Arte, Tracks Kenneth Anger – Mage des images

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Un reportage de Gabrielle Culand

Sataniste, gay, inventeur du Hollywood trash, et surtout grand gourou du cinéma underground américain, Kenneth Anger préfère se définir comme un Mage des images plutôt que d’être rangé sous l’appellation bêtement réductrice de réalisateur.

Pour ce californien de 85 ans féru d’ésotérisme, le cinéma est un rituel magique. Kenneth Anger apparaît souvent dans ses propres films déguisé en prêtre occulte. Dès ses débuts à la fin des années 40, il s’engage dans les expérimentations tout azimut, superposant les images les unes sur les autres ou triturant des fréquences sonores inédites dans ses bandes originales. Bien que très courts, ses films sont des objets poétiques, inventant un cinéma totalement sensoriel!

Avant d’être l’icône de l’avant-garde, Kenneth Anger est d’abord l’auteur, en France en 59, de la sulfureuse série des « Hollywood Babylone« . Trente ans avant l’invention de la presse People, il y raconte les frasques des stars du cinéma, du Muet à Marilyn Monroe. Partouzes, suicides, overdoses à Beverly Hills transforment l’usine à rêves américaine en cauchemar. Un monde qu’il connaît sur le bout des doigts pour avoir été dès l’âge de 8 ans un enfant prodige aux côtés de Shirley Temple.

 

« Fireworks »

En 1947, son premier court-métrage « Fireworks« , « Feux d’Artifice », l’histoire d’un jeune homme torturé par une bande de marins lubriques, est remarquée par Jean Cocteau alors préseident du « Festival du film maudit » qui l’invite à Paris.

Kenneth Anger : « Quand j’ai fait Fireworks, l’homosexualité était illégale, on pouvait vous mettre en prison juste pour avoir approché quelqu’un. »

Dans les 60’s, Kenneth Anger entre en résonance avec les mouvements qui taraudent la jeunesse américaine. Les expériences sexuelles et psychédéliques deviennent des territoires d’exploration et d’émancipation collective. Anger fréquente les nouveaux gourous de l’autre Hollywood comme Alexandro Jodorowsky qui va bientôt réaliser « El Topo » ou Dennis Hopper, futur auteur d' »EasyRider ».

« Invocation of My Demon Brother »

Tourné entre 66 et 69, « Invocation of My Demon Brother » mixe les images d’un rituel luciférien et les bribes d’un concert des Rolling Stones, préfigurant la chute du Summer Of Love.
Aujourd’hui Scorcese, Lynch ou Cronenberg reconnaissent leur dette envers les explorations de Kenneth Anger. Sa bande-son a aussi marqué les pionniers de la musique industrielle, comme Genesis P-Orridge, fondateur de Throbbing Ghristle.

Genesis P-Orridge : « L’idée de réduire le monde à une iconographie personnelle, créant une vision talismanique de ce qu’on croit être la réalité a toujours été fascinante. Kenneth Anger est un des magiciens inventeurs des médias modernes. Il travaille la lumière et le son pour créer une mythologie qui, au moins potentiellement, donne aux gens l’inspiration nécessaire pour réaliser qu’ils peuvent changer ce qu’ils voient. C’est pour ça qu’il est toujours autant d’actualité. »

Tous les films de Kenneth Anger baignent dans l’occultisme, que le réalisateur découvre au milieu des années 50 à travers les œuvres de l’Anglais Aleister Crowley, fondateur du satanisme moderne. Aleister Crowley est aussi l’idole du guitariste de Led Zeppelin Jimmy Page, qui réalisera la BO inachevée du film d’Anger « Lucifer Rising« , avant de truffer sa musique de références à la magie noire.
Mais le pire émule de Crowley reste Charles Manson. En août 69, lorsque sa « Family » massacre Sharon Tate, Kenneth reconnaît parmi ses adeptes l’un de ses jeunes acteurs, Bobby Beausoleil, qui apparaît entre autres dans « Lucifer Rising« .
De sombres histoires qui n’empêchent pas Anger d’être l’un des plus proches amis d’Anton Lavey, ex-organiste de cabaret et fondateur de l’Eglise de Satan américaine. Jusqu’à sa mort en 97, celui-ci recrute dans sa secte des stars comme Jane Mansfield, Samy Davis Jr ou un jeune chanteur ordonné prêtre de la Church Of Satan: Marilyn Manson.

 

DVD

The Films of Kenneth Anger. Vol. 1 & 2
sont disponible chez Fantoma

« Anger Me »
Un documentaire de Elio Gelmini sur Kenneth Anger
Sorti en 2006
>> Le site officiel du film

 

A lire

De Kenneth Anger
« Hollywood Babylon » par Kenneth Anger. Paris, J.-J. Pauvert, 1959.
« Hollywood Babylon II » par Kenneth Anger. New-York, E.P. Dutton, 1984.
« Modestie et art du film », in les Cahiers du cinéma, n°5, septembre 1951.
« L’Olympe ou le comportement des Dieux », in les Cahiers du cinéma, n°76, novembre 1957.
« Aux enfers », in les Cahiers du cinéma, n°79, janvier 1958.

Sur le cinéma de Kenneth Anger
« Les films ‘Magicks’ de Kenneth Anger » par Pierre Hecker, Éd. Paris Experimental, 1999.
« First Light » ouvrage collectif édité par Robert A. Haller, Anthology Film Archives, 1998
« Kenneth Anger » de Olivier Assayas, Édition de l’étoile, Cahier du cinéma, Paris, 1999.
« Kenneth Anger : créateur d’icône pour nouvelle sensibilité » dans le magazine BREF #32.
« Visionary Film – The American Avant-Garde. » de P. Adams Sitney, New York : Oxford University Press, 1979.
« Material and Immaterial Light : Brakhage and Anger », in First Light, New York : Anthology Film Archives, 1998.
« Anger : le danger des anges » in Eloge du cinéma expérimental, Dominique Noguez, Paris Experimental, 1999.

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