Dans une lettre publiée par le journal Télérama, Adèle Haenel explique les raisons qui la contraignent à tourner le dos au Septième art pour « se mettre en grève et rejoindre ses camarades […]».
Le cinéma et elle, c’est fini. Adèle Haenel quitte les plateaux de tournage pour de bon. Dans une lettre publiée par le journal Télérama dans le cadre d’une enquête qui lui est consacrée, l’ex-actrice explique les raisons de son départ, définitif : « J’ai décidé de politiser mon arrêt du cinéma pour dénoncer la complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels et, plus généralement, la manière dont ce milieu collabore avec l’ordre mortifère écocide raciste du monde tel qu’il est. » Rare dans les médias depuis le fulgurant Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma, elle s’est déjà illustrée par de percutantes prises de positions pour dénoncer les violences sexistes et sexuelles commises et systématisées au sein du 7ème Art.
En 2019, dans les colonnes de Mediapart, elle accusait le réalisateur Christophe Ruggia de lui avoir fait subir des « attouchements » et du « harcèlement sexuel permanent » lorsqu’elle était adolescente, entre ses 12 et 15 ans. Les faits se seraient produits dans le cadre de la tournée promotionnelle du film Les Diables, sorti en 2002, réalisé par le cinéaste et dans lequel l’actrice faisait ses premiers pas devant les caméras. En 2020, autre tornade : l’actrice « se lève et se casse », pour reprendre la formule de Virginie Despentes, en pleine cérémonie des César. Cette année-là, l’Académie des César décerne à Roman Polanski, accusé d’agressions sexuelles, viols et pédocriminalité par de nombreuses femmes, le prix de la meilleure réalisation pour son film J’Accuse. Adèle Haenel laisse exploser sa légitime colère et dénonce la complaisance du milieu envers les coupables et les accusés.
À l’essence de la cancel culture
Depuis, on l’a vue militer sur le front de plusieurs manifestations, pour la défense de l’écologie, contre les violences racistes ou policières, contre la réforme des retraites, contre les violences faites aux femmes et pour les droits des personnes lgbtqia+++, notamment. Adèle Haenel est devenue une championne des luttes dites intersectionnelles, pour le progrès social et les droits humains. Dans sa ligne de mire : le capitalisme. Un système pérennisé, selon elle, par des « larbins du capital agrippés à leurs coupes de champagne rosé » qui « se donnent la main pour sauver la face des Depardieu, des Polanski, des Boutonnat » et sont « incommodés » par les prises de parole des victimes : « Ils préféraient qu’on continue à disparaître et crever en silence », écrit-elle dans sa lettre.
Le dernier projet auquel elle a participé était le documentaire primé Retour à Reims, dans lequel elle jouait les voix off. Elle avait aussi renoncé à tourner dans un film de science-fiction pour Bruno Dumont, dont l’univers lui rappelait un peu trop celui, bien réel, des coulisses du cinéma : « C’était un monde sombre, sexiste et raciste qui était défendu [dans le scénario] », expliquait-elle dans le magazine allemand FAQ.
Plus question pour elle de céder à la banalisation de la violence cinéma : « Face au monopole de la parole et des finances de la bourgeoisie, je n’ai pas d’autres armes que mon corps et mon intégrité, affirme-t-elle dans la lettre publiée par Telerama. De la cancel culture au sens premier : vous avez l’argent, la force et toute la gloire, vous vous en gargarisez, mais vous ne m’aurez pas comme spectatrice. Je vous annule de mon monde. Je pars, je me mets en grève, je rejoins mes camarades pour qui la recherche du sens et de la dignité prime sur celle de l’argent et du pouvoir. »