Le premier film de Philippe de Pierpont, adapté du roman éponyme d’Amélie Sarn, embarrasse. Surplombé par son sujet – l’inceste -, son propos précisément pourrait lui garantir une impunité critique. Ouvrant la voie aux débats, le film est déjà soutenu par de nombreuses associations d’aides aux victimes. On lui reconnaîtra le mérite d’aborder sans concession une réalité toujours taboue, tout en contribuant à libérer une parole salvatrice.
Mais l’indulgence cède face à l’objet cinématographique en lui-même. L’époque « Dossiers de l’écran » étant révolue, on s’octroie le droit de statuer sur l’indigente qualité du film. Elle ne pleure pas, elle chante condense beaucoup de tics de réalisateur débutant.
Le film s’ouvre sur une séquence nocturne. Un sexagénaire fume une cigarette au volant de sa voiture. La lumière saturée vibre au diapason de la bande son : des accords cafardeux de guitare se réverbèrent dans le silence d’une route déserte. L’ambiance est déjà lourde. L’instant d’après, le conducteur, qui s’était arrêté sur le bas-côté pour vérifier ses roues, est subitement fauché par un véhicule.
La vérité sur la nature de cet homme éclatera plus tard, quand sa fille Laura (Erika Sainte) viendra lui rendre visite à l’hôpital. C’est un salaud de la pire espèce qui a abusé d’elle pendant son enfance. Elle va profiter du coma où il est plongé pour revenir sur ses années d’abus sexuels et le forcer à l’écouter.
La fiction prend alors le relais de Laura, ce qui jette un trouble sur l’insistance avec laquelle le réalisateur a pris le soin d’installer le personnage du père. L’intérêt de filmer cet accident de la route est en effet voisin de zéro et la pose esthétisante du réalisateur se révèle aussi superflue que dérangeante. Traduirait-il un inconscient justicier chez lui, en plus d’un indéniable manque de discernement, en matière de mise en scène ?
Laura vient chaque jour régler ses comptes avec son père, en lui racontant par bribes les souffrances qu’il lui a infligées. Mais il va lui falloir briser la loi du silence avec son entourage pour parvenir à se reconstruire. Après avoir pris ses distances pendant de nombreuses années avec sa famille, elle se rapproche à nouveau d’elle.
Le frère aîné a réussi sa vie de couple. Père de famille installé, il incarne un modèle d’équilibre pour Laura, livrée à l’évidence de ses névroses. Incapable de s’investir dans une relation amoureuse car rattrapée par ses ambiguïtés, la jeune femme s’anéantit dans un gouffre de solitude que l’aveuglement volontaire de sa mère renforce.
Le réalisateur ne parvient pas à filmer les monologues de Laura à l’adresse de son père inconscient, faute de savoir trancher entre la surenchère de détails ou la distance pudique. C’est d’autant plus dommageable que ce processus libère le personnage de l’emprise du passé. En toute logique, ces séquences devraient constituer les moments forts du film, mais elles se diluent dans un ensemble erratique.
La mise en scène statique et affectée désincarne un récit où la parole devrait transcender in fine tout effet de style. Mais enfermé dans ses considérations plastiques, le réalisateur aligne un bon nombre de séquences superficielles et purement illustratives, oubliant d’incarner le vide qui ronge de l’intérieur son personnage de survivante.
Source: http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/10/16/elle-ne-pleure-pas-elle-chante-une-fiction-ampoulee-sur-le-douloureux-sujet-de-l-inceste_1775748_3246.html