1. Me Cormier
On continue avec les plaidoiries des avocats des parties civiles, et c’est Me Cormier, avocat de Chérif, qui prend la parole en début de matinée.
On note ce jeudi matin une présence renforcée de policiers: une bonne vingtaine dans et autour de la salle. Il y avait de la tension, mais elle a été savamment distillée par la défense et par cette présence policière importante. Du côté des soutiens des frères Delay, on avait parfaitement compris qu’il ne fallait pas réagir, et tout le monde a été très sage.
Comme la veille en fin de journée, des gens ont été forcés à s’asseoir sur les bancs des parties civiles, probablement pour que les gens venus soutenir les frères Delay ne puissent pas être là comme ce fut le cas durant tout le reste du procès.
C’est dans cette ambiance assez étrange que Me Cormier entame sa plaidoirie, en mettant en garde les jurés contre le « piège médiatique » et les histoires de « sorcières de Salem » dont certains témoins de Daniel Legrand avaient parlé.
« Les enfants d’Outreau sont de vraies victimes, ils n’ont pas imaginé leurs sévices« , explique l’avocat, qui ajoute qu’on a tenté de discréditer leur parole, qu’on a « comparé cette affaire à tout et n’importe quoi« : Tchernobyl, un « naufrage« , un « désatre« …
Il rappelle que les policers de Boulogne n’avaient aucun moyen pour traiter cette affaire dans laquelle une soixantaine d’enfants et une soixantaine d’adultes ont été entendus.
Puis, il dénonce différents dogmes: que le procès ne devait pas avoir lieu, et « s‘il a lieu, alors il fallait trouver des responsables: les associations, les syndicats…« , et il demande « comment a-t-on pu ne pas audiencer le procès« , ce qui est en effet la seule vraie question à ce sujet.
Lui aussi, comme Me Reviron, évoque un « accord secret » entre la défense et le parquet, et dit que c’est un scandale: il y a eu un accord de certains avocats de la défense et c’était secret, puisque personne n’en a informé le représentant légal des enfants, ni leurs avocats.
Un terme fermement nié par les intéressés. Et le procureur Zirnheldt a dit que c’est de sa propre initiative qu’il a fait le choix de ne pas audiencer le procès de Daniel Legrand en 2006.
En tout cas, ces mêmes avocats qui étaient parfaitement au courant du non audiencement ne manquent pas de culot d’aller ensuite accuser les autres d’avoir enfin mis ce procès à l’agenda.
Me Cormier rappelle ce qui a été dit à l’époque, toutes les attaques contre les victimes, mais aussi contre le juge Burgaud et bien d’autres. Il rappelle qu’un certain Philippe Houillon, député qui a dirigé la commission d’enquête parlementaire sur Outreau, avait écrit un livre intitulé « Au coeur du délire judiciaire: ce que la commission parlementaire sur Outreau a découvert » et dans lequel il a écrit au sujet de ce procès Legrand: « on attend que les faits soient prescrits » car il ne pouvait plus bénficier d’un non-lieu, ce qui est tout de même un comble.
L’avocat en vient ensuite aux attaques médiatiques incroyables durant le procès et même avant (et après aussi), contre les associations et les citoyens qui ont osé soutenir les parties civiles dans ce procès. « Ceux qui pensaient autrement étaient des « révisionnistes », puis on a parlé de « révisionnistes judiciaires« » citant des tweets enflammés de Delarue père.
« On a voulu interdire d’évoquer les charges qui pèsent sur Daniel Legrand. J’ai eu l’impression que l’avocat général s’est même interdit d’évaluer les charges. Pas une seule question n’a été posée afin de les évaluer », insiste Me Cormier, « c’est que la décision était prise initialement« .
En cela on ne peut pas le contredire: l’avocat général n’a posé que des questions destinées à dédouanner Daniel Legrand. Pas une seule fois il n’a cherché à éclairer ses contradictions, à comprendre ses rétractations, à critiquer des témoins qui ont souvent raconté des énormités… Rien, pas une seule fois en trois semaines, ce qui en a impressionné plus d’un. On avait l’impression que l’avocat général se démenait pour éviter qu’on ne se focalise sur Daniel Legrand, dont c’était bien le procès. Il a aussi laissé venir des dizaines de témoins qui ont déclaré n’avoir jamais vu Legrand, ce qui ne laisse pas sans interroger.
