Extrait du Dossier « Agressions sexuelles incestueuses dans un contexte de séparation des parents : dénis de justice ? » @ Copyright Collectif Féministe Contre le Viol – VIOLS FEMMES INFORMATIONS, numéro vert : 0 800 05 95 95
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Au vu des 67 fiches complétées et analysées, protéger son enfant contre un père agresseur devient de plus en plus souvent pour la mère un long et vain combat. Ceci tient à plusieurs facteurs que nous allons tour à tour aborder.
1. Difficultés liées à l’âge de la victime
88 % des victimes ont moins de 7 ans ; 22 % ont moins de 3 ans et savent à peine parler. 78 % des victimes sont des filles. Leur jeune âge joue en leur défaveur. En effet, il est encore courant pour les adultes de penser qu’un enfant qui dénonce une agression sexuelle peut facilement mentir ou être influencé par un tiers. Ce préjugé tient à la fois au manque de formation dans l’écoute et l’interprétation de la parole des jeunes enfants et aux résistances personnelles devant la réalité des agressions sexuelles à l’encontre des mineurs. Et pourtant, certaines paroles enfantines ne laissent aucun doute sur la véracité des faits. Même lorsqu’un professionnel – médecin, assistante sociale, expert – affirme la crédibilité du discours de l’enfant, une contre-expertise ne tardera pas à certifier l’inverse et/ou semer le doute dans l’esprit des juges.
Les intervenants minimisent souvent la gravité de l’agression lorsqu’il s’agit d’exhibitions sexuelles et d’attouchements sexuels. On oublie que les exhibitions ou les attouchements sexuels peuvent traumatiser un enfant tout autant qu’un viol. Ces actes constituent aussi des infractions sanctionnées par le Code pénal, aggravées lorsqu’il s’agit d’un mineur victime et d’un agresseur ascendant.
Notons que dans l’ensemble des procédures pour agression sexuelle analysées, très peu de victimes ont bénéficié d’un avocat d’enfant, défenseur de sa parole propre. C’est une carence qui devrait, nous l’espérons, être comblée si la loi du 18 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs est appliquée.
2. Difficultés liées au contexte de la révélation et de la dénonciation
90 % des agresseurs dénoncés au N° Vert Viols Femmes Informations sont des pères. C’est la raison pour laquelle on parlera en général de la mère comme parent protecteur et du père comme parent agresseur. Mais il existe aussi des pères qui essaient de protéger leurs enfants d’un beau-père ou d’une mère agresseuse.
Le contexte de la révélation des agressions sexuelles, avant, pendant ou après la séparation de la mère et de son conjoint agresseur, jette un discrédit immédiat sur la parole de l’enfant. La mère est d’emblée soupçonnée de manipuler son enfant en l’incitant à accuser son père, afin d’obtenir un divorce aux torts de son ex-mari et la garde exclusive de son enfant.
Lorsque, dans la majorité des cas, la révélation des violences sexuelles a lieu après la séparation, pour des agressions antérieures à elle et/ou pour des agressions qui se produisent encore pendant les droits de visite, la justice n’y voit que manipulation de la mère pour supprimer a posteriori les droits de visite et d’hébergement accordés au père au moment de la séparation.
Il n’est jamais prêté attention au fait que la parole de l’enfant émerge dans le contexte de séparation, où, à l’abri des menaces et des pressions du parent agresseur, l’enfant se sent libre enfin de parler. A ce moment-là, la mère plus disponible, lui accorde une meilleure écoute et peut prendre des dispositions pour tenter de le protéger.
Lorsque la révélation des violences sexuelles intervient avant la séparation, les démarches entreprises par la mère (séparation, changement de domicile, plainte au pénal) apparaissent elles aussi sous l’angle de la manipulation de la mère sur l’enfant en vue de l’exclusion du père. Elles ne sont pas considérées comme la manifestation d’une détermination à protéger l’enfant dans l’urgence.
