Dysfonctionnements de la justice, sous-estimation des réseaux pédophiles, paroles d’enfants niées, le rapporteur spécial du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme est particulièrement sévère pour notre pays.
La justice française et le Conseil de l’ordre des médecins se retrouvent dans le collimateur de l’ONU après la visite de son enquêteur à Paris, Lyon et Saint-Étienne, en novembre 2002. Le rapporteur spécial du Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme, Juan Miguel Petit, préconise la création d’une » instance indépendante » pour » diligenter une enquête urgente sur un nombre croissant de cas de sérieux dysfonctionnements judiciaires au détriment d’enfants victimes d’agressions sexuelles et de personnes soucieuses de les protéger « . Cette dernière allusion concernant les professionnels, notamment les médecins, sanctionnés pour avoir effectué des signalements d’enfants en danger.
Juan Miguel Petit, chargé à l’ONU des enquêtes sur les trafics d’enfants, la prostitution enfantine et la pédopornographie, doit présenter son rapport pendant la 60e session de l’ONU, en 2004. Mais le rapport préliminaire qu’il a rédigé et dont nous nous sommes procuré une copie est accablant pour la justice française : » Il apparaît que maintes personnes en position de responsabilité pour faire respecter les droits de l’enfant, en particulier au sein de l’appareil judiciaire, refusent encore largement de se rendre à l’évidence de l’existence et de l’étendue » de la pédocriminalité. » Les agressions sexuelles infligées aux mineurs ne sont pas plus fréquentes en France que dans les autres pays européens « , et c’est donc bien la façon dont ces affaires sont traitées qui pose un grave problème.
» Selon les informations recueillies par le rapporteur spécial, la pédopornographie est souvent liée à des agressions sexuelles infligées aux enfants dans leur milieu familial. Actes qui, parfois, donneraient lieu à la création de matériels » destinés à la vente. Le rapporteur établit donc un lien entre les incestes et les réseaux criminels qui utilisent Internet pour faire circuler des films ou les photos de ces viols. Phénomènes que la grande majorité des juges continuent de nier, affirmant que les réseaux relèvent du fantasme et que seuls existent des agressions au sein des familles. Le rapport onusien évoque l’affaire du cédérom de Zandvoort, dont l’Humanité avait révélé l’existence le 24 février 2000 : » Sur ce cédérom, un certain nombre de parents français auraient vu le visage de leurs enfants. » Selon les autorités françaises, » ces images remontaient aux années soixante-dix « . C’est effectivement l’une des raisons avancées par le parquet des mineurs à Paris pour étouffer l’affaire. » Pourtant, poursuit le rapporteur, certains parents contestent ce fait, prétendant que certaines photos recèlent la preuve qu’elles ont été prises récemment. Le cédérom n’a pas été présenté à Interpol. »
Le prérapport de Juan Miguel Petit énumère les dysfonctionnements de la justice : » Un manque de moyens adéquats ou de formation, voire de spécialisation, parmi les hommes de loi qui traitent d’agressions sexuelles infligées à des mineurs » aboutit » à ce que, parfois, les droits de l’enfant ne soient pas respectés. Dans les procédures civiles concernant la garde de l’enfant, le mineur n’a pas le droit d’être automatiquement entendu. Son audition est laissée à la discrétion du président de l’audience. Dans la plupart des cas, l’enfant n’est pas entendu « . Dans de nombreux dossiers, la plainte pour viol ou agression sexuelle se superpose à un problème de garde de l’enfant. La tendance forte, en France, est de nier le viol, d’assimiler la parole de l’enfant à un mensonge et de faire du parent protecteur un manipulateur. » La garde de l’enfant a pu faire l’objet d’allégations fallacieuses de maltraitance sexuelle, note le rapporteur, mais les cas qui nous ont été soumis paraissent sérieux et fondés en raison des preuves produites. L’intérêt supérieur de l’enfant n’a pas été respecté. »
Au lieu d’être protégées, » les personnes qui suspectent et signalent des maltraitances s’exposent à des poursuites ou à des sanctions administratives pour diffamation. Les professions médicales sont particulièrement exposées. Des médecins qui signalent des abus s’exposent à ce risque, paraissent ne pas recevoir l’assistance et le soutien attendu du Conseil de l’ordre des médecins « . Euphémisme pour signaler que ledit Conseil de l’ordre est à la pointe de la répression des praticiens qui effectuent des signalements.
Le principe juridique selon lequel » le pénal tient le civil en l’état » est bafoué : » Dans la pratique, il n’est pas appliqué. Dès lors, un enfant peut être contraint de rester avec la personne mise en examen pour l’avoir maltraité. » Cette inversion des valeurs judiciaires a provoqué un exode de parents protecteurs : » Dans un nombre croissant de cas, un parent séparé, habituellement la mère, choisit d’emmener sa progéniture hors de France plutôt que de se plier à une décision de justice donnant le droit de visite ou de garde à l’auteur présumé de maltraitance. » Une vingtaine de fuites en Suisse, d’autres en Amérique sont relevées.
Dans les recommandations qui concluent son prérapport, Juan Miguel Petit préconise » le respect de l’article 12 de la convention des Nations unies relative aux droits de l’enfant » qui stipule que l’enfant doit pouvoir faire valoir son avis » en particulier dans toute procédure administrative ou judiciaire le concernant « . Il recommande » des enquêtes impartiales et complètes » prenant en compte » les rapports des médecins, des psychologues et des travailleurs sociaux « . Il demande instamment au gouvernement français de » remettre officiellement le cédérom de Zandvoort à Interpol « . Il rappelle aux tribunaux civils qu’ils doivent cesser de prendre une décision tant que la procédure pénale n’a pas abouti. Le Conseil de l’ordre des médecins est prié » de façon urgente, de revoir ses procédures afin de soutenir les praticiens qui effectuent des signalements, au lieu de les condamner « . Enfin le rapporteur réclame en urgence une enquête, diligentée par une instance indépendante, sur les dysfonctionnements croissants de la justice dans ce domaine. Compte tenu du langage diplomatique, il n’est pas exagéré de qualifier d’accablant ce prérapport de l’ONU.
Serge Garde