Blog Médiapart, Jacques Cuvillier Après Outreau, les coups bas

Le procès d’Outreau à Rennes est passé, l’affaire appartient maintenant à l’Histoire.

Vu son importance et les répercussions qu’elle a eu dans la société française, nul doute que cette affaire fera partie des épisodes qui donneront aux chercheurs du futur l’occasion de se pencher sur notre société actuelle, ses dysfonctionnements, ses peurs, et le déshonneur en fin de compte ne tombera pas forcément sur ceux qui l’éprouvent aujourd’hui avec un sentiment d’injustice.

Le premier épisode de cet examen après le dernier verdict sera sans doute le fait de la Cour européenne de justice.

Le procès est passé, comme une comète revenue dix ans après son premier passage, et dont la queue reste visible avec son panache de résidus vaporeux. La haine de certains articles, même dans leur côté irrationnel voire obsessionnel peut en dire long sur les motivations qui les animent.

Il est intéressant de repérer les principales cibles de défoulement de certains chroniqueurs et de s’interroger sur les raisons de cet acharnement que certains twiteurs ont pu repérer chez des gens comme Durand-Souffland, Hondelate, et d’autres. Je ne suis pas sûr que l’empathie envers le dernier accusé dans le box soit la raison qui en donne la meilleure explication. Dans tout mouvement de lynchage, c’est essentiellement la peur qui fait pointer le doigt vers le bouc émissaire, et c’est probablement là que l’explication se trouve, c’est elle qui donne à la démarche son côté irrationnel, outrancier, fantasmatique.

Un certain nombre de messages reçus par les défenseurs des victimes – la partie civile au procès – montrent clairement une haine sans arguments, mais aussi sans mesure, typique d’un comportement hystérique.

La peur c’est typiquement la mise en péril de ce à quoi l’on tient. Et à quoi tient-on le plus en général, à quoi tiennent en particulier ceux dont l’égo a pris une certaine importance ?

– L’image personnelle et tous les choix qui l’accompagnent… Que ne ferait-on pas pour les préserver ? Pour les sentir légitimes, pour faire que les traits qui les caractérisent ne soient pas hors norme… Au besoin attaquer de crainte de les sentir observés de façon critique…

– L’enjeu de rivalité… Dans le mécanisme du bouc émissaire, il y a ce que René Girard a appelé la rivalité mimétique. C’est l’autre moteur puissant du lynchage. La violence, c’est lorsque deux mains se tendent vers le même objet dit-il pour énoncer le principe qui sous-tend sa théorie. Et dans le contexte des échanges acerbes qui héritent du dernier procès, l’objet mimétique, ce serait bien l’enfant. Non que l’enfant soit objet bien sûr. Mais il est pour certains une personne dont ils sont prêts à défendre le droit et la parole, alors que d’autres préfèrent s’en méfier et le garder sous contrôle et que d’autres encore le rêvent comme un partenaire de plaisir.

Fonctionner dans cet enjeu de rivalité consiste autant à consolider sa position qu’à affaiblir celle de ses opposants réels ou supposés. A quoi bon sinon se décarcasser à peaufiner les phrases les plus agressifs, les plus offensants ? Et dans cette démarche, on peut rechercher des alliés. Amitiés et inimitiés vont fatalement s’articuler sur les personnes qui, par leurs attributs d’autorité et leurs fonctions sociales disposeront d’un pouvoir particulier.

Jadis ce pouvoir résidait essentiellement dans les autorités religieuses qui pouvaient selon leur appréciation bénir ou maudire – et dans pas mal de pays hélas, cela fonctionne encore comme cela. Dans le cas qui nous occupe, je vois clairement dans le tableau – et les articles qui paraissent le confirment – le juge et l’expert.

Les voit-on comme des arbitres, les premiers au regard de la loi disant le bon droit qui garantit l’équité, les seconds comme les dépositaires d’un savoir qui apporte l’éclairage nécessaire sur les subtilités du comportement humain ? Ce serait beau, mais chacun sait que cela ne marche pas comme cela.

Il y a à la base tout un arsenal qui est censé apporter les garanties nécessaires. Des procédures judiciaires élaborées et une jurisprudence fournie pour les hommes de loi, des connaissances scientifiques qui ne cessent de progresser – comme pour toute science – et qui en viennent à faire la jonction avec les techniques plus physiologiques du fonctionnement du cerveau grâce notamment aux progrès de l’imagerie médicale pour les psychologues… Mais il y a à côté de cela les préférences humaines qui viennent se greffer et débouchent sur des interprétations différentes, voire opposées, et vont jusqu’à dénaturer la loi aussi bien que la science dans une sorte d’imposture.

