Ce jeudi matin, après une heure pour régler la visioconférence qui devait permettre d’entendre des assistantes maternelles, l’audience a commencé à 10h30.
On a d’abord entendu l’assistante maternelle de Chérif, qui a été la première à qui il s’est confié au sujet de maltraitances, puis d’abus sexuels, commis par ses parents.
Puis vient l’assistante maternelle de Dimitri et Dylan, qui explique que « C’est Dimitri qui a commencé à parler fin 2000 ». Elle a décrit deux gamins complètement traumatisés, à peine éduqués, apeurés: « Quand ils sont arrivés, ils étaient très perturbés, très sales, ils avaient peur (…) ils couchaient tous les 2 dans la même chambre. Il y avait que moi qui pouvait rentrer. La nuit, c’était l’horreur ».
Le classique, dans ce genre d’affaire, c’est que les enfants, au départ, ne parlent pas. Ils ont trop peur, ne savent pas décrire ce qu’ils ont vécu. C’est seulement quand ils se sentent en sécurité qu’ils peuvent commencer à parler, et d’abord de ce qui leur fait le moins peur. En l’occurrence, c’est Dimitri qui a parlé le premier, dans des circonstances bien précises: « c’est au moment où Dimitri a su qu’il allait repartir plusieurs nuits chez ses parents qu’il a commencé à parler ».
Il a commencé par parler de ses parents, puis d’autres personnes. Notamment le couple Marécaux: Mme Bernard explique qu’elle « les connaissait. J’ai posé beaucoup de questions pour savoir s’il ne mentait pas », a déclaré l’assitante maternelle, qui précise qu’elle « croyait Dimitri avec prudence », et même qu’elle « lui tendait des pièges » pour savoir s’il mentait.
Cette dame a aussi vite constaté que les enfants avaient un comportement ultra sexué, anormal pour des gamins de cet âge.
Et ils se sont mis à raconter des choses auxquelles elle n’aurait jamais pu s’attendre, « Il me disait que des personnes « faisaient des manières », » mettaient son devant dans mon derrière » », a expliqué l’assistante maternelle, qui a été tellement attaquée par la défense lors des procès de Saint-Omer et Paris.
On nous sort aussi la première liste d’une dizaine de noms rédigée par Dimitri, où ne figurait pas le nom de Daniel Legrand. On diffuse aussi la liste rédigée par l’assistante maternelle d’après les propos de Dimitri, où figure le « Dany legrand ». Elle est interrogée pour savoir si « legrand » était un nom ou un adjectif, et elle a fini par répondre: « S’il m’avait dit le grand, je l’aurais marqué comme ça, qu’il était grand. Je l’ai marqué comme il me l’a dit; j’ai pas cherché à savoir ».
Au fil du temps, Dimitri a donné d’autres noms, ceux de Dominique Wiel, de la boulangère, le taxi Martel, le Dr Leclercq… L’assistante maternelle explique: « Je trouvais qu’au bout d’un moment, ça faisait beaucoup de monde mais j’étais pas là pour juger ».
Oui, sauf que plus tard, d’autres enfants ont confirmé avoir été violés par ces adultes, ou que ces adultes avaient été présents lors des traditionnelles partouzes.
Sur la liste qui mentionne Daniel Legrand, il est précisé que les faits se sont produits « en Belgique. On a était avec ma mère et mon père il nous a fait des manières ma mère lui a donné de l’argent ».
En fin de matinée, la défense sort sa botte secrète: il y aurait eu un autre « Dany » qui se baladait dans le quartier de la Tour du Renard à l’époque! En fait, c’est Roselyne Godard, la boulangère, qui s’en est soudain rappelé juste avant le procès en appel de Daniel Legrand (qui avait été condamné en première instance) et des autres condamnés du premier procès. Sauf que ça ne tient pas la route: le type n’a pas été identifié par les enfants.
C’est juste un argument complètement bidon, mais qu’il a quand-même fallu vérifier !
Ensuite, le tribunal a cherché à savoir si les assistantes maternelles avaient ourdi un complot pour accuser tout un tas d’innocents, si elles se sont appelées pour parler des révélations des enfants. Ce qui, bien évidemment, est le cas. Mais de là à dire qu’elles ont contribué à monter une cabale fondée sur rien, il y a un pas.