Mé Cormier évoque un « parallèle inversé » avec ce qu’a fait le juge Burgaud.
« Daniel Legrand se présente à vous comme l’innocent consacré« , poursuit l’avocat, qui rappelle que la commission d’enquête parlementaire « n’a pas pris la peine de s’assurer de la légalité de son intervention » (en effet le procès Legrand n’ayant pas été arrivé à son terme, la commission était illégale car n ne peut en mettre une en place que quand un dossier est totalement terminé du point de vue judiciaire).
« On nous a répété que cette affaire était jugée, que tout avait été dit à Saint-Omer et à Paris« , mais, ajoute-t-il, « Daniel Legrand a été jugé pour des faits allant de février 1999 à juillet 2000, une période de quelques mois, et on n’a pas pu étudier les aveux d’Aurélie Grenon et David Delplanque« , qui concernaient des faits produits avant décembre 1998, quand ils se sont brouillés avec leurs voisins les Delay.
« Je suis sur qu’on a sabordé la parole de Daniel Legrand. On l’a empêché de s’exprimer« , dit le conseil de Chérif.
C’est aussi la questions que certains observateurs se sont posée, en voyant son état végétatif du matin au soir, jour après jour. Et aussi parce que si jamais devait être jugé coupable, cela remttrait en cause énormement de choses.
Me Cormier explique ensuite que contrairement à ce que beaucoup avaient l’air de croire, « les frères Delay n’ont pas pu se concerter » avant le procès, pour accabler un Daniel Legrand qu’ils n’avaient jamais vu de leur vie, car « c’est une fratrie morcelée« . Là aussi c’est vrai: ils ne se sont quasiment pas vus pendant deux ans.
Il rappelle que dès leurs premières déclaraions, les enfants enfants ont bien évoqué « des monsieurs et des madames« , en plus des quatre qui ont finalement été condamnés.
Il ridiculise aussi les propos aberrants de Van Gijseghem et Melen, les deux experts venus témoigner en faveur de Daniel Legrand: « peut-on contraindre un enfant à parler en une seule fois quand il lui faut du temps pour dire l’indiscible?« , car en effet c’est bien une des assertions de l’expert canadien Van Gijseghem (voir audience de mercredi en début d’après-midi, le compte-rendu de son audition).
Pendant ce temps-là, la femme assesseur à gauche du président continue à bâiller aux corneilles entre deux sourires narquois dont elle nous gratifie depuis les premiers jours du procès.
Me Cormier revient sur certains mensonges qui ont été répétés à l’audience, notamment quand il a été dit (et répété) que seuls quatre enfants avaient été violés à Outreau, alors qu’ils ont bien été 12 à être reconnus en tant que victimes.
Il revient sur les rétractations du couple Grenon Delplanque, comme quoi finalement, ils ne se rappelaient plus avoir violé les deux enfants de Delplanque, d’ailleurs ils ne se rappelaient plus qui les avait violés (les Delay ont été condamnés pour cela mais eux aussi avaient oublié avoir violé d’autres enfants que les leurs. Des auditions surréalistes quand on connait l’affaire, mais passons).
L’avocat explique que le couple s’est déjà rétracté, à Saint-Omer, puis a recommencé à Paris et à Rennes, et « ça a été pris pour argent comptant« . Comme tout ce qu’ont dit les acquittés, les condanés et en fait tous les témoins de Daniel Legrand.
Il rappelle que Delplanque « n’a répondu à aucune question« , que Grenon a reconnu Daniel Legrand sur photo, et que personne, même pas elle, n’a su expliquer comment elle a fait.
Elle aussi a certainement des dons de voyance, pour inventer des aveux qui correspondent exactement aux aveux des autres (qui ont déclaré eux aussi avoir tout inventé) et avec ce qu’ont déclaré plusieurs dizaines d’enfants.
Le meilleur moment étant celui où Daniel Legrand a expliqué être « rentré dans la tête de Myriam Badaoui« .
« Pourtant, ils ont très vite avoué« , insiste l’avocat.
