenir à une secte alors qu’il avait été démontré depuis longtemps que ces accusations étaient fausses. L’Association pour la formation à la protection de l’enfance (AFPE) qui rassemble des professionnels de tous horizons (travailleurs sociaux, médecins, psychanalystes et psychiatres, fonctionnaires), réorganise un colloque ‘L’embrouille’ du 14 au 17 mars 2000 à l’Institut Curie, le Collectif féministe y participera. Ce colloque s’attachera à démonter les stratégies des agresseurs. Renseignement au 02 99 84 79 30 ; fax : 02 99 84 79 39.
(1) Pour protéger l’enfant, le médecin est amené à faire un certificat médical ou à prévenir le procureur. Or, une fois sur deux, la justice ne réussit pas, faute de moyens, à réunir des preuves suffisantes. Il y a alors un non- lieu. À ce moment là, l’agresseur se retourne contre le médecin en portant plainte auprès de l’ordre des médecins.
3.2.2. Trois psychiatres face à la colère d’un père divorcé.
(Libération. 16 juin 99. Béatrice Bantman)
Motif de la plainte devant le Conseil de l’Ordre : les certificats médicaux utilisés par la mère.
Faire ou ne pas faire. Intervenir au risque de poursuites, ou laisser courir, parce que c’est plus simple. La question était posée hier, devant le Conseil régional d’Ile-de-france de l’Ordre des médecins, à travers la querelle intentée à trois psychiatres par le père, divorcé, de deux jeunes garçons. Objets de la plainte, de plus en plus routinière en France à l’instar des Etats-Unis: des certificats, utilisés par la mère auprès du juge des affaires familiales, attestant que les enfants allaient mal quand ils voyaient leur père, et une psychothérapie poursuivie “dans l’intérêt” de l’aîné malgré l’avis du père. Intrusion dans la vie privée, dénonce le père, qui poursuit un des médecins sur le fondement de l’article 51 du code de déontologie médicale. Une plainte relayée par l’Ordre des médecins, qui montre ainsi sa peur de voir ses ouailles utilisées à l’appui de fausses allégations d’abus sexuels.
Bagarre d’experts
La scène n’est pas des plus modernes: onze médecins à lunettes, dont dix hommes, en robe rouge et noire, devant un buste d’Hippocrate. Mais l’affaire a les ingrédients d’une histoire bien actuelle: divorce difficile, bagarres d’experts, allégations de perversions sexuelles et enfants en souffrance.
« Je ne vois pas mes enfants à cause de certificats bidons. On est face à une personne (son ex-femme, ndlr) qui utilise le pouvoir médical, explique le plaignant. Tout ça pour des meubles. » Au professeur Serge Leïbovici, ponte de la psychiatrie infantile, sollicité par la mère pour un avis médical sur les entants, il est reproché d’avoir transmis à l’avocat de la mère le certificat très défavorable au père. “Je fais toujours ça”, répond le vieux médecin. “Le certificat est imprudent. Dans les affaires de garde d’enfants, les médecins sont des instruments dans les mains passionnés des parents ”, plaide l’avocat du Conseil de l’Ordre. “Il est très fatigué”, constate à haute voix un des “ juges ”, à peine moins âgé que le vieux professeur, avant de passer au cas suivant.
Cruauté
Le docteur Marthe Coppel, spécialiste de la maltraitance infantile, est accusée d’avoir, dans une lettre à la mère, parlé de la cruauté du père, en se fiant aux dires des enfants et de leur mère. “Les enfants les plus marqués sont ceux qui ont subi des mauvais traitements psychologiques. Je recherche donc chez eux des traces de maltraitance, comme des hématomes mentaux. Et je vous assure que ces enfants allaient très mal”, explique-t-elle. Pourquoi ne pas avoir rencontré le père? “Mais là, j’aurais fait exactement ce qui m’est reproché: intervenir dans la vie privée.” Enfin, le docteur Michel Porthais, qui a signalé les enfants au procureur, est accusé d’avoir prolongé une psychothérapie contre l’avis du père. “Il est devenu un père de substitution”, accuse le plaignant. “On n’interrompt pas une thérapie comme ça, un enfant n’est pas un ordinateur”, se défend le médecin. « J’ai défendu, au pénal, des médecins parce qu’ils n’avaient pas bougé. Le devoir est de se manifester », renchérit son avocate. L’Ordre prononcera dans quelques semaines.
3.2.3. Maltraitance : l’inconcevable refus de vérité
(Le Progrès, 27 janv. 2000, ?)
Parce qu’ils ont signalé des violences subis par des enfants ou des adultes handicapés, 200 professionnels ont été sanctionnés.
Un pays peut-il se targuer de tout mettre en oeuvre pour lutter contre la maltraitance quand ceux qui la dénoncent sont poussés au silence ? Terrible paradoxe. Terrible réalité dénoncée, hier, par des magistrats, éducateurs, syndicalistes et médecins qui affirment que 200 professionnels de la protection de l’enfance ont été sanctionnés pour avoir signalé des violences contre des enfants ou des majeurs handicapés.
Pressions diverses pour museler des travailleurs médicaux-sociaux, licenciements pour faute lourde, sanctions du Conseil de l’Ordre des médecins à l’encontre de praticiens, procès en diffamation, menaces physiques : tout un éventail de cas récents, en institutions publiques ou privées, ont été exposés par les intéressés eux-mêmes.
Les termes “ écoeuré ” et “ impuissant ” reviennent régulièrement dans les témoignages qui se succèdent, tous différents dans les circonstances (violences physiques, verbales, sexuelles, menaces ou incompétence notoire), mais tous semblables dans le résultat: l’exclusion du dénonciateur. Un directeur de Centre d’aide par le travail (CAT) pour handicapés, qui a dénoncé, sans succès, les violences d’un moniteur, pense que “ les inspecteurs de la DDASS ne sont pas formés pour entendre des témoignages des handicapés qui devraient être interrogés par des équipes pluridisciplinaires ”. Pour Enfance Majuscule (80 comités régionaux qui se portent partie civile pour les enfants dans ce type de procès), “ l’arsenal des textes est suffisant, mais ce sont les pratiques souterraines de détournement qu’il faut supprimer ”. Des pratiques visiblement connues du gouvernement. Le 22 septembre dernier, la secrétaire d’Etat à l’action sociale Dominique Gillot a annoncé en conseil des ministres “ la mise à l’étude d’un dispositif permettant d’assurer la protection des professionnels ayant porté à la connaissance de l’autorité publique des actes de maltraitance ”.
“ Le principe d’une table ronde réunissant professionnels et pouvoirs publics a été annoncé à cette occasion pour faire des propositions sur un tel dispositif, mais on n’a rien vu depuis ”, déplore Pascal Vivet, président du Centre d’information des droits de l’enfant.
4. Pères incestueux : la nécessaire prise de conscience
4.1. Les pères incestueux se rebiffent
(Alternative Santé, L’impatient, Décembre 1999, Martine Lagarnier)
Le Collectif féministe contre le viol a remis le 22 juin 1999 au ministère de la Justice un rapport d’enquête sur le thème “ Agressions sexuelles incestueuses dans un contexte de séparation des parents, dénis de justice ? ” Les auteurs de ce rapport ont répondu à nos questions.
ALTERNATIVE SANTE – L’Impatient : Existe-t-il une augmentation du nombre de dossiers d’incestes lors des séparations des parents ?
Le Collectif féministe contre le viol : Nous avons de plus en plus d’appels à l’aide de parents d’enfants très petits (moins de sept ans), la plupart du temps des mères. En cas de divorce, nous constatons souvent que des enfants qui dénoncent des agressions sexuelles, ne sont ni crus ni entendus par la justice. Quand un enfant dénonce des violences sexuelles exercées par un parent, le plus souvent le père, on ne dit plus qu’il ment, on parle de fausses allégations. Ensuite, on essaie de démontrer que l’enfant est manipulé ou influencé (sans mauvaise foi) par l’entourage. Or nous avons des témoignages d’enfants avec des paroles d’enfants qui ne laissent aucun doute sur la réalité des faits.
Comment expliquez-vous cette situation nouvelle ?
Depuis quelques années, les violences sexuelles sur les mineurs sont mieux prises en compte. On a compris que l’inceste n’est pas un phénomène marginal et que les agresseurs viennent de tous les milieux sociaux. Toutefois, ce qu’on entend, ce sont surtout les victimes arrivées â l’âge adulte parlant d’abus subis dans leur enfance. Or, ce qui caractérise la situation actuelle, c’est que les victimes d’inceste parlent de plus en plus jeune. Notre société a toujours des difficultés à les entendre et à les écouter. Quand les parents divorcent, l’enfant parle plus facilement. Aujourd’hui, les mères qu’on a longtemps dénoncés comme complices des agresseurs cherchent à protéger leurs enfants. Tout cela est la conséquence d’une prise de conscience sociale et d’un travail de prévention.
Existe-t-il en France une multiplication de ces fausses allégations ?
On n’en sait rien. Les fausses allégations d’inceste dans le cadre de divorce existent probablement. A l’heure actuelle, il y a très peu d’études sur cette question. L’idée de la multiplication des fausses allégations repose sur la subjectivité des personnes et la parole de certains magistrats. Un psychothérapeute d’origine belge, Hubert Van Gijseghem, a largement participé à la propagation de cette idée lors de sessions de formation organisées en France ces dernières années pour les professionnels de la maltraitance. Il s’appuie sur des travaux anglo-saxons controversés et oublie que, même aux Etats-Unis, le débat est loin d’être clos.
Dans ces affaires, la justice semble connaître des dysfonctionnements?