Il y a encore peu de temps, on accusait systématiquement les mères d’être aveugles » face aux agressions sexuelles commises par le père ou même complices » de ses agissements délictuels ou criminels. Aujourd’hui, lorsque de plus en plus de mères osent entendre et protéger leurs enfants et qu’elles agissent avec diligence et persévérance, on les accuse systématiquement d’être des « manipulatrices ».
3. Dysfonctionnements dans le cadre de la procédure pénale et civile
La suspicion de la police et de la justice dans ce contexte de séparation est telle que les agressions sexuelles sont extrêmement rarement reconnues et leurs auteurs exceptionnellement sanctionnés. Et pourtant, dans 77 % des cas, les enfants ont explicitement décrit les faits et nommé l’agresseur (par exemple : » papa, il a fait pipi sur mes fesses, et c’était tout chaud. » ou » il frottait son bisi contre mon bisi, et après du blanc sortait de son bisi « ).
Les certificats médicaux qui attestent des lésions génitales ou anales ne suffisent pas à convaincre les magistrats de la réalité des faits. En revanche, lorsque les certificats médicaux ne parviennent pas à établir de preuve médico-légale des agressions, ils sont utilisés à tort pour prouver l’absence d’agression sexuelle. On sait pourtant qu’un examen somatique qui ne diagnostique rien d’anormal ne veut pas dire absence de mauvais traitement ou absence d’agression sexuelle.
51 % des plaintes au pénal sont classées sans suite sans qu’une véritable enquête préliminaire n’ait eu lieu : enfants non entendus ou trop brièvement, personne mise en cause non interrogée, témoins de la parole de l’enfant non entendus, absence de constat médical, etc..
Lorsqu’une information judiciaire est ouverte, une (contre-) expertise en défaveur de la mère et/ou de l’enfant est réalisée sans les avoir rencontrés ou trop peu de temps, et suffit à invalider le faisceau de preuves existantes (paroles, comportements et symptômes de l’enfant, certificats médicaux, expertises psychologiques, attestations de témoins de la parole de l’enfant, etc.). 9 % des plaintes aboutissent à des non-lieux.
Dans 22 % des cas, les suites judiciaires ne sont pas connues de la victime et de son parent protecteur au moment de l’appel au numéro vert.
In fine, sur 90 agressions sexuelles et viols dénoncées entre 1996 et 1998, seul un agresseur sur 69 a été condamné.
– Discréditer le parent protecteur
Trop souvent, on assiste à une interprétation abusive du comportement et de l’attitude de la mère.
Si elle se montre déprimée et anxieuse du fait du dévoilement de l’agression sexuelle par l’enfant et de l’effondrement qu’il provoque en elle, on la suspectera de projeter sa propre souffrance sur l’enfant. On lira, par exemple, dans une expertise psychiatrique des deux parents (Récit 8) : « elle projette sur sa fille des souffrances ou du moins des expériences infantiles qui l’ont elle-même traumatisée ».
Parallèlement, le fait que cette mère croit son enfant et se batte pour obtenir justice sera disqualifié. On lira, par exemple, dans la même expertise (Récit 8) : « elle raconte la scène de manière extrêmement théâtrale… » ou « le discours de Mme T. traduit une extrême dramatisation de la ’souffrance psychique’ de sa fille ».
