Partant du postulat erroné que les enfants victimes de cette affaire de pédophilie n’ont pas été entendus, Serge Garde se lance dans une démonstration éminemment contestable.
L’affaire d’Outreau est à la justice ce que la femme coupée en morceaux est au cirque: on peut s’acharner à croire et à faire croire que les dix-sept adultes poursuivis pour pédophilie étaient coupables, bien que treize aient été acquittés au terme de deux procès successifs, en 2004 et 2005. On peut aussi penser, a contrario, que tout ce qui relève de l’illusionnisme a été mis au jour par les cours d’assises du Pas-de-Calais et de Paris, par un total de 21 jurés populaires et six magistrats, et que les seuls quatre vrais coupables ont été condamnés.
Le documentaire de Serge Garde, Outreau, l’autre vérité– titre suffisamment insinuant pour permettre à l’auteur de ne jamais aller explicitement au bout de sa thèse -, prétend démontrer que la parole des enfants victimes n’a pas été entendue et qu’on s’obstine à cacher, ce qui est faux, qu’il y a eu des gamins martyrisés à Outreau. Problème: le film ne tient aucun compte des leçons apportées par de très nombreuses journées d’audience publique. Des témoins qui défilent devant sa caméra, aucun n’a suivi l’intégralité des procès de 2004 et 2005. Des magistrats qui n’ont pas mis les pieds dans le prétoire critiquent le déroulement des procès. Un ancien d’Europe 1, devenu porte-parole de la Chancellerie, apporte même un supposé vernis institutionnel alors qu’il n’a pas «couvert» Saint-Omer. C’est désolant.
Enterrement en apothéose
M. Garde, qui ne s’y était pas déplacé non plus, procède par postulats, sur la base des charges telles qu’on les considérait en 2003. Les enfants n’auraient pas pu témoigner librement à l’audience, terrorisés qu’ils furent par les avocats de la défense ou moqués par l’avocat général: c’est faux. Le procès en appel (avec ses douze jurés populaires tirés au sort) était truqué par le pouvoir politique et devait aboutir à l’acquittement des six accusés: c’est faux. Cet enterrement en apothéose avait pour but de supprimer la fonction de juge d’instruction: c’est faux. La presse a été manipulée de bout en bout par les avocats de la défense: c’est faux. M. Garde, qui se targue d’avoir lu l’intégralité du dossier – mais d’autres journalistes que lui l’ont fait et contestent son analyse point par point -, ne dit rien des absurdités innombrables qu’il recèle. Évidemment: ce sont ces absurdités, mises au jour à l’audience, qui ont conduit à l’acquittement des innocents. Par contraste, les éléments solides ont motivé les condamnations définitives.
Ce documentaire, qui n’apporte strictement aucun fait nouveau à la connaissance de l’affaire, ne résulte pas d’un travail d’enquête journalistique classique, ouvert à la contradiction, mais véhicule une croyance. Or, la justice ne se rend ni ne jaillit dans des salles de culte. Il y a des jours où, plutôt que d’aller au cinéma, mieux vaut se payer un billet de cirque: là, au moins, on a le droit de croire, sans nuire à quiconque, qu’on coupe vraiment des femmes en morceaux.
Source: http://www.lefigaro.fr/cinema/2013/03/05/03002-20130305ARTFIG00532–outreau-l-autre-verite-la-theorie-du-complot.php