En cas d’agressions sexuelles d’un enfant par un parent, il y a deux instances judiciaires : la justice pénale (car il s’agit de délits ou de crimes) et la justice civile (pour régler la procédure de divorce). Sans réelle coordination entre les deux. Durant cette procédure, le parent protecteur. – le plus souvent la mère – souhaite faire suspendre le droit de visite de l’agresseur pour faciliter la tache des enquêteurs. Pourtant, les JAF (juges aux affaires familiales) pensent trop souvent que des enfants si petits ne peuvent que mentir, influencés par un tiers, en l’occurrence la mère. Prenant davantage en compte les intérêts du père que les plaintes de l’enfant, ils préfèrent aménager le droit de visite plutôt que le suspendre. L’enfant peut ainsi se retrouver en contact avec l’homme qui l’a agressé chez une grand-mère ou dans n’importe quel autre lieu.
Pensez-vous que certains enfants ne sont pas protégés ?
Le contexte de l’émergence (le divorce) de la parole de l’enfant jette un discrédit immédiat sur ce qu’il dit. La mère est d’emblée soupçonnée de le manipuler consciemment ou inconsciemment pour obtenir un divorce aux torts de son mari et la garde exclusive de l’enfant. Conséquence : la justice ne joue pas son rôle qui est de protéger l’enfant.
Comment expliquez vous que 51 % des plaintes au pénal soient classées sans suites ?
En cas de séparation des parents, la suspicion de la justice et de la police est telle que les agresseurs sont rarement punis. Des certificats médicaux de lésions anales ou génitales ne suffisent pas aux magistrats. En revanche, lorsque les certificats médicaux n’établissent pas de lésions, ils sont utilisés pour prouver qu’il n’y a pas eu d’agression sexuelle.
Comment expliquez vous cette situation ?
Notamment par la contre-attaque des pères incestueux. Il existe en France un mouvement associatif qui rassemble des pères réclamant l’égalité pour la garde des enfants. On peut légitimement réfléchir au fait de ne pas confier la garde systématiquement à la mère (en France, un père sur dix réclame la garde de son enfant). En revanche, il est inacceptable que les associations acceptent de défendre des dossiers avant même de savoir si les accusations portées contre le père sont vraies ou fausses. Conséquence : des pères incestueux profitent du contexte social favorable aux pères pour l’éducation de l’enfant, pour défendre leurs intérêts qui n’ont rien à voir avec ceux de l’enfant.
4.2. Fausses allégations ou vrais drames ?
(Viva, février 2000, France Berlioz et Maïté Pinero)
Les enfants au coeur de la polémique
Les affaires d’abus sexuels commis par des pères sur leurs enfants sont souvent dévoilées au moment d’une séparation. II n’en faut pas plus pour qu’on suspecte ces accusations d’être suscitées par la mère. Certains tendent même à généraliser cette suspicion de “fausses allégations” et, dans tous les cas, à nier la parole de l’enfant. La polémique fait rage. Pour obtenir la garde de leur(s) enfant(s), de nombreuses femmes auraient choisi d’accuser leur ex-conjoint d’inceste, et les juges seraient submergés par les fausses accusations d’agressions sexuelles.
Des livres paraissent faisant écho de cette thèse. Des associations de pères dénoncent les accusations d’abus sexuels, “arme absolue pour éliminer le père”, et l’association Sos-papa tient une “commission fausses allégations” où peuvent se rendre les pères accusés. Commission à propos de laquelle Bernard Fillaire, auteur de la Douleur des pères, peut écrire : “ C’est le seul lieu où un père sait, dans les premières semaines suivant l’accusation, que sa parole ne sera pas remise en cause. Et même si rien ne garantit qu’il n’y a pas un coupable dans l’assemblée, ce qui les réunit est la force avec laquelle ils affirment leur innocence et leur droit de voir librement leur enfant. ” Si l’on ne peut exclure la possibilité que des pères ont été faussement accusés, doit-on en déduire que les fausses allégations représentent la majorité des cas ? Il est vrai que la plupart des plaintes auprès de la justice aboutissent à un non-lieu ou à un classement sans suite. Cela signifie, dans un domaine aussi difficile, qu’on n’a pu rassembler suffisamment de preuves. Mais pas obligatoirement que les faits n’ont pas eu lieu.
La parole de la victime est niée et discréditée
Dans ce climat, les femmes autrefois “ complices ” sont désormais qualifiées de “ manipulatrices ”. Elles sont soupçonnées d’influencer leurs enfants et les médecins, autrefois sanctionnés pour négligence, sont aujourd’hui accusés, tout comme le docteur Bonnet et le docteur Sabourin, d’avoir rédigé des certificats de complaisance. Les avocats constitueraient, eux, de faux dossiers. Plus d’une centaine d’éducateurs qui dénoncent les maltraitances sur enfants – dont des abus sexuels – en institution ont déjà été sanctionnés, licenciés. Par ailleurs, la parole de l’enfant agressé est à nouveau discréditée et niée. C’est manifeste dans l’affaire que nous évoquons (voir ci-contre). Elle figure, parmi d’autres, dans le dossier remis par le collectif Viols femmes information au ministère de la Justice. Ministère que nous avons tenté, en vain, de joindre. Pour sortir de cette confusion, pour protéger l’enfant, des solutions existent pourtant, comme le souligne maître Steyer (p. 30). Cependant, trop souvent les enfants ne sont même pas entendus par la justice, les dispositions de la loi Guigou – notamment sur l’expertise menée le plus rapidement possible par une équipe spécialisée et pluridisciplinaire – ne sont pas appliquées et on manque d’enquêteurs formés, de psychiatres spécialisés dans l’écoute des enfants victimes. Voilà pourquoi des professionnels comme le docteur Emmanuelle Piet s’inquiètent (voir p. 28). Alors qu’il a fallu des années pour lever le tabou de l’inceste, de la maltraitance en général, va-t-on tolérer un tel recul de civilisation ?
4.3. Certains médecins libéraux ont peur de faire des signalements.
(Viva, février 2000, France Berlioz et Maïté Pinero)
« Nous avons mis dix ans à faire admettre aux professionnels de l’enfance et à l’opinion publique qu’il fallait entendre la parole de l’enfant. Au moment où nous y sommes arrivés, où nous avons donné aux victimes le courage de parler, une campagne se développe pour discréditer leur parole et nous ramener dix ans en arrière. »
Médecin de Pmi en Seine-Saint-Denis, le docteur Emmanuelle Piet coordonne depuis treize ans les campagnes contre les agressions sexuelles et la maltraitance des enfants. Elle est formelle: « Nous assistons à la mise en place de la stratégie de défense des agresseurs. Elle joue sur plusieurs tableaux. Il y a la théorie des fausses allégations et on lit ici et là que 80 % de ces dénonciations pour agression seraient des faux. Il y a la théorie des faux souvenirs, venue des Etats-Unis et infirmée là-bas, mais que l’on colporte en France. Les médecins et les professionnels qui font des signalements sont traînés en justice et sanctionnés. Tout cela est trop bien orchestré ». Selon elle, il est nécessaire, pour comprendre, « de revoir la protection de l’enfance dans son histoire récente ».
Comme preuve que les agressions sexuelles contre l’enfant étaient, il n’y a pas si longtemps, banalisées, elle nous montre un communiqué publié dans Le Monde du 26 janvier 1977. Les signataires réclamaient la mise en liberté de trois individus « qui risquent d’être condamnés à une grave peine de réclusion criminelle soit pour avoir eu des relations sexuelles avec ces mineurs, garçons et filles, soit pour avoir favorisé et photographié leurs jeux ». Pour eux, la détention de trois ans déjà subie par ces individus “ pour une simple affaire de moeurs où les enfants n’ont pas subi la moindre violence ” paraissait “ déjà scandaleuse ”. Et ils concluaient “ trois ans de prison pour des caresses et des baisers, cela suffit. “Ce texte ferait scandale aujourd’hui, souligne le docteur Piet, et ses signataires se couvriraient d’opprobre. Mais en 1977, il était signé par de nombreux écrivains et d’autres personnalités qui ont occupé depuis des fauteuils de ministre.
“ Vous allez me dire que ce n’est pas vrai ”
Conclusion du docteur Piet : “ Le Moyen Age, c’était hier soir. Ce n’est qu’en 1980 que nous avons eu en France la première campagne sur les enfants maltraités. En 1986, la Seine Saint-Denis était un département pilote sur la maltraitance. Ça a été une bataille infernale contre toutes les idées reçues. On nous disait : « Cela n’existe pas ici, c’est un phénomène qui concerne le monde rural et les milieux alcooliques. » On a dû démontrer que cela touchait toutes les catégories sociales. Ensuite il y avait la conviction que les mères étaient complices et fermaient les yeux. Et aujourd’hui, parce qu’elles dénoncent ce sont des manipulatrices. ” Elle précise : “ L’agresseur sexuel est souvent un homme violent. Les femmes sont restées longtemps car elles avaient peur. On ne dit pas assez qu’il y a encore en France deux millions de femmes battues. Quand elles ont réussi à s’en sortir, elles respirent enfin. Et alors, délivré de la présence menaçante de l’agresseur, l’enfant parle. Les mères arrivent et me disent : « Voilà ce que mon enfant raconte. Vous allez me dire que ce n’est pas vrai. » Elles ne veulent pas croire à l’agression du père.
Le docteur Piet est d’autant plus inquiète que les campagnes en cours ont déjà produit leurs effets : « Il y a très peu de pédopsychiatres spécialisés dans la prise en charge de ces enfants. Cela a été facile de concentrer les poursuites contre eux, contre les docteurs Bonnet et Sabourin par exemple.