Il revient sur le policier Masson qui a prévenu Badaoui qu’on avait trouvé deux Daniel Legrand lors des recherches menées en Belgique. « Comment fait-elle pour décrire le véhicule, l’âge de Daniel Legrand, et dire que le père et le fils ont le même nom? » demande Me Cormier.
Ce genre de détails sur lesquels l’avocat général n’est jamais revenu.
L’avocat reprend le dossier: dès le 17 décembre 2001, Badaoui dit que les faits ont commencé lors du noël 1996, ce que Chérif a confirmé (c’est le fameux noël où lui et ses frères ont reçu des cassettes pornos).
Elle avait précisé qu’à cette époque, Daniel Legrand avait 15 ans. Me Cormier revient sur les aveux, puis les rétractations de Legrand « pour le moins déroutantes« .
Le 16 novembre 2001, Legrand est mis en examen, avec une grosse erreur qui a été de ne pas mentionner de date de prévention. Pour cette raison, Legrand était libérable immédiatement car son avocat aurait pu faire annuler son mandat de dépôt.
Au début Legrand se dit innocent, puis au bout de quelques semaines, il avoue avoir participé aux faits et avoir assisté au meurtre de la petite fille.
Me Cormier rappelle que le 17 décembre, lors de la confrontation, Legrand comprend qu’il est reconnu. Et le 19 décembre, il est entendu par le juge pour interrogatoire de CV au cours duquel il était seulement question de son parcours personnel et veut faire des déclarations. « Je voudrais dire la vérité pour ne pas prendre pour les autres« , a déclaré d’emblée Daniel Legrand, tenant ensuite à s’excuser auprès des victimes.
Me Cormier souligne qu’il s’agit d’aveux « très précis« , ce qui est étrange s’il s’agissait d’une stratégie et qu’il fallait se rétracter par la suite, « cela ne correspond à aucune logique« .
« On dit que tout est la faute du juge Burgaud. C’est une vérité médiatique », dit-il encore, avant de préciser qu’il est d’accord que des erreurs ont été commises par ce « jeune juge« : « il y a eu des oublis terribles dans ce dossier« .
Au sujet de Daniel Legrand, qui a dit avoir commencé à se droguer après son acquittement, l’avocat précise que sa consommation était antérieure à l’affaire. Il avait confié à un expert qu’il a fumé du shit dès ses 15 ans, et sniffé de l’héroïne quelques années plus tard, vers ses 18 ans. Quand tout allait bien, en somme, selon la version qu’il a donnée de sa vie.
2. Me Reviron
« Vous n’êtes pas là pour plaire, ni à l’opinion publique, ni à la rumeur, ni à Daniel Legrand« , lance d’emblée l’avocat de Jonathan, « ce qui se dit devant vous, ce n’est pas ce qui se dit dans la presse, avec une violence jusqu’à la nausée« .
L’avocat faisait référence à la campagne de dénigrement de la défense, via la presse, à l’encontre de tous ceux qui critiquaient sa version des faits.
Il rappelle que les huit témoins qu’il a cités, parmi lesquels le juge Burgaud, son greffier, le journaliste Belge Georges Huercano-Hidalgo, le patron du sex shop, le surveillant de prison qui avait recueilli les « confidences » de Legrand qui déclarait soudain que ses aveux étaient bidons, tous ces témoins étaient centrés sur le dossier de Daniel Legrand.
On apprend aussi avec étonnement que Me Reviron a soutenu la demande de la défense pour faire défiler les acquittés pendant 3 jours.
« Nous ne voulons pas refaire le procès d’Outreau et vous allez devoir motiver votre décision« , dit-il aux jurés. En effet, c’est une nouveauté: désormais les décisions doivent être argumentées, alors qu’on ignore pourquoi Legrand a été condamné à Saint-Omer et acquitté à Paris, et selon me Revion « il n’aurait jamais du passer devant une cour d’assises des majeurs« .
Il considère que ce procès est un procès « où tout semble inversé ». « Je suis attaqué comme si je défensais le pire des salauds. Je n’ai jamais vu ça« , insiste Me Reviron.