– Parce que la notion de gravité qui intervient lorsque l’application de la loi débouche sur une sanction est relative à une éthique sous-jacente, et que les notions d’éthique – tout particulièrement en matière de mœurs – ne font pas unanimité,

– Parce que l’intérêt des victimes n’est pas celui des auteurs de viols et d’abus et que la défense des victimes n’est pas prioritaire pour tous les professionnels.

On l’aura compris, le juge autant que l’expert peut être un allié ou une personne à abattre selon que leur action sera recherchée ou crainte. On voit donc apparaître deux factions. Elles n’ont rien de symétrique dans la mesure où ceux et celles qui défendent les victimes n’ont rien à gagner dans leur combat. Rien de symétrique non plus en ce sens que la loi censée protéger les victimes et la psychologie capable de révéler leur souffrance prévalent en terme d’utilité sociale.

Ceux qui veulent minimiser ou même ignorer la souffrance des victimes sont donc amenés à utiliser les procédés qu’il leur restent :

– En usant lors des procès de tous les artifices de défense possibles pour tenter de discréditer les victimes et leurs défenseurs et obtenir des acquittements,

– En tentant de discréditer les experts par des articles assassins et calomnieux

– En faisant appel à des experts connus pour leurs tendances, leur tolérance en matière de mœurs, ou leur intérêt pour les théories antivictimaires qu’ils professent comme le SAP (Syndrome d’Aliénation Parentale) ou les faux souvenirs…

– En allant jusqu’à faire tenir un rôle d’expert par des personnes sans aucune qualification. C’est le cas quand un avocat général ignare en psychologie émet son propre diagnostic. Le Rapport de la Commission parlementaire N° 3125 « Au nom du peuple français, juger après Outreau » est d’ailleurs riche en exemples montrant que n’importe quelle personne puisse poser ses propres conclusions :

« Tout à l’heure, Mme Lavier nous avait dit que certaines codétenues avaient tout de suite vu qu’elle était innocente. Leur regard était pertinent. Monsieur Lavier, pensez-vous que, dans votre cellule, vous avez vu des gens innocents ? » (Rapport de la Commission parlementaire N° 3125, P.V. de la séance du 22 février 2006)

« La première fois que j’ai vu la boulangère, j’ai immédiatement eu le sentiment que cette femme était totalement innocente. Il a suffi de l’entendre. » (Rapport de la Commission parlementaire p 373)

…seul un interrogatoire contradictoire dans un contexte où la parole de l’enfant ne recevait pas une validation systématique de l’adulte, a permis de révéler la fragilité des révélations des mineurs »(Eric Dupond-Moretti dans le Rapport de la Commission parlementaire p 75)

« J’envie la certitude de l’avocate de Karine Duchochois, qui a pu dire qu’après un quart d’heure de discussion avec sa cliente, elle savait déjà qu’elle était innocente, notamment « parce que c’était une jeune femme et qu’elle parlait bien » (Mme Pascale FONTAINE, conseillère référendaire à la cour de cassation, ancien membre de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Douai)

Donc c’est clair, pas besoin d’experts. Et si un expert dit qu’il est capable d’apporter quelque éclairage, il faut l’abattre et vite !

Dans le même ordre d’idée, on peut aussi supprimer tous ces radars routiers qui – même s’ils ont pu sauver des vies – ont eu droit à un bon caillassage de la part sans doute d’automobilistes « prudents et honnêtes » qui auraient quand-même préféré que l’on demande plutôt leur avis aux piétons sur le bord de la route, témoins qui pourraient dire « il roulait normalement » au lieu de voir leur vitesse mesurée par des appareils calibrés.

Les psychologues Hélène Romano et Marie-Christine Gryson ont eu le cran de venir à la barre en personne, l’une pour témoigner et éclairer la cour des avancées de la science en matière de mémoire traumatique, l’autre en tant qu’expert pour redonner les résultats de ses travaux en toute sincérité et sans faire de lâches concessions. Les attaques insensées contre ces personnes révèlent une attitude bien peu rationnelle et vraiment choquante de la part de leurs auteur

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