On lira, par ailleurs, dans les attestations d’un psychanalyste-psychothérapeute qui n’a jamais rencontré la mère, produites pour le père dans le cadre de procédures civiles (Récit 7) :
» Mes observations concernant la mère d’O. (…) tiennent en quelques mots : névrose hystérique, ce qui signifie : fixer le père et l’homme en position de défaillance, pour supporter son être d’une impuissance imaginaire, et utiliser son fils comme objet de son désir, inconsciemment incestueux. O., dans cette situation, si la justice ne pose pas le père comme son représentant symbolique, n’aura que trois destins : homosexuel, délinquant ou débile. »
Ou encore : » Les allégations de Mme M. sont le fruit de ses fantasmes et désirs obscurs concernant son fils (…) Il me semble que toute mère, décidée à capter l’enfant dans sa jouissance peut lui attribuer toutes les paroles qui confortent la démonstration qu’elle veut inventer pour détruire la fonction paternelle. Il s’agit d’une mise en scène d’un fantasme de séduction sexuelle, toujours caractéristique d’une structure féminine hystérique, projeté sur la personne du Père séducteur de l’enfant. »
Et pourtant les actes délictueux et criminels du père justifient bien le retrait total de son autorité parentale. Une mère qui maintiendrait cet homme en position de père serait complice de ses transgressions. Une mère qui se bat pour que son enfant obtienne justice et ne soit plus en contact avec son père adopte, quant à elle, une position courageuse qui devrait être soutenue et reconnue.
En bref, quelque soit le comportement ou l’attitude de la mère, il faut croire qu’il y a toujours moyen de les discréditer en faisant appel à des catégories psychiatriques apportant un vernis de scientificité ( » névrose hystérique « , » syndrome d’aliénation parentale « , etc.) pour compenser l’absence de fondement clinique à une telle interprétation (mère non rencontrée ou rencontrée trop brièvement).
– Discréditer la parole de la victime
Si ce n’est la personnalité ou la crédibilité de la mère qui fait l’objet de critiques, c’est la parole de l’enfant qui, plus fragile que celle de l’adulte, est remise en cause. Là où, par exemple, en première instance, les magistrats auront jugé les » différentes déclarations convergentes de la fillette elle-même, ainsi que des praticiens qui ont été amenés à l’examiner « , les juges, en appel, souligneront le » caractère incertain et douteux des déclarations de l’enfant « . Ici encore, les interprétations scientifiquement et méthodologiquement peu rigoureuses ne manquent pas face au témoignage de l’enfant et à ses particularités (entrée de l’enfant dans le mutisme, rétractation, détails périphériques de l’agression soumis à variation suivant l’âge et le stade du développement cognitif de l’enfant, confusion dans le récit entre les différentes agressions, difficulté de chronologie, etc.).
Et pourtant, le comportement, les paroles, les réactions physiques et psychologiques de l’enfant victime d’agressions sexuelles, s’ils font l’objet d’une étude approfondie par des intervenants formés à l’écoute et l’évaluation des témoignages d’enfants maltraités, ne sauraient être confondus avec le comportement et le discours de l’enfant qui aurait été manipulé.
– Divergences judiciaires
Bien que souvent deux procédures soient engagées pour protéger l’enfant, l’une au pénal, l’autre au civil, ce n’est pas toujours à une convergence des décisions judiciaires à laquelle on aboutit, mais à une divergence, voire à une contradiction.
Dans un cas, alors que la justice pénale n’a pas reconnu la réalité des agressions sexuelles, la justice civile va parfois tenir compte de la présence de fortes suspicions et décider d’un exercice du droit de visite du parent agresseur dans un point de rencontre. Pis-aller qui n’est pas systématique pourtant.
Dans un autre, alors que la justice pénale a reconnu l’existence d’agressions sexuelles, la justice civile va rétablir le droit de visite du père à sa sortie anticipée de prison. Le retrait partiel ou total de l’autorité parentale du parent mis en cause n’a été prononcé dans aucun des 67 dossiers analysés.
Notons que le Juge aux Affaires Familiales (J.A.F.), qui décide des conditions d’exercice de l’autorité parentale et notamment du droit de visite, n’a pas l’obligation d’entendre l’enfant, ce dont il se dispense la plupart du temps et qui est très dommageable. Lorsqu’un-e aîné-e d’une fratrie a subi des agressions sexuelles et qu’il/elle les a révélées, les droits de visite peuvent n’être suspendus que pour l’aîné-e en oubliant qu’il est fréquent, voire habituel que l’auteur agresse aussi les plus jeunes qu’on omet d’interroger.
