(ONU) Une Rapporteuse spéciale de l’ONU recommande d’interdire l’invocation du « pseudo-concept d’aliénation parentale, non scientifique et largement réfuté »

Lire le rapport directement sur le site de l’ONU: https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G23/070/19/PDF/G2307019.pdf?OpenElement

Copie d’archive du rapport:

Nations Unies A/HRC/53/36
Assemblée générale Distr. générale 13 avril 2023
Français
Original : anglais
A/HRC/53/36
2 GE.23-06229

GE.23-06229 (F) 040523 040523
Conseil des droits de l’homme

Cinquante-troisième session
19 juin-14 juillet 2023

Point 3 de l’ordre du jour
Promotion et protection de tous les droits de l’homme, civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, y compris le droit au développement

Garde des enfants, violence contre les femmes et violence contre les enfants

Rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes
et les filles, ses causes et ses conséquences, Reem Alsalem

Résumé
Le présent rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les
filles, ses causes et ses conséquences, Reem Alsalem, est soumis au Conseil des droits de
l’homme en application de la résolution 50/7. Il porte sur le lien entre les affaires de garde d’enfants, la violence contre les femmes et la violence contre les enfants, l’accent étant mis sur l’utilisation abusive de la notion d’« aliénation parentale » et de pseudo-concepts similaires.

I. Introduction

1. Le présent rapport de la Rapporteuse spéciale sur la violence contre les femmes et les
filles, ses causes et ses conséquences, Reem Alsalem, est soumis en application de la
résolution 50/7 du Conseil des droits de l’homme. La Rapporteuse spéciale, aux côtés des
autres membres de la Plate-forme des mécanismes d’experts indépendants sur l’élimination
de la discrimination et de la violence à l’égard des femmes, a exprimé sa préoccupation face
à la tendance, constatée dans différents pays, à ne pas prendre en considération la violence
subie par les femmes au sein du couple dans les affaires relatives à la garde des enfants (1)
.
Depuis qu’elle a fait part au Brésil (2) et à l’Espagne (3) de préoccupations particulières à cet égard, la Rapporteuse spéciale a été informée que, dans d’autres pays, il y avait eu des affaires dans lesquelles ce type de violence n’avait pas été pris en compte et les femmes ayant formulé de telles allégations avaient été punies par les forces de l’ordre ou par les autorités judiciaires chargées de statuer sur la garde des enfants. La tendance à ne pas tenir compte des antécédents de violence et de mauvais traitements dans la famille dans les affaires de garde d’enfants a également été constatée dans des affaires où des mères ou des enfants eux-mêmes avaient formulé des allégations plausibles de violence physique ou sexuelle. Dans plusieurs pays, les tribunaux des affaires familiales tendent à considérer ces allégations comme des efforts délibérés de la part des mères pour manipuler leurs enfants et les séparer de leur père. Le terme « aliénation parentale » est souvent utilisé en ce sens.

2. Dans le présent rapport, la Rapporteuse spéciale se penche sur la manière dont les
tribunaux des affaires familiales des différentes régions invoquent la notion d’« aliénation
parentale » ou des pseudo-concepts similaires dans les affaires de garde d’enfants, sans tenir compte des antécédents de violence domestique, ce qui peut se traduire par une double
victimisation des personnes ayant subi ce type de violence. Elle adresse également des recommandations aux États et autres parties prenantes concernant les mesures à prendre pour remédier à cette situation.

3. Aux fins de l’élaboration du présent rapport, la Rapporteuse spéciale a invité les États
Membres, les organisations internationales et régionales, les organisations non
gouvernementales, les milieux universitaires et les victimes à lui soumettre des contributions et organisé une série de consultations en ligne avec des parties prenantes et des experts. Elle a reçu plus d’un millier de communications, dont un grand nombre de communications émanant de particuliers qui avaient été envoyées en plusieurs exemplaires, notamment par des organisations de pères. La plupart des communications provenaient du groupe des États d’Europe occidentale et autres États, suivi par le groupe des États d’Amérique latine et des Caraïbes, et la majorité portaient sur des questions systémiques et sur les effets de l’aliénation parentale.

II. Activités menées par la Rapporteuse spéciale

4. La Rapporteuse spéciale a poursuivi sa collaboration étroite avec la Plate-forme des
mécanismes d’experts indépendants sur l’élimination de la discrimination et de la violence à
l’égard des femmes et contribué au premier rapport thématique sur la dimension numérique
de la violence à l’égard des femmes.

5. Le 4 octobre 2022, la Rapporteuse spéciale a présenté à l’Assemblée générale son
rapport sur le lien entre la crise climatique, la dégradation de l’environnement et les déplacements de population qui en découlent, et la violence à l’égard des femmes et des
filles (4).

6. Le 22 février 2023, la Rapporteuse spéciale a participé à un débat sur la représentation
égale et inclusive des femmes dans les systèmes de prise de décision, organisé par le Comité
pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes à sa quatre-vingt-quatrième
session.

7. Le 6 mars 2023, la Rapporteuse spéciale a fait une déclaration à la séance d’ouverture
de la soixante-septième session de la Commission de la condition de la femme, à New York,
et participé au débat d’experts sur le thème prioritaire de la session.

8. En 2022, la Rapporteuse spéciale a effectué deux visites de pays, l’une en Türkiye, du
18 au 27 juillet (5), et l’autre en Libye, du 14 au 21 décembre (6)
. En 2023, elle s’est rendue en Pologne du 27 février au 9 mars.

III. Définition et utilisation du pseudo-concept d’« aliénation
parentale »

9. Il n’existe pas de définition clinique ou scientifique communément acceptée de
l’« aliénation parentale ». Au sens large, on entend par ce terme des actes délibérés ou
involontaires entraînant le rejet injustifié par l’enfant de l’un de ses parents, habituellement
le père7
.

10. Le pseudo-concept de l’aliénation parentale a été inventé par le psychologue
Richard Gardner, qui affirmait que les enfants se plaignant d’abus sexuels dans le cadre de
divorces très conflictuels souffraient d’un « syndrome d’aliénation parentale » causé par leur
mère, qui les avait amenés à croire qu’ils avaient été maltraités par leur père et à accuser ce
dernier de violence à leur égard8
. Gardner préconisait l’adoption de mesures draconiennes
pour remédier à ce syndrome, notamment de séparer complètement l’enfant de sa mère afin
de le « déprogrammer »
9
. Il soutenait que, plus l’enfant rejetait la relation avec son père, plus
il était prouvé qu’il souffrait du syndrome d’aliénation.

