Selon les associations de protection de l’enfance, l’affaire de pédophilie d’Outreau dévoilée en 2001, a mis à mal la prise en compte des témoignages d’enfants par la justice.
L’affaire d’Outreau a jeté un discrédit sur la parole des enfants se disant victimes d’abus sexuels, selon les associations de protection de l’enfance, certaines parlant d’un « retour en arrière » d’au moins dix ans.
Mensonge
Cette affaire, partie d’abus sexuels sur des enfants par leurs parents, est considérée comme un des pires fiascos judiciaires de ces dernières années. Dix-sept personnes étaient au départ accusées, treize ont été finalement acquittées lors de deux procès, en 2004 et 2005.
« L’héritage d’Outreau est gravissime » car « toute la France a considéré que les enfants avaient menti », déplore Homayra Sellier, présidente de l’association Innocence en Danger.
Cette association avait écrit au parquet général pour s’inquiéter de la prochaine prescription de faits qui auraient été commis par l’un des acquittés, Daniel Legrand, alors qu’il était mineur. Son troisième procès s’ouvrira à Rennes le 19 mai.
Effets catastrophiques
D’autres associations aspirent à « tourner la page », comme La Voix de l’Enfant. « Outreau, c’est du passé maintenant, même si on est catastrophés des effets que ça a pu avoir. Au début, on est revenus dix ans en arrière », indique sa présidente, Martine Brousse.
« La difficulté est de faire comprendre que l’enfant dit sa vérité, et que ce n’est peut-être pas la vérité judiciaire. Les enfants n’ont pas la même notion du temps, de la distance », souligne-t-elle.
Pour que l’enfant soit auditionné dans un univers sécurisant, pouvant concilier prise en compte de sa souffrance et nécessités de l’enquête, cette association soutient le développement des Unités d’accueil médico-judiciaires pédiatriques (UAMJP), depuis la fin des années 1990. Elle a financé une cinquantaine de ces petites structures installées dans des hôpitaux, où enquêteurs spécialisés, éducateurs, professionnels de santé travaillent ensemble auprès de l’enfant victime de violences sexuelles ou autres maltraitances.
Auditions protégées
Selon un rapport de mai 2014 de l’Observatoire national de l’enfance en danger (Oned), plusieurs de ces unités semblaient cependant « en péril faute de financement ». La Voix de l’Enfant a aussi élaboré, en 2007, un projet de « salle d’audition protégée », dotée d’un système audiovisuel permettant aux mineurs d’être entendus sans être confrontés directement à leur agresseur présumé. Le tribunal d’Angers en est équipé, et un commissariat de police de la même ville le sera prochainement.
Certains « professionnels dans le déni
La présidente de l’Association internationale des victimes de l’inceste (Aivi), Isabelle Aubry, estime de son côté que l’affaire d’Outreau a entraîné « un recul de 15 ou 20 ans ».
« Depuis 2004, nous recevons beaucoup plus de demandes de parents protecteurs, père ou mère, dont l’enfant a révélé des abus commis par un membre de la famille, sans qu’il y ait de suites judiciaires », assure-t-elle. Il y a selon elle « énormément de classements sans suite, surtout quand les enfants sont très jeunes, moins de six ans ».
Selon Eugénie Izard, pédopsychiatre et présidente du Réseau de professionnels pour la protection de l’enfance et l’adolescence (REPPEA), « il n’est pas rare que l’affaire d’Outreau soit brandie dans les affaires d’inceste ou pédophilie, soit par les agresseurs, soit par les personnes chargées d’évaluer les enfants ».
« Elle contribue à maintenir un certain nombre de professionnels dans le déni ».
Nécessité de formation
Une étude réalisée en septembre 2014 par cette association auprès de 264 professionnels (psychologues, pédopsychiatres essentiellement), montre que « seulement 60% des suspicions d’inceste sont signalées » aux services de protection de l’enfance. Et seulement « 60% des enfants ayant fait l’objet d’un signalement ont été protégés par la justice ».
« Il y a un avant et un après Outreau », résume Hélène Romano, docteur en psychopathologie et experte auprès des tribunaux, membre du REPPEA, déplorant « un vrai problème de formation » des professionnels.
« Avant Outreau, il y avait eu une dynamique pour former les professionnels, au niveau européen on était très novateurs il y a 15 ans. Après Outreau ça a été terminé », affirme-t-elle.
Selon elle, les enquêteurs « considèrent qu’avant 6-7 ans, la parole de l’enfant n’a aucune crédibilité. C’est faux, mais il faut être formé »: savoir poser des questions non suggestives, avoir « une ergonomie et des techniques d’entretien adaptées ».
Dans un rapport en novembre 2013, l’ex-Défenseure des Enfants Marie Derain avait recommandé que la justice reconnaisse une « présomption de discernement » aux enfants.