Le Figaro Affaire de « l’École en bateau »: L’État condamné pour une enquête longue de 17 ans

Le tribunal a jugé mercredi «excessive» la lenteur de l’enquête menée dans l’affaire de pédophilie dite de l’École en bateau. Il a condamné l’État à indemniser à hauteur de 250.000 euros 11 anciens élèves qui disent avoir été victimes d’agressions sexuelles.

La Justice française a été trop lente. Le tribunal de grande instance de Paris a jugé mercredi «excessives» les 17 années de l’enquête menée dans le dossier dit de l’École en bateau. Il l’a condamné à indemniser à hauteur de 250.000 euros 11 anciens élèves qui disent avoir été victimes d’agressions sexuelles commis entre 1979 et 1995 à bord de trois voiliers qui naviguaient à travers le monde . «Les différents délais excessifs (…) caractérisent le déni de justice», a déclaré la première chambre civile.

L’État devra verser des dommages et intérêts compris entre 15.000 et 35.000 euros à chacun des onze demandeurs. A cette somme, s’ajoutent 5000 euros de frais de justice. Les victimes présumées réclamaient chacun 50.000 euros de dommages et intérêts, soit un demi-million d’euros au total. «Le prix du temps et des lenteurs de la justice a désormais un coût, c’est un message fort et salutaire», a réagi l’avocat des demandeurs, Éric Morain, tout en insistant sur le fait qu’une indemnisation «à cette hauteur» était «très rare».

Dans son jugement, le tribunal met en avant «l’inaction du ministère public» à plusieurs moments de l’enquête, ainsi que celle du juge d’instruction de Fort-de-France saisi au tout début de l’affaire ou encore «l’absence de traitement de deux plaintes émanant de personnes se disant victimes de faits d’une extrême gravité au plan pénal et aux conséquences susceptibles d’être dramatiques et durables pour les intéressés qui ont longuement mûri leur décision de saisir la justice».

A l’audience du 14 décembre, pour justifier ces lenteurs, l’avocat représentant l’État avait mis en avant la complexité du dossier et la dispersion des plaintes émanant de jeunes résidant dans des départements différents.

Préjudice moral

Mercredi, les juges parisiens ont retoqué cet argument, jugeant que ces délais «inutiles» ne peuvent «s’expliquer par la difficulté du dossier». Pour le tribunal, les demandeurs ont bien subi «un préjudice moral», car «ayant fait une démarche difficile pour eux et pour leur entourage, ils n’ont pas reçu de réponse de la justice dans des conditions normales». «Ils ont pu penser», regrettent les juges, que la justice «ne prenait pas les moyens d’empêcher la réitération d’infractions graves».

Le fondateur de l’association l’École en bateau, Léonide Kameneff, disait vouloir emmener des adolescents naviguer aux quatre coins du globe afin de leur apporter «un épanouissement intellectuel, psychologique, affectif et social». Entre 1969 et 2002, 400 garçons et 60 filles ont séjourné sur les trois voiliers-école, le «Karrek Ven», le «Paladin» et le «Bilbo».

Mais en 1994, une plainte pour viol et agression sexuelle égratigne la réputation de Léonide Kameneff. Il aurait en effet encouragé des «jeux» et massages ayant dégénéré en attouchements, masturbations, fellations et sodomies. Depuis, une trentaine de jeunes ont dénoncé à la police de tels abus. Quatorze se sont constitués parties civiles, les faits dénoncés par les autres étant prescrits.

Un procès toujours incertain

Il faudra attendre mai 2011 pour que Léonide Kameneff et quatre personnes officiant sur les bateaux-écoles soient renvoyés aux assises. Selon Me Morain, le procès devrait avoir lieu du 5 au 26 mars 2013. Toutefois, d’ici là, la Cour de cassation doit encore rendre une décision, Kameneff ayant formé un pourvoi contre son renvoi aux assises. Agé de 75 ans, il pourrait ne jamais être jugé.

Épuisés par ces procédures à rallonge, 11 plaignants ont décidé en 2011 d’assigner l’État pour faute lourde, invoquant le «délai raisonnable» de jugement, reconnu par le code de l’organisation judiciaire ainsi que par la Convention européenne des droits de l’homme. La France est, derrière l’Italie, le deuxième pays le plus condamné pour ce motif devant la Cour européenne des droits de l’homme.

Source: http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/02/08/01016-20120208ARTFIG00589-l-etat-condamne-pour-une-enquete-de-17-ans.php

 

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