11. La théorie de Gardner a été critiquée car elle n’avait aucun fondement empirique,
comportait des affirmations problématiques concernant les abus sexuels et transformait les
accusations de violence en fausses preuves d’aliénation, ce qui, dans certains cas, a dissuadé
les enquêteurs et les tribunaux de vérifier si des violences avaient vraiment été commises10
.
Cette théorie a été rejetée par des associations de médecins, de psychiatres et de psychologues
et, en 2020, supprimée de la Classification internationale des maladies de l’Organisation
mondiale de la Santé. Néanmoins, elle a suscité énormément d’intérêt et a été largement
utilisée dans les tribunaux des affaires familiales du monde entier pour réfuter des allégations
de violence domestique et sexuelle11
.
4 A/77/136.
5 A/HRC/53/36/Add.1.
6 A/HRC/53/36/Add.2.
7 A. Barnett, « A genealogy of hostility: parental alienation in England and Wales », Journal of Social
Welfare and Family Law, vol. 42, no 1 (2020), p. 18 à 29.
8 Richard A. Gardner, The Parental Alienation Syndrome: A Guide for Mental Health and Legal
Professionals (Creative Therapeutics, Cresskill, New Jersey, 1992) et True and False Accusations of
Child Sex Abuse (Creative Therapeutics, Cresskill, New Jersey, 1992).
9 Richard A. Gardner, The Parental Alienation Syndrome and the Differentiation between Fabricated
and Genuine Sexual Abuse (Creative Therapeutics, Cresskill, New Jersey, 1987), p. 225 à 230 et
p. 240 à 242.
10 Joan S. Meier, « U.S. child custody outcomes in cases involving parental alienation and abuse
allegations: what do the data show? », Journal of Social Welfare and Family Law, vol. 42, no 1
(2020), p. 92 à 105.
11 Ibid. ; voir aussi Linda C. Neilson, Parental Alienation Empirical Analysis: Child Best Interests or
Parental Rights? (FREDA Centre for Research on Violence Against Women and Children,
Vancouver, Canada, 2018) ; Jenny Birchall et Shazia Choudhry, What About My Right Not to Be
A/HRC/53/36
4 GE.23-06229
IV. L’aliénation parentale et son lien avec la violence domestique
A. Invoquer l’aliénation parentale, un prolongement de la violence
domestique
12. La violence domestique est l’une des violations des droits humains les plus graves et
les plus généralisées, en particulier en ce qu’elle touche les femmes et les filles. Bien que les
hommes puissent aussi être victimes de violence domestique, le risque est nettement plus
élevé pour les femmes et la dynamique de la violence est différente pour les hommes12
.
Compte tenu du nombre élevé de cas de violence domestique au sein du couple 13 , la
séparation d’avec un conjoint violent peut également être une période très dangereuse pour
la victime 14
. De manière générale, les allégations de violence domestique ne sont pas
suffisamment examinées par les tribunaux 15 , qui s’appuient sur des hypothèses
problématiques, comme l’idée que le préjudice pour la mère ou l’enfant est faible et que la
violence prend fin avec la séparation 16
. De même, les conséquences de la violence
domestique et ses effets sur les enfants sont également mal compris et sous-estimés par les
juges17, qui ont tendance à privilégier et à autoriser les relations avec le père. Ce faisant, ils
manquent à leur devoir de protéger les enfants18, en permettant à des pères violents d’être en
contact avec leurs enfants sans surveillance, y compris dans des cas où des violences
physiques ou sexuelles sont avérées19
.
13. Dans les cas où les juges reconnaissent que des faits de violence domestique ont été
commis, il arrive qu’ils les considèrent comme appartenant au passé 20
. Des travaux de
recherche21 et des communications reçues montrent que des auteurs de violence domestique
peuvent aussi faire un usage abusif des procédures relevant du droit de la famille pour
continuer à violenter leurs victimes22, provoquant chez celles-ci un nouveau traumatisme.
Dans ce contexte, l’aliénation parentale peut être une tactique. Une analyse empirique portant
sur 357 affaires d’aliénation parentale, réalisée en 2018 au Canada, a montré que des faits de
violence domestique ou de maltraitance à enfant étaient allégués dans 41,5 % des cas et que,
dans 76,8 % de ces cas, l’auteur présumé des faits se disait victime d’aliénation parentale23
.
Dans une autre étude, l’aliénation parentale était mentionnée dans les 20 affaires de contrôle
Abused: Domestic Abuse Human Rights and the Family Courts (Women’s Aid Federation of England,
Bristol, 2018).
12 Marianne Hester, « Who does what to whom? Gender and domestic violence perpetrators in English
police records », European Journal of Criminology, vol. 10, no 5 (2013), p. 623 à 663.
13 D’après les estimations de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, à l’échelle
mondiale, en 2021 plus de la moitié des homicides visant des femmes ou des filles ont été commis par
le conjoint ou un membre de la famille.
14 Lynne Harne, Violent Fathering and the Risks to Children: The Need for Change (Bristol University
Press, Policy Press, 2011). Voir également la communication de Patricia Fernández.
15 Linda C. Neilson, Spousal abuse, children and the legal system, rapport final pour le Fonds pour le
droit de demain de l’Association du Barreau canadien (Université du Nouveau-Brunswick, 2001).
16 Susan B. Boyd et Ruben Lindy, « Violence against women and the B.C. Family Law Act: early
jurisprudence », Canadian Family Law Quarterly, vol. 35, no 2 (2016), p. 136 et 137. Voir aussi la
communication de la NANE Women’s Rights Association.
17 Donna Martinson et Margaret Jackson, « Family violence and evolving judicial roles: judges as
equality guardians in family law cases », Canadian Journal of Family Law/Revue canadienne de droit
familial, vol. 30, no 1 (2017), p. 11.
18 Adrienne Barnett, « Contact at all costs? Domestic violence and children’s welfare », Child and
Family Law Quarterly, vol. 26 (2014), p. 439 à 462 ; voir également J. Birchall et S. Choudhry, What
About My Right Not to Be Abused.
19 Yvonne Woodhead et al., « Family court judges’ decisions regarding post-separation care
arrangements for young children », Psychiatry, Psychology, and Law, vol. 22, no 4 (2015), p. 52.
20 Susan B. Boyd et Ruben Lindy, « Violence against women and the B.C. Family Law Act ».
21 Daniel George Saunders et Katherine H. Oglesby, « No way to turn: Traps encountered by many
battered women with negative child custody experiences », Journal of Child Custody, vol. 13, no 2-3
(2016), p. 154 à 177 ; Lynne Harne, Violent Fathering and the Risks to Children.
22 Communication du Backbone Collective.
23 L.C. Neilson, Spousal abuse, children and the legal system.
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GE.23-06229 5
coercitif et d’abus sexuels sur enfants qui étaient examinées et, même lorsqu’elle ne l’était
pas expressément, les idées sous-jacentes étaient tout de même présentes24
.
14. L’utilisation de l’argument de l’aliénation parentale est très genrée 25 et vise
généralement les mères26
. Il ressort d’une étude menée au Brésil que des femmes étaient
accusées d’aliénation parentale dans 66 % des affaires alors que des hommes étaient visés
par les mêmes accusations dans seulement 17 % des affaires, et que les hommes formulaient
davantage d’accusations infondées que les femmes27. En Italie, cette accusation a aussi été
en très grande majorité utilisée contre des mères28
.
15. Il est courant, dans le recours genré à l’accusation d’aliénation parentale, que les
mères soient décrites par leur compagnon, les tribunaux et les experts appelés à témoigner
comme cherchant à se venger et ayant perdu contact avec la réalité29. Lorsqu’une mère
s’oppose à ce que l’enfant puisse voir son père, cherche à limiter les contacts ou exprime des
préoccupations, les enquêteurs considèrent souvent qu’elle cherche à entraver la procédure
ou qu’elle a des intentions malveillantes30, ce qui s’inscrit dans une tendance généralisée à
blâmer la mère31
.
16. Les accusations d’aliénation servent souvent à prouver qu’il n’est pas dans l’intérêt
supérieur de l’enfant de confier la garde à la mère, car celle-ci ne facilitera pas la relation
avec le père32. Comme indiqué dans plusieurs communications33, la distinction entre violence
domestique et aliénation parentale est souvent floue dans les systèmes de droit de la famille,
et les victimes de violence en pâtissent. Les mères qui cherchent à protéger leurs enfants se
retrouvent dans une position injuste où, si elles insistent pour présenter des preuves de
violence domestique ou de maltraitance à enfant, cela peut être considéré comme une
tentative pour éloigner les enfants de l’autre parent, ce qui peut les amener à perdre la garde
principale de leurs enfants ou le droit de les voir34
.
17. L’invocation de l’aliénation parentale est souvent une prophétie autoréalisatrice. Dès
qu’un parent est jugé « aliénant », « implacable » ou « insuffisamment à l’écoute », ses actes
ou ses omissions peuvent être interprétés de manière biaisée35
. De ce fait, les actes de violence
domestique allégués sont uniquement considérés comme des faits isolés 36 . La violence
domestique est réduite à un conflit mineur, et les femmes et les enfants sont stigmatisés et
leur comportement pathologisé37
.
24 Pierre-Guillaume Prigent et Gwénola Sueur, « À qui profite la pseudo-théorie de l’aliénation
parentale ? », Délibérée, vol. 9 (2020), p. 57 à 62.
25 E. Sheehy et S. B. Boyd, « Penalizing women’s fear: intimate partner violence and parental alienation
in Canadian child custody cases », Journal of Social Welfare and Family Law, vol. 42, no 1 (2020),
p. 80 à 91. Voir également les communications de l’Australia’s National Research Organization for
Women’s Safety (ANROWS) et de l’Association nationale Femmes et Droit (ANFD).
26 Communication de Differenza Donna.
27 Paula Inez Cunha Gomide et al., « Analysis of the psychometric properties of a parental alienation
scale », Paidéia, vol. 26, no 65 (2016), p. 291 à 298.
28 Communication de Differenza Donna.
29 Adrienne Barnett, « Greater than the mere sum of its parts: Coercive control and the question of
proof », Child and Family Law Quarterly, vol. 29, no 4 (2017), p. 379 à 400.
30 Voir J. Birchall et S. Choudhry, What About My Right Not to Be Abused ; voir également A. Barnett,
« Contact at all costs? » (2014) et « Greater than the mere sum of its parts » (2017).
31 Patrizia Romito, A Deafening Silence: Hidden Violence against Women and Children (Bristol, Bristol
University Press, 2008).
32 Déclaration conjointe de la Plate-forme des mécanismes d’experts indépendants.
33 Communications du Victims’ Commissioner of the Greater London Authority et du SHERA Research
Group.
34 L. C. Neilson, Parental Alienation Empirical Analysis.
35 Briony Palmer, « Have we created a monster? Intractable contact disputes and parental alienation in
context », Family Law Week, Association for Shared Parenting (2017).
36 Zoe Rathus, « A history of the use of the pseudo-concept of parental alienation in the Australian
family law system: contradictions, collisions and their consequences », Journal of Social Welfare and
Family Law, vol. 42, no 1 (2020), p. 5 à 17.
37 P.-G. Prigent et G. Sueur, « À qui profite la pseudo-théorie de l’aliénation parentale ? ».
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18. Les décisions biaisées relatives à la garde des enfants peuvent avoir des conséquences
catastrophiques, comme dans les cas où des pères ayant des antécédents de violence ont
obtenu un droit de visite38 et que des enfants et des femmes ont été tués ou menacés d’une
arme à feu39. Dans certains cas, des femmes ont été emprisonnées pour avoir enfreint les
dispositions relatives au droit de garde, et des ordonnances de protection ont été annulées40
.
19. L’aliénation parentale peut avoir des répercussions importantes sur les décisions
relatives à la garde des enfants. Aux États-Unis d’Amérique, des données montrent que les
taux de perte de la garde varient énormément selon que c’est le père ou la mère qui formule
