En janvier, le journal a publié l’interview confuse du top model.
«Le cri de détresse d’un grand top model.» Tel est le titre très accrocheur monté à la une par le journal VSD, dans son édition du 3 au 9 janvier. Le grand top model n’est autre que Karen Mulder, 33 ans, icône des années 90, très appréciée en France pour ses participations à la tournée des Enfoirés. Dans l’entretien qu’elle a accordé à l’hebdomadaire, le mannequin d’origine hollandaise égrène une litanie d’épisodes qu’elle aurait vécus. Tous plus douloureux les uns que les autres: abus sexuels pendant la petite enfance, viols répétés commis par son entourage et des personnalités du show-biz.
Cas d’école. Problème, cet entretien à base de viols, drogue, et omerta dans le monde glamour des people, restera comme un cas d’école: celui de troubles psychiatriques livrés en pâture sur la place publique. Ainsi, Karen Mulder se dit entre autres victime d’un «complot qui concerne le gouvernement et la police». Et poursuit: «Regardez, là, en face, chez les voisins, ce n’est pas le système d’arrosage qu’ils ont, c’est pour prendre du son. On m’a fait des trucs hypnotiques, par exemple l’eau qui coule tout le temps, les oiseaux. On a essayé de me kidnapper, de m’empoisonner», déclare-t-elle. Incompréhensible? Oui. Chacune de ces phrases porte la marque de souffrances (lire ci-dessous). Tous les noms ont été supprimés, mais les photos accompagnant l’article suggèrent les présumés coupables.
Dans un petit texte de présentation, l’hebdomadaire justifie pourtant la publication de cet entretien début janvier, en agitant le spectre d’un internement abusif, orchestré par l’entourage de la jeune femme qui, sous couvert de la faire soigner, l’aurait fait enfermer pour la faire taire: «VSD réalise son interview le samedi 3 novembre, chez elle. Quelques heures plus tard, elle sera hospitalisée à la demande de sa soeur, elle-même mannequin chez Elite, avec l’accord d’un de ses parents et de l’un de ses proches. On nous assure que Karen était consentante et qu’elle peut sortir quand elle le souhaite. Comme ce séjour se prolonge, nous avons décidé de publier l’entretien.» Le magazine est le seul à avoir osé le faire.
Rumeurs de censure. L’«affaire Mulder» débute en fait le 31 octobre dernier. Ce jour-là, le mannequin arrive défaite à l’enregistrement de l’émission de Thierry Ardisson, Tout le monde en parle (France 2). «Au bout de cinq minutes, raconte Ardisson, j’ai compris qu’elle était malade. J’ai arrêté l’interview et avec Michèle Cotta (directrice générale de France 2, ndlr) et Catherine Barma, la productrice, nous avons décidé de ne pas la diffuser, quitte à être accusés de censure. Ça aurait été un superscoop: elle a travaillé à l’agence Elite et ça chauffe avec eux. Il y avait peut-être des choses vraies dans son témoignage. Mais il était évident qu’elle n’était pas dans son état normal. Au moment de partir elle m’a dit: « Vous aussi, vous faites partie du complot. »»
La cassette de cette intervention aurait été détruite. Mais des personnes présentes dans le public lancent la rumeur de censure. L’Internet vibre d’anecdotes rapportées, diffamatoires et invérifiables.
Trois jours plus tard, Philippe Berti, un journaliste pigiste, rencontre la jeune femme. Il propose ce document à la quasi-totalité de la presse people. Paris Match et Entrevue n’en veulent pas. VSD, si. Et là, «tous les verrous ont sauté, note un avocat spécialiste de la presse. La santé relève de la vie privée. L’obligation de prudence du journaliste? Il y a des propos hallucinants. Sa bonne foi? Elle est inexistante quand il publie en janvier une interview faite en novembre, en sachant que la personne a été hospitalisée trois jours après, en raison des troubles que ces propos manifestent!»
«Elle était émouvante.» VSD s’appuie par ailleurs sur l’ouverture d’une information judiciaire pour asseoir ses «révélations». Oubliant que lorsque des accusations de viol ou de pédophilie sont portées, le déclenchement de ce type de procédure est désormais quasi automatique. Et que cela ne préjuge en rien des résultats de l’enquête, qui, en tout état de cause, reste confidentielle afin de protéger les éventuelles victimes. «J’avais obtenu d’Axel Ganz (propriétaire de VSD, ndlr) la promesse qu’il respecterait Karen Mulder. Faire de l’argent sur la maladie d’une personne est honteux. C’est mon amie, elle est en clinique», s’insurge pour sa part Jean-Yves Le Fur, patron de presse et proche de la jeune mannequin.
«On n’est pas psychiatres. J’ai écouté plusieurs fois la cassette. On n’a pas affaire à une folle qui voit des papillons roses sur les murs, mais à une personne détendue qui entremêle ses propos avec des incises paranos. Elle dit elle-même qu’elle n’est pas folle!», plaide Jean-Paul Cruse, chef du service investigation de VSD. Philippe Berti, qui a réalisé l’entretien, n’en doute pas. «C’est elle qui m’a appelé, elle était émouvante. Je lui ai relu ses propos et elle m’a supplié de les publier disant qu’Ardisson l’avait trahie. Il y a deux ans, j’ai publié les confessions de Marie Laforêt et aujourd’hui, elle m’en remercie!», assure-t-il. Seulement, si Marie Laforêt était apte à juger de ses déclarations, Karen Mulder ne semblait pas l’être.
ECOIFFIER Matthieu
Source: http://www.liberation.fr/medias/2002/01/12/affaire-karen-mulder-vsd-cree-la-polemique_390104