Résultat : les médecins libéraux ont peur. Ils m’appellent et me demandent si je ne peux pas faire le signalement à leur place. »
5. Une problématique internationale
5.1. Paternité, enfants et violence : le Royaume-Uni et le contexte international.
Marianne Hester et Lynne Harne
(Dans: Engendering Social Policy, Ed. Watson et Doyal, Open University Press, 1999. © traduction : Léo Thiers-Vidal et Martin Dufresne )
L’évolution des idéologies concernant la paternité — le père passant de figure d’autorité à celle de parent dévoué — a eu un impact considérable sur les choix de politiques sociales au Royaume-Uni et dans beaucoup de pays européens, en Amérique du Nord et en Australasie. On a vu la présence des pères être de plus en plus affirmée comme indispensable au bien-être des enfants. Ces développements ont eu des effets multiples sur la politique familiale et l’activité de réforme législative, par exemple, dans l’évaluation de l’intérêt des enfants au moment de la séparation ou de divorce et dans la stigmatisation des mères autonomes. Le présent chapitre entend élucider ces développements en analysant la construction changeante de la paternité, l’évolution des discours politiques et juridiques et leurs conséquences contradictoires pour l’éducation des enfants. Nous en venons à la conclusion que, bien que la tentative d’intégrer les pères à la vie des enfants ait été présentée comme une façon d’améliorer la vie des enfants et d’égaliser la position des femmes et des hommes dans la famille, cet effort a eu, dans certaines circonstances, l’effet contraire en fournissant notamment aux pères violents un outil d’extension de leur pouvoir à la fois sur les enfants et sur leurs mères.
Constructions changeantes de la paternité
Jusqu’aux années 1970, le droit familial anglais tenait habituellement pour acquis que tous les droits parentaux et toute l’autorité parentale revenaient au père, même si les soins à prodiguer aux enfants incombaient à la mère. Le Guardianship of Minors Act de 1973 a constitué un tournant d’importance en octroyant aux mères un pouvoir décisionnel égal sur les enfants nés d’un mariage (Cretney 1979). De façon similaire, la réforme de la loi sur le divorce a rendu celui-ci beaucoup plus facile et économique à obtenir, permettant ainsi à bien plus de femmes qu’avant d’échapper à des mariages violents et oppressifs. De plus, certains changements d’attitude, surtout engendrés par le mouvement de libération des femmes, ont fait reculer la stigmatisation de la monoparentalité (Hogget et Pearl 1987; Harne et Rights of Women 1997).
Les tribunaux permettaient habituellement aux femmes de conserver, après le divorce, la garde de leurs enfants. Ils s’appuyaient pour ce faire sur la présomption juridique voulant que les jeunes enfants aient besoin de leurs mères (ce qu’on a appelé la ‘présomption maternelle’). Cette pratique était toutefois assujettie à une construction particulière de la ‘bonne’ maternité. Même si l’adultère commis par une femme n’était plus considéré comme un obstacle à sa conservation de la garde des enfants, on refusait souvent la garde à des mères lesbiennes, sous prétexte qu’elles n’offriraient pas aux enfants une famille ‘normale’ avec un père et une mère (Rights of Women 1984; Harne 1997). Ces tendances, impliquant un délaissement apparent du droit paternel en faveur de la préférence maternelle, se retrouvaient ailleurs en Europe et en Amérique du Nord (voir Nordenfors 1996; Fuszara 1997).
Les féministes contestaient la position dévolue aux femmes dans la famille et dans le monde du travail et mettaient des thèmes comme la violence masculine envers les femmes et la réforme du marché du travail à l’ordre du jour politique du Royaume-Uni. De nouvelles lois contre la violence des maris ouvraient la voie à des mesures de protection d’urgence et facilitaient aux femmes l’accès à des injonctions contre des partenaires violents (Barron 1990; Hague et Malos 1993; chapitre 7, ce volume). Les lois sur l’équité salariale et contre la discrimination ont également été votées à cette époque (voir chapitre 9 du présent volume). Cependant, ces réformes se sont heurtées à la résistance de certains hommes, notamment les pères, qui percevaient l’accès plus facile au divorce et l’apparente préférence maternelle dans les dispositions de garde d’enfants comme néfastes à leurs intérêts.
C’est à ce moment que les mouvements de revendication paternelle ont pris de l’ampleur au Royaume-Uni, ainsi qu’en Amérique du Nord et dans d’autres pays européens. La parentalité était en train de devenir un terrain primordial d’affrontement des relations hommes-femmes, en Angleterre comme ailleurs. En 1974, le groupe de pression Families Need Fathers a vu le jour au Royaume-Uni. Sa prétention de base était que les pères se voyaient dépossédés de leur pouvoir décisionnel et de leurs droits d’accès lorsqu’une garde exclusive était octroyée à la mère au moment du divorce, et ce même si, à l’époque, la majorité des pères ne réclamaient pas la garde des enfants (Maidment 1976; Eekelaar et Clive 1977). Families Need Fathers argumentait également que les pères non mariés devaient avoir les mêmes droits légaux que les pères mariés à l’égard des enfants. Ces arguments ont commencé à influencer le discours socio-juridique en le poussant vers l’attribution de la garde conjointe accordée aux deux parents.
Mais alors que la notion de garde conjointe semblait suggérer un partage égalitaire du travail parental, Families Need Fathers luttait au départ pour le rétablissement des pouvoirs de décision et d’autorité juridique ‘naturels’ et traditionnels des pères, tout en continuant à laisser aux femmes la responsabilité exclusive des soins quotidiens prodigués aux enfants (Brophy 1989, Harne et Radford 1994). Au début des années 1980, d’autres discours commençaient également à orienter le débat. On affirmait notamment deux notions: le droit des pères à participer de façon égale à l’activité parentale, et le caractère essentiel du père au bien-être des enfants. Ces questions témoignent de la complexité et des tensions continues marquant les relations hommes-femmes dans les débats et changements de politiques concernant la parentalité au Royaume-Uni ou ailleurs, en Amérique du Nord et en Europe.
Participation égale à l’activité parentale
Au Royaume-Uni, des recherches inspirées par les nouveaux mouvements d’hommes prétendaient, d’une part, que les pères s’engageaient de plus en plus dans les soins prodigués aux enfants et, d’autre part, que la ‘privation’ paternelle n’avait pas été prise en considération dans l’évaluation du développement affectif et cognitif des enfants (McKee et O’Brien 1982; Richards 1982)(1). Certaines de ces recherches, souvent basées sur des échantillons très restreints, étaient amorcées en réponse aux demandes féministes d’une participation accrue des hommes aux soins aux enfants, mais on a également exploité la notion du ‘nouveau père’ pour promouvoir le mythe que pères et mères prenaient maintenant également soin des enfants (Beail et McGuire 1982; McKee et O’Brien 1982). Mieux encore, on affirmait qu’une participation égalitaire des hommes aux tâches parentales était entravée par les politiques sociales favorables aux femmes ou par les décisions des femmes elles-mêmes.
En dépit de ces prétentions, les données disponibles n’offrent aucune indication claire d’une participation réellement accrue des pères aux soins prodigués aux enfants durant les années 1980 ou suivantes. Bien au contraire, des études et recherches féministes sur la paternité et la masculinité ont démontré qu’au Royaume-Uni les hommes avaient fait très peu de progrès vers un partage réel avec les femmes des tâches reliées aux enfants (Cacace et d’Andrea 1996; Burghes et al. 1997). Dans leur évaluation critique des recherches sur la paternité, Lewis et O’Brien (1987) écrivent que “ les preuves de l’existence [du nouveau père soignant et nourricier] sont moins que convaincantes ” (p. 2). Si on notait un léger changement du côté d’une certaine prise en charge par des pères de tâches éducatives (lorsque les deux partenaires travaillaient à temps plein), plusieurs études effectuées au cours des années 1980 établirent que c’est aux femmes qu’incombait toujours la majorité des soins prodigués enfants. Dans une analyse plus récente des données du recensement de 1990 au Royaume-Uni, on constatait toujours une implication très restreinte des pères dans les soins aux enfants, avec une participation systématique aux tâches parentales dans seulement 14.5 % des familles où les deux parents travaillaient (Gilbert 1993). L’analyse de ces données révélait que, dans 75% des familles, les femmes continuaient à assumer seules les tâches de lessive et de repassage, de ménage, de préparation des repas et de soins aux enfants malades (Social Trends 1990).
Un sondage de la Commission Européenne a montré qu’au plan des attitudes, l’intérêt des pères pour les enfants augmente, puisque 87 % des 13 000 répondants interrogés dans toute l’Europe considèrent qu’un père devrait “ participer pleinement à l’éducation de ses enfants dès leur jeune âge ” (Cacace et d’Andrea 1993). Cependant, en observant de plus près la participation réelle des pères aux soins accordés à leurs enfants dans les divers pays d’Europe, il ressort que les statistiques du R.-U. ne sont pas atypiques. Les pays scandinaves, et notamment le Danemark et la Suède, sont habituellement considérés comme les plus ‘équitables’ en matière d’activité parentale. La notion d’une contribution accrue des pères aux soins prodigués aux enfants est confirmée par une étude de la participation des hommes et des femmes aux mondes du travail et la famille (Nordic Council 1990). Mais on note encore des différences perceptibles dans le degré et la nature de cette participation (2). De plus, les femmes scandinaves risquent encore peut-être plus que celles d’autres pays de subir la ‘double journée de travail’ — c.-à-d. la combinaison d’un travail salarié hors du foyer et du travail domestique associé aux enfants (voir Aunbirk 1993).
Il existe d’autres indications, issues de bon nombre de pays comme le Danemark, le Canada et le Royaume-Uni, qui démontrent qu’en fait les pères ne désirent pas la responsabilité exclusive des enfants ou une part égale des responsabilités de soins aux enfants, que ce soit au sein de la famille intacte ou après le divorce. (Bertoia et Drakich 1995; Simpson et al. 1995; Aunbirk 1993). Dans la recherche consacrée par Bertoia et Drakich à la version canadienne du lobby Families Need Fathers, les pères disent “ ne pas vouloir de la responsabilité unique des enfants ni de division égale de la responsabilité et des soins parentaux ” (1995 :252). Bertoia et Drakich concluent qu’en ce qui concerne la responsabilité parentale post-divorce, les pères veulent jouer un rôle dans la vie de leurs enfants mais que, pour beaucoup d’entre eux, ce rôle semble se résumer à la perpétuation de leur rôle pré-divorce de père traditionnel exerçant son pouvoir et son contrôle (1995 :252-3).