des allégations d’aliénation. Lorsqu’un père a accusé la mère d’aliénation, celle-ci a perdu la
garde de l’enfant dans 44 % des cas. En revanche, dans la situation inverse, le père ne l’a
perdue que dans 28 % des cas. Les mères étaient donc deux fois plus susceptibles que les
pères de perdre la garde de leurs enfants. Il a été estimé qu’aux États-Unis, chaque année,
58 000 enfants étaient placés dans des environnements familiaux dangereux41. Selon une
enquête menée en Nouvelle-Zélande, 55 à 62 % des mères ont déclaré avoir été accusées
d’aliénation parentale, de telles accusations ayant souvent eu pour effet de détourner
l’attention des tribunaux d’allégations légitimes de violence42
.
B. Tactiques visant à contrer les allégations de violence domestique
20. Il existe plusieurs manières de balayer et de délégitimer les accusations de violence
domestique en invoquant l’aliénation parentale :
a) Les autorités judiciaires peuvent ne pas tenir compte des antécédents de
violence domestique contre les mères et les enfants dans les décisions relatives à la garde des
enfants et au droit de visite, comme cela a été le cas par exemple au Danemark43, en Italie44
et en Ukraine45
. En Italie, il a été noté que la violence fondée sur le genre et la violence
domestique étaient invisibles dans les tribunaux civils46 et, selon un rapport de 2022, dans
96 % des séparations marquées par des faits de violence domestique, les tribunaux n’avaient
pas considéré la violence comme un argument pertinent en ce qui concernait la garde des
enfants47. Dans certains pays, comme en Hongrie48
, la violence domestique peut d’autant plus
être ignorée que les tribunaux n’ont aucune obligation légale d’examiner les antécédents de
violence ;
b) Les autorités judiciaires ne font pas l’effort d’enquêter sur les faits de violence
domestique. En 2017, au Brésil, une commission d’enquête parlementaire a constaté une
corrélation entre aliénation parentale, violence domestique et violence sexuelle. Toutefois,
des avocats et des experts défendant la théorie de l’aliénation parentale ont fait pression pour
qu’aucune mesure ne soit prise pour protéger les victimes ;
c) Il est arrivé que des tribunaux, malgré des antécédents de violence domestique,
invoquent le pseudo-concept d’aliénation parentale ou reprochent à des mères d’éloigner à
dessein les enfants de leur père, même lorsque la sécurité de la mère ou des enfants était
38 Communications de Mamy Mówią DOŚĆ et de la Women’s Aid Federation of England.
39 Communication de Mor Çatı Kadın Sığınağı Vakfı.
40 Communication de Líf án ofbeldis.
41 Joan S. Meier et Sean Dickson, « Mapping gender: Shedding empirical light on family courts’
treatment of cases involving abuse and alienation », Minnesota Journal of Law & Inequality, vol. 35,
n
o 2 (2017), p. 311 à 334.
42 Communication du Backbone Collective.
43 Communication du Landsorganisation af Kvindekrisecentre.
44 Communications de Donne in Rete contro la violenza et Pangea Foundation Onlus.
45 Communication du Centre « Women’s Perspectives ».
46 Sénat italien, Commission parlementaire (doc. XXII-BIS, n. 4).
47 Ibid. (doc. XXII-BIS, n. 10).
48 Communication de la NANE Women’s Rights Association.
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menacée. De tels cas ont été mentionnés dans des communications reçues d’organisations
d’Irlande
49
, d’Israël50
, de Türkiye 51 et d’Ukraine52 ;
d) D’après une communication reçue du Japon, même dans des cas où des faits
de violence domestique ont été reconnus, des mères ont été qualifiées d’égoïstes pour avoir
refusé d’endurer ces mauvais traitements et de se sacrifier dans l’intérêt de leurs enfants53
.
21. En ignorant ou en minimisant la violence domestique, les tribunaux nient le problème
dans leurs décisions, et présentent la violence domestique comme une exception plutôt que
comme la norme dans les affaires d’aliénation parentale.
V. Effets de l’invocation de l’aliénation parentale sur l’intérêt
supérieur de l’enfant
22. Dans un contexte de violence domestique, entendre le récit des enfants et y répondre,
afin de valider leur expérience, en veillant à prendre des décisions éclairées et à promouvoir
la sécurité et le bien-être des enfants concernés, est un devoir54
. Pourtant, des travaux de
recherche montrent que le point de vue des enfants est pris en compte de manière sélective,
selon qu’il va ou non dans le sens de la tendance dominante en faveur du maintien de la
relation avec les deux parents55
, comme en Croatie56
.
23. Les décisions relatives à la garde des enfants qui sont prises en faveur du parent qui
prétend être victime d’aliénation sans que le point de vue de l’enfant ait été suffisamment
pris en compte portent atteinte à la résilience de l’enfant, qui continue d’être exposé à un
préjudice durable. Elles peuvent aussi rompre le lien stable et sûr avec le parent non violent
qui a la charge principale de l’enfant 57
. Des communications provenant d’Australie 58
,
d’Autriche 59 , du Brésil 60 , de Colombie 61 , d’Allemagne 62 et du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord63
, évoquent le cas d’enfants qui ont été retirés au parent
qui en avait la garde principale et qui ont été forcés à vivre avec le parent violent, malgré leur
opposition. Dans d’autres communications, il est rapporté comment les services de protection
de l’enfance ont fait appliquer des ordonnances relatives au droit de visite et à la garde dans
des cas où l’enfant ne voulait clairement pas s’y soumettre64, traumatisant à la fois l’enfant
et la mère65
.
24. Des pays ont établi de bonnes pratiques axées sur la participation et l’intérêt supérieur
de l’enfant. Par exemple, le Commissaire à la violence domestique pour l’Angleterre et le
49 Communication de Women’s Aid Ireland.
50 Communication du Rackman Centre for the Advancement of the Status of Women.
51 Communication de Cemre Topal.
52 Communications du Centre « Women’s Perspectives » et du Human Rights in Democracy Centre.
53 Communication du Minato Sogo Law Office (Japon).
54 Gillian S. MacDonald, « Hearing children’s voices? Including children’s perspectives on their
experiences of domestic violence in welfare reports prepared for the English courts in private family
law proceedings », Child Abuse and Neglect, vol. 65 (2017), p. 1 à 13.
55 Louise Caffrey, « Hearing the ‘voice of the child’? The role of child contact centres in the family
justice system », Child and Family Law Quarterly, vol. 25, no 4 (2013), p. 357 à 379 ; G. S.
Macdonald, « Hearing children’s voices? ».
56 Communication de l’Autonomous Women’s House Zagreb.
57 Sandra A. Graham-Bermann et al., « Factors discriminating among profiles of resilience and
psychopathology in children exposed to intimate partner violence », Child Abuse and Neglect, vol. 33,
n
o 9 (2009), p. 648 à 660.
58 Communication de Women in Hiding.
59 Communication de Suzanne Wunderer.
60 Communications de SHERA Research Group et Paola Matosi.
61 Communications de Diana Rodríguez et du Ministère de la justice.
62 Communication de l’Association of Single Mothers and Fathers.
63 Communication du Domestic Abuse Commissioner for England and Wales.
64 Communications de Diana Rodríguez et du Ministère de la justice, de Now and others, de la
Federation of Mother and Child Homes and Shelters, de l’Association to Assist Women and Mothers
et du Diotima Centre.
65 Communication du Domestic Abuse Commissioner for England and Wales.
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pays de Galles (Domestic Abuse Commissioner for England and Wales) a élaboré des lignes
directrices concernant la façon d’aborder un enfant qui refuse d’avoir des contacts avec le
parent violent avec lequel il ne vit pas ou se montre réticent, qui mettent l’accent sur la prise
en considération des traumatismes et sur le fait que la stratégie consistant à rendre le parent
vivant avec l’enfant responsable de cette réticence peut faire partie d’un schéma de contrôle
coercitif66. En Écosse, un spécialiste des droits des enfants dans les situations de violence
domestique est chargé de s’occuper des enfants qui sont victimes de violence domestique et
fait connaître directement leur point de vue dans les affaires de contestation du droit de visite,
sans ordonnance d’un tribunal67
.
25. Au Mexique, la cour constitutionnelle est intervenue à deux reprises pour empêcher
l’adoption d’une disposition reconnaissant l’aliénation parentale, qui aurait pu amener des
parents prétendument aliénants à perdre l’autorité parentale et entraîner une violation des
droits de l’enfant dans les procédures relatives à la garde. Dans le premier cas, dans l’État
d’Oaxaca en 2016, la disposition en question a été jugée partiellement inconstitutionnelle car
elle enfreignait le principe de l’autonomie progressive de l’enfant ainsi que le droit des
mineurs à être entendu dans les procédures judiciaires68. Dans le second cas, dans l’État de
Basse-Californie en 2017, une disposition similaire a été jugée inconstitutionnelle et
invalidée au motif que la suspension ou la perte de l’autorité parentale pour cause d’aliénation
parentale allait à l’encontre de l’intérêt supérieur de l’enfant. La Cour suprême a fait observer
que la perte de l’autorité parentale ne constituait pas une mesure appropriée pour protéger les
droits des mineurs, en ce qu’elle aurait probablement des effets excessifs et injustifiés sur
l’exercice de leur droit à un développement sain et à de véritables relations avec leurs deux
parents. Elle a également souligné qu’une telle mesure pourrait avoir des effets négatifs sur
l’enfant en lui imposant des changements dans son environnement, ce qui pouvait lui causer
un nouveau traumatisme69
.
VI. Normes et pratiques internationales et régionales
A. Cadre juridique régissant les questions de garde d’enfants, y compris
le recours à l’argument de l’aliénation parentale
26. Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a constaté
que les rôles stéréotypés des femmes et des hommes se manifestaient également sous la forme
de stéréotypes et de préjugés sexistes dans les systèmes judiciaires, entravant l’accès effectif
des femmes et des autres personnes victimes de violence à la justice70. Il a prié les États de
veiller à ce que des mesures adéquates soient prises pour lutter contre les stéréotypes fondés
sur le genre. En 2014, dans la décision qu’il a rendue dans l’affaire González Carreño c.
Espagne, le Comité a recommandé que les antécédents de violence domestique soient pris en
considération lorsque les droits de visite sont établis afin que les femmes ou les enfants ne
soient pas mis en danger71
.
27. Ne pas tenir compte de la violence au sein du couple et de la violence contre les enfants
dans les décisions relatives aux droits de garde et de visite constitue une violation des droits
de l’enfant et du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’article 12 de la Convention
relative aux droits de l’enfant dispose que les États parties garantissent à l’enfant qui est
capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question
l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge
et à son degré de maturité. Il dispose également qu’on donnera à l’enfant la possibilité d’être
entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit
par l’intermédiaire d’un représentant ou d’une organisation approprié. L’article 19 consacre
le droit de l’enfant à être protégé contre toute forme de violence, d’atteinte ou de brutalités
66 Ibid.
67 Communication de Martha Scott.
68 Gouvernement de l’État d’Oaxaca, Mexique (Journal officiel de la Fédération).
69 Ibid.
70 Voir CEDAW/C/GC/33.
71 Voir CEDAW/C/58/D/47/2012.
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GE.23-06229 9
physiques ou mentales, d’abandon ou de négligence, de mauvais traitements ou
d’exploitation, y compris la violence sexuelle, pendant qu’il est sous la garde de ses parents
ou de l’un d’eux, de son ou ses représentants légaux ou de toute autre personne à qui il est
confié.
28. Les questions de la garde parentale et de son lien avec la violence contre les femmes