On espère juste que les 50 témoins de Legrand seront aussi attaqués de la sorte par les juges et l’avocat général. Car rappelons-le: c’est bien le procès de Daniel Legrand et pas celui des victimes, des experts ou des assistantes maternelles. La ficelle est pourtant grosse, mais ça a l’air de passer auprès de certains journalistes peu regardants.
Les avocats de Legrand ont ensuite posé leurs questions, notamment Me Delarue qui a lu l’extrait d’un témoignage de Dimitri dans lequel il disait « il mettait le devant dans le derrière des vaches et des cochons. » Un journaliste a même osé parler de girafe. En réalité, Dimitri évoquait une ferme, en Belgique, où lui et plusieurs autres enfants de plusieurs fratries différentes ont dit qu’ils étaient amenés en taxi et forcés à subir des viols par plusieurs adultes, le tout étant filmé.
Tous les enfants racontent à ce sujet exactement la même chose. Il n’est pas impossible du tout que des scènes avec des animaux aient eu lieu, même Badaoui a parlé dans le détail de rapports avec un chien.
Reprise de l’audience vers 14h, avec l’audition vidéo du Dr Jean-Pierre Dickes qui a examiné l’un des fils Delay, mais il ne se rappelait plus lequel et n’a pas relu son rapport de l’époque, si bien que le tribunal le lui faxe. Mais selon lui, « il n’y avait pas grand chose à constater », d’ailleurs le rapport qui date de 1999 dit qu’il n’y avait pas de trace de coups ou de sévices sexuels.
Il explique aussi qu’il a été sollicité pour voir un des enfants Delay, mais ne savait pas exactement pourquoi, et pensait qu’il devait regarder des lésions pour des faits qui se seraient déroulés récemment. Alors qu’ils remontaient à 1997.
Selon Me Reviron, l’avocat de Jonathan, « il a eu un débat important » au sujet de cette expertise, et l’expert admet qu’il l’a rédigée dans la précipitation.
Puis le médecin, qui dit sans problème avoir sympathisé avec Dominique Wiel, explique: « quand vous examinez un enfant qui a été violé, en général, il y a des coups sur le corps, des griffes etc », ce à quoi l’avocat de Dimitri Me Lef Forster, répond que dans le cas de viols oraux on n’a pas ce genre de trace.
Et de lancer que « Les affaires de pédophilie [le] répugnent. Après mon expertise je ne m’y suis plus intéressé ».
Selon le médecin, les lésions après un viol, chez un enfant comme un adulte restent durant 2 mois. C’est bien la première fois qu’on entend cela.
Cet expert a été bien protégé par les avocats de la défense, qui ont empêché les questions des avocats des victimes. Idem avec le policier Bourlard, qui témoigne plus tard dans l’après-midi.
Vient ensuite un autre expert toujours par vidéo, Jean-François Bouvry, qui a examiné les quatre enfants Delay et n’a repéré de traces que chez Jonathan. Cependant, il précise que les quatre fils Delay lui ont parlé de viols qu’ils auraient subis.
Interrogé par Me Reviron, le Dr Bouvry confirme qu’il est possible que des viols anaux ne laissent pas de trace, d’ailleurs il ajoute qu’il a très rarement vu de traces comme celles qu’il a repérées chez Jonathan.
C’est ensuite l’assistante maternelle de Jonathan durant 6 ans qui vient témoigner. Elle explique comment se comportait Jonathan quand elle l’a accueilli, il avait un comportement anormal. Elle explique notamment qu’ « un mercredi, il ne savait pas quoi faire, il m’a demandé s’il y avait des cassettes porno ». cependant, elle précise qu’elle ne posait pas de questions à Jonathan, parce que « ce n’était pas [son] rôle ».
A elle aussi, l’enfant a fait des confidences, expliquant qu’à la maison les deux frères étaient forcés de pratiquer entre eux des actes sexuels, ou qu’il bloquait sur les fourchettes parce qu’à la maison elles servent à pratiquer des pénétrations…
Puis le témoin explique qu’un jour Jonathan a entendu le nom de « Legrand » et lui a demandé si c’était son nom ou parce qu’il était grand, ce qui crée un grand émoi du côté de la cour. Surtout que le témoin ne se rapppelait plus des circonstances de cette question de Jonathan.
