L’inceste est de retour dans le code pénal. Le 12 mai, l’Assemblée nationale a adopté un amendement à la proposition de loi sur la protection de l’enfance pour réintroduire ce crime dans la loi. Que cela va-t-il changer ? Pas énormément de choses, mais c’est tout de même une avancée, explique la psychiatre Muriel Salmona.
Le 12 mai 2015, l’inscription de l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal a été adoptée par l’Assemblée nationale. L’article 22 de la proposition de loi sur la protection de l’enfance crée une sur-qualification d’inceste qui ne modifie pas les peines en se superposant aux incriminations pénales déjà existantes d’agression sexuelle, de viol et d’atteinte sexuelle, ainsi qu’à la circonstance aggravante déjà prévue « par ascendants ou toute autre personne ayant autorité de droit ou de fait ».
L’inceste, un phénomène massif aux conséquences graves
L’inceste, que l’on peut définir communément comme des violences sexuelles commises sur un mineur par des membres de sa famille, est une violence particulière qui attaque l’identité de l’enfant et sa place au sein de sa famille, et brouille tous ses repères. L’inceste détruit la confiance de l’enfant envers ses figures d’attachement fondamentales, et le réduit à un objet sexuel au mépris de ses besoins fondamentaux et dans le déni de sa souffrance.
La force et l’autorité du lien qui unit et assujettit l’enfant à sa famille censée être le garant de sa sécurité, jointe à la dépendance de l’enfant, le rendent « prisonnier », il ne peut ni s’opposer, ni fuir, juste subir et survivre comme un automate. [1]
De plus, l’inceste envers les mineurs est un phénomène massif aux conséquences très graves sur la santé physique et mentale des enfants à court, moyen et long termes si une protection et des soins adaptés ne sont pas mis en place. [2] En France au moins deux millions de personnes (sondage Ipsos 2009 pour AIVI), auraient été ou seraient victimes d’inceste, plus de la moitié des violences sexuelles subies dans l’enfance l’ont été dans l’univers familial. [3]
Si on reprend les chiffres de l’OMS 2014, une femme sur cinq et un garçon sur 13 ont subi des violences sexuelles dans l’enfance ; ce serait donc une femme sur 10 et un homme sur 26 sur qui auraient subi un inceste en tant que mineur…
Or, comme le montre l’enquête « Impact des violences de l’enfance à l’âge adulte » (2015) de l’Association mémoire traumatique et victimologie soutenue par l’Unicef, l’inceste fait l’objet d’une loi du silence, d’une impunité et d’un déni tout aussi massifs : 88% des enfants qui en sont victimes n’ont jamais été ni protégés, ni reconnus.
Des moyens urgents étaient donc nécessaire pour lutter contre ces violences sexuelles intra-familiales qui sont un grave problème humain, de société et de de santé publique reconnu par l’OMS.
Des incestes réprimés qu’en tant qu’atteintes sexuelles
Pour tout cela, nous demandions en tant qu’associations, une loi spécifique pour que l’inceste sur les mineurs soit reconnu comme une infraction autonome, ne nécessitant pas de passer par la caractérisation du non-consentement de la victime [4], et que cette loi soit assortie d’un plan de lutte ambitieux contre ces violences et de mesures pour améliorer le dépistage, la protection et la prise en charge des victimes (cf notre pétition). [5]
Jusque-là notre code pénal ne nommait pas l’inceste, et ne le réprimait pas en tant qu’infraction spécifique (l’inceste avait été introduit brièvement dans le code pénal par la loi du 8 février 2010 en tant que sur-qualification des viols et des agressions sexuelles, mais la loi avait été abrogée par le Conseil constitutionnel le 16 septembre 2011, les liens familiaux qualifiés d’incestueux n’étant pas suffisamment précisés), seul le code civil en faisait état dans le cadre de la prohibition du mariage et du pacte civil de solidarité incestueux.
