(France Inter) Pédocriminalité – Un livre révèle les abus subis par Jacques Higelin quand il était enfant

Journaliste et biographe de Jacques Higelin, Valérie Lehoux publie « Car toujours le silence tue » (Flammarion). Un livre qui révèle les viols que le chanteur a subi enfant. Elle est l’invitée de 9H10.

Avec Valérie Lehoux
Valérie Lehoux, biographe de Barbara et Jacques Higelin, publie le récit manquant qui unit dans le drame ces deux grandes âmes de la chanson française. « Car toujours le silence tue » raconte par bribes pudiques, mais décisives, l’abus dont l’enfant Jacques Higelin a lui aussi été victime.
Son « Aigle noir » à lui, sur qui il n’a jamais composé, tout juste écrit furtivement, au point que presque personne ne s’en était aperçu…

Le livre de Valérie Lehoux débute par une préface d’Arthur H, fils de Jacques Higelin
Une préface qui est en fait une chanson, « Le secret », qui figure sur son nouvel album : « J’ai fui le fantôme et baisé la mort pour célébrer la vie. Alors cette histoire, qui me tue, révèle-la, libère-moi. » Ces mots, ce sont ceux que Jacques Higelin a dit à son fils : « Arthur était au courant de cette histoire, sans vraiment que son père ne l’ai formalisée et verbalisée, mais il le savait. Jacques avait du mal à en parler, même à moi.
Puis, on a embarqué ensemble dans une aventure professionnelle commune qui a duré plusieurs mois. On s’est fréquentés pendant plusieurs années et un jour, il m’a demandé si je voulais bien écrire, avec lui, ses mémoires. Je me suis rendu compte très vite que cette histoire d’abus sexuel a commencé quand il avait environ dix ans jusqu’à ses quinze ans. Cet épisode, je n’en avais parlé à personne parce que je savais qu’à ce moment-là, il ne voulait pas, et je pense que ça a scellé la confiance qu’il m’a faite. À partir du moment où il m’a demandé de travailler sur un livre, il m’en a énormément parlé. C’était un motif tout à fait central de nos discussions, nos séances de travail. »
Une révélation qui a failli surgir plus tôt
Cette révélation, elle est au bord de surgir lors d’une interview en 2013 l’occasion des 43ᵉ journée de l’École de la cause freudienne sur les traumatismes de l’enfance. Jacques prend alors la parole : « Il y a un traumatisme, que je passerai sous silence, c’est l’attaque des pédophiles. Il faudra un bouquin pour l’expliquer. J’étais assez mignon et ils en voulaient à mon cul. J’ai même dû remettre un curé à sa place en lui disant que j’allais le dénoncer à mon père » Pour la journaliste Valérie Lehoux : « Le livre qu’on a fait ensemble est sorti en octobre 2015, trois ans avant sa mort. Il faut essayer de se remettre dans le contexte de l’époque. Aujourd’hui, on parle beaucoup de pédocriminalité, d’inceste, d’agression sexuelle, mais dans ces années-là, qui plus est de la part d’un homme de cette génération, on n’en parlait pas, juste pour resituer, #MeToo, c’est fin 2017. »
Cette confession de Jacques, émerge autour d’une conversation sur Barbara : « J’ai énormément écouté Barbara quand j’ai écrit sa biographie, j’ai sorti ce livre sur Barbara dix ans après sa mort. Jacques l’avait lu et ça l’avait beaucoup touché. Quand le public a appris que Barbara avait été victime d’inceste un an après sa mort, ça a jeté un nouvel éclairage sur son œuvre, et notamment sur la chanson « L’aigle noir ». »

Un livre que Jacques Higelin voulait publier

Dans sa biographie, Jacques Higelin écrit : « Les enfants se sentent coupables, ils se sentent salis. Je le sais, je l’ai vécu. » En 2015, lorsque est publiée cette biographie, Valérie Lehoux l’accompagne pour écrire ce secret très furtivement, comment on entrouvre une porte. Mais personne ne l’entend. Quand Jacques en fait la promo, aucun journaliste ne pose la question : « C’est pour cela qu’aujourd’hui, je fais ce livre, il m’a demandé de le faire. Je pense qu’il a voulu faire ce livre de mémoires pour partir sans ce poids, ça le tuait à petit feu. C’est quelque chose malheureusement de très commun chez les gens qui subissent ce genre d’atteintes dans l’enfance. »
L’histoire de la petite fille
Dans cette biographie parue en 2015, il raconte à la journaliste l’histoire d’une petite fille : « Un jour dans les tribunes du casino du Cirque d’hiver où Jacques Higelin chante, une petite fille attire son regard. Il s’adresse à elle devant tout le monde, il lui parle de la beauté, de l’amour et de l’amour pur qu’un jour elle rencontrera.
Il ne sait pas pourquoi le regard intense de cette petite fille l’attire, mais il sent quelque chose de très fort. Après le concert, cette petite fille est venue le voir dans sa loge, accompagnée évidemment de sa mère, et il a continué à lui parler de choses très belles.
Quelques jours plus tard, sa mère lui a écrit en lui disant que cette petite fille avait été violée quelque temps plus tôt. Depuis, elle ne parlait plus et le lendemain du concert, elle s’était remise à parler. Quand on a travaillé ensemble sur ce secret, Jacques m’a dit qu’il voulait le dire à travers le regard de cette petite fille. »
Un traumatisme qui parcourt toute l’œuvre de Jacques Higelin
Aujourd’hui, la journaliste le raconte de manière plus explicite, mais aussi par bribes, comme on remonte un souvenir. Pour elle, Jacques Higelin n’était pas son père, mais ça revenait au même. Pour la journaliste, Jacques Higelin fait référence à de nombreuses reprises à ce traumatisme de l’enfance dans son œuvre : « C’est moins flagrant que Barbara, mais ça infuse toute son œuvre. Il y a l’importance, la célébration de l’enfance, notamment dans « L’amour sans savoir ce que c’est », « L’innocence » ou encore dans « Un aviateur dans l’ascenseur ». »

Victime d’un pédocriminel en série

Dans ce livre, Valérie raconte qui est cet homme qui a abusé de Jacques Higelin, elle l’appelle Bob, comme le violeur de Laura Palmer dans Twin Peaks : « Jacques a grandi à Chelles où habitait aussi ce Bob. C’était un personnage flamboyant, connu et respecté. Un comédien, musicien, et cascadeur. Il lui a fait rencontrer les plus grands cascadeurs de l’époque. Il lui a fait faire du saut en parachute. Il lui a offert des disques, et des instruments de musique.
Il l’a amené au Casino de Paris, il a même réussi à le faire embaucher alors qu’il était gamin, sur une comédie musicale où il a rencontré Sidney Bechet, alors l’idole de Jacques. C’était un personnage qui avait une autorité artistique, quasiment paternelle, et qui avait une emprise sur lui. » Pour son livre, la journaliste enquête sur ce personnage. Elle découvre qu’il est alors en prison pour avoir monté 3615 Ados, un réseau de prostitution, d’agressions sexuelles sur de jeunes adolescents : « Il est mort maintenant, mais ça a été à un pédocriminel en série, il avait organisé l’un des premiers réseaux de pédocriminalité démantelé. »

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