Mais elle tient à dire que « quand Jonathan parlait, on voyait dans son regard qu’il souffrait. Il revivait ça« , et selon elle un enfant aussi jeune « ne peut pas inventer » des histoires pareilles.
Sur ces entrefaits, les avocats de la défense font un petit incident car ils trouvent que deux types les regardent bizarrement. Deux jeunes du groupe des Wanted Pedo qui, en effet, fixaient l’équipe de la défense et Daniel Legrand de manière très insistante. Finalement, le président du tribunal en a expulsé un de la salle et a demandé à l’autre de ne plus regarder Legrand.
Clairement, ce genre de comportement n’est pas d’une grande intelligence, et cela devient même vite contre productif. Il serait bien qu’au moins ceux qui soutiennent les parties civiles tentent de préserver la sérénité des débats.
Le témoin suivant est Jean-Yves Bourlard, un policier qui a été chargé de la garde-à-vue de Daniel Legrand suite à son arrestation, mais qui n’a pas été entendu lors des deux premiers procès. Lui n’a eu à s’occuper du dossier que pendant deux jours, le temps de la garde-à-vue, mais il est le seul des policiers interrogés à avoir des souvenirs précis du dossier. Des souvenirs très précis, même.
Il explique qu’il a été choisi pour s’ « occuper de ce qui devait être la tête du réseau: le père, et le fils Legrand » et dit qu’à ce moment-là, le dossier était bien vide, constitué de trois auditions et d’une expertise, ce qui n’a pas manqué de le surprendre. Il n’y avait « aucun élément matériel ».
Il affirme que les deux Legrand avaient l’air « complètement éberlués » lors de leur arrestation puis de la garde-à-vue et il a même alerté sa hiérarchie car selon lui ces deux-là n’avaient pas le profil de « têtes de réseau ».
Selon lui Daniel Legrand avait même « l’air « choqué » par les questions qu’il lui posait durant les interrogatoires. Pris d’un élan de compassion, le policier a même expliqué à Legrand comment les choses allaient se passer en prison, « ce qu’il fallait qu’il fasse pour se protéger ».
Avant de suspendre l’audience pour que Chérif Delay vienne témoigner, le président du tribunal dit qu’il n’y a aucune référence de date dans les faits reprochés à Daniel Legrand.
Chérif Delay arrive menotté, et explique d’emblée « c’est difficile de parler pour moi aujourd’hui… C’est rapport au stress et aux souvenirs ». Il se souvient par contre très bien de la première cassette porno qu’il a reçue, à Noël, quand il avait 6 ans, de certains viols commis par Delay, d’avoir été obligé à manger des excréments… A ce moment, certaines personnes ont du sortir de la salle, car en effet, la sincérité de Chérif ne faisait aucun doute.
Puis il en vient à Daniel Legrand, et dit qu’il le reconnait, mais le président l’interroge sur Emeline, la première fille de Thierry Delay dont il a dit qu’elle était aussi victime de Delay. Ce qu’elle a toujours nié, comme on l’a déjà vu.
Chérif explique ensuite que Daniel Legrand est lui aussi une victime de Delay, « comme eux ». De fait, puisque Daniel Legrand est jugé pour faits qu’il aurait commis alors qu’il était mineur, il serait intéressant de savoir dans quel cadre ces faits-là auraient été commis. Y avait-il un embrigadement ? Des pressions ? Juste l’attrait du shit et de l’argent ? Tout cela n’est bien-sûr qu’ interrogations.
Puis le président lui demande comment il peut affirmer que Daniel Legrand venait avec son père, et la réponse est toute simple: « il l’appelait papa ».
Puis on lit des bouts de dépositions, dans lesquelles Chérif dit que Daniel Legrand est un grand ami de Delay, qu’il l’avait déjà frappé mais ne lui avait pas fait « de manières ». C’est en effet ce qu’il a toujours maintenu. Chérif explique alors qu’il se rappelle de Daniel Legrand fils présent à une partouze qui se serait déroulée dans sa chambre.