« La présomption d’innocence pour Daniel legrand, elle est énorme, et puis il est bien défendu: le procès est équitable, je vous le dis« , a lancé l’avocat, « n’ayez pas peur de la vérité« .
Equitable, bof, en tout cas les droits de la défense ont été assurés.
Me Reviron explique que lui aussi a cru tout savoir de l’affaire, jusqu’à ce que Jonathan vienne le trouver et qu’il découvre « beaucoup de choses sur Daniel Legrand« .
Il revient sur différents mensonges répétés depuis 10 ans via la presse, comme cette histoire selon laquelle le « grand que je conné pas » dont parlait Dimitri dans une lette était Daniel Legrand, alors qu’on a toujours su sans aucun doute possible qu’il désignait le fils d’un des acquittés.
Ou le fait que Daniel Legrand a dit qu’il avait avoué pour être libéré: « on sait maintenant que c’est faux » puisque Legrand a lui-même donné différentes explications lors du procès de Rennes.
Quant à la rumeur selon laquelle le dossier était vide, elle ne tient pas davantage la route.
On a aussi dit que des gens manipulaient les frères Delay: Il explique que « Jonahan n’est pas influençable, malléable« , dit l’avocat,qui tient à insister sur le fait que « ici, c’est le procès de Daniel Legrand et personne d’autre« .
Parce qu’en effet, à force on s’est souvent demandé si on n’était pas au procès du juge Burgaud, d’Innocence en Danger, des « révisionnistes »… On a finalement très peu parlé de l’accusé durant ces trois semaines.
Il revient sur une série de faits importants qu’on ne peut pas nier (même si la défense et l’avocat général s’y sont attachés), comme les déclarations des Delay, des voisins, de Daniel Legrand, les accusations concernant Jean-Marc C….
Il évoque aussi les circonstances dans lequelles l’assistante maternelle de Dimitri avait recueilli ses déclarations: quand l’enfant parlait, elle se mettait à son ordinateur et notait tout ce qu’elle pouvait sans poser de question. Elle l’a bien expliqué, mais on a préféré l’ignorer.
« Outreau, ce n’est pas un inceste familial avec des voisins », rappelle Me Reviron, « Dimitri a parlé d’une dizaine de personnes ». Du moins, dans un premier temps.
« Thierry Delay s’est fait oublier, mais c’est quand-même lui le personnage principal de ce dossier. Sa stratégie a été de se taire, puis de dire qu’il ne se rappelle pas, et on sait que c’est du pipeau d’après une expertise« , dit encore l’avocat. Et justement, Delay est venu nous dire qu’il n’a violé que ses propres enfants. Alors qu’il a été condamnés pour des viols et/ou agressions sur 12 enfants.
« Pour deux enfants, Thierry Delay a été condamné seul pour viol en réunion« , précise Me Reviron.
Il revient sur l’audition de Myriam Badaoui qui « a été très émouvante et a dit à son fils d’arrêter de vivre dans le mensonge« , alors qu’elle est venue elle-mentir à la barre.
« Elle aussi minimise, parce que des enfants violés, il n’y en a plus que quatre« , puis elle a dit s’être vengée d’un médecin qu’elle a dénoncé parce qu’il n’aurait pas signalé des marques de maltraitances sur un des enfants. Or elle avait dit dans une de ses auditions que c’était un autre médecin qui avait refusé ce signalement.
L’avocat rappelle aussi qu’il n’y a jamais eu de confrontation au sujet du meurtre de la petite fille.
Aurélie Grenon elle aussi n’a parlé que de quatre victimes à Outreau, au lieu des 12 reconnues par la justice.
« Elle a dit qu’elle avait peur de Daniel Legrand, il était avec un jeune qui était surement son fils« , dit Me Reviron, reprenant les PV d’audition d’Aurélie Grenon, une autre extralucide.
Puis Grenon a reconnu Daniel Legrand père et Daniel Legrand fils sur photo « mais je ne l’ai pas vu souvent« , avait-elle précisé.
Aurélie Grenon a aussi dit qu’elle avait « suivi Myriam Badaoui », puis que c’est le juge qui lui avait « soufflé » les noms des mis en causes.