et les enfants sont également traitées dans des instruments régionaux relatifs aux droits de
l’homme. En application des articles 31 et 45 de la Convention du Conseil de l’Europe sur la
prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, les
autorités judiciaires sont tenues de prendre en compte les actes de violence commis contre le
parent non violent et contre l’enfant avant de rendre des décisions relatives au droit de visite
et doivent imposer des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ». Dans le cadre
des activités de surveillance qu’il a menées jusqu’à présent, le Groupe d’experts sur la lutte
contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique a souligné les forces et les
faiblesses des États parties dans l’application de ces deux articles à l’égard des victimes de
violence domestique, y compris l’invocation fréquente de l’aliénation parentale pour
minimiser les preuves de violence domestique72. Dans son troisième rapport général73, le
Groupe d’experts a recensé 12 actions transversales, dont la nécessité de « veiller à ce que
les professionnels concernés soient informés du caractère scientifiquement infondé du
“syndrome d’aliénation parentale” et [de] l’emploi de la notion d’“aliénation parentale” dans
le contexte de la violence domestique à l’égard des femmes ». Le Groupe d’experts a
également présenté des observations par écrit devant la Cour européenne des droits de
l’homme dans le cadre de l’affaire Kurt c. Autriche74, concernant le meurtre d’un garçon de
8 ans par son père, qui avait déjà été dénoncé pour violences domestiques par la mère de
l’enfant.
29. S’agissant de la Convention européenne des droits de l’homme, il a été reconnu que
la violence domestique tombait sous le coup des articles 2, 3, 8 et 14 de la Convention75 et
que qualifier des mères de parents « non coopératifs » ou les menacer de poursuites pour
enlèvement d’enfant pour s’être opposées à ce que leurs enfants voie leur père dans des cas
où celui-ci avait commis des violences constituait une infraction au droit au respect de la vie
familiale consacré par l’article 8
76
.
30. Aux termes de l’article 7 de la Convention interaméricaine pour la prévention, la
sanction et l’élimination de la violence contre la femme, les États parties condamnent la
violence à l’égard des femmes sous toutes ses formes, conviennent de mener par tous les
moyens appropriés et sans retard des politiques visant à prévenir, sanctionner et éliminer cette
violence, et s’engagent à agir avec diligence pour prévenir les actes de violence à l’égard des
femmes, enquêter à leur sujet et en punir les auteurs.
31. Enfin, le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif
aux droits de la femme en Afrique (Protocole de Maputo) dispose expressément ce qui suit,
à l’article 7 : « en cas de divorce, d’annulation du mariage ou de séparation de corps, la
femme et l’homme ont des droits et devoirs réciproques vis-à-vis de leurs enfants. Dans tous
les cas, la préoccupation majeure consiste à préserver l’intérêt de l’enfant ».
72 Conseil de l’Europe, troisième rapport général sur les activités du Groupe d’experts sur la lutte contre
la violence à l’égard des femmes et la violence domestique (2022), disponible à l’adresse suivante :
https://www.coe.int/fr/web/istanbul-convention/-/3rd-general-report-on-grevio-s-activities.
73 Ibid.
74 Requête no 62903/15.
75 Voir Opuz c. Turquie, requête no 33401/02, arrêt du 9 juin 2009 ; Talpis c. Italie, requête no 41237/14,
arrêt du 2 mars 2017 ; Kurt c. Autriche, requête no 62903/15, arrêt du 15 juin 2021 ; et Landi c. Italie,
requête no 10929/19, arrêt du 7 avril 2022.
76 Voir I. M. et autres c. Italie, requête no 25426/20, arrêt du 10 novembre 2022 ; et Bevaquca c.
Bulgarie, requête no 71127/01, arrêt du 12 juin 2008.
A/HRC/53/36
10 GE.23-06229
B. Rôle des mécanismes des droits de l’homme dans la prévention
de la violence contre les femmes et les enfants dans le contexte
de la garde des enfants
32. Plusieurs mécanismes internationaux et régionaux estiment qu’il est important de
prendre en compte les antécédents de violence domestique et l’existence de cette violence au
moment de statuer sur la garde des enfants, ainsi que de reconnaître le recours au
pseudo-concept de l’aliénation parentale comme un prolongement de la violence domestique.
Le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a rappelé qu’il
incombait à l’État de « prendre en compte les besoins spécifiques des femmes et des enfants
afin de décider de la garde d’un enfant dans des cas de violence sexiste dans la sphère
privée »
77 en « adoptant des mesures pour que la violence domestique soit systématiquement
prise en compte dans les décisions de garde des enfants »
78. En outre, le Comité a indiqué
que « les droits ou prétentions des auteurs ou auteurs présumés, pendant ou après les
procédures judiciaires, […] devraient être déterminés en gardant à l’esprit les droits
fondamentaux des femmes et des enfants à la vie et à leur intégrité physique, sexuelle et
psychologique et en cherchant à préserver l’intérêt supérieur de l’enfant »
79
.
33. En ce qui concerne le pseudo-concept de l’aliénation parentale, le Comité a formulé
un certain nombre d’observations finales dans lesquelles il a demandé aux États parties de
mettre fin à l’invocation de l’aliénation parentale dans les affaires judiciaires et de dispenser
une formation obligatoire aux membres de la magistrature sur la violence domestique,
y compris ses effets sur les enfants80
. Il s’est dit préoccupé par l’effet négatif provoqué par
les campagnes menées par les groupes de défense des droits des pères et par le discours public
concernant le syndrome d’aliénation parentale au Costa Rica et a recommandé à l’État partie
de « prendre toutes les mesures nécessaires afin de dissuader les experts et les tribunaux
d’invoquer le “syndrome d’aliénation parentale” dans des affaires relatives à des gardes
d’enfants »
81. Il a adopté une position similaire dans ses observations finales concernant la
Nouvelle-Zélande82 et l’Italie83
.
34. Le Comité des droits de l’enfant a formulé plusieurs observations générales 84
pertinentes dans le contexte du droit de la famille, en particulier sur le droit de l’enfant d’être
entendu, son droit d’être protégé contre la violence et son droit à ce que son intérêt supérieur
soit une considération primordiale. Dans une des affaires qu’il a examinées, un père
reprochait au Paraguay de ne pas avoir fait exécuter un jugement régissant les visites et les
autres formes de contact entre lui et sa fille85
. Dans une décision mitigée, le Comité a souligné
qu’il importait d’éviter les conséquences négatives associées au non-respect du jugement par
un parent qui empêcherait les contacts de l’enfant avec l’autre parent, tout en évoquant une
situation d’aliénation progressive86. Des experts ont fait observer qu’un tel diagnostic était
regrettable, soulignant que le Comité aurait dû éviter d’établir un précédent ouvrant la voie à
d’autres abus ou descriptions erronées de l’attitude des parents dans des litiges très complexes
relevant du droit de la famille87
.
35. De même, le Comité d’experts du Mécanisme de suivi de l’application de la
Convention de Belém do Pará a souligné que les États parties avaient l’obligation de prendre
toutes les mesures voulues, y compris des mesures législatives, pour modifier ou abroger les
lois et règlements en vigueur ou pour faire changer les pratiques juridiques ou coutumières
77 CEDAW/C/CRI/CO/7, par. 43 a).
78 CEDAW/C/FIN/CO/7, par. 39 c).
79 CEDAW/C/GC/35, par. 31 a) ii).
80 CEDAW/C/ESP/CO/7-8, par. 38 et 39, CEDAW/C/RUS/CO/8, par. 46 c), CEDAW/C/CAN/CO/8-9,
par. 57, et CEDAW/C/SWE/CO/10, par. 46 a).
81 CEDAW/C/CRI/CO/7, par. 43 b).
82 CEDAW/C/NZL/CO/8, par. 48 d).
83 CEDAW/C/ITA/CO/7, par. 51 et 51 a).
84 CRC/C/GC/12, CRC/C/GC/13 et CRC/C/GC/14.
85 CRC/C/83/D/30/2017.
86 Ibid., par. 8.7.
87 Voir, par exemple, l’avis de N. E. Yaksic, communication no 30/2017, N. R. c. Paraguay, Leiden
Children’s Rights Observatory, Université de Leiden.
A/HRC/53/36
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qui perpétuent la violence à l’égard des femmes et entretiennent la tolérance envers cette
violence, en particulier l’utilisation du pseudo-concept controversé de l’aliénation parentale
contre des femmes88. En 2022, le Comité et la Rapporteuse spéciale ont demandé instamment
aux États parties d’interdire expressément que le syndrome d’aliénation parentale soit
invoqué dans les procédures judiciaires, de sorte que les enfants et les mères ne se retrouvent
pas en situation de vulnérabilité 89 , ajoutant que l’invocation de ce syndrome pourrait
constituer un prolongement de la violence fondée sur le genre et engager la responsabilité
des États pour violence institutionnelle90
.
C. Application genrée de la Convention sur les aspects civils
de l’enlèvement international d’enfants
36. La Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international
d’enfants (1980) s’applique à l’enlèvement international d’enfants par un parent et prévoit
une procédure d’urgence visant à ce que, lorsqu’un enfant a été enlevé par un parent depuis
sa résidence habituelle sur le territoire d’un État partie à la Convention et déplacé à l’étranger,
il soit ramené sur le territoire d’un autre État partie à la Convention afin que les tribunaux de
cet État puissent régler le litige relatif à sa garde. Toutefois, la Convention ne mentionne pas
la violence domestique et ne prévoit pas de mesures de protection pour les mères qui en sont
victimes91. Par conséquent, une mère qui s’enfuit à l’étranger avec ses enfants s’expose à être
traitée par un tribunal, au titre de la Convention, comme un parent ayant commis un
enlèvement d’enfant.
37. Près des trois quarts des poursuites engagées au titre de la Convention de La Haye
visent des mères, dont la plupart fuient pour échapper à des violences domestiques ou
protéger leurs enfants contre de mauvais traitements92. L’article 13 de la Convention dispose
que les autorités ne sont pas tenues d’ordonner le retour d’un enfant s’il existe un « risque
grave » que l’enfant en question soit exposé à un danger. Néanmoins, les tribunaux se
montrent peu enclins à accepter l’exposition à la violence domestique comme un motif pour
ne pas renvoyer les enfants dans un autre État partie. Dans certains cas, des tribunaux ont
ordonné le retour d’enfants dans leur pays de résidence habituelle même après avoir établi
que les intéressés avaient subi des violences
93
, obligeant fréquemment des femmes et des
enfants à se retrouver de nouveau dans des situations de violence où leur vie était en danger94
.
Les femmes migrantes qui essaient de rentrer dans leur pays d’origine pour bénéficier du
soutien de leur famille sont confrontées à d’autres obstacles encore si elles sont renvoyées de
force en raison d’accusations d’enlèvement d’enfant95
.
38. Il arrive néanmoins que des tribunaux prennent en compte la violence familiale et
domestique dans l’interprétation et l’application de la Convention de La Haye. Par exemple,
la Cour d’appel de Nouvelle-Zélande a jugé que le passé de la mère en tant que survivante
d’actes de violence familiale et domestique comme son avenir potentiel en Australie étaient
des éléments pertinents dans l’interprétation de l’exception relative à un risque grave et a
refusé d’ordonner le retour de l’enfant96
.
88 Déclaration conjointe du Comité d’experts du Mécanisme de suivi de l’application de la Convention
de Belém do Pará et de la Rapporteuse spéciale, publiée le 12 août 2022, disponible à l’adresse
suivante : https://www.ohchr.org/sites/default/files/documents/issues/women/sr/2022-08-
15/Communique-Parental-Alienation-EN.pdf.
89 Ibid.
90 Ibid.
91 Adriana De Ruiter, « 40 years of the Hague Convention on child abduction: legal and societal
changes in the rights of a child », Parlement européen, novembre 2020.
92 Conférence de La Haye de droit international privé, septième réunion de la Commission spéciale sur