La solution des points de rencontre comme mesure provisoire, y compris quand les enfants ont exprimé clairement le refus de revoir leur père (ex : » je ne veu pas le voire parce qu il menbète ce vieu con de père, parce quil ma fait du mal. « ), est en contradiction avec la Convention internationale des droits de l’enfant et a des effets catastrophiques sur le plan psychologique. C’est en effet une négation de la violence que l’enfant a subie que de le remettre en contact avec le parent auteur même sous surveillance. Qui penserait à contraindre une femme violée à revoir son agresseur ? Les points de rencontre ne protègent pas toujours les enfants qui peuvent continuer à subir des agressions, des menaces et des pressions lorsqu’ils sont accompagnés dans les toilettes ou en sortie par leur parent agresseur. La « neutralité » du point de rencontre ne devrait pas servir de prétexte pour laisser l’enfant seul avec son parent agresseur ou ne pas signaler un enfant qui parlerait à nouveau dans ce lieu des sévices sexuels subis.
Signalons, par ailleurs, que le Juge des enfants est peu intervenu dans les situations étudiées. Quand il est saisi, à la suite d’un classement ou d’un non-lieu, il n’a d’autres ressources que les mesures d’A.E.M.O. (Action Educative en Milieu Ouvert), inaptes à protéger l’enfant, ou la décision de placement, qui conduit, pour protéger l’enfant de son père, à le priver injustement de sa mère et de la vie dans son cadre familier.
4. Profil et stratégies des parents agresseurs
Les agresseurs appartiennent à toutes les classes sociales. Nombre d’entre eux disposent d’un statut social élevé (avocat, polytechnicien, PDG, ingénieur, directeur du personnel, dentiste, adjoint de direction pénitentiaire…), ce qui semble les placer au dessus de tout soupçon et leur donner les moyens financiers et appuis politiques pour une riposte judiciaire : attaque de la mère en dénonciation calomnieuse et/ou pour non-représentation d’enfant, attaque des médecins qui ont fait des certificats ou des signalements pour protéger l’enfant, devant le Conseil de l’Ordre des Médecins et/ou devant les Tribunaux pour immixtion dans les affaires de famille, rédaction de certificat de complaisance, atteinte à l’honneur, violation du secret professionnel, dénonciation calomnieuse, etc.
5. Conséquences des dénis de justice
Les conséquences du classement sans suite ou du non-lieu sont catastrophiques pour l’enfant. Dans le meilleur des cas, un aménagement de l’exercice du droit de visite et d’hébergement est décidé par le J.A.F. Mais ce pis-aller n’intervient pas toujours. Quoi qu’il en soit, l’enfant est obligé de revoir l’agresseur, ou même de partager le quotidien avec lui. Cela signifie qu’il peut continuer à être agressé, avec pour différence que désormais il ne parlera plus. De plus en plus souvent, la situation se renverse même complétement : la mère peut faire l’objet d’une citation directe pour dénonciation calomnieuse ; elle peut également être mise en examen, parfois incarcérée pour non-représentation d’enfant. La garde peut alors être donnée au père agresseur, après un séjour en foyer de l’enfant pour qu’il réapprenne « à aimer son père » agresseur.
De 1996 à 1998, non seulement les plaintes à l’encontre de la mère pour non-représentation d’enfant augmentent (20% des situations), mais un tiers des mères poursuivies sont condamnées. Conscientes d’être » hors la loi « , ces mères n’ont plus que deux choix insatisfaisants l’un comme l’autre : renoncer à protéger leur enfant, ou s’enfuir avec lui à l’étranger. Si les juges font preuve de prudence avant de condamner un père qui nie avoir agressé sexuellement son/ses enfants, pourquoi n’exercent-ils pas la même prudence avant de condamner une mère qui nie avoir manipulé son/ses enfants ? Pourquoi un tel acharnement contre ces mères ?
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