Dès la mi septembre 2001, Aurélie Grenon évoque les Legrand père et fils, elle explique un certain nombre de faits dont a ensuite parlé Legrand lors de ses aveux. Si Grenon a pu dire tout cela, c’est selon elle parce que le juge lui a soufflé les réponses.
Me Reviron évoque les déclarations de Badaoui selon lesquelles c’est le juge Burgaud qui lui avait montré les deux portraits des Legrand quand elle les avait désignés à la fin août. Mais en réalité, les photos ne sont arrivées dans le dossier que deux mois plus tard. « Vous devrez écrire que le juge Burgaud lui a donné les noms« , met en garde l’avocat, « et c’est un crime pour un juge de faire cela« .
Là aussi, Badaoui a menti. C’était d’ailleurs un sacré numéro que son audition, comme on l’a déjà dit.
Puis, Me Reviron en vient aux nombreux courriers écrits par Badaoui au juge Burgaud. La veille de l’interpellation de Daniel Legrand, c’est la première fois que le juge Burgaud montre une photo de Legrand à Badaoui. On est alors le 13 novembre. « Il montre la photo, et Myriam Badaoui se met à pleurer, et elle dit qu’il a une voiture rouge et elle le relie à Priscilla ».
La famille Legrand a nié connaître une Priscilla, pourtant il y a bien une cousine de ce nom. C’est comme le cousin Rudy, dont Daniel Legrand père ne se rapllelait pas du nom alors que toute la famille a été hébergée durant 5 mois par la mère de Rudy.
Le 13 novembre, rappelle Me Reviron, c’est aussi quelques jours après l’apparition dans le dossier de la liste de Dimitri qui mentionnait un « Dany legrand en Belgique », « qui n’a rien à voir avec « un grand que je conné pas »« , insiste l’avocat de Jonathan.
On présente une planche de photos à Myriam Badaoui, qui reconnait trois personnes dont les deux Legrand. Et l’avocat de souligner que si le juge Burgaud était machiavélique il n’aurait pas acé qu’elle avait reconnu un 3e individu.
Elle a dit qu’elle a désigné les photos au hasard. « Mais quelle probabilité y avai-il qu’on tombe sur Daniel Legrand qui a fait des travaux à la Tour du Renard en 1996?« , demande Me Reviron aux jurés.
Il continue avec sa liste de PV d’auditions, et tombe sur la cote D 1123, une audition du 17 janvier 2002 dans laquelle Badaoui parle de faits impliquant les Legrand en 1996, 1997 et 2000. « C’était très irrégulier« , avait-elle précisé.
La défense a beaucoup dit qu’il était impossible de ne pas voir un énorme kyste à l’oreille qu’avait Legrand père, et dont il a été opéré fin 1998. Mais justement, Badaoui a bien dit qu’elle ne l’avait pas vu de 1997 à fin 1998.
L’avocat redit encore qu’on n’a pas cherché le bon Daniel Legrand en Belgique car l’âge de la demande de recherches ne correspondait pas.
Il demande aussi comment Badaoui aurait pu inventer l’histoire du matelas dans le grenier de la ferme belge où se produisaient certains abus, ferme reconnue par deux de ses fils et par elle sur photo (et le matelas a été retrouvé par la police belge qui n’a pas jugé utile de le saisir ou d’y faire des analyses).
Cette ferme au n°83 a été vide pendant deux ans, mais comme les voisins ont dit qu’ils n’ont jamais vu passer de voitures immatriculées en France, on n’a pas cherché plus loin.
L’enquête concenrant la petite fille tuée a été pour le moins superficielle elle aussi, et on a cherché des disparitions de fillettes de 5 ou 6 ans, alors qu’elle a pu être plus jeune. Ou ne pas être déclarée, comme la fillette retrouvée noyée à Berck l’année dernière, qui n’avait pas d’existence légale.
Quand Jonathan a entendu parler de ce meurtre à la radio, il a dit spontanément à son assistante maternelle que c’est le père de Daniel Legrand qui l’a tuée. Il dit aussi qu’elle avait 4 ans, et on n’a pas cherché de petite fille de 4 ans, rappelle Me Reviron.