Le président du tribunal interroge alors la partie civile, car il faut rappeler que les frères Delay ne sont pas les accusés dans cette affaire, pour lui demander si il ne trouve pas bizarre de parler de cette scène pour la première fois devant ce tribunal.
Chérif explique aussi que s’il n’a pas reconnu Daniel Legrand dans la salle au premier procès, c’est parce qu’à l’époque il était « déstabilisé » en raison de « l’environnement du procès ». Et au second procès il dit qu’il ne les a « pas regardés ». Il dit aussi qu’ « après Outreau, j’étais fatigué d’être traité de menteur‘ et puis il raconte son parcours, effectivement cahotique : viré lui aussi de son foyer le jour de ses 18 ans, il a volé, s’est mis « à picoler et à fumer », a « provoqué la police », a été condamné.
Jusqu’à la dernière condamnation, parce qu’il a été violent avec sa compagne, comme avec celle d’avant, et il a peur « de reproduire ». Lui au moins, on ne peut pas dire qu’il cherche à dissimuler les détails gênants. Il a même été « dans le déni » pendant une période, et ne voulait pas admettre qu’il a été victime.
« J’ai envie de me venger régler mes comptes mais je ne le ferai pas. J’ai décidé d’accepter que j’ai besoin de soins », a dit Chérif. Il dit qu’il ne « peut pas tout dire », sinon il va « exploser ».
Puis le président aborde la lettre dans laquelle Chérif s’accusait du meurtre d’une petite fille qu’il aurait été forcé de commettre avec une bêche, en 1998. Il avait écrit à un procureur en 2013 pour être entendu à ce sujet, suite à des crises d’angoisse et des terreurs nocturnes.
Mais, Chérif dit qu’aujourd’hui il veut revenir sur ses dépositions, car il a confondu des souvenirs avec des cauchemars: « J’ai mélangé mes cauchemars avec la réalité ».
Par contre, il dit qu’il a vu plusieurs fois dans des flashs Daniel Legrand en tant que victime et une fois comme agresseur: « Je sais que Daniel legrand est victime. Il était là et il a été victime comme moi. Il a été une seule fois agresseur » Puis l’un des avocats de la défense cherche à définir à partir de quand Daniel Legrand est devenu un agresseur, et Chérif situe la période après la coupe du monde de 98, à la rentrée. C’est à ce moment qu’il y a eu le seul viol.
Me Cormier, avocat de Jonathan, lui demande comment il fait la différence avec la réalité, et Chérif, de plus en plus mal, répond: « pour moi c’est réel mais c’est tellement gros que ce n’est pas possible ».
Il pleure à la barre et dit que « ça fait 10 ans que j’attends d’être considéré comme victime ».
Son avocat lui demande s’il accuserait quelqu’un d’innocent, et il réitère ses accusations contre Thierry Dausque, le taxi Martel, la boulangère, Alain Marécaux et Daniel Legrand. Quant à Franck Lavier, il dit que s’il en parlé à l’époque, c’est que c’était vrai, mais refuse d’aller plus loin.
Puis Me Delarue lui parle d’une déposition dans laquelle il aurait évoqué une infirmière, mais il ne s’en rappelle plus.Les avocats de la défense tentent aussi d’évoquer le désaccord entre Chérif et Dimitri au sujet des animaux de la ferme qu’ils avaient cités dans leurs dépositions: Cochons? Chevaux ? Autant d’attaques d’une mesquinerie implacable, comme lors des premiers procès.
Puis un autre avocat de Legrand commence son couplet sur « je reconnais votre souffrance », et la tension monte vite entre les avocats de la défense et ceux des parties civiles, et là dessus l’audience est suspendue jusqu’au lendemain.
A la sortie devant les médias, Me Delarue ne peut s’empêcher de taper sur on ne sait trop qui, lâchant: « A bien des égards, c’est pitoyable, pas pour ces garçons mais pour ceux qui les mènent ». Parce que, selon lui, il y a donc un complot.
Le seul à être resté impassible tout au long de la journée était Daniel legrand, qui devait recevoir son injection bi-mensuelle.