Il est donc clair que qu’en matière d’égalité parentale, ‘l’égalité’ ne semble pas encore réalisée et que la notion de ‘soins’ doit être examinée de plus près pour faire sens de données apparemment contradictoires concernant la participation des pères aux soins prodigués aux enfants. A ce sujet, l’aspect genré de l’activité parentale est une considération importante. Il peut sembler étrange que les hommes se soient de plus en plus perçus comme des pères attentifs alors que les soins aux enfants sont depuis longtemps dévalorisés (féminisés) dans nos cultures occidentales. La contradiction se résout lorsque l’on replace la notion de ‘soins’ dans le contexte des données empiriques précitées: on constate en effet une division genrée des soins aux enfants, où les tâches faites par les hommes ont habituellement peu à voir avec les activités de service indispensables comme le fait de préparer les aliments, de nourrir, de laver, d’habiller l’enfant, etc. Smart (1995) utilise la notion de caring for (‘s’occuper de’) pour désigner ces activités, qui continuent d’être principalement prises en charge par les femmes, alors que les soins dont beaucoup d’hommes ont l’impression de s’acquitter sont plus distanciés et correspondent plutôt à la notion de caring about (‘se préoccuper de’). Voici l’explication que donne Smart de cette distinction :
“Se préoccuper de certaines choses comme les famines en Éthiopie, la guerre civile au Rwanda ou la torture en Afrique du Sud est traditionnellement perçu comme étant une position éthique. S’occuper de, par contre, désigne le geste concret de prodiguer des soins ; il peut s’agir de soigner un enfant malade, de pourvoir aux besoins quotidiens d’une personne de santé fragile, et ainsi de suite. ” (1995 :176-7)
Ces a priori sur l’activité (féminine) de ‘s’occuper de’ et celle (masculine) de ‘se préoccuper de’ sous-tendent la construction d’une crédibilité relativement supérieure accordée à la participation des hommes au soin des enfants : “ Le fait que des pères se préoccupent des enfants est généralement louangé, alors qu’on ignore ou dénigre le fait que des mères s’en occupent concrètement.” (Smart 1995 : 174).
Il est possible de soutenir que la plupart des pères ne partagent pas également avec les mères, ni ne désirent, en pratique, partager également avec elles, les soins prodigués, au sens de s’occuper de leurs enfants. Au lieu de cela, les assertions concernant l’importance de la paternité et la participation des pères aux soins aux enfants peuvent être resituées dans le contexte des préoccupations plus vastes des hommes soucieux de voir contestée leur position vis-à-vis des femmes et dans celui de leurs tentatives pour se forger de nouvelles identités à cet égard. Par ailleurs, la participation paternelle aux soins prodigués aux enfants n’est pas elle-même sans problème. Des recherches menées au Royaume-Uni ont montré que la participation des pères aux soins aux enfants peut renforcer les inégalités de genre entre garçons et filles ainsi que les idéologies d’autorité paternelle (McGuire 1982; Sharpe 1994; Mann 1996). Les demandes masculines de co-responsabilité parentale relèvent souvent d’une volonté de maintenir un contrôle et un pouvoir sur les vies des femmes et des enfants après un divorce ou une séparation. Comme le suggèrent Lewis et O’Brien (1987 :2) : “ …il importe de substituer aux récits récents sur la paternité une analyse qui situe l’implication paternelle dans le contexte de la domination continue des femmes par les hommes dans la sphère publique et, à certains égards, au sein même de la famille ”.
Privation paternelle
Depuis le début des années 1980, les débats politiques menés en Europe et en Amérique du Nord concernant les rendements des enfants dont les parents se séparent ou divorcent ont de plus en plus insisté sur un caractère primordial de la présence paternelle pour le bien-être des enfants. La notion de privation paternelle découle essentiellement de quelques études américaines basées sur des échantillons restreints d’enfants et de parents divorcés (Wallerstein et Kelly 1980). D’aucuns ont soutenu que la ‘privation’ paternelle n’avait pas été prise en considération dans l’évaluation du développement affectif et cognitif des enfants (Beail et McGuire 1982; McKee et O’Brien 1982). La recherche a également fait valoir que les pères séparés pouvaient perdre, à long terme, contact avec leurs enfants (Bradshaw et Millar 1991) et elle s’est penchée sur les problèmes qu’un père non gardien pouvait éprouver dans son rôle parental vis-à-vis de la mère comme autre parent (Lund 1987; Simpson et al. 1995; Bradshaw et Stimson 1996). En Europe et en Amérique du Nord, le discours de ‘privation paternelle’ a joué un rôle central dans une insistance grandissante sur les visites ou l’accès des parents absents (lire, des pères), phénomène qui est apparu en parallèle avec le développement des politiques de garde conjointe ou de partage statutaire de l’autorité parentale.
S’appuyant sur la notion de ‘privation paternelle’, des théoriciens de la Nouvelle Droite au Royaume-Uni comme Murray (1990) et ceux des mouvements socialistes éthique et chrétien (Dennis et Erdos 1992) ont également argumenté que seules les responsabilités paternelles pouvaient amener les hommes à se comporter de façon civilisée. Les mères autonomes, et en particulier les mères noires ou célibataires, ont été ciblées par ce discours comme étant responsables de la création d’une sous-classe, où les jeunes hommes ne voient aucune nécessité de trouver un travail salarié puisqu’ils n’ont pas de responsabilités paternelles. Un tel discours équivaut à faire porter aux enfants et aux femmes le fardeau de l’intégration sociale et du comportement ‘civilisé’ des hommes. “ Comme l’ont dit de nombreux commentateurs à travers les siècles, les jeunes hommes sont essentiellement des sauvageons pour qui le mariage — non seulement les vœux du mariage mais aussi le fait d’assumer des responsabilités d’époux et de père — est un facteur civilisant indispensable. ” (Murray 1990 : 39).
Pourtant, l’assimilation du bien-être de l’enfant à la présence du père a été remise en cause par différents réexamens des recherches en psychologie (Mott 1993; Hooper 1994; Marsiglio 1995; Richards 1997)(3). Par exemple, Mott et Hooper ont tous deux fait valoir que ce n’est pas la présence des pères per se au sein de la famille qui améliore le développement affectif et cognitif des enfants mais bien la qualité du contact entre les enfants et les personnes qui en prennent soin: “ La présence ou l’absence du père se révèle moins importante pour le développement cognitif des enfants noirs ou blancs que la qualité de l’environnement de l’enfant — la présence de personnes leur prodiguant des soins et leur plus ou moins grande à collaborer avec leurs enfants et à les stimuler ” (Mott 1993 :123). La recherche portant sur les enfants de mères lesbiennes, élevés en l’absence de pères, démontre aussi l’absence de lien entre la présence du père et le bien-être des enfants (Donovan et al. 1997).
De plus, comme l’indiquent Amato et Keith (1991) dans leur analyse de 92 études américaines et britanniques sur les effets de la rupture familiale sur les enfants, ces derniers sont plus susceptibles d’être négativement affectés dans des circonstances de ‘conflit parental’ (voir, par exemple, Cockett et Tripp 1994). Cela a amené Richards (1997), entre autres, à conclure qu’il peut être plus utile aux enfants de ne pas voir le parent non-gardien (habituellement le père) si le conflit risque de perdurer. C’est dire que la seule présence du père ne donne pas automatiquement des résultats positifs pour les enfants. De plus, une perspective aussi générale que la notion de privation paternelle tend à ignorer les besoins propres à chaque enfant en se contentant de ramener ceux-ci aux besoins des pères : “ Les besoins des enfants doivent être détachés de leur actuelle réduction à des rapports continus à leur père; ils doivent être reconnus en tant que tels. Pour l’instant, le contact père-enfant est trop souvent une façon d’assujettir les enfants aux besoins des pères plutôt que l’inverse. ” (Hooper 1994 : 98).
Politique sociale
Les 25 dernières années ont été marquées par un glissement conceptuel du statut social des pères dans les politiques sociales et le droit de la famille. Faisant écho au discours de la Nouvelle Droite, Simpson et al (1995) suggèrent que les pères ne sont plus perçus comme des figures de pouvoir, exerçant contrôle et autorité au sein des familles. On les perçoit plutôt comme des parents engagés qui auraient été frustrés de leurs droits égaux à l’activité parentale et marginalisés hors des familles, “ au risque de les voir devenir socialement, économiquement et affectivement désuets ” (Simpson et al. 1995 :3) Reflétant ces inquiétudes, un certain nombre de modifications des politiques sociales ont entraîné, jusqu’à la fin des années 1980, ce que Collier (1995a, b) appelle une reconstitution et une modernisation des revendications paternelles de l’autorité et du pouvoir au sein des familles. La nouvelle idéologie de la paternité, fondée sur la présence du père et sur sa participation ‘égale’ à l’activité parentale, est maintenant enchâssée dans le droit de la famille et de la sécurité sociale de plusieurs pays occidentaux et d’Australasie. Au Royaume-Uni, on peut repérer trois textes de loi qui semblent sous-tendus par ces discours. Même si elles ont été votées par le dernier gouvernement Conservateur, ces lois ont bénéficié d’un large soutien du New Labour.
La première de ces lois, le Children Act 1989, a modifié les notions de garde et d’accès (qui véhiculaient une apparente ‘propriété’ des enfants) pour accentuer la ‘responsabilité parentale’ des deux parents mariés, appelés à continuer de partager la ‘responsabilité’ des enfants après la séparation et le divorce. On facilitait également aux pères non mariés et autres pourvoyeurs de soins aux enfants la revendication de leur responsabilité parentale. Le Children Act repose sur le principe de prises de décision en fonction du principe de bien-être, c.-à.-d. ‘en fonction de l’intérêt supérieur de l’enfant’. Faisant écho aux débats menés à l’échelle internationale sur les droits des enfants — droits enchâssés en 1989 dans la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU — on y a donné plus d’importance qu’auparavant aux besoins et aux volontés des enfants. Depuis la promulgation de cette loi, les tribunaux britanniques ont de plus en plus interprété le principe de bien-être comme signifiant que les enfants doivent toujours conserver un contact avec le parent non-gardien (qui est presque toujours le père) après le divorce et la séparation, quelles qu’en soient les circonstances (Hester et Radford 1996; Smart et Neale 1997). Un principe sous-jacent au Children Act, mais qui demeure implicite dans la loi, est la notion que les parents peuvent, et devraient, négocier les issues de la situation pour leurs enfants.