Pourtant, il a trouvé deux fillettes de 4 ans qui ont disparu: une de 3 ans, enlevée à Bruxelles le 15 décembre 1999, et une autre de 3 ans, enlevée le 26 novembre 1999 à Mons.
Tout au long du mois de janvier, Daniel Legrand fils a eu plusieurs confrontations, avec François Mourmand, Dominique Wiel, Delay et Badaoui, Martel, et après toutes ces confrontations il s’implique dans des faits très graves face à un expert qui le reçoit. Mais à ce moment, il dit avoir déclaré à sa soeur au parloir avec sa soeur qu’il était innocent.
Le jour où il se « confie » au surveillant de la prison, il vient juste de répéter dans le détail ses aveux aux juges chargés des détentions, qui l’ont cru. L’avocat rappelle aussi que Legrand n’a eu de parloir avec sa soeur que fin février, quand il a commencé à se rétracter.
Me Reviron explique ensuite que Legrand a reconnu les deux filles de Sandrine Lavier sur photo, sans les nommer mais en disant qu’elles venaient accompagnées de Sandrine Lavier, précisant que celle-ci venait aux orgies chez les Delay avec deux filles.
Là aussi, c’est le gang des extralucides. Ces deux filles ont été reconnues victimes par la justice, avant que l’une d’elles écrive au juge pour dire qu’en fait il ne s’était rien passé/
Me Reviron revient sur Jean-Marc C. dont personne n’a été en mesure d’affirmer qu’il n’a pas pu participer aux faits. Et puis il y a ce mensonge sur le fait qu’il ne pouvait pas monter les escaliers.
Dans le dossier, on voit qu’un accusé a expliqué « je ne sais pas comment il faisait pour monter les escaliers« , un autre a dit: « Myriam Badaoui et Thierry Delay lui disaient de monter pour chercher des cigarettes« .
Il y a aussi François Mourmand, rappelle Me Reviron. Le parrain de Jonathan (il disait pourtant ne pas connaître les Delay), qui était aussi le voisin de la tante de Daniel Legrand. « Pourquoi l’impliquer dans le dossier? » demande l’avocat, surtout que Legrand a bien précisé que Mourmand était agressif et dangereux.
Puis, il y a la reconnaissance de Legrand par le taxi Martel, et cette confrontation au cours de laquelle Martel maintient avoir pris Daniel Legrand dans son taxi à Outreau.
Enfin, l’avocat revient sur cette question du « réseau international« , alors qu’on parlait juste d’un couple, connecté avec des voisins et d’autres personnes, qui expédiait des vidéos pédopornographiques en Belgique notamment.
Et il termine en revenant sur l’affaire du caméscope: « Tout le monde en parle, de ce caméscope, mais on n’a retrouvé aucun film« , sauf une cassette avec les ébats de Delay et Badaoui devant leur dernier fils encore bébé. Aucune vidéo des « sorties avec les enfants » que Delay a dit filmer avec ce caméscope.
3. Me Guérin
C’est l’avocate de l’association Enfance Majuscule qui s’exprime en dernier.
Elle commence par rappeler que l’association n’a pas demandé à ce que ce procès ait lieu (de nombreuses attaques ont été portées contre les « associations » qui seraient à l’origine de ce procès).
Elle revient aussi sur la tentative des avocats de Legrand pour empêcher Enfance Majuscule d’être partie civile, en soulevant une question administrative à laquelle il a fallu répondre, ce qui a pris une bonne semaine.
« Il n’est pas question de refaire les procès d’Outreau, en dépit de ce qui a été dit et écrit« , dit l’avocate.
Elle explique que « les enfants ne parlent et ne peuvent parler que lorsqu’ils sont mis en sécurité« , ce qui explique que les accusations des enfants ont été progressives.
« Se mettre un crayon dans l’anus, cela se voit souvent chez les enfants violés« , précise Me Guérin, « et parce qu’un enfant a parlé, les autres ont pu parler« . Elle rappelle que Chérif a été placé pendant cinq ans sans pouvoir rien dire, « c’est Dimitri qui parle et libère la parole des autres« . Elle revient sur la culpabilité très forte qu’a connue Chérif, ce sentiment de ne pas avoir protégé ses frères, mais aussi une culpabilité beaucoup plus vicieuse par rapport au fait qu’il a du violer ses propres frères.
