Ils se souviennent de « super moments » au sein de leur groupe, mais deux, voire quatre décennies après, reviennent aussi en mémoire de ces ex-scouts lyonnais d’autres images, celles d’un prêtre qui aimait un peu trop les garçons. Avec une question: que savait l’Église?
Ils se prénomment Axel, Bernard, Gilles, Marie, Vincent ou encore Laurent. Tous ont fréquenté une ancienne paroisse de Sainte-Foy-lès-Lyon, banlieue coquette de la capitale des Gaules. Et tous y ont connu Bernard Preynat, mis en examen et placé sous contrôle judiciaire, mercredi, pour des agressions sexuelles remontant jusqu’à 1986.
Pour la plupart quadragénaires, ils évoquent le plus souvent un « puissant déni » – « mon cerveau a oublié » -, mais aussi des personnalités « fragilisées » pour toute une vie et des familles aux liens à jamais dénoués.
« Il me collait contre lui. Il me prenait la main pour la guider sur son corps, sur le pantalon et régulièrement il se baissait pour que je l’embrasse. J’ai le souvenir de sa respiration saccadée. Il fumait le cigare et cette odeur, je la traînerai à vie », confie l’un d’eux.
– ‘Un vrai gourou’ –
Des années 1970 au début des années 1990, le père Preynat, septuagénaire originaire de la Loire, a dirigé le groupe de scouts Saint-Luc, indépendant à l’époque et affilié depuis aux scouts d’Europe. Aujourd’hui encore, même ses détracteurs le décrivent comme « un génie de l’organisation ».
Camps d’été, voyages en Grèce, en Corse, en Irlande, en Espagne… « Il libérait les parents de leur marmaille, les mercredi, samedi et dimanche. Il y avait toujours plein d’activités. Il faisait des miracles ce type », raconte un ex-membre.
Des dizaines et des dizaines de garçons et filles venus de l’ouest lyonnais, rejetons de familles BCBG ou résidant en HLM, se pressaient alors à Saint-Luc. Le dimanche, certains parents se flattaient d’avoir le Père Bernard à déjeuner. On louait son « dynamisme », son « charisme ».
C’était « un demi-dieu », « un vrai gourou », corrigent aujourd’hui d’anciens jeunes ou encadrants du groupe, selon une dizaine de témoignages recueillis par l’AFP.
En 1991, le prêtre s’en va. Une rumeur enfle. S’il est parti, c’est qu’on a voulu l’éloigner de jeunes garçons envers lesquels il aurait eu des gestes déplacés. Il est question d’attouchements, de pédophilie… Calomnies!, répondent ses partisans. Le succès de Saint-Luc aurait nourri les jalousies.
– ‘Serrer sa ceinture’ –
Dans les familles, on commence à se déchirer sur le cas du Père Bernard même si depuis de longues années, dans les patrouilles du groupe scout, on rigolait sur la nécessité de « serrer sa ceinture ou boutonner sa chemise jusqu’au dernier cran pour éviter les mains baladeuses », se rappelle un quadragénaire qui a fréquenté Saint-Luc dans les années 1980.
A l’origine du départ précipité de l’ecclésiastique, il y a l’indignation de parents, ceux de François Devaux, aujourd’hui membre-fondateur de l’association de victimes « La parole libérée ». Il a déposé l’une des quatre plaintes retenues à l’encontre du père Preynat, d’autres faits signalés étant prescrits – les mineurs ayant 20 ans après leur majorité pour dénoncer des agressions sexuelles à la justice.
En 1991, ce jeune garçon avait déjà décrit à ses parents les gestes déplacés dont il dit avoir été la victime. Mais à l’époque, l’affaire se règle par échanges de courriers entre la famille, le prêtre et le cardinal Albert Decourtray qui prend une mesure d’éloignement.
« Il y a du +diabolique+ dans cette affaire et le +coupable+ n’est qu’une victime que je vais aussi tenter de libérer », écrit alors le Primat des Gaules aux Devaux. Qui reçoivent aussi une lettre du père Preynat: « Je n’ai jamais nié les faits qui me sont reprochés. Ils sont pour moi une blessure profonde dans mon cœur de prêtre », lit-on dans ce courrier manuscrit reproduit sur le site de l’association.
Ce dernier est « muté » chez les Petites sœurs des Pauvres avant d’être réintégré dans des paroisses de la Loire et du Beaujolais. Jusqu’en août dernier, il fut doyen de plusieurs d’entre elles autour de Roanne avant d’être relevé de ses responsabilités pastorales et interdit de tout contact avec des mineurs par le diocèse de Lyon.
– ‘Choisir entre le bien et le mal’ –
Car un quart de siècle après, le passé ressurgit.
C’est d’abord un quadragénaire victime d’attouchements, Alexandre, qui, sidéré de découvrir le prêtre au contact d’enfants lors du catéchisme, prévient le cardinal Philippe Barbarin en juillet 2014. Celui-ci mettra dix mois à le relever de ses fonctions, après avoir diligenté une enquête et recueilli l’avis de la congrégation pour la doctrine de la foi, a précisé le prélat dans un communiqué.
Dans les faits, Bernard Preynat n’a quitté sa paroisse roannaise qu’au 31 août 2015.
Pourtant, dès octobre 2014, le diocèse qui a organisé une rencontre entre Alexandre et Bernard Preynat dans des locaux près de la cathédrale Saint-Jean à Lyon, a connaissance des déclarations de celui-ci qui reconnaît ses agissements, selon des témoignages et documents consultés par l’AFP.
En juin 2015 et non sans avoir prévenu le Saint-Siège, Alexandre finit par faire un signalement au parquet de Lyon. « A un moment, il faut choisir entre le bien et le mal », explique ce père de cinq enfants.
Après des décennies de silence, les secrets du groupe Saint-Luc vont brutalement refaire surface, le diocèse crevant l’abcès, en octobre dernier, en révélant l’existence d’une enquête qui a abouti cette semaine au placement du prêtre en garde à vue.
– ‘Il a réglé l’addition’ –
Dans les locaux de la brigade de protection de la famille de la Sûreté départementale, il aurait « réglé l’addition », selon une source proche du dossier, en avouant même des fellations contraintes. Des faits de viols pour lesquels il a été placé sous le statut de témoin assité et dont le juge Michel Noyer devra déterminer s’ils sont prescrits ou non.
Selon une proche d’une victime désormais quinquagénaire, les agressions auraient commencé au tout début des années 1970.
Chez les ex-scouts de la Parole libérée, on ne comprend pas pourquoi, ni comment le père Bernard a pu retrouver si rapidement une paroisse et être au contact d’enfants après 1991. Le religieux aurait assuré aux policiers ne pas en avoir touché depuis 25 ans mais Alexandre, président de l’association, craint que « l’impunité » ne l’ait « rendu dangereux ».
Selon son avocat, Me Frédéric Doyez, le prêtre a déclaré devant le juge « que les faits étaient connus par les autorités ecclésiastiques depuis 1991 », tandis qu’au moins une victime, dont le témoignage est entre les mains de la justice, affirme s’être manifestée auprès d’elles dès 2011.
Une pierre dans le jardin du diocèse qui dit avoir « reçu les premiers témoignages au sujet de ce prêtre à l’été 2014 ». Les victimes se réservent le droit de porter plainte pour non-dénonciation de crime.
« La loi du silence qui régnait jusque dans les années 90 est une deuxième agression, non moins violente que la première », a réagi vendredi l’association des Scouts et Guides de France, qui a apporté son soutien aux familles tout en rappelant que le groupe Saint-Luc « se revendiquant du scoutisme » était « totalement autonome ».
Source : AFP