Ensuite, le Child Support Act 1991 a été voté afin de veiller à ce que les parents biologiques paient et partagent le soutien de leurs enfants, après la séparation mais également lorsque les parents n’avaient jamais vécu ensemble ou eu de relation. Un des buts sous-jacents de cette loi était de réduire les versements de prestations d’aide sociale en obligeant les mères à s’adresser aux pères biologiques plutôt qu’à l’État pour obtenir pension alimentaire et prestation compensatoire. Assez paradoxalement, vu la volonté affichée de partage des responsabilités parentales omniprésente dans les discours de paternité, cette législation a surtout été contestée par les mouvements de revendication paternelle, qui affirmaient que le montant des pensions alimentaires à payer par les pères était bien trop élevé. Suite à cette opposition, la législation a été modifiée pour que les pères n’aient jamais à payer plus que 30 % de leurs revenus totaux, et des concessions plus importantes encore ont été faites aux pères qui avaient un contact résidentiel avec les enfants.
Enfin, le Family Law Act 1996 a rendu plus difficile le divorce pour les couples avec enfants, en portant à 18 mois le délai d’attente et en rendant obligatoire la négociation de solutions concernant les enfants et les finances avant l’autorisation du divorce. La présomption juridique qui sous-tend le Children Act — c.-à-d. l’assimilation du bien-être de l’enfant au contact avec le père — a encore été renforcée dans le Family Law Act, où l’on peut lire que “ la meilleure façon d’assurer le bien-être de l’enfant (…) est de s’assurer qu’il [sic] ait un contact régulier avec les personnes qui en ont la responsabilité parentale ” (Article 11). Le Family Law Act a également accordé une priorité accrue à la conciliation (ou médiation) comme principale façon de résoudre les arrangements post-divorce. Les personnes demandant l’aide juridique doivent ainsi envisager de se prêter à des sessions de conciliation, à moins de pouvoir démontrer qu’il y a eu violence domestique. Un autre aspect du Family Law Act vise à renforcer la protection des femmes et des enfants contre la violence en renforçant le pouvoir des injonctions civiles. La loi autorise également des tierces parties comme les services sociaux et la police à retirer un agresseur du domicile familial. Mais, en pratique, l’insistance accrue accordée dans une partie de la loi au contact entre l’enfant et le parent non gardien (habituellement le père) est susceptible d’invalider les mesures de protection adoptées face à la violence domestique (voir Hester et Radford 1996).
Une tendance importante commune à ces différents changements de politique sociale consiste à maintenir de force les relations familiales propres à la famille nucléaire hétérosexuelle, même au-delà de la séparation et du divorce. Malgré l’accent placé dans le Children Act sur la possibilité d’une activité parentale à caractère non biologique, la combinaison des différents volets de cette législation privilégie de plus en plus les liens parentaux biologiques et donc une plus grande participation des pères. Ces changements ont entraîné des répercussions et des limites à l’autonomie des femmes dans les familles, effets qui ont surtout été ressentis par les femmes et les enfants qui cherchent à échapper à la violence domestique.
On peut discerner des tendances similaires dans de nombreux pays européens, et les problèmes spécifiques qui en résultent pour les femmes et les enfants ont été soulignés par bon nombre de chercheur(e)s. Dans certains pays, dont le Danemark et la Pologne, la notion voulant que les mères et les pères devraient être capables d’exercer conjointement l’activité parentale, de préférence sans intervention de l’État, a donné lieu à des difficultés évidentes. En Pologne, ce que Fuszara (1997 :167) appelle les ‘ droits parentaux conjoints’ signifie que les deux parents doivent participer à toute décision officielle concernant l’enfant “ indépendamment de l’existence ou non de contacts du second parent avec l’enfant ou du fait qu’il [sic] se soucie ou non du sort de l’enfant”. Ceci peut non seulement avoir des conséquences néfastes pour l’enfant mais également permettre à un parent violent de contrôler toutes ses activités. Fuszara cite l’exemple d’un enfant privé de vacances à l’étranger parce que les fonctionnaires ne pouvaient émettre de passeport pour l’enfant sans le consentement des deux parents (1997 : 167-8). Au Danemark, ‘l’autorité parentale conjointe’ a donné lieu à des difficultés particulières pour les femmes ayant quitté des conjoints violents. Par exemple, en cas de problèmes associés au droit de visite, comme le kidnapping de l’enfant par le père ou le refus de le rendre à la fin d’une visite, les autorités sont peu susceptibles d’intervenir puisque les deux parents sont perçus comme détenant une autorité égale en ce qui concerne l’enfant (Hester et Radford 1996).
En Suède, le battage fait autour des notions de privation paternelle et de participation égale des hommes à l’activité parentale a mené à l’inclusion dans la législation sur le droit de garde d’une clause concernant le ‘sabotage’. On y qualifie de sabotage toute entrave imposée à l’accès d’un enfant au parent non-gardien ; uil s’agit d’une version encore plus extrême de la notion juridique ‘d’hostilité implacable’ utilisée au Royaume-Uni. Lorsque les tribunaux suédois considèrent qu’il y a eu sabotage, la garde exclusive peut être octroyée ou transférée au parent ‘non saboteur’. On a repéré nombre de cas où les mères, essayant de protéger leurs enfants contre des agressions sexuelles par le père, ont refusé à ces hommes l’accès aux enfants. Ces pères ont donc réclamé et obtenu la garde des enfants (Nordenfors 1996). Le présupposé sous-jacent dans la législation suédoise — à savoir que les femmes tenteraient délibérément d’empêcher les pères de prendre soin des enfants — a également été exprimé au Royaume-Uni dans certaines contributions au débat sur la paternité (Simpson et al. 1995; Burgess 1997). Cependant, des recherches entreprises auprès de mères qui ont rompu suite à de la violence domestique démontrent que la majorité de ces femmes désirent que leurs enfants maintiennent une relation avec leur père (Hester et Radford 1992, 1996; Anderson 1997; Women’s Aid Federation of England 1997). Ces femmes se préoccupent plutôt de la qualité du contact et des soins offerts par les pères divorcés et séparés, ainsi que de la protection de leurs enfants et d’elles-mêmes contre de nouveaux incidents d’agression et de violence.
Pères, enfants et violence
La recherche féministe a montré que la violence et les menaces de violence sont utilisées comme outil pour imposer le pouvoir masculin et pour intimider et contrôler les femmes qui vivent des relations hétérosexuelles et celles qui tentent d’échapper à de telles relations. Dans une étude novatrice menée par Dobash et Dobash en 1979, des interviews menées auprès de femmes révélaient que les hommes utilisent la violence afin d’affirmer leur propriété des femmes (qui découle de leur propre possessivité et jalousie masculine), afin de renforcer leur propres ‘attentes en matière de travail domestique des femmes’, afin de ‘punir les femmes de tout ce qu’ils perçoivent comme fautif chez elles’ et afin de ‘maintenir ou exercer leur position d’autorité’ (Dobash et Dobash 1992 :4). Des études subséquentes, consacrées aux hommes et utilisant ce genre de recherches sur la construction de masculinités violentes, ont confirmé ces résultats, à savoir que les hommes utilisent de tels prétextes pour excuser la violence qu’ils infligent à leurs partenaires féminines (Mooney 1993; Hearn 1996; Dobash et al. 1996).
Les recherches féministes et celles concernant la protection des enfants ont également commencé à révéler les liens unissant violence domestique et maltraitance. En 1985, aux États-Unis, Stark et Flitcraft, dans une analyse de statistiques hospitalières, ont constaté une corrélation entre la maltraitance physique d’enfants et les soins prodigués aux femmes pour des blessures associées à la violence domestique. La violence faite à la femme et à l’enfant était presque toujours l’œuvre du même homme : c’est à dire, le mari/partenaire et le père/substitut paternel. Depuis, des recherches menées au Royaume-Uni ont démontré la présence de liens entre, d’une part, la violence domestique et, d’autre part, la maltraitance physique, sexuelle et émotionnelle et le manque de soins envers les enfants infligés par les partenaires masculins (Abraham 1994; Farmer et Owen 1995; Hester et Radford 1996; Hester et al. 1998; Hester et Pearson 1998). De plus, on a constaté que les violences imposées aux mères et aux enfants par le partenaire masculin/pèreont lieu non seulement durant la cohabitation mais également après la séparation (Hester et Radford 1996; Hester et al. 1998; Hester et Pearson 1998). Des enquêtes menées sur des décès d’enfants ont également révélé les liens entre, d’une part, les enfants tués par les pères et beaux-pères et, d’autre part, la violence domestique infligée par ces mêmes hommes aux mères des enfants (Bridge Child Care Consultancy 1991; National Children’s Bureau 1993; James 1994; O’Hara 1994).
Pourtant, les recherches encensant la paternité et les discours politiques susmentionnés ignorent ou minimisent généralement la violence masculine contre les femmes et les enfants. On n’a consacré peu ou pas d’attention aux répercussions de la violence masculine sur les rôles et responsabilités des pères, autant au sein des familles qu’après la séparation et le divorce (voir Burgess et Ruxton 1996). La recherche sur la paternité a plutôt promulgué et nourri la notion du père généralement bénéfique, dont la seule présence suffit à contribuer au bien-être des enfants.
