(Gauchebdo) Quand l’ONU couvrait un trafic d’êtres humains à Sarajevo

Le film « The Wistleblower » (« Seule contre tous » en vf, ndlr) raconte l’histoire de Kathryn Bolkovac qui a perdu son emploi en dénonçant des cas d’esclavage sexuel tolérés par les Nations Unies en Bosnie.

Kathryn Bolkovac, en mission onusienne pour le maintien de la paix en Bosnie-Herzégovine en 1999, dénonça courageusement, jusqu’à en perdre son travail et face à une passivité et une attitude méprisables de sa hiérarchie, un trafic d’êtres humains et de prostitution couvert par l’ONU. The Wistleblower, film américain à petit budget où figure l’actrice Rachel Weisz, projeté en avant-première à Genève le 10 décembre, date décrétée journée des Droits humains par les Nations Unies, narre son histoire et rend enfin justice au courage et à la ténacité extraordinaires de cette femme. La projection du film à Genève le 10 décembre, ainsi que le débat en présence des protagonistes, et notamment de Kathryn Bolkovac, fut l’occasion de rappeler les faits scandaleux qui, douze ans plus tard, choquent toujours autant, et surtout le traitement, honteux, par les Nations Unies, de celle qui tira la sonnette d’alarme.

En 1999, Kathryn Bolkovac, alors policière dans l’état du Nebraska, aux Etats-Unis, est engagée par la société de sécurité privée DynCorp qui fournit du personnel pour les troupes de maintien de la paix des Nations Unies. Elle accepte de rejoindre la mission onusienne en Bosnie-Herzégovine afin d’y assurer la sécurité et de protéger les civils. Peu après son arrivée, elle découvre avec horreur que Sarajevo est devenu une plaque tournante pour le marché de la prostitution et la traite d’êtres humains. Elle mène l’enquête, se retrouve face à des faits sordides d’esclavage sexuel, de passeports retenus contre dettes prétendument impayées et de viols. Elle comprend que la police, les autorités locales ainsi que la mafia y participent impunément et, pire, constate finalement que certains de ses collègues, notamment des Casques bleus, profitent sexuellement de ce trafic et prétendent qu’il ne s’agit pas de traite d’êtres humains. Avec l’aide précieuse de Madeleine Rees, alors représentante pour le Haut-Commissariat des droits de l’homme à Sarajevo, qui s’est révélée une alliée clé et fiable jusqu’au bout, elle tire la sonnette d’alarme et dénonce la situation intenable à sa hiérarchie. Au lieu de la réaction escomptée, sa hiérarchie ne semble pas très concernée. Kathryn Bolkovac comprend alors que les Nations Unies étaient parfaitement au courant de la situation mais préféraient, par peur des complications et du scandale qui s’ensuivrait, fermer les yeux. Elle met alors tout en œuvre pour démanteler le réseau, sauver les victimes et punir les coupables, mais se retrouve peu à peu isolée et ostracisée, subissant quotidiennement des menaces et des tentatives d’intimidation, toujours sans aucun soutien et sans aucune réaction de ses supérieurs, et finit par être virée sous le faux prétexte d’avoir illégalement modifié une de ses fiches horaire. En désespoir de cause, elle se tourne vers les médias. L’affaire éclate enfin au grand jour en 2001.

Tolérance zéro ?

Les Nations Unies ont, depuis lors, pris des mesures pour éviter que la situation ne se reproduise et que le personnel de maintien de la paix ne trempe dans des affaires de ce type, comme l’a expliqué Corinne Momal-Vanian, directrice du Service de l’information de l’ONU à Genève, lors du débat dans la cité de Calvin. Elle a fait écho aux solutions préconisées par Ban Ki-moon, secrétaire général, lors de la projection de The Whistleblower dans les bâtiments onusiens de New York en octobre : établissement d’une politique de tolérance zéro, meilleure méthode de sélection du personnel onusien, création de codes de conduite pour les troupes du maintien de la paix et sanctions possibles pour celles et ceux qui briseraient ce code de conduite. Les mesures prises et les progrès faits doivent être soulignés, même si, comme l’a signalé Madeleine Rees lors du débat, « la politique de tolérance zéro existait déjà à l’époque ». Pour elle, l’ONU peut et doit faire mieux. Cela passerait notamment par s’assurer que « les pays fournissant des troupes [pour le maintien de la paix] acceptent des obligations légales leur demandant d’enquêter, de punir et de dénoncer les hommes qui violent des femmes », écrit-elle dans un article paru dans The Global Journal. Une solution pour l’instant non mise en pratique par peur qu’avec des obligations légales et des codes de conduite trop stricts, les états membres de l’ONU fournissant des troupes pour le maintien de la paix retirent leur offre. Pareillement, a argumenté Kathryn Bolkovac lors du débat, l’ONU doit cesser de conclure des accords avec des sociétés privées de sécurité au sein des états membres. Cela brouille les pistes et permet un manque de contrôle évident.

« Le marché s’est déplacé ailleurs »

Les solutions pour prévenir le trafic d’êtres humains et surtout éviter que le personnel de l’ONU ne soutienne à nouveau un tel trafic abondent donc, même si elles ne sont pour l’instant pas toutes mises en pratique. Mettre uniquement l’ONU sur le banc des accusés, c’est oublier que ce n’est pas seulement l’absence de contrôles ou de codes de conduite qui ont donné lieu à ces situations intenables, mais aussi le contexte.

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