le fonctionnement pratique des Conventions Enlèvement d’enfants de 1980 et Protection des enfants
de 1996 (octobre 2017).
93 Communication confidentielle de la France.
94 Communication du University College London.
95 Communication confidentielle de la France.
96 Cour d’appel de Nouvelle-Zélande, Lrr c. Col, CA743/2018, [2020] NZCA 209.
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39. Pour remédier aux lacunes de la Convention de La Haye, l’Australie a adopté une loi
imposant aux tribunaux de prendre en considération les allégations de violence familiale et
domestique avant d’ordonner le retour d’enfants au titre de la Convention97
.
VII. Lien entre l’invocation de l’aliénation parentale et les abus
sexuels sur enfants
40. Le lien entre le pseudo-concept d’aliénation parentale et les abus sexuels sur enfants
ressort clairement de l’origine du premier et de la fréquence des seconds dans le contexte de
la violence domestique. Tout en reconnaissant que les allégations d’abus sexuels sur enfants
étaient fréquentes dans les conflits liés à la garde d’enfants, Gardner soutenait que nombre
d’entre elles étaient fausses et qu’elles étaient inventées par la mère de l’enfant pour que
celui-ci rejette son père98
. En faisant de la mère une menteuse qui exerce une « violence
psychologique » sur ses enfants, la théorie de l’aliénation parentale détourne l’attention du
tribunal de la question du comportement potentiellement violent du père pour la faire porter
à la place sur les mensonges ou le délire supposés de la mère ou de l’enfant99
.
41. La façon dont le syndrome d’aliénation parentale est utilisé par des hommes pour
mettre à mal des accusations de violences physiques, sexuelles ou psychologiques par des
moyens légaux est traitée dans les communications de l’Argentine, de Bolivie (État
plurinational de), du Brésil100, de la Colombie101, de l’Islande102, du Mexique, de Puerto Rico
et de l’Uruguay103. Une communication de la France104 décrit des cas dans lesquels des mères
ont signalé des abus sexuels, qui ont été confirmés par des examens psychologiques, et les
enfants ont malgré tout été confiés à la garde du père (qui était l’auteur des faits) après qu’il
a invoqué l’aliénation parentale.
42. Des auteurs d’abus sexuels sur enfants ont invoqué l’aliénation parentale pour freiner
ou entraver les progrès en matière de protection des droits des enfants victimes ou remettre
en cause leur légitimité105. Au Brésil106, la reconnaissance de l’aliénation parentale dans la
législation107 et l’imposition de sanctions pour des faits d’aliénation parentale ont facilité
l’utilisation de ce concept par la défense dans des affaires d’abus sexuels.
VIII. Effets disproportionnés sur les femmes issues de groupes
minoritaires
43. Les femmes appartenant à des groupes minoritaires se heurtent à des obstacles
supplémentaires, notamment des difficultés d’accès à la justice et des stéréotypes négatifs,
dans le contexte de l’utilisation du pseudo-concept d’aliénation parentale 108 . Une étude
menée au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord a montré que les femmes
afro-caribéennes estimaient que les juges étaient moralisateurs et déconnectés de la réalité,
et que les femmes originaires d’Asie du Sud et les femmes afro-caribéennes subissaient les
pressions des travailleurs sociaux désignés par le tribunal, qui leur demandaient de donner
une chance à leur compagnon, même lorsque celui-ci avait à de nombreuses reprises montré
97 Gouvernement australien, « Ensuring family safety in Australian Hague Convention cases »
(12 décembre 2022).
98 R. A. Gardner, The Parental Alienation Syndrome.
99 Joan S. Meier, « Getting real about abuse and alienation: A critique of Drozd and Olesen’s decision
tree », Journal of Child Custody, vol. 7, n
o 4 (2010), p. 228 et 229.
100 Communication de Cláudia Galiberne Ferreira.
101 Communications de Diana Rodríguez et Alexandrea Correa.
102 Communication de Líf án ofbeldis.
103 Communication d’Equality Now et al.
104 Communication confidentielle de la France.
105 Communication de Carlos Rozanski.
106 Communication de Cláudia Galiberne Ferreira.
107 Loi n
o 12.318 du 26 août 2010.
108 Communication de Women against Violence Europe.
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qu’on ne pouvait pas lui faire confiance et qu’il avait été condamné à des peines de prison109
.
La plupart des femmes ont déclaré qu’elles avaient vécu cela comme un nouveau traumatisme
et s’étaient senties « fortement dénigrées, rabaissées et pas vraiment entendues » par les
professionnels110
.
44. D’après les communications reçues, en Italie, la victimisation secondaire touche
principalement les victimes de la traite et les migrantes 111 . Ces dernières sont souvent
considérées comme de mauvaises mères, incapables de protéger leurs enfants et de s’occuper
d’eux, et leurs enfants sont souvent placés dans des foyers collectifs 112. En Irlande, les
migrantes en couple avec une personne d’origine irlandaise font également face à des
obstacles113. Au Portugal, les migrantes sont accusées d’aliénation parentale tandis que les
femmes instruites ne sont pas perçues comme pouvant être victimes de violence
domestique114. En Autriche115 et au Japon116
, l’obstacle de la langue et la précarité du statut
migratoire rendent les mères migrantes particulièrement vulnérables. Au Royaume-Uni, les
vulnérabilités multiples liées à la race, au handicap, au statut migratoire et à la sexualité
aggravent les difficultés auxquelles les femmes victimes de violence domestique se heurtent
dans les affaires de garde d’enfants117. Les femmes structurellement désavantagées risquent
plus que les autres de se voir retirer la garde de leurs enfants ou d’être jugées sévèrement sur
leurs capacités en tant que mères118. En Nouvelle-Zélande, les femmes maories sont plus
susceptibles que les autres de signaler une intervention des services de la protection de
l’enfance dans des procédures relevant du tribunal des affaires familiales119. De plus, les
résultats d’enquêtes indiquent que les femmes appartenant à une minorité sont victimes de
discrimination et d’une combinaison de sexisme, de racisme et de validisme120
.
IX. Utilisation généralisée du concept d’aliénation parentale
dans les systèmes de justice
45. Le pseudo-concept d’aliénation parentale et des concepts similaires sont largement
utilisés dans différentes juridictions. En 2010, le Brésil a adopté la loi n
o 12.318, qui définit
expressément l’aliénation parentale (art. 2) et prévoit des sanctions pour les actes considérés
comme relevant de celle-ci (art. 6), qui peuvent prendre la forme d’un avertissement pour le
parent aliénant, d’un renforcement des contacts entre le parent aliéné et l’enfant, d’une
amende pour le parent aliénant, de l’inversion des modalités de garde ou encore de la
suspension de l’autorité parentale pour le parent aliénant.
46. D’autres juridictions font usage de concepts équivalents comme « situation hautement
conflictuelle »
121 , « manipulation parentale »
122 , « intolérance à l’attachement »
123 ou
« difficultés relationnelles entre parent et enfant »
124 . Aux États-Unis, l’invocation de
109 Ravi K. Thiara et Aisha K. Gill, « Domestic Violence, Child Contact and Post-Separation Violence:
Issues for South Asian and African-Caribbean Women and Children » (Londres, National Society for
the Prevention of Cruelty to Children, 2012).
110 Ibid.
111 Communication de Donne in Rete contro la violenza.
112 Communication de Fondazione Pangea Onlus.
113 Communication de SiSi.
114 Communication de Dignidade et al.
115 Communication de Suzanne Wunderer.
116 Communication du Minato Sogo Law Office.
117 Communication de la Women’s Aid Federation of England.
118 Communications d’AVA (Against Violence and Abuse) et du Women’s Resource Centre.
119 Communication de Auckland Coalition for the Safety of Women and Children.
120 Communication du Backbone Collective.
121 Communications de Dignidade et al. et de SiSi.
122 Communication du Gouvernement portugais.
123 Communication de l’Institut allemand des droits de l’homme.
124 Comme indiqué dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (4e
édition) de
l’American Psychiatric Association ; voir aussi Morgan Shaw et Robert Geffner, « Alienation and
reunification issues in family courts: Theory, research, and programs in child custody cases », Journal
of Family Trauma, Child Custody and Child Development, vol. 19, n
o 3-4 (2012), p. 203 à 213.
A/HRC/53/36
14 GE.23-06229
l’aliénation parentale dans les tribunaux des affaires familiales a gagné en légitimité avec
l’introduction de deux nouveaux diagnostics dans le Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux, à savoir « enfant exposé à une détresse relationnelle parentale » et
« violence psychologique sur enfant », qui sont utilisés par les professionnels prosyndrome
d’aliénation parentale pour caractériser l’aliénation125 . Bien que les termes d’aliénation
parentale ou de syndrome d’aliénation parentale ne figurent plus dans le manuel, plusieurs
de ses auteurs ont indiqué que le diagnostic de détresse relationnelle parentale couvrait une
variété de comportements et de situations relevant de l’aliénation parentale126
.
47. Au Portugal 127 , le terme de divorce hautement conflictuel serait un euphémisme
servant à désigner l’aliénation parentale, et, en Islande, celle-ci est désormais légalement
définie comme le fait d’« entraver les contacts »
128. En Nouvelle-Zélande, d’autres termes
tels que résistance-refus, enchevêtrement, manipulation ou embrigadement d’un enfant,
restriction des contacts et anxiété maternelle excessive sont utilisés dans le cadre d’une
« stratégie de déni plausible » visant à ouvrir la porte au pseudo-concept d’aliénation
parentale129. En Italie, l’aliénation parentale a laissé la place à de nouveaux termes qui
recouvrent le même pseudo-concept130, bien que la Cour suprême du pays ait remis en
question sa validité et qu’il ait été rejeté par la Société italienne de psychologie et par le
Ministère de la santé131
.
48. À ce jour, l’invocation de l’aliénation parentale est expressément interdite dans un
seul pays, l’Espagne, où l’utilisation de tels pseudo-concepts théoriques est prohibée au motif
qu’ils n’ont aucun fondement scientifique 132
, ces concepts étant expressément désignés
comme relevant de la « pseudoscience »
133. Malgré cette interdiction, et contrairement aux
lignes directrices que donnent la législation et le Conseil général du pouvoir judiciaire
espagnol134, l’aliénation parentale est encore utilisée pour justifier des décisions rendues dans
des affaires de garde d’enfants135
.
49. La situation est la même en Colombie, où, en dépit des orientations données par le
Conseil général du pouvoir judiciaire, qui déconseille l’invocation de l’aliénation parentale
dans des affaires de violence fondée sur le genre136
, la Cour suprême de justice a rendu des
décisions qui vont dans le sens de cette théorie, notamment dans des affaires dans lesquelles
des femmes qui ont porté plainte pour des abus sexuels commis sur leurs enfants ont été
dépeintes comme souffrant de troubles mentaux ou accusées d’avoir fait de fausses
accusations. Le concept d’aliénation parentale a aussi été utilisé pour établir qu’un parent,
généralement la mère, violait le droit de l’autre parent à communiquer avec l’enfant, comme
cela a pu avoir lieu en Grèce137, en Italie138 et en Espagne139
.
125 William Bernet et al., « Parental alienation, DSM-5, and ICD-11 », American Journal of Family
Therapy, vol. 38, n
o 2 (2010), p. 76 à 187.
126 Ibid.
127 Communication de Dignidade et al.
128 Communication de Líf án ofbeldis.
129 Communication du Backbone Collective.
130 Communication de Fondazione Pangea Onlus.
131 CEDAW/C/ITA/CO/7, par. 51 et 52.
132 Projet de loi organique pour la protection des enfants et des adolescents contre la violence (proyecto
de ley orgánica de protección integral a la infancia y la adolescencia frente a la violencia).
133 Communication d’Equality Now et al. La majorité des communications reçues dans le cadre de la