Les réformes apportées aux politiques sociales ont accordé légèrement plus de crédit au besoin de protection des femmes face à la violence masculine (par exemple, la partie 4 du Family Law Act 1996; voir également le chapitre 7 du présent ouvrage). Pourtant, malgré l’existence de recherches menées au Royaume-Uni et ailleurs qui démontrent l’importance de prendre en considération la violence post-séparation dans le code de la famille et la politique sociale, les décideurs politiques ont eu tendance à prendre pour acquis que la violence s’arrêtait automatiquement après la séparation et le divorce des partenaires (Hester et Radford 1996; Hester et al. 1997). Par conséquent il a été difficile de faire reconnaître dans les lois et dans les pratiques judiciaires les violences faites aux femmes après la séparation, ce qui a eu pour effet de réduire la sécurité des femmes et de leurs enfants. Une étude effectuée par le Home Office a constaté que plus du tiers des incidents de violence domestique avaient lieu après la séparation (Mirrlees-Black 1995), tandis que d’autres recherches affirmaient que les expériences de violence domestique vécues par les femmes aux mains de leur partenaire étaient même plus fréquentes après la séparation qu’avant (Mooney 1993). L’étude précitée de Hester et Radford (1996) sur la violence domestique et le droit de visite a indiqué que les ex-conjoints masculins se servaient habituellement des arrangements et négociations concernant le droit de visite comme d’un stratagème pour poursuivre leur harcèlement et leur intimidation de la mère, avec des conséquences néfastes pour les enfants concernés. De telles violences avaient lieu dans diverses situations, par exemple dans toute situation où les femmes avaient à rencontrer face à face leur ex-conjoint — comme les sessions de médiation où les couples sont sensés en venir à des accords concernant les dispositions de soins aux enfants — et en particulier aux moments de l’échange des enfants pour l’exercice du droit de visite (Hester et Radford 1996). Ces constats ont été confirmés par d’autres études (Smart 1995; Anderson 1997; Women’s Aid Federation of England 1997). Dans la recherche de Hester et Radford (1996), seulement 7 des 53 familles anglaises où des droits de visite avaient été organisés n’ont souffert d’aucune agression ou violence de la part des ex-conjoints.
Les mères interviewées par Hester et Radford (1996) ont signalé que des enfants avaient été physiquement et/ou sexuellement agressés ou avaient manqué de soins durant leur visites séjour chez les pères, et qu’ils étaient également utilisés comme complices dans la continuation des violences faites à la mère. Les ex-conjoints se servaient des enfants pour transmettre des menaces et messages violents aux mères et les incitaient à infliger des violences aux mères ou à participer à des projets de meurtre des mères.
Une autre étude portant sur l’ensemble des services judiciaires d’assistance sociale a révélé que l’immense majorité des enquêteurs sociaux mandatés par les tribunaux (97 %) reconnaissaient que les enfants risquaient d’être victimes de violences dans les contextes de violence domestique et que ces enfants couraient également des risques lorsque des droits de contact étaient octroyés aux auteurs de violence domestique. Cependant, ces analyses avaient tendance à ne pas trouver place devant les tribunaux ou à y être minimisées, vu la prédominance de la présomption juridique favorable aux contacts entre enfants et pères non gardiens (Hester et Pearson 1997; Hester et al. 1997).
Les tribunaux ont peu reconnu que le contact père-enfant pouvait faciliter les violences faites aux femmes ou menacer la sécurité des enfants. Les craintes des femmes tendent à être perçues comme exagérées (ou, pire, elles sont ignorées) et ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui sont perçues comme fautives lorsqu’elles essaient de se protéger ou de protéger leurs enfants. Tandis que les hommes tendent à être perçus comme des ‘bons pères’, les femmes tendent à être perçues comme des ‘mauvaises mères’ dans les discours légaux, et plus largement dans le jargon de la protection des enfants et dans les discours populaires (Collier 1995a; Humphries 1997). Comme l’explique Humphries, la mère qui essaie de protéger son jeune enfant contre des abus sexuels dans un litige de droit de garde avec le père est aujourd’hui diabolisée au moyen du discours sur les ‘fausses accusations maternelles’. Humphries démontre que les mères qui ont état, au moment du divorce, d’abus sexuels infligés aux enfants sont perçues comme ‘malveillantes’ par les tribunaux, et que l’on fait peu de cas des preuves empiriques du caractère véridique de la majorité des cas révélés dans ce contexte (Humphries 1997 : 538). Dans sa propre recherche sur les pratiques de protection de la jeunesse, Humphries a également constaté que les travailleurs sociaux “ étaient profondément cyniques en ce qui concerne la divulgation d’abus sexuels au moment du divorce ”, et que ceux-ci considéraient “ de notoriété publique ” que les mères amenaient, “ de façon malveillante ou irréfléchie, des fausses allégations d’agression sexuelle d’enfants dans le contexte des procédures de divorce ” (1997 :537).
Ces préjugés à propos des ‘mauvaises mères’ peuvent être observés dans bon nombre de décisions rapportées en appel où les femmes ont été définies par les tribunaux comme “ égoïstes et implacablement hostiles ” lorsqu’elles se sont opposées au droit de visite afin de protéger leur propre sécurité et celle de leurs enfants (Re O Contact : Imposition of Conditions : 24 (ci-après, Re O); Smart et Neale 1997). Il faut noter que la majorité des cas d’hostilité implacable impliquent probablement de la violence domestique (Jolly 1995). On peut également discerner deux poids deux mesures dans le traitement judiciaire de cette ‘hostilité implacable’. Smart (1997) fait valoir que ses recherches sur les familles post-divorce démontrent, premièrement, que les pères ayant le droit de garde qui refusent le droit de visite aux mères échappent à la construction d’une ‘hostilité implacable’ et, deuxièmement, que les tribunaux et les fonctionnaires judiciaires trouvent irréaliste de tenter d’imposer les contacts aux pères vu que ce sont habituellement ces derniers qui ne respectent pas les droits de visite et d’hébergement.
L’analyse attentive des arrêts judiciaires révèle un parti pris explicite contre les mères et un biais si favorable aux pères que même les pères les moins aptes sont perçus favorablement dans les litiges de droit de garde. Dans le cas de Re O (1995), une cause citée en précédent dans nombre de décisions ultérieures en appel, le père avait été condamné à de la prison avec sursis pour violences et harcèlements répétés envers la mère. L’enfant, âgé de deux ans, qui avait eu peu de contacts avec le père depuis sa naissance, était clairement affligé par le contact direct avec lui en lieu neutre. Ce fait était reconnu par l’enquêteur social mandaté par la Cour, qui doutait des bienfaits pour l’enfant d’un contact direct père-enfant.
En 1994, un arrêt de la Cour a ordonné à la mère d’accepter un contact indirect, en spécifiant un certain nombre de conditions comme la lecture à haute voix des lettres du père à l’enfant et l’envoi au père des bulletins scolaires et médicaux. La mère en a appelé de cette ordonnance mais son appel a été rejeté, sans que la décision de deuxième instance ne cite les raisons des objections de la mère au contact indirect. Le jugement énonce par contre que le juge de première instance a eu une “ impression favorable du père ” à travers les différentes auditions, et assimile les objections de la mère à une “ répugnance irrationnelle ” (Re O :126). Le jugement cite également un arrêt antérieur où Lord Justice Balfour avait déclaré que “ l’implacable hostilité ” de la mère ne devait pas gêner le contact entre le père et l’enfant : “ Le danger de permettre à l’implacable hostilité du parent gardien (habituellement la mère) de frustrer les décisions de la Cour est trop évident pour qu’on en reparle aujourd’hui ” (Re J (A Minor) (Contact)).
Selon Smart, l’arrêt Re O (1995) “ énonçait explicitement que les tribunaux ne devaient pas hésiter à se servir de leurs pouvoirs de contrainte ” afin d’assurer le contact père-enfant. Suite à l’affaire Re O, il y a par conséquent eu bon nombre de cas où des femmes ont été menacées d’emprisonnement ou de perte du droit de garde, malgré un contexte de violence domestique, si elles refusaient d’accorder le droit de visite (A v N [1997] (Committal : Refusal of Contact) (ci-après, A v N); Smart et Neale 1997).
Dans la cause A v N (1997), où la sentence d’emprisonnement d’une mère était portée en appel, le tribunal de deuxième instance est allé à l’encontre du principe supérieur du bien-être de l’enfant en acceptant que la mère devait être emprisonnée pour transgression d’une ordonnance de droit de visite (en France : non-présentation d’enfant). On peut lire dans ce jugement que “ le bien-être de l’enfant est une considération matérielle mais non principale ” (A v N:533). Le jugement décrivait également les objections de la mère au contact entre le père et sa fille de 4 ans comme “ peu convaincantes ” et son désir de protéger son enfant comme “ peu sage ” et “ malencontreux ”. Le jugement déclarait que le juge de première instance était “ conscient des conséquences néfastes de l’emprisonnement [de la mère] sur cet enfant ainsi que sur son autre enfant, mais qu’il avait considéré comme plus important que l’enfant connaisse son père en grandissant et évite de subir des dommages à long terme ” (p. 540). Dans ce cas (relaté par la presse comme le cas Dawn Austin, Guardian, 11 octobre 1996) le père avait fait de la prison pour avoir cassé la mâchoire de son ex femme et il possédait des antécédents de violence importante contre Mme Austin, ce que la cour a reconnu mais a préféré écarter en imposant à l’enfant les visites au père.
Re P constitue un autre exemple où l’extrême inaptitude du père n’a pas été considérée et les objections de la mère ont été rejetées. Il s’agit d’un appel interjeté par un père contre la décision de la cour de première instance permettant uniquement un contact indirect. Dans cette affaire, le père avait essayé d’étrangler la mère et de tuer les enfants, pour lequel il avait été condamné à 12 mois de prison, dont 6 avec sursis (Re P : 318). Lors de sa mise en liberté, on avait alloué au père des visites surveillées dans un centre de visites mais la mère avait demandé et obtenu un changement de l’ordonnance pour ne permettre qu’un contact indirect.