Ainsi, les violences sexuelles envers les mineurs commises par des membres de la famille, n’étaient réprimés qu’en tant que viols, agressions sexuelles ou atteintes sexuelles. Le contexte intra-familial de ces infractions ne pouvait être pris en compte que pour en aggraver les peines quand elles étaient commises par des ascendants ou des personnes ayant autorité de droit ou de fait, ce qui en faisait alors une circonstance aggravante. Mais pour de nombreuses violences intra-familiales cette circonstance aggravante n’était pas applicable (pour tous les membres de la famille n’ayant pas une autorité de droit ou de fait comme les frères et sœurs, oncles et tantes, neveux et nièces, cousins et cousines…).
Considérer l’enfant comme consentant : pour le moins choquant
Et surtout, pour caractériser les viols et les agressions sexuelles il fallait faire la preuve qu’elles avaient été commises avec « violence, menace, contrainte ou surprise » [6], et prouver le non-consentement de l’enfant sans que son âge, ni son lien familial avec l’agresseur ne soient pris en compte… Sans cette preuve, les actes sexuels entre un enfant de moins de 15 ans et un adulte, et un mineur de 15 à 18 ans avec un adulte ayant autorité de droit ou de fait, étaient certes répréhensibles, mais seulement en tant qu’atteintes sexuelles [7], on considérait alors l’enfant comme consentant, ce qui, dans le cadre de l’inceste et pour de jeunes enfants était pour le moins choquant et inadapté.
Une jurisprudence de la Cour de cassation du 7 décembre 2005 indiquant que « l’état de contrainte ou de surprise résulte du très jeune âge des enfants qui les rendait incapables de réaliser la nature et la gravité des actes qui leur étaient imposés » résolvait le problème pour les plus petits, en l’occurrence jusqu’à 5 ans, mais en revanche, un enfant au-dessus de cet âge pouvait être encore considéré comme consentant à des actes sexuels avec un parent !
Et ce n’est que depuis 2010, avec l’article 222-22-1 du code pénal précisant que la contrainte morale « pouvant résulter de la différence d’âge existant entre une victime mineure et l’auteur des faits et de l’autorité de droit ou de fait que celui-ci exerce sur cette victime », que la qualification de viol ou d’agression sexuelle a été facilitée en l’absence de violence, menace ou surprise.
Peu de changements grâce à ce texte de loi
Le nouveau texte est une avancée timide, il apporte peu de changement, mis à part symbolique en ce qu’il introduit la notion d’inceste dans le code pénal en nommant comme « incestueuses » des incriminations déjà existantes : il ne crée même pas de circonstance aggravante spécifique, il ne s’agit que d’une sur-qualification.
C’est beaucoup et peu à la fois !
Certes l’inceste est nommé dans le code pénal, mais ce texte de loi est loin de répondre à toutes les attentes légitimes des personnes victimes d’inceste et des associations :
1. Il ne fait toujours pas de l’inceste envers les mineurs une infraction spécifique ;
2. Le non-consentement de l’enfant reste toujours à prouver quelque soit son âge ou le lien familial en cause ;
3. La liste des membres de la famille dont les viols, les agressions sexuelles et les atteintes sexuelles commis envers les enfants seront qualifiés d’incestueux est restrictive, et elle laisse pour compte de nombreuses situations de violences intra-familiales ;
4. Enfin, ce texte n’est pas assorti de mesures de prévention et de dépistage, de protection et de soins, alors qu’elles sont absolument nécessaires pour lutter contre ces atteintes extrêmement graves aux droits et à l’intégrité physique et mentale des enfants.
Une limitation à une reconnaissance symbolique
Avec cette loi, les législateurs ont voulu se limiter à une reconnaissance symbolique qui nomme des infractions déjà établies, permet une inscription de la qualification d’inceste dans le casier judiciaire, et l’obtention de chiffres plus fiables sur les poursuites et les condamnations en matière d’inceste.
Pourquoi ?
1. Ils ont à nouveau considéré que l’infraction spécifique d’inceste n’était pas nécessaire, l’arsenal juridique de notre code pénal étant jugé suffisant en l’état pour qualifier et réprimer la plupart des actes incestueux ;
2. Ils ont également jugé qu’adapter les incriminations pénales existantes en ne créant pas d’infraction spécifique d’inceste (ce qui n’a pas de conséquences sur les peines encourues), avait l’avantage d’éviter la non-rétroactivité, et de rendre cette loi immédiatement applicable ;
3. Enfin, ils n’ont pas voulu prêter le flan à des questions prioritaires de constitutionnalité et au risque d’une nouvelle abrogation. Le souci des législateurs a donc été de sécuriser au maximum ce texte de loi, avec comme conséquence de réduire le champ des membres de la famille pouvant être concernés par la loi, comme nous allons le voir.