préparation du rapport font la même analyse, et une petite minorité est en désaccord ; voir les
contributions de : the Parental Alienation Study Group, the Global Action for Research Integrity in
Parental Alienation, Stan Korosi (Dialogue-in-Growth), the International Council on Shared
Parenting, We are Fathers, We are Parents Forum et Recover our Kids.
134 Communications de Cristina Fernández, Patricia Fernández et Bárbara San Pedro.
135 AL ESP 3/2020.
136 Communications de Diana Rodríguez et du Ministre colombien de la justice.
137 Communication du Diotima Centre.
138 Ann Lubrano Lavadera et al., « Parental alienation syndrome in Italian legal judgments: An
exploratory study », International Journal of Law and Psychiatry, vol. 35, n
o 4 (2012), p. 334 à 342.
139 Glòria C. Vila, « Parental alienation syndrome in Spain: opposed by the Government but accepted in
the Courts », Journal of Social Welfare and Family Law, vol. 42, n
o 1 (2019), p. 45 à 55.
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50. Certains systèmes obligent également les parents ayant la garde principale des enfants
à faciliter le contact avec l’autre parent. En Allemagne, il existe une présomption légale selon
laquelle le maintien du contact entre les deux parents est généralement dans l’intérêt
supérieur de l’enfant, mais elle s’accompagne d’une clause de bonne conduite disposant que
les deux parents doivent s’abstenir de tout acte qui porterait atteinte à la relation de l’enfant
avec l’autre parent, et adopter une attitude positive au sujet du contact140. Cette présomption
joue cependant contre les victimes de violence domestique, en ce que toute manifestation
d’un manque de tolérance à l’attachement qui serait lié à cette violence peut avoir des
répercussions sur l’attribution de la garde. En Grèce, le parent est tenu de faciliter et de
soutenir le maintien de contacts réguliers entre l’enfant et l’autre parent, ce qui revient à faire
passer les contacts avant la sécurité, et les mères qui n’obtempèrent pas s’exposent à de
lourdes amendes et à des peines de prison141. Des peines similaires auraient été imposées en
Croatie142, en Islande143, en Irlande144 et en Espagne145. En Angleterre et au pays de Galles,
une présomption légale impose aux tribunaux de considérer qu’après une séparation, il est
dans l’intérêt supérieur de l’enfant que ses deux parents soient présents dans sa vie146
. Il
apparaît que les juridictions inférieures appliquent cette approche dans des affaires de
violence domestique, ce qui incite les mères à accepter les contacts
147
.
51. Dans certains systèmes juridiques, la notion d’aliénation parentale est utilisée par des
évaluateurs rémunérés par des fonds publics. Par exemple, en Angleterre et au pays de Galles,
les services de conseil et d’appui des tribunaux des affaires familiales, qui fournissent à
ceux-ci des rapports indépendants concernant l’intérêt supérieur de l’enfant, utilisent
l’expression « comportements aliénants »
148 pour décrire des situations dans lesquelles un
parent (ou une autre personne ayant la charge de l’enfant) présente un ensemble systématique
d’attitudes, d’opinions et de comportements négatifs qui pourraient avoir pour effet de saper
ou d’entraver la relation de l’enfant avec l’autre parent ou visent expressément un tel but. Un
tel comportement est une des raisons pour lesquelles un enfant peut refuser de passer du
temps avec un de ses parent à la suite d’une séparation149
.
52. D’autres juridictions ont réagi de manière plus prudente face aux tentatives visant à
incorporer formellement le pseudo-concept d’aliénation parentale dans leur système
juridique, en menant des recherches plus poussées sur le sujet ou en appliquant le droit des
droits de l’homme dans le cadre de son adoption. Après une enquête approfondie, le
Département de la Justice du Canada a conclu que l’utilisation de qualifications et de termes
comme « syndrome d’aliénation parentale » ne faisait qu’envenimer le conflit entre les
parents et ne permettait généralement pas la prise en compte des besoins et des souhaits de
l’enfant. Il a également noté que toutes les personnes qui intervenaient dans de telles affaires
avaient tendance à accoler ces étiquettes à toutes les situations survenant dans les séparations
conflictuelles150
. En 2021, le Gouvernement irlandais a commandé des recherches sur les
approches utilisées en matière d’aliénation parentale dans d’autres juridictions, et a annoncé
140 Communication de l’Institut allemand des droits de l’homme.
141 Communication du Diotima Centre.
142 Communication de l’Autonomous Women’s House Zagreb.
143 Communication de Líf án ofbeldis.
144 Communication de SiSi.
145 Communication confidentielle de l’Espagne.
146 Voir la loi de 1989 relative aux enfants, art. 1 (par. 2 a)).
147 Felicity Kaganas, « Parental involvement: a discretionary presumption », Legal Studies, vol. 38, n
o 4
(2018), p. 549 à 570.
148 Lorsqu’un enfant s’oppose à son parent ou le rejette, il convient de commencer par chercher si des
violences domestiques ou d’autres pratiques parentales néfastes peuvent expliquer ce comportement.
149 Services de consultation conseil et d’appui des tribunaux des affaires familiales, « Alienating
behaviours: What are alienating behaviours? »,disponible à l’adresse suivante :
https://www.cafcass.gov.uk/grown-ups/parents-and-carers/divorce-and-separation/what-to-expectfrom-cafcass/alienating-behaviours/.
150 Gouvernement canadien, « Gérer les difficultés de contact : une approche axée sur l’enfant », modifié
le 22 décembre 2022, disponible à l’adresse suivante : https://www.justice.gc.ca/fra/pr-rp/lffl/famil/2003_5/p2.html.
A/HRC/53/36
16 GE.23-06229
une consultation ouverte visant à déterminer s’il était nécessaire de modifier la législation
et/ou les politiques151
.
53. En ce qui concerne les meilleures pratiques visant à lutter contre les effets néfastes de
ces approches, l’Australie a annoncé mettre fin à la règle par défaut du partage égal des
responsabilités parentales, qui peut s’avérer injuste et compromettre la sécurité des enfants.
La loi proposée remplacerait la procédure actuelle par une procédure reposant sur six facteurs
à prendre en considération pour déterminer l’intérêt supérieur de l’enfant : la sécurité de
l’enfant et de la personne qui en a la responsabilité ; l’opinion de l’enfant ; les besoins de
l’enfant ; l’intérêt du maintien d’une relation avec chaque parent et avec d’autres proches,
lorsque cela peut se faire en toute sécurité ; la capacité de chaque parent à répondre aux
besoins de l’enfant ; tout autre facteur pertinent152
.
54. De son côté, la Cour suprême italienne a déclaré que la garde exclusive d’un mineur
ne pouvait être décidée sur le seul fondement d’un diagnostic de syndrome d’aliénation
parentale ou d’un syndrome de « mère malveillante », et que les juges devaient vérifier le
fondement scientifique de tout avis ne relevant pas de la médecine conventionnelle153
.
X. Problèmes systémiques
A. Inégalités de genre dans la législation et dans les systèmes juridiques
55. Certains systèmes juridiques n’ont pas encore éliminé les inégalités de genre et la
discrimination fondée sur le genre dans leur législation et leurs politiques. En Iraq, par
exemple, les victimes de violence domestique ne bénéficient d’aucune protection juridique,
bien qu’un projet de loi à ce sujet soit à l’étude depuis 2020. Dans des affaires de garde
d’enfants, un père peut porter plainte contre une mère qui empêcherait son enfant de le voir,
et un mandat peut être délivré contre elle, mais un père qui empêcherait un enfant de voir sa
mère ne s’exposerait pas aux mêmes conséquences.
56. L’absence de définition claire de la violence domestique peut également poser
problème, comme c’est le cas dans la Fédération de Russie154. Le Gouvernement a cessé ses
travaux visant à remédier au manque de clarté du droit de la famille, au nom du droit des
parents à la vie privée et de leur liberté d’élever leurs enfants dans le respect de leurs
convictions, qui sont des préoccupations également exprimées par l’Église orthodoxe russe.
En 2017, la violence domestique a été partiellement dépénalisée et ne relève désormais du
Code pénal que si la victime est hospitalisée.
57. Dans les États où le système du droit de la famille est pluraliste, les femmes peuvent
subir des désavantages systémiques. Dans certains pays, en application des lois religieuses,
la garde des enfants est automatiquement confiée au père quelles que soient les
circonstances155. Lorsque des femmes ont la garde de leurs enfants, elles peuvent la perdre si
elles se remarient, enfreignent les normes sociales, ou sont à l’origine de la séparation. Dans
de pareils cas, la décision finale en matière de garde revient aux tribunaux religieux et aux
chefs religieux. Même s’il arrive qu’ils entendent l’enfant, ils ne prennent pas forcément son
opinion en considération, et peuvent même parfois aller à son encontre. Bien qu’il soit
difficile de réformer le droit de la famille lorsqu’il est fondé, au moins en partie, sur le dogme
religieux, des avancées significatives ont eu lieu dans certains pays comme l’Égypte, la
Jordanie et l’État de Palestine, où l’âge minimum du mariage a été relevé à 18 ans et où les
deux parents ont les mêmes droits à la garde des enfants.
151 Gouvernement irlandais, « Open consultation on parental aliénation », publié le 27 mai 2022,
disponible à l’adresse : https://www.gov.ie/en/consultation/c7235-open-consultation-on-parentalalienation/?referrer=http://www.justice.ie/en/JELR/Pages/Parental_Alienation_Consultation.
152 Gouvernement australien, « Consultation on Exposure Draft – Family Law Amendment Bill 2023 ».
153 Cour suprême italienne, 24 mars 2022, affaire n
o 9691.
154 Communication de Stichting Justice Initiative.
155 Communication de Action by Churches Together (ACT Alliance).
A/HRC/53/36
GE.23-06229 17
B. Rôle de l’évaluateur dans les tribunaux des affaires familiales
58. L’aliénation parentale et les autres pseudo-concepts du même type sont profondément
enracinés dans le système juridique, y compris dans le travail des évaluateurs chargés de
réaliser des rapports sur l’intérêt supérieur de l’enfant pour les tribunaux des affaires
familiales (psychiatres, psychanalystes, psychologues et travailleurs sociaux). Le concept
d’aliénation parentale est utilisé dans le cadre de formations et diffusé par des réseaux
professionnels et, plus récemment, par des revues scientifiques. Son application est facilitée
par le manque de formation formelle des professionnels du système judiciaire, et par le lien
entre les allégations d’aliénation parentale et la dynamique de la violence domestique.
59. Lorsque deux parents sont en conflit, les tribunaux des affaires familiales consultent
souvent des spécialistes de l’enfance indépendants avant de rendre leur décision. Si la
décision finale revient au président du tribunal, les recommandations de l’évaluateur pèsent
dans la balance et, dans la pratique, la plupart des juges les suivent. Selon des
communications reçues, en Finlande, la majorité des allégations d’aliénation parentale sont
formulées dans les rapports de travailleurs sociaux 156 . En Italie, les tribunaux suivent
généralement dans leurs décisions les suggestions des experts techniques ou des
psychologues qu’ils ont nommés, sans étudier de manière critique leurs rapports, ce qui mène
souvent à une décision de partage de l’autorité parentale, sans que soient pris en compte de
potentiels antécédents de violence157
.
60. Il arrive que les fonctionnaires et les institutions publiques qui participent à
l’évaluation de l’intérêt supérieur des enfants aient été formés par des partisans du concept
d’aliénation parentale ou qu’ils subissent leur influence158. Par exemple, en Pologne, le
Comité de protection des droits des enfants a organisé une formation professionnelle de deux
jours sur le thème « Reconnaître et gérer les cas d’aliénation chez les enfants et dans leur
famille »