« Cela correspondait à des faits réels, et il y a eu quatre condamnations« , précise Me Guérin.
Elle évoque les « soi-disant sachants sollicités par l’avocat général pour venir vous dire tout et son contraire, pour vous expliquer cette liste et cette inflation de noms. Ce qu’il faut en retenir? Que ce ne sont pas des sciences exactes« .
Me Guérin revient sur la psychologue Mme Bonaffé qui avait entendu les enfants lors du procès de Saint-Omer, après leur passage dans le box des accusés. A ce moment, il y avait un véritable phénomène de lassitude à force de répéter les choses, de ne pas être crus, d’être attaqués parce qu’ils ne se rappelaient plus d’un détail, alors qu’on était des années après les faits.
« Les enfants peuvent cesser de parler par peur de ne pas être crus« , insiste l’avocate. Les cas de rétractations ou les enfants qui se taisent sont très nombreux.
Même Wiel, rappelle Me Guérin, a été « choqué du traitement des enfants à Saint -Omer« . « Oui les enfants peuvent se taire, mais les souvenirs restent gravés à jamais« .
Elle rappelle que « Dimitri a dénoncé « Dany legrand » » et que « ses souvenirs sont revenus par flashs, par images« , comme l’avait décri Hélène Romano au sujet de la mémoire du traumatisme.
Revenant sur les procès d’Outreau, elle demande: « Qui se rappelait de ces 12 victimes? Comment ces petits enfants ont-ils pu se rendre seuls chez les Delay?« .
« On ne se rappelle que des vies brisées des acquittés. Mais qui s’est intéressé au devenir des victimes, à leur errance au sein de l’aide sociale à l’enfance? On les a même déplacés dans des foyer pour enfants délinquants en Belgique, et on a coupé tout lien avec la famille d’accueil pour qu’il n’y ait pas de lien affectif alors que c’est primordial pour la reconstruction d’un enfant« , explique l’avocate, qui ajoute qu’ils ont été virés de leur foyer le jour de leurs 18 ans, sans papiers, sans argent.
Elle rappelle que Jonathan a dit avoir la certitude que Daniel Legrand était là lors d’orgies chez ses parents. Que Chérif se rappelle d’abord de Daniel Legrand en tant que victime, que Aurélie Grenon a reconnu avoir été victime alors qu’elle avait tout juste 18 ans, avant de devenir agresseur, que Dimitri avait bien évoque un « Dany legrand »…
Quant aux accusations de complot, de vengeance, elle explique que s’il y avait un complot on aurait des versions cohérentes entre les frères, ce qui n’est pas le cas.
« Il n’y a aucune volonté de vengeance des frères Delay à l’encontre de Daniel Legrand« , dit Me Guérin, « ils ont des accusations très modérées« .
Elle rappelle aussi que Chrérif a situé certains faits au moment de la coupe du monde 1998.
« Rien ne dit » que les frères Delay ont des souvenirs reconstruits, même si c’est le pivot de l’argumentation de la défense.
« L’argent? Ce n’est pas l’objectif des enfants Delay », dit Me Guérin. Car, cela aussi a été dit, par la défense et pas certains médias aussi. Une accusation délirante quand on voit les aumones allouées aux victimes comparées aux ennuis auxquels ils sont exposés lors des procès.
« Ils n’ont rien à gagner à ce procès à part tourner la page », conclut l’avocate.
« Il y a eu un avant et un après Outreau. Depuis, on constate une grande augmentation des classements sans suite. C’est un fait que la parole des enfants a été injustement mise en cause depuis Outreau », explique l’avocate d’Enfance Majuscule.
« Il faut rappeler aux professionnels et à tout le monde ce qu’il convient de faire et ne pas faire en matière de recueil de la parole des enfants », insiste-t-elle.
Elle évoque ensuite les expertises des Marie-Christine Gryson et Jean-Luc Viaux, au cours desquelles les enfants ont fait un récit par bribes. On retrouve des éléments d’authenticité du récit. L’avocate rappelle que Jean-Luc Viaux a dit que lorsque les images se téléscopent, qu’il y a de la confusion, c’est un élément d’authenticité du discours.