Sur France 3, Pascale Justice enquête depuis plusieurs années sur les réseaux pédophiles. Un parcours du combattant qui dérange pas mal de monde.
Souvenez-vous : il y a deux ans, Technikart évoquait le documentaire Paroles d’enfants et révélait les nombreuses difficultés rencontrées par son auteur, la journaliste de France 3, Pascale Justice, au moment de la réalisation et de la diffusion de son enquête. Dans le film, on découvrait médusé l’histoire de Pierre et Marie, frère et sœur se disant victimes d’actes pédophiles et dont le témoignage n’avait pas convaincu la justice. Avec une douleur manifeste et à l’aide de dessins, ces deux enfants expliquaient à la journaliste comment leur père les avait contraints à participer à d’étranges messes noires qui dégénéraient en orgies sexuelles, voire en sacrifices humains. A l’issue des cinquante-deux minutes, deux réflexions nous parvenaient au cortex : 1 / Ouahou, ça c’est du vrai travail d’investigation ! 2 / Face à une telle détresse, que font les institutions ? C’est pour donner une suite à ce double mouvement d’humeur interro-exclamatif et pour lui poser quelques questions que nous avons repris contact avec Pascale Justice. A quoi ressemble la vie d’une journaliste d’investigation ? Quelles répercussions concrètes peut avoir un travail comme le sien sur le reste de la société ? Premier constat : il n’est pas de tout repos de vouloir dévoiler des choses cachées.
Après la diffusion du documentaire, Pascale Justice a été l’objet de violentes attaques de la part des médias, les plus acides émanant de Libération et de Daniel Schneidermann, procureur multicartes œuvrant pour le Monde et Arrêt sur images. Ces boutiquiers lui reprochaient notamment d’avoir sorti de leurs contextes certains propos téléphoniques du père des enfants et de les avoir utilisés de manière abusive. « Faux, se défend l’intéressée. Même s’il est vrai que certains propos ont été sortis de leur contexte — on ne peut pas tout diffuser —, je n’ai jamais trahi le sens profond. Dans cette histoire, Libé n’a même pas cherché à me contacter. » Face à ces premières attaques, Pascale Justice se fend d’explications écrites auprès de sa direction. « Ils m’ont assurée de leur soutien, explique l’élégante investigatrice, mais n’ont pas jugé utile de faire paraître de droit de réponse. A l’intérieur de la rédaction, certaines voix s’élevaient pour dire que j’avais discrédité la chaîne. » L’histoire se corse quelques semaines plus tard lorsque le père des enfants attaque en diffamation la société France Télévision ainsi que la journaliste. « Là, je me suis dit : voilà l’occasion de m’expliquer publiquement ! J’ai passé plus de trois heures à la barre. Curieusement, les questions de la présidente ne portaient pas sur l’objet du procès mais sur le fait que j’avais mis en cause la police et la justice. J’ai eu le sentiment que des comptes se réglaient à cette occasion de manière détournée. » A l’issue du procès, Pascale Justice est condamnée, ainsi que le président de France Télévision, Elise Lucet (qui animait la soirée consacrée à Paroles d’enfants) et la mère de Pierre et Marie (pour son témoignage dans le documentaire). « Le plus ahurissant, c’est que, dans le jugement, on a qualifié mon travail de “militant”. Je me suis à nouveau expliquée par écrit auprès de ma direction et France 3 n’a pas jugé nécessaire de faire appel. Je me suis donc soumise à leur décision. » «DES REVELATIONS SUR L’AFFAIRE DUTROUX» Tout en continuant à réaliser des sujets pour le 12-13 et le 19-20 de France 3, Pascale Justice approfondit ses dossiers, n’hésitant pas à prendre sur son temps personnel. Son opiniâtreté est époustouflante et, face à autant d’ardeur à la tâche, certains collègues commencent à la regarder comme une malade mentale, une passionaria de l’enfance abusée. En septembre 2000, elle revient à la charge. « J’ai proposé trois sujets à la direction, deux concernant la France et un sur l’affaire Dutroux. Sur ce dernier sujet, je venais de récupérer des documents ENORMES. » Après moult atermoiements, le principe d’une diffusion semble accepté. On arrive déjà à la fin de l’article et on n’a pas dit la moitié de ce qu’on voulait dire. Dommage. En lui présentant nos excuses pour le côté ric rac de cet exposé, nous laissons le mot de la fin à celle qui ne se voit pas comme une journaliste d’investigation, mais comme une journaliste tout court. Pascale Justice : « Ce que je constate, notamment en m’appuyant sur un récent sondage de Télérama, c’est qu’il y a une véritable demande d’information de la part du public sur les questions de pédophilie en réseaux. Je suis très étonnée de ne pas voir un engouement journalistique proportionnel. Sur cette question, il y a une sorte de profond tabou, comme sur la question du viol des femmes il y a quelques décennies. » A méditer pendant les coupures pub de Zone interdite. In article « Investigator ».
par Nicolas Santolaria
Source: http://www.technikart.com/archives/3874-docteur-justice