159. En Irlande, des psychologues et des psychothérapeutes ont été formés à interagir
avec des enfants en situation d’aliénation et leur famille. Au Brésil, le Conseil national de
justice dispense des cours sur l’aliénation parentale aux membres des autorités judiciaires
ainsi qu’à d’autres personnes, dont des femmes et des mères qui sont parfois forcées d’y
assister par décision de justice160
.
61. Certains évaluateurs se présentent ouvertement comme des spécialistes de l’aliénation
parentale et sont nommés dans des affaires pertinentes, et ce alors que, dans de nombreuses
juridictions, ce pseudo-concept n’est pas officiellement reconnu161
. Des préoccupations ont
également été exprimées au sujet des preuves fournies par des experts non qualifiés et ne
faisant l’objet d’aucun contrôle, qui pour certains semblent « abuser de leurs fonctions à des
fins pécuniaires ou politiques »
162
. Ainsi, les tribunaux civils et rabbiniques d’Israël ont
tendance à confier le diagnostic et la thérapie aux mêmes experts, malgré le conflit d’intérêts
engendré, ce qui peut inciter les experts, motivés par des raisons financières, à poser un
diagnostic d’aliénation parentale pour pouvoir recommander une thérapie à long terme163
.
Ces experts font subir aux adultes et aux enfants des examens psychologiques intrusifs,
inappropriés et constituant un nouveau traumatisme, et se montrent méprisants et
moralisateurs envers les victimes de violence domestique164
. En outre, ils recommandent des
solutions qui peuvent ne pas être compatibles avec le bien-être et les droits de l’enfant,
156 Communication de la Federation of Mother and Child Homes and Shelters.
157 Communication de Donne in Rete contro la Violenza.
158 Communications d’Association PEND Slovenia et Mamy Mówią DOŚĆ.
159 Voir : https://www.familyseparationclinic.com/about-1/news-and-media/.
160 AL BRA 10/2022.
161 Communications du Monash Gender and Family Violence Prevention Centre et de Differenza Donna.
162 Communications du Victims’ Commissioner of the Greater London Authority, du SHERA Research
Group, de Protect Children Now et de Women’s Aid (Irlande).
163 Communications du Rackman Centre for the Advancement of the Status of Women.
164 Communications de la Women’s Aid Federation of England ; Differenza Donna ; NRPF Network ;
Líf án ofbeldis ; Women’s Resource Centre ; Protect Children Now et Minato Sogo Law Office.
A/HRC/53/36
18 GE.23-06229
comme le transfert de la garde165 et le recours à des centres et des thérapies de réunification166
,
dans le cadre desquels les enfants sont retenus contre leur volonté et incités à rejeter
l’influence du parent dont ils sont les plus proches
167
.
62. L’aliénation parentale est sans aucun doute un domaine d’activité lucratif qui permet
aux experts de fournir leurs services dans des procédures familiales contre rémunération. Les
programmes de formation et les conférences qui fleurissent dans le monde entier depuis vingt
ans représentent une autre source de revenus168
. Cela pourrait expliquer en partie pourquoi
des ouvrages et articles universitaires rejettent la critique du concept d’aliénation parentale
et tentent de discréditer les recherches qui mettent en évidence le lien entre aliénation
parentale et violence domestique 169 , et montrent notamment comment un contexte de
violence domestique augmente le risque d’allégations d’aliénation parentale 170
. Des
universitaires notent avec préoccupation que des revues scientifiques reconnues dans le
domaine de la psychologie publient des articles mettant en avant la notion de
« comportements aliénants » sans appliquer la rigueur scientifique habituelle lors de
l’examen par les pairs, ou en refusant le droit de réponse aux auteurs dont les études sont
critiquées171
.
63. En réponse à ces problèmes, le Conseil de la justice familiale d’Angleterre et du pays
de Galle et la Société britannique de psychologie ont publié des lignes directrices conjointes
concernant la soumission de rapports d’experts aux tribunaux des affaires familiales, selon
lesquelles tous les experts concernés devraient être enregistrés auprès de deux associations
professionnelles spécifiques172
. Dans un mémorandum173
, le Président de la division familiale
de la Haute Cour de justice a rappelé aux juges que les experts ne devraient aider le tribunal
à prendre une décision que lorsque cela s’avérait nécessaire. En outre, le Conseil a créé un
groupe de travail sur la suite à donner aux allégations de comportements aliénants, qui a
publié en 2022 des orientations provisoires concernant le recours à des experts agissant en
qualité de témoins dans les affaires où de telles allégations sont formulées, l’accent étant mis
sur les conflits d’intérêts. Il recommande aux tribunaux de faire preuve de prudence en ce qui
concerne les services de diagnostic et de traitement proposés par un même prestataire ou de
prestataires qui sont liés. Le Président n’a cependant pas interdit le recours aux experts non
rattachés à des associations professionnelles, et a indiqué que le besoin de rendre rapidement
une décision justifiait de nommer un psychologue non accrédité174
.
165 Stephanie Dallam et Joyanna Silberg, « Recommended treatments for ‘parental alienation syndrome’
may cause children foreseeable and lasting psychological harm », Journal of Child Custody, vol. 13,
n
o 2-3 (2016), p. 134 à 143.
166 Suzanne Chester, « Reunification, alienation, or re-traumatization? Let’s start listening to the child »,
Journal of Family Trauma, Child Custody & Child Development, vol. 19, n
o 3-4 (2022), p. 359 à 382.
167 Jean Mercer, « Are intensive parental alienation treatments effective and safe for children and
adolescents? », Journal of Child Custody: Research, Issues and Practices, vol. 16, n
o 1 (2019), p. 67 à
113 ; S. Dallam et J. L. Silberg, « Recommended treatments for ‘parental alienation syndrome’ ».
168 Voir par exemple formations en ligne payantes ci-après : https://parentalalienation.eu/training-forprofessionals/ ; https://paawareness.co.uk/parental-alienation-online-training-courses/ ; et
https://datalawonline.co.uk/cpd-courses/children-law-courses/parental-alienation-and-hostility-case.
169 Voir Jennifer Harman et Demosthenes Lorandos, « Allegations of family violence in court: How
parental alienation affects judicial outcomes », Psychology, Public Policy and Law, vol. 27, n
o 2
(2021), p. 187 à 208, et la réponse : Joan S. Meier et al., « The trouble with Harman and Lorandos’
parental alienation allegations in family court study », Journal of Family Trauma, Child Custody &
Child Development, vol. 19, n
o 3-4 (2022), p. 295 à 317.
170 Simon Lapierre et al., « The legitimization and institutionalization of ‘parental alienation’ in the
Province of Quebec », Journal of Social Welfare and Family law, vol. 42, n
o 1 (2020), p. 30à 44.
171 Consultations d’experts menées par la Rapporteuse spéciale.
172 Family Justice Council et British Psychological Society, « Psychologists as expert witnesses in the
family courts in England and Wales: Standards, competencies and expectations », réédité en mai
2022.
173 Royaume-Uni, Courts and Tribunals Judiciary, « President of the Family Division’s memorandum:
Experts in the Family Court », publié le 11 octobre 2021.
174 Haute Cour de justice d’Angleterre et du pays de Galles, Re C (« Parental Aliénation » ; Instruction of
Expert) [2023] EWHC 345 (Fam).
A/HRC/53/36
GE.23-06229 19
C. Comportement des membres de l’appareil judiciaire
et des professionnels du droit
64. Des victimes de violence ont indiqué s’être senties rabaissées par les juges et les
professionnels du droit, et avoir subi une victimisation secondaire de la part de professionnels
qui ne comprenaient pas les effets et les dynamiques de la violence domestique175. Des
recherches mettent en évidence l’amertume des femmes face à des juges qui se montrent
compréhensifs à l’égard de pères violents, et à des professionnels qui se laissent manipuler
par des auteurs de violences qui savent les charmer et se montrent sous leur meilleur jour176
.
Des victimes de violence domestique indiquent également avoir l’impression que les parents
ne sont pas traités de la même façon par les tribunaux et les professionnels, qui attendent des
mères qu’elles soient calmes et arrangeantes tout en tolérant les comportements agressifs des
pères177
.
65. Des femmes ont également rapporté que leurs avocats leur avaient conseillé de ne pas
formuler d’allégations de violence domestique car cela se retournerait contre elles178. Des
travaux de recherche et des communications provenant notamment d’Allemagne et du
Royaume-Uni 179 indiquent que les tribunaux et les avocats exercent une pression
considérable sur les femmes pour qu’elles acceptent que le père ait le droit de visite ou pour
qu’elles participent à une médiation, parfois sans que la question du bien-être des enfants soit
examinée ou sans que les enfants soient consultés180. En Hongrie, les femmes qui ne sont
montrent pas assez coopératives lors des sessions de médiation doivent payer des frais181
.
66. En 2020, la Cour suprême d’Israël a établi un protocole temporaire devisant à
accélérer le travail des tribunaux dans le cadre d’actions en justice visant à garantir le
maintien de la relation parent-enfant, même lorsque la sécurité de l’enfant pourrait être
menacée. Cependant, dans la pratique, ce protocole est appliqué presque exclusivement dans
des affaires liées à des allégations d’aliénation parentale182
.
67. Les communications de l’Allemagne 183 , de l’Irlande 184 et de l’Italie 185 montrent
clairement que les membres de l’appareil judiciaire et les professionnels du droit ont besoin
de suivre des formations pour acquérir des compétences spécialisées186. En Australie, comme
suite à la fusion en 2021 du tribunal des affaires familiales et d’un tribunal fédéral général au
sein du Tribunal de circuit fédéral, il n’existe plus de tribunal spécialisé en droit de la famille,
et les questions relevant de ce domaine sont traitées par des juges qui peuvent ne pas avoir
reçu de formation spécialisée en matière de violence familiale187
.
68. En ce qui concerne les bonnes pratiques, le Conseil de l’Europe a élaboré plusieurs
formations gratuites disponibles dans plusieurs langues concernant notamment la justice
adaptée aux enfants, les droits de l’homme et le droit de la famille, destinées aux
175 Voir J. Birchall et S. Choudhry, What About My Right Not to Be Abused ; voir également les
communications du Rackman Centre for the Advancement of the Status of Women et du National
Research Organization for Women’s Safety (Australie).
176 M. Coy et al. (2015), « ‘It’s like going through the abuse again’: domestic violence and women and
children’s (un)safety in private law contact proceedings », Journal of Social Welfare and Family Law,
vol. 37, n
o 1, p. 53 à 69.
177 Voir J. Birchall et S. Choudhry, What About My Right Not to Be Abused.
178 Ibid., p. 24. Voir aussi la communication du Monash Gender and Family Violence Centre.
179 Communications du University College London Institute for Risk and Disaster Reduction Policy
Brief Group 1, de Dignidade et al., de Women at the Centre et de l’Institut allemand des droits de
l’homme.
180 L. Harne, Violent Fathering and the Risks to Children.
181 Communication de la NANE Women’s Rights Association.
182 Communication du Rackman Centre for the Advancement of the Status of Women, faculté de droit de
l’Université Bar Ilan.
183 Communication de l’Institut allemand des droits de l’homme.
184 Communication de Protect Children Now.
185 Communications de Donne in Rete contro la violenza et Fondazione Pangea Onlus.
186 Communication du National Collective of Independent Women’s Refuges.
187 Communication du Monash Gender and Family Violence Centre.
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professionnels du droit spécialisés dans le droit de la famille et dans les affaires de violence
domestique188
.
69. En Allemagne, les juges aux affaires familiales et les tuteurs ad litem de mineurs sont