La précédente loi du 8 février 2010 inscrivant l’inceste commis sur les mineurs dans le code pénal ayant été déclaré anticonstitutionnelle en raison de la violation du principe de légalité des délits et des peines, les liens familiaux concernés n’étant pas suffisamment précisés. Il a donc fallu désigner les personnes susceptibles de commettre des infractions incestueuses, tout en ne remettant pas en cause les éléments constitutifs des infractions et les circonstances aggravantes déjà prévues.
Et il a été choisi de se coordonner avec la notion d’inceste inscrite dans le code civil, c’est-à-dire de désigner les personnes dont les liens avec leur victime sont visés par les empêchement au mariage et au pacte civil de solidarité, à savoir les liens entre tous les ascendants et descendants et alliés dans la même ligne, et en ligne collatérale entre le frère et la sœur et, enfin, entre l’oncle et la nièce ou la tante et le neveu.
De ce fait sont concernés par l’article 222-31-1. adopté le 12 mai 2015 pour qualifier d’incestueux les agressions sexuelles et les viols d’incestueux qu’ils ont commis sur un mineur :
1. Un ascendant ;
2. Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un neveu ou une nièce, si cette personne a sur le mineur une autorité de droit ou de fait ;
3. Son tuteur ou la personne disposant à son égard d’une délégation totale ou partielle d’autorité parentale ;
4. Le conjoint ou l’ancien conjoint, le concubin ou l’ancien concubin d’une des personnes mentionnées aux 1° à 3° ou le partenaire ou l’ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité avec l’une des personnes mentionnées aux 1° à 3°, s’il a sur le mineur « une autorité de droit ou de fait ».
Les cousins sont donc exclus de cette loi, et il faut, en dehors des ascendants, une autorité de droit ou de fait pour les autres : les frères et sœurs devront être suffisamment âgés pour pouvoir assumer une responsabilité dans la prise en charge de l’enfant. [7]
Cette loi est certes une avancée mais le parcours reste long pour que les violences sexuelles intra-familiales soient vraiment prises en compte à la hauteur de leur spécificité et de leur impact.
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[1] L’exposition continuelle de l’enfant aux violences génère des psychotraumatismes avec des mécanismes neuro-biologiques de survie qui vont entraîner un état dissociatif permanent, avec une déconnexion et une anesthésie de ses émotions qui seront des facteurs d’asservissement et d’emprise totale qui subsisteront tant que l’enfant sera en contact intime avec l’agresseur.
[2] L’inceste fait partie des violences sexuelles subies dans l’enfance qui ont les conséquences les plus importantes : 52% des victimes d’inceste rapportent avoir fait au moins une tentative de suicide et 97% avoir un impact sur leur santé mentale (Enquête « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte », 2015).
[3] Alors que les enfants sont déjà les principales victimes de violences sexuelles : 81% avant 18 ans, 51% avant 11 ans, 21% avant 6 ans comme le montre notre étude soutenue par l’Unicef « Impact des violences sexuelles de l’enfance à l’âge adulte, 2015« .
[4] Comme en Angleterre où les violences sexuelles intra-familiales sont une infraction spécifique, et où sur un mineur de moins de 13 ans il n’y a pas de notion de contrainte et de non consentement à apporter.
[5] Pétition pour les droits à être protégées et soignées pour toutes les victimes de violences sexuelles, co-signées par 7 associations et qui à reçu à ce jour 20.000 signatures.
[6] Rappelons que constitue une agression sexuelle toute atteinte sexuelle commise avec violence, contrainte, menace ou surprise (Article 222-22) et un viol tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise (Article 22-23).
[7] Le fait, par un majeur, d’exercer sans violence, contrainte, menace ni surprise une atteinte sexuelle sur la personne d’un mineur de quinze ans.(Article 227-25).