Même lieu, même époque: comme le couple Delay-Badaoui, les frères Danger et leurs épouses ont-ils abusé eux aussi de leurs enfants? Ils nient. Le fiasco de la première affaire pourrait peser sur ce nouveau procès de Saint-Omer.
« Pluie de coups, attouchements… »
Ça commence comme souvent. Placés en 1999 pour échapper aux coups de leur mère, Kevin et Marina (1) Danger, alors âgés de 8 et 5 ans, alertent les assistantes maternelles en « refusant de se laisser laver les parties génitales, se masturbant fréquemment en public », selon l’acte d’accusation. En février 2001, Kevin s’épanche: dès l’âge de 6 ou 7 ans, il a subi des attouchements. Sa mère lui enfonçait un « bâton dans le derrière », son père, Didier, et ses oncles le sodomisaient, ses tantes lui « léchaient le corps ». Ça se passait au Portel, chez mamie Renée. Sa s?ur, Marina, elle, « fait non de la tête », quand on l’interroge. Mais son comportement troublant fait dire à l’expert: « Il n’y a aucun doute sur le fait qu’elle a été confrontée à des manifestations de sexualité déviante de la part d’adultes de son entourage. » La demi-s?ur de Kevin, Nina, 14 ans, renchérit en décrivant des pluies de coups, des partouzes, des « attouchements de Renée sur le chien ». L’expert exclut « toute tendance à l’affabulation ». Nina est « crédible », comme la plupart des enfants. Le 13 novembre 2001, une information judiciaire est ouverte. Et Myriam Badaoui, dans l’histoire? « Le hasard d’une rencontre fortuite dans les couloirs de l’instruction permettait de découvrir le lien existant » entre les couples Thierry Delay-Myriam Badaoui et Madeleine-Patrick Danger, lit-on dans l’ordonnance. C’était en novembre 2001. « Je voudrais vous préciser qu’il y a une dame dans le couloir qui était dans le réseau », lâche Myriam Badaoui au juge Burgaud. Entendue comme témoin dans le dossier Danger, elle confirme les copinages sexuels entre les deux couples, Madeleine usant du godemiché sur ses enfants… « Badouesque, l’affaire », « néologise » Me Crepin. La justice appréciera.
Assise dans sa salle à manger, Yvonne Danger, l’autre grand-mère, une ancienne « emboîteuse » – « Je mettais le poisson dans des boîtes » – agite ses bras de haut en bas, dans un bouillon de mots: « Ils n’ont rien fait, mes gamins! Je les ai bien élevés! » Les trois frères ont rencontré les trois s?urs « en octobre 1989 ». Didier a flashé sur Fernande, à l’hôpital psychiatrique. Il était en dépression, elle avait fait une tentative de suicide. Yvonne: « Après, mes deux autres fils ont demandé à la mère Vandevelde: « Vous n’avez pas d’autres filles? » » Si. Alors, Renée a présenté Fabienne à Sylvain. Et Madeleine à Patrick. « Elle est jolie, non? » dit-il en montrant la photo incrustée dans le portable. Didier a travaillé douze ans dans un centre d’aide par le travail (CAT), dont il a démissionné parce qu’il était « fatigué ». Il vit de l’allocation adulte handicapé, comme Sylvain. Lui aussi a séjourné en psychiatrie. Il avait fait une tentative de suicide après la mort de son chien, Ruf. Patrick a « fait » menuisier, ébarbeur, passé un diplôme de chauffeur de bus. Tous ou presque se situent, selon l’expert, « dans la zone de la débilité mentale légère ». Pour ce qui est du sexe, ils ne sont pas trop regardants et assez partageux. Sylvain, qui est avec Fabienne, est allé chercher plusieurs fois du réconfort avec Madeleine. Patrick le lui a bien rendu. « D’ailleurs, les deux derniers gosses de Fabienne, c’est les miens, grommelle-t-il. – Ouais, y paraît, lâche Sylvain, occupé à rouler sa cigarette sur la toile cirée. – Comment ça, y paraît? » gueule Patrick, aussi baraqué que son frère est efflanqué. Sylvain, gentiment: « C’est bon? » Voilà pour les mélis-mélos entre adultes, qu’ils ont volontiers confessés à la juge.
« Un cri d’innocence depuis le début »
Mais, avec les enfants, « jamais! » Fernande a bien mis des volées aux gosses, attachés pieds et poings liés. Il y a peut-être eu des raclées par-ci par-là. « Mais on les aime, les gamins », dit Sylvain. Et, pour le reste, insiste Me Crepin, « c’est un cri d’innocence depuis le début ». Seule Madeleine a ouvert une brèche. Ses codétenues disent qu’elle a raconté des viols, des attouchements. Devant la juge, elle a évoqué la violence de Patrick la forçant à avoir des rapports avec ses frères, à regarder des films pornos en présence des enfants, elle a parlé de ses manières suggestives avec eux? « Depuis, elle dément, affirme Me Hubert Delarue. Elle a subi beaucoup de pressions, été frappée en prison? Elle a fini par broder, dans le climat de psychose pédophile de l’époque. » Il était de la première mêlée, le ténor, avec Franck Berton, Eric Dupont-Moretti, Julien Delarue? Alors, ils ne vont pas se priver de s’y réengouffrer, soudés, en visant l’acquittement. Des similitudes avec Outreau I, il y en a, oui. Même lieu, même moment. Une affaire qui repose, pour l’essentiel, sur les pilotis de mots d’enfants. Verra-t-on resurgir la « tata connection » raillée par Me Hubert Delarue, ce canal des assistantes maternelles recueillant les confidences des petits tout en les suggérant? « On a un processus de préenquête identique au premier, qui a pu aboutir à un conditionnement des enfants, entre les « enquêtrices bis » et les questions fermées des enquêteurs », accuse Me Crepin. On retrouve aussi les mêmes noms, parfois: de référents éducatifs, du procureur Lesigne paraphant le réquisitoire, de quelques experts, dont Michel Emirzé, qui, comme à Outreau, a décelé tant de « traits de personnalité habituellement rencontrés chez les abuseurs sexuels ». Les fillettes sont vierges. Il n’y a pas de trace de vidéo porno, sauf une, Sacrée Coquine. Bref, « ce dossier ne tient pas, assure Me Guillaume Combes. Il est d’ailleurs troublant que, après trois ans de détention et des refus de demandes de mise en liberté, on relâche nos clients en septembre 2004, par simple extinction du mandat de dépôt ». Le parquet général n’en a pas demandé le renouvellement. Et il n’y a pas eu de contrôle judiciaire ordonné. « Ce n’était pas nécessaire, rétorque Eric Vaillant, l’enquête étant terminée et les enfants placés. » Mais pourquoi ces enfants sont-ils si perturbés, avec leurs poses sexuelles de grands? Me Delarue répond par une autre question: « Quelle est la part de mauvais traitements, de fantasmes, de contamination avec le premier dossier? » La défense a raison de « surfer sur la vague », admet Me Marc Pantaloni pour la partie civile. « C’est quand même un dossier d’inceste familial. » Il reste prudent, très. Il a raison. Car c’est une nouvelle guérilla qui s’ourdit dans les coursives. « Laissons la justice montrer qu’elle peut juger sereinement à Saint-Omer », plaide Eric Vaillant. Si trop de boue, trop d’émotion spectacle ne faussent pas les débats.