tenus d’avoir des connaissances approfondies sur les effets de la violence sur les enfants et
sur la pseudo-théorie de l’aliénation parentale189. En Angleterre et au pays de Galles, le
Commissaire à la violence domestique a lancé un projet de suivi des tribunaux des affaires
familiales visant à assurer un contrôle et des retours réguliers sur les décisions rendues par
ces tribunaux dans des procédures de droit privé liées à des affaires de garde d’enfants
190
.
D. Insuffisance de l’aide juridictionnelle et coût des procédures de droit
de la famille
70. La participation aux procédures de détermination des modalités de garde et de visite
est coûteuse et l’absence de représentation en justice constitue un désavantage structurel,
notamment pour les victimes de violence domestique. Les femmes défavorisées sur le plan
socioéconomique ont, au mieux, un accès limité à la justice et à l’aide juridictionnelle191. Il
peut être très difficile de s’orienter dans le système du droit de la famille, notamment lorsque
certains pans de celui-ci ne sont pas harmonisés ou fonctionnent de façon contradictoire192
.
Dans plusieurs pays, les départements d’un même système ont adopté des approches
différentes et ne communiquent pas toujours entre eux, avec pour résultat des décisions
incompatibles et contradictoires193
.
71. Un accès restreint à l’aide juridictionnelle peut causer un nouveau traumatisme chez
les victimes. En Angleterre et au pays de Galles, des lois ont supprimé cette aide pour la
majorité des questions relevant du droit privé de la famille194
. Leurs règlements d’application
définissent des critères en fonction desquels les victimes de violence domestique peuvent
recevoir une aide à condition qu’elles fournissent certaines pièces195. Cependant, des études
ont montré que 40 % des femmes n’avaient pas bénéficié de conseils juridiques et n’avaient
pas été représentées en justice dans des affaires de droit de la famille196
.
72. Les victimes qui ne peuvent payer les services d’un conseil sont poussées à accepter
un règlement à l’amiable ou une médiation. En Nouvelle-Zélande 197 , les femmes sont
désavantagées dans les procédures relevant du droit de la famille. Cependant, des initiatives
se mettent en place pour remédier à ces problèmes. En Écosse, la branche de Women’s Aid
à Édimbourg a mis en place un projet pilote d’un an visant à fournir gratuitement conseils et
soutien juridiques à des victimes de violence domestique dans des affaires civiles.
XI. Conclusion et recommandations
73. Le présent rapport montre comment des auteurs de violences utilisent le
pseudo-concept d’aliénation parentale, non scientifique et largement réfuté, dans le
cadre de procédures relevant du droit de la famille pour continuer à commettre des
188 Formation HELP du Conseil de l’Europe, disponible à l’adresse suivante :
https://help.elearning.ext.coe.int/.
189 Communication du Gouvernement allemand.
190 Communication du Domestic Abuse Commissioner for England and Wales.
191 Communication de Women against Violence Europe.
192 Marianne Hester, « The three planet model: Towards an understanding of contradictions in
approaches to women and children’s safety in contexts of domestic violence », British Journal of
Social Work, vol. 41, n
o 5 (2011), p. 837 à 853. Voir aussi la contribution du Monash Gender and
Family Violence Centre.
193 Contribution de Women against Violence Europe.
194 Loi de 2012 sur l’aide juridictionnelle, les condamnations et les peines.
195 Civil Legal Aid (Procedure) Regulations, 2014.
196 Rights of Women, « Evidencing domestic violence: nearly 3 years on », document de travail (2014),
disponible à l’adresse suivante : https://rightsofwomen.org.uk/wp-content/uploads/2014/09/
Evidencing-domestic-violence-V.pdf.
197 Communications du National Collective of Independent Women’s Refuges et de SiSi.
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GE.23-06229 21
violences et maintenir leur emprise et pour contrer les allégations de violence
domestique formulées par des mères qui cherchent à protéger leurs enfants. Il montre
également comment le maintien de force de relations entre un enfant et son ou ses
parents et la priorité qui est donnée à ces relations, même lorsqu’il existe des preuves
de violence domestique, bafouent le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant. Il arrive
que la garde des enfants soit confiée à un parent violent, même s’il existe des preuves
d’antécédents de violence domestique et/ou sexuelle, essentiellement en raison d’un
manque de formation, de préjugés reposant sur le genre ou de l’absence d’appui
juridique. Les risques sont encore plus grands pour les femmes appartenant à des
groupes socialement marginalisés. Le rapport passe en revue les problèmes systémiques
qui représentent des obstacles supplémentaires à l’accès à la justice. Il importe que les
juges et les évaluateurs cessent de se concentrer sur l’identification de comportements
non reconnus par la psychologie et mettent plutôt l’accent sur les faits et les situations
propres à chaque affaire.
74. Sur la base de ces observations, la Rapporteuse spéciale recommande :
a) Que les États légifèrent pour interdire l’invocation de l’aliénation
parentale ou de pseudo-concepts du même type dans des affaires relevant du droit de
la famille, et le recours à de prétendus experts en aliénation parentale ou autres
pseudo-concepts du même type ;
b) Que les États s’acquittent des responsabilités et des obligations positives
mises à leur charge par le droit international des droits de l’homme en créant des
mécanismes permettant d’assurer un suivi régulier afin de contrôler l’efficacité des
systèmes de justice familiale pour les victimes de violence domestique ;
c) Que les États fassent en sorte que les membres de l’appareil judiciaire et
les autres professionnels du droit suivent une formation obligatoire sur les préjugés
fondés sur le genre, les dynamiques de la violence domestique et le lien entre allégations
de violence domestique et allégations d’aliénation parentale et autres pseudo-concepts
du même type ;
d) Que les États publient et appliquent des consignes spécifiques destinées
aux membres de l’appareil judiciaire en ce qui concerne la nécessité d’étudier chaque
affaire en se basant sur les faits et de déterminer avec équité, en se fondant sur tous les
éléments de preuve à leur disposition, quelle décision est la plus susceptible d’assurer le
bien-être de l’enfant ;
e) Que les États mettent en place des réseaux d’experts financés par des
fonds publics qui conseillent les tribunaux au sujet de l’intérêt supérieur de l’enfant, et
que ces experts reçoivent régulièrement une formation sur les dynamiques de la
violence domestique et leurs effets sur les victimes, y compris les enfants ;
f) Que les États dressent et tiennent à jour une liste d’experts agréés en
matière de droit de la famille, mettent en place un mécanisme de plainte officiel et
établissent un code de conduite exécutoire couvrant les conflits d’intérêts et la
certification des compétences nécessaires pour exercer dans le domaine ;
g) Qu’aucune évaluation ne soit réalisée lors de procédures relevant du droit
de la famille sans que soient prises en compte les procédures pénales ou les procédures
de protection de l’enfance pertinentes ;
h) Que toute allégation ou preuve de violence domestique ou sexuelle à
l’égard d’adultes ou d’enfants soit clairement mentionnée dans les évaluations et, si
l’octroi d’un droit de visite ou de garde est recommandé, qu’il soit clairement expliqué
pourquoi ces allégations ou preuves ont été mentionnées ;
i) Que les États élaborent à l’intention des membres de l’appareil judiciaire
des directives définissant les situations dans lesquelles il peut être fait recours à des
experts en dehors des systèmes financés par des fonds publics dans des affaires relevant
du droit de la famille, et qu’ils veillent à ce que les experts nommés soient qualifiés et
accrédités ;
A/HRC/53/36
22 GE.23-06229
j) Que des formations obligatoires portant sur le lien entre allégations
d’aliénation parentale, violence domestique et abus sexuels soient dispensées à tous les
professionnels du droit de la famille ; ces formations devraient aussi viser à lutter contre
les stéréotypes de genre et faire mieux comprendre les normes juridiques concernant
les violences faites aux femmes et aux enfants à cet égard ;
k) Que la Convention de La Haye sur les aspects civils de l’enlèvement
international d’enfants soit révisée de manière à ce qu’elle protège mieux les femmes et
les enfants victimes de violence en permettant de mieux s’opposer à un retour dans les
cas où des actes de violence familiale et domestique sont commis, compte tenu du fait
qu’une décision imposant le retour d’un enfant peut revenir à obliger une personne
survivante de violences à s’exposer de nouveau à des violences et à des atteintes, et que
les tribunaux compétents pour examiner des affaires au titre de la Convention soient
tenus de prendre en compte les faits de violence familiale et domestique dans
l’interprétation et l’application de ses dispositions ;
l) Qu’il soit interdit d’envoyer des enfants dans des « centres de
réunification » sur décision de justice ;
m) Que les États veillent à ce que les enfants soient représentés par un conseil
distinct de celui de leurs parents dans toute procédure litigieuse relevant du droit de la
famille ;
n) Que les États veillent à ce que des enquêtes soient menées sur l’utilisation
du pseudo-concept d’aliénation parentale et des concepts du même type lorsque cela est
nécessaire ;
o) Que les États fassent en sorte que l’enfant soit suffisamment représenté,
de manière indépendante, dans les procédures relevant du droit de la famille et, si
possible, qu’il puisse participer à ces procédures, compte tenu de son âge, de son degré
de maturité et de son niveau de compréhension, et qu’ils veillent à l’application de
toutes les garanties et obligations prévues dans la Convention relative aux droits de
l’enfant198 ;
p) Que tous les organismes et composantes du système judiciaire, des services
sociaux et des services de lutte contre la violence domestique travaillent ensemble plutôt
qu’isolément, et que des mécanismes de coopération institutionnelle obligatoires ou des
structures judiciaires intégrées assurent une bonne coordination entre le système pénal,
les services de protection de l’enfance et le système du droit de la famille ;
q) Que l’aide juridictionnelle soit plus largement accessible à toutes les
parties à des procédures relevant du droit de la famille, afin de garantir l’égalité des
moyens ;
r) Que des données ventilées soient recueillies, notamment sur la proportion
de faits de violence domestique dans les affaires relevant du droit de la famille et sur les
caractéristiques des demandeurs et des défendeurs dans ces affaires, y compris le genre,
la race, le sexe, la religion, le handicap et l’orientation sexuelle ;
s) Que les États mettent en place des mécanismes de suivi afin d’évaluer les
effets particuliers qu’ont les politiques et procédures relatives au droit de la famille sur
les femmes appartenant à des groupes marginalisés.
198 Voir D. Martinson et R. Raven (2021), « Implementing Children’s Participation Rights in All Family
Court Proceedings », Family Violence and Family Law Brief, n
o 9, Vancouver (Canada), FREDA
Centre for Research on Violence against Women and Children.

Notes :

(1) AL BRA 10/2022 et AL ESP 3/2020. Ces communications et toutes les suivantes sont disponibles à l’adresse suivante : https://spcommreports.ohchr.org/Tmsearch/TMDocuments. Voir également la déclaration conjointe de la Plate-forme des mécanismes d’experts indépendants sur l’élimination de la
discrimination et de la violence à l’égard des femmes, du 31 mai 2019, disponible à l’adresse suivante : https://rm.coe.int/final-statement-vaw-and-custody/168094d880.

(2) AL BRA 10/2022.

(3) AL ESP 3/2020 et AL ESP 6/2021.
A/HRC/53/36
GE.23-06229 3

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