Des arguments psychiatriques ont été déposés à l’appui de la demande de la mère, alléguant que les contacts directs étaient source d’angoisse pour un des enfants et que cet enfant ne désirait pas de contact avec le père. Quant à elle, la mère faisait valoir que sa crainte de la violence du père avait un effet néfaste sur sa santé, et donc sur sa capacité à prendre soin des enfants. Des preuves ont aussi été déposées des sympathies nazies du père, dont une photo montrant qu’il avait encouragé ses enfants à porter des accoutrements nazis. Le tribunal de première instance avait cependant accepté l’explication du père qu’il ne s’agissait que de “ déguisements ” et qu’il n’était aucunement raciste. Le comportement du père durant les visites en milieu neutre était également décrit comme “ exemplaire ”. La cour d’appel a donné raison au père en argumentant que la décision du premier juge avait été “ tout simplement fautive ”. On a fait valoir que le premier juge avait attaché plus d’importance que ne le permettait la preuve au risque de préjudices affectifs subis par les enfants du fait de la détérioration de la santé de la mère angoissée par le contact père-enfants. On a réitéré le principe voulant qu’il est presque toujours dans l’intérêt de l’enfant de maintenir des contacts avec les deux parents et les preuves psychiatriques ont été jugées insuffisantes à établir que l’hostilité de la mère aux contacts directs imposerait aux enfants un risque grave de préjudices marqués.
Résistance positive
Nous avons établi que l’évolution des notions de paternité dans le droit de la famille et dans la politique familiale a favorisé une intervention accrue de pères violents et dominants dans la vie des enfants, et donc dans celle des femmes, après la séparation des parents. Ces tendances peuvent être observées dans de nombreux pays occidentaux et australasiens. Mais on observe une résistance croissante aux effets néfastes de cette évolution pour les femmes et pour les enfants.
Au Royaume-Uni, les pressions d’organisations comme Women’s Aid ont suscité une certaine reconnaissance des problèmes vécus par les femmes et les enfants au sein des politiques publiques et des pratiques locales de protection de la jeunesse. Un nombre grandissant de services sociaux se sont dotés d’une politique et de lignes de conduite concernant l’impact de la violence domestique sur les enfants (SSI 1995; Hester et al. 1998). Par ailleurs, de plus en plus de femmes contestent les décisions accordant des droits de visite à des pères ayant violenté leur femme ou leurs enfants. L’organisation de base AMICA, créé par des femmes et pour des femmes, constitue un point focal de cette résistance. Dans les cas où les femmes sont prêtes à aller en prison plutôt que d’accorder l’accès à des pères violents, les tribunaux ont de plus en plus tendance à nommer d’office un avocat chargé de représenter les intérêts de l’enfant. Un arrêt récent en cour d’appel indique une évolution dans le sens d’une certaine prise en compte des effets néfastes que peuvent avoir les contacts avec des pères violents (Re D). Dans cette affaire, la crainte de la mère pour la violence du père et les effets que ce sentiment pourrait avoir sur son fils ont été reconnus par la Cour d’appel dans son refus au père du droit de visite. Douglas (1997) commente cette décision en remarquant que le tribunal de deuxième instance a fait une distinction importante entre les cas “ d’hostilité implacable ” déraisonnable et ceux qui sont bien fondés. Elle suggère prudemment que la résistance au contact peut avoir gain de cause lorsque le contact entraîne un risque grave de préjudices affectifs pour l’enfant ou de violences infligées au parent soignant ou à l’enfant par le parent qui réclame le contact (4).
À l’échelle internationale, on note également une certaine reconnaissance du fait que la violence domestique peut être une raison suffisante pour refuser aux pères des contacts avec les enfants. La Nouvelle Zélande, l’Australie et certains États d’Amérique du Nord possèdent aujourd’hui des lois qui interdisent ou limitent les contacts père-enfant dans les situations de violence domestique.
Notes
1. Certaines féministes (voir Rowbotham 1989) demandent depuis longtemps aux hommes d’assumer une plus grande part des soins prodigués aux enfants afin de partager le poids de ce travail (non rémunéré).
2. Il faut noter que les hommes rapportent prendre une plus grande part (partagée) que les femmes à certaines tâches spécifiques liées aux enfants comme leurs repas, le bain et l’heure du coucher (Nordic Council 1990 :108).
3. Il faut également noter que, dans la ‘recherche sur la paternité’, on a eu tendance à privilégier des méthodologies de recherche fondées sur des sondages ou interviews de pères dénués de contrôles de validité ou de fiabilité (Burgess et Ruxton 1996). Comme l’a démontré Marsiglio (1995), les ‘récits vérité’ de ces recherches menées auprès des pères posent problème, puisque les récits des pères devraient être triangulés avec des données issues des mères et des enfants. Parlant spécifiquement des recherches concernant les hommes ayant des antécédents de violence domestique, Hearn (1996) note le même problème.
4. Il reste par contre à vérifier si ce jugement aura un effet positif sur les cas ultérieurs en Cour d’appel.
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5.2. Les femmes et les enfants mentent-elles à propos des sévices infligés au sein de la famille ? Beaucoup moins souvent que ce que le lobby masculiniste aimerait faire croire.
(Trish Wilson, Http://members.aol.com/asherah/dhhs.html ,
Copyright 1998. © Traduction : Léo Thiers-Vidal et Martin Dufresne)
Les organisations qui composent le lobby masculiniste — par exemple, aux États-Unis, le groupe The A-Team et Victims of Child Abuse Laws (Victimes des lois contre les sévices infligés aux enfants) — clament que la presque-totalité des allégations de sévices formulées par les femmes sont de pures faussetés, particulièrement lorsque ces signalements ont lieu à l’occasion d’un divorce. Ces militants ont même créé de prétendus “syndromes”, tels le Syndrome d’Aliénation Parentale, le Syndrome de la Mère Malicieuse, le Syndrome de l’Enfant Menteur et différentes descriptions en jargon juridique de ce qu’on qualifie d’“aliénation”, dans le but de donner l’impression d’un consensus de spécialistes médicaux et juridiques à l’effet que de telles allégations fausses seraient monnaie courante. Il n’en est rien. Aucun de ces prétendus “syndromes” n’est reconnu par l’American Medical Association ou l’American Psychological Association comme une condition médicale réelle. Le stratagème d’une filière “juridique” a été inventé de toutes pièces par des groupes et des individus adeptes du Droit paternel lorsque la filière médicale a perdu de son efficacité dans le travail de sape de la crédibilité des plaignantes face aux tribunaux. Aux mères qui se voient accusées de chercher à “aliéner” les enfants du père dès qu’elles tentent de signaler au tribunal des sévices subis par l’enfant ou de la violence conjugale, nous recommandons de faire valoir les recherches suivantes, qui démontrent le peu de fondement des prétendus “syndromes” allégués contre elles. Selon ces études à grande échelle menées aux États-Unis, le pourcentage des allégations réellement mensongères se limiterait à 2 % des signalements (d’autres études, énumérées plus loin, parlent de 2-8% des signalements). Les organisations représentant les intérêts des hommes et des pères manipulent les statistiques en qualifiant de “mensongère” des allégations non prouvées mais très probablement véridiques. Vu la grande difficulté d’établir une preuve hors de tout doute dans la majorité de ces situations, le lobby masculiniste gonfle ses chiffres sur les “allégations mensongères” en y incluant tous les cas où le système juge simplement la preuve insuffisante. À en croire le lobby des hommes, une allégation serait “mensongère” si l’appareil pénal ne prouve pas hors de tout doute l’agression alléguée.
Sévices sexuels infligés aux enfants
Selon les deux meilleures et plus vastes études menées à ce sujet, les allégations mensongères de sévices sexuels sont particulièrement rares, soit de 2 à 8 % de l’ensemble des signalements (N. Thoennes et P.G. Tjaden. “The extent, nature, and validity of sexual abuse allegations in custody/visitation disputes”, Child Abuse & Neglect 14: 151-163, 1990) (M. D. Everson et B.W., Boat, “False allegations of sexual abuse by children and adolescents”, J. Am. Acad. Child Adolesc. Psychiatry 28: 230-235, 1989). Cela signifie que de 92 à 98 % des autres signalements sont valides. De ce nombre, on a recensé aux É-U., pour la seule année 1993, 152 400 cas jugés fondés. (K. McCurdy et D. Daro. Current trends in child abuse reporting and fatalities: The results of the 1993 annual fifty state survey. Chicago: NCPCA, 1994) On tiendra compte du fait que les sévices sexuels infligés aux enfants sont un crime à très faible taux de signalement; on ne parle donc que des cas portés à l’attention du système.
Les allégations de sévices sexuels sont-elles particulièrement fréquentes au moment des divorces? Non.
[Extrait d’une étude réalisée par J. Pearson, Ph.D., directrice du Center for Policy Research (un organisme autonome et sans but lucratif voué depuis 1991 à l’analyse du droit de la famille et de la protection de la jeunesse) et publiée dans le Family Law Journal, Été 1993, vol. 27, n°2. Tous droits réservés à l’American Bar Association Family Law Section.]
“Certains articles et reportages, rapports ponctuels et études cliniques restreintes, centrés sur des litiges de garde d’enfant où sont portées des allégations de sévices sexuels, ont attisé le préjugé voulant que de telles situations soient monnaie courante et que ces allégations soient devenues une arme systématiquement utilisée lors de divorces.”
“Afin d’évaluer l’incidence, la nature et la véracité de ce genre d’allégations, nous avons missionné des médiatrices/eurs et des observatrices/eurs juridiques dans 8 tribunaux aux affaires familiales en leur demandant de faire l’inventaire de toutes les allégations de sévices sexuels soulevées dans leurs dossiers. Parmi les plus de 9 000 familles concernées, on a noté moins de 2 % d’allégations de sévices sexuels. Les pourcentages signalés par les répondantEs allaient de 1 % à 8 %. Ces chiffres sont conformes aux résultats d’une autre enquête menée au tribunal d’Oakland (Californie), entre 1985 à 1987, où des allégations de sévices sexuels n’apparaissaient que dans 5 % à 6 % des divorces contestés.”
