Bref, ce n’était jamais une priorité. En Belgique, les parents de Julie et de Mélissa, puis la grande masse des citoyens en imposant leur parole dans la rue, signifiaient aux gouvernements européens qu’ils n’acceptaient plus la désinvolture de l’État face aux crimes commis sur les enfants. Dans ce mouvement, 1996 est aussi une date clé dans la révélation des incestes et des agressions sexuelles commis sur des mineurs au sein des familles. Personne ne soupçonnait l’ampleur du phénomène, dans tous les milieux sociaux. Coup sur coup, trois réseaux sont démantelés de façon hypermédiatisée, en France : Toro Bravo, Achille, Ado 71. Il s’agit de calmer l’opinion, en démontrant qu’en France une affaire Dutroux était impossible. Pourtant sept jeunes filles handicapées mentales avaient disparu dans l’Yonne dans les années soixante-dix, sans susciter de réaction de la Justice. Le réseau franco-colombien Toro Bravo était organisé par ceux que nous avions dénoncés dix ans auparavant, derrière la galerie de photo qui jouxtait le Sénat. Après 1998, le naturel judiciaire a repris le dessus. Les réseaux ? quels réseaux ? Des fantasmes de journalistes. Des tribunaux ont jugé des affaires impliquant des dizaines de personnes comme s’il s’agissait d’individus sans liens organisés. La mondialisation et l’Internet dopaient la pédocriminalité partout, sauf en France où l’on continue d’opposer les violences sexuelles intrafamiliale (90 % dit-on) aux réseaux. Un clivage qui ne correspond plus à la réalité. Dire cela, ce n’est pas minimiser l’importance de l’inceste. Mais dans de nombreuses affaires, on retrouve des noyaux familiaux et des échanges ou des ventes d’enfants, de matériels pédopornographiques, via le Web.
Lorsque l’Humanité révèle le 24 février 2000 l’existence d’un cédérom trouvé à Zandvoort (Hollande) et d’un fichier photographique de 470 enfants en danger, Élisabeth Guigou, garde des Sceaux promet que tout sera fait pour retrouver ces enfants. Malgré une vingtaine d’identifications, le parquet de Paris enterrera l’affaire en 2003. Non-lieu. Les dysfonctionnements de la justice française sont devenus tellement flagrants que l’ONU demande qu’un » organe indépendant mène de toute urgence une enquête sur les carences de la justice à l’égard des enfants victimes de sévices sexuels et des personnes essayant de les protéger » (1), et que le gouvernement français transmette officiellement » le cédérom Zandvoort à Interpol aux fins d’examen. » Une claque retentissante.
S.G.
(1) ONU. Conseil économique et social. Rapport (GE. O3- 16329 (F) 281103 041203) présenté par Juan Miguel Petit, rapporteur spécial sur la vente des enfants, la prostitution des enfants et la pornographie impliquant des enfants.