“Donc, même s’il y a peut-être une hausse dans les allégations de tels sévices, celles-ci demeurent loin d’être généralisées. Notre étude a également ébranlé d’autres préjugés répandus. Par exemple, ces cas ne se limitent pas à des accusations portées contre les pères. En effet, l’accusation n’était portée contre le père que dans 50% des cas. Dans l’autre moitié des cas, les mères portaient plainte contre une tierce partie — leur nouveau partenaire, leur beau-père ou quelque autre personne.”
“Nous n’avons pas constaté non plus que les allégations de sévices sexuels formulées au moment de séparations ou de divorces litigieux étaient moins justifiées que celles formulées par l’ensemble de la population. Dans la moitié des cas d’allégations, on a jugé que les sévices avaient réellement eu lieu; dans 33 % des cas, on a jugé qu’ils n’avaient pas eu lieu et, dans 17 % des cas, ni l’expert désigné par la Cour ni le travailleur en protection de la jeunesse n’ont pu trancher. Mais même dans le cas des allégations jugées non fondées, la plupart des expertEs que nous avons interrogéEs considéraient que ces allégations avaient été formulées de bonne foi.”
“Finalement, les allégations formulées par les mères contre les pères se sont avérées aussi susceptibles d’être jugées fondées que celles déposées par les pères contre les mères. Les allégations jugées portaient généralement sur des enfants plus jeunes et sur des incidents uniques plutôt que multiples, sans plaintes précédentes de sévices ou de négligence. Ce sont précisément les types de cas qui sont généralement qualifiés de non fondés chez les allégations de sévices sexuels venant de la population générale. Tout comme les cas de refus du droit de visite, les allégations de sévices sexuels sont extrêmement frustrantes. De ce fait, leur incidence sur le système judiciaire est sans commune mesure avec leur incidence réelle.”
Rita Smith (NCADV) & Pamela Coukos (PCADV), “Fairness and Accuracy in Evaluations of Domestic Violence and Child Abuse in Custody Determinations”, The Judges Journal, Automne 1997, pp. 38-56:
“(…) Même si le sens commun et la norme juridique en vigueur exigent que l’on considère sérieusement les indices de violence conjugale ou familiale au moment d’accorder ou non la garde d’un enfant, il apparaît que les allégations de violence conjugale et/ou de sévices sexuels infligés à l’enfant ne sont pas toujours prises au sérieux lorsqu’elles sont formulées au cours de procédures de divorce ou d’un litige de garde. Ces allégations sont souvent perçues à tort comme mensongères, d’une part parce qu’elles surviennent dans un contexte conflictuel et d’autre part à cause du préjugé commun voulant que les parents inventent des allégations de violence conjugale et de sévices sexuels pour obtenir gain de cause au tribunal. Combinée à l’abus qui est fait d’indices de syndromes psychologiques, l’impression d’allégations fabriquées de toutes pièces entraîne souvent une décision injustement punitive à l’endroit du parent protecteur qui signale des sévices. (…)”
“L’allégation d’indices de “syndromes” sans valeur scientifique peut avoir de graves conséquences; selon l’American Psychological Association, dans les cas de violence conjugale “les évaluateurs psychologiques inexpérimentés en matière de violence conjugale peuvent contribuer à ce processus en ignorant ou en minimisant la violence et en accolant des dénominations pathologiques non appropriées aux réactions des femmes confrontées à une victimisation chronique.” (American Psychological Association, Report of the APA Presidential Task Force on Violence and the Family, 40 (1996)) Ainsi, on peut se servir d’une prétendue “inaptitude” mentale du parent protecteur pour décrire cette personne comme un parent moins compétent et pour justifier ainsi l’octroi du droit de garde à son agresseur. Cette personne peut être forcée à participer à une médiation prolongée ou à une thérapie de couple avec son agresseur, ce qui ajoute au danger de sa situation. Dans le pire des cas, un tel diagnostic peut entraîner la perte de l’enfant par la mère protectrice et un placement en famille d’accueil; il peut aller jusqu’au retrait total de ses droits parentaux. En fin de compte, la garde de l’enfant peut même échoir à l’agresseur, ce qui ajoute aux risques imposés à l’enfant.”
“Les théories soi-disant scientifiques qui allèguent de prétendus syndromes exploitent également un grave malentendu concernant la fréquence des allégations mensongères. Dans son “Report of the Presidential Task Force on Violence and the Family”, l’American Psychological Association confirme que “les allégations mensongères de violence familiale sont peu fréquentes… les allégations de sévices sexuels infligés à l’enfant n’augmentent pas au moment du divorce et ne concernent de fait que 2 à 3 % des cas… même lors de litiges au sujet de la garde, les allégations de sévices sexuels infligés aux enfants se limitent à moins de 10 % des cas.” (American Psychological Association Report, 12). Si le “Syndrome d’Aliénation Parentale” était aussi commun que ne l’affirme Gardner — il dit le constater chez 90 % de sa clientèle — on devrait constater beaucoup plus de signalements. De plus, le taux général de signalements devrait s’avérer bien plus élevé chez les couples en litiges de garde que dans la population générale des familles. Mais les auteurEs d’études qui font cette comparaison ne constatent aucune prédominance significative d’allégations de sévices lors de procédures de divorce ou de litiges de garde. (Cheri Wood, “The Parental Alienation Syndrome: A Dangerous Aura of Reliability”, 27 Loyola L.A. L. Rev. (1994), pp.1367-8, note 7) Surtout, ces études ne constatent qu’un taux vraiment minime d’allégations mensongères dans ce contexte. (Nancy Thoennes & Patricia G. Tjaden, “The Extent, Nature and Validity of Sexual Abuse Allegations in Custody/Visitation Disputes”, 14 Child Abuse and Neglect 151, 161-2 (1990)) Comme le documente l’APA, “lorsqu’on analyse objectivement les signalements de sévices sexuels formulés dans un contexte de divorce ou de litige de garde, ces allégations s’avèrent tout aussi susceptibles d’être confirmées que celles portées en d’autres circonstances.” (American Psychological Association, note 8 à 12)”
Le lobby des hommes affirme que “les litiges de garde fournissent aux mères le prétexte et la motivation d’accuser faussement les pères d’agressions sexuelles infligées à l’enfant”. C’est là une insidieuse contre-vérité. En fait, la séparation des foyers fournit souvent au père non seulement un accès ininterrompu à l’enfant mais également un facteur de stress qui peut le pousser au-delà de ses inhibitions habituelles. Les litiges de garde où le père dispose d’un droit de visite créent donc deux des quatre conditions identifiées par Finklehor et Araji comme nécessaires pour l’imposition de sévices sexuels à un enfant (les deux autres étant l’affinité affective avec les enfants et l’excitation sexuelle ressentie à leur égard). Une recherche de grande envergure consacrée par Everson et Boat aux allégations d’agression sexuelle d’enfants a conclu à des pourcentages de fausses allégations de 1,6 % pour les enfants de moins de 3 ans, 1,7 % pour les 3-6 ans et 8 % pour les adolescents, soit un taux moyen de 4,7 % en tenant compte de la pondération démographique. (Everson et Boat, J. Acad. Child Adolesc. Psychiatry 28, 230 (2989.) Contrairement à ce que prétend le lobby masculiniste, les fausses allégations sont très rares.
Une autre étude de K. C. Faller, portant sur 142 signalements, conclut à un taux d’allégations mensongères de 3 %. (K. C. Faller, Childhood Abuse: An Interdisciplinary Manual for Diagnosis, Case Management and Treatment, New York: Columbia University Press, 1988).
Jonathan Horowitz a, pour sa part, observé un taux d’allégations mensongères de 8 % pour 181 enfants plus âgés (plus de 8 ans). (Jonathan Horowitz, professeur de psychiatrie clinique à Boston University, manuscrit non publié, 1984.)
Jones et McGraw ont étudié des cas d’allégations mensongères formulées par des enfants : elles se limitaient à 2 % des 439 signalements étudiés (les fausses allégations venues d’adultes comptaient pour 6 % de plus). (David P. H. Jones et J. Melbourne McGraw, Journal of Interpersonal Violence 2, 27 (1987).
C’est dire que, contrairement à un préjugé activement répandu, il est relativement rare que des allégations de sévices sexuels soient formulées dans le contexte de litiges de garde. Une étude à grande échelle menée par le barreau américain (American Bar Association) et l’Association of Family and Conciliation Courts a indiqué que, sur 9 000 litiges de garde ou de droit de visite, moins de 2 % impliquaient des allégations de sévices sexuels. De plus, les chercheurEs ont constaté que les allégations formulées à la suite d’un divorce étaient même plus susceptibles d’être fondées. (Association of Family and Conciliation Courts Research Unit, Allegations of Sexual Abuse in Custody & Visitation Cases: An Empirical Study from 12 States, pp. 15-16 (Mars 1988).
Le lobby masculiniste américain lance parfois que 65 % des accusations de sévices sexuels contre des enfants seraient fausses. Ce chiffre de 60-65 % est une estimation de Douglas J. Besharov quant au nombre de signalements dont la véracité n’est pas établie pour tous les types de sévices infligés aux enfants. Il précise que, “pour certains genres de sévices, comme le délaissement éducatif, le taux de cas non fondés semble plus élevé”. Il faut en déduire que, pour tous les autres types de signalements, y compris ceux de sévices sexuels, la proportion des cas non fondés est moins élevée. De toute façon, un cas non fondé est simplement un signalement dont la véracité n’a pas encore été prouvée. (Douglas J. Besharov, American Enterprise Institute for Public Policy Research, communication personnelle, 1990) Besharov définit lui-même les signalements non fondés ou non corroborés comme étant ceux que l’on décide de classer sans autre intervention, mais il ne fournit aucune directive quant à la façon d’établir le mérite de ces signalements ou quant aux instances en droit d’en décider. (Voir également Family Law Quarterly 17 (1983), pp. 151-172)
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