+) Les petites filles ne sont pas des femmes fatales (La Croix, 21 Février 2012)

Un rapport parlementaire remis par la sénatrice Chantal Jouanno alerte sur les dangers de la sexualisation précoce des enfants et la nécessité de l’endiguer.

Des fillettes de 10 ans qui adoptent des tenues sexy et se maquillent comme des femmes, photographiées dans des poses lascives dans les pubs et les magazines, des marques qui proposent des soutiens-gorge rembourrés ou des strings en taille 6 ans… Le phénomène d’hypersexualisation des petites filles commence à inquiéter.

En décembre 2010, la campagne de publicité du magazine Vogue, qui mettait en scène des petites filles dans des postures extrêmement suggestives, avait déjà suscité l’indignation de plus de 150 pédiatres, dénonçant dans une pétition « l’érotisation et l’hypersexualisation des enfants dans la publicité ».

Leur emboîtant le pas, Roselyne Bachelot, ministre des solidarités et de la cohésion sociale, a confié en novembre dernier à Chantal Jouanno, sénatrice UMP (et membre de la commission des affaires sociales et de la délégation aux droits des femmes), une mission « d’observation et de régulation » de ce phénomène.

Après avoir auditionné une trentaine de spécialistes (pédopsychiatres, éducateurs, responsables de marque de prêt-à-porter, de radios et de magazines), elle remettra le 5 mars un rapport parlementaire sur le sujet, et formulera une série de propositions. Et Roselyne Bachelot a remis le 21 février une charte sur la protection des enfants dans le médias, comportant un volet sur l’hypersexualisation des fillettes.

« La société est en train de s’hypersexualiser »

Le phénomène « petite Lolita » semble certes moins important en France qu’Outre-Atlantique, où les concours de mini-miss fleurissent, et où de nombreuses adolescentes ont recours à la chirurgie esthétique et se font poser des implants mammaires.

« Avant 12 ans, le phénomène des Lolitas reste rare, assure Chantal Jouanno, car la société, les parents et les adultes en général sont globalement assez critiques à son égard. En revanche, ajoute-t-elle – et tous les observateurs convergent sur ce point –, la société est en train de s’hypersexualiser et les pressions sont extrêmement fortes sur les enfants et sur les jeunes adolescents. Il ne faut pas s’étonner si cette sexualisation devient pour nos enfants une norme. C’est une évolution particulièrement préoccupante. »

Les modèles qu’on propose aux petites filles et auxquels elles se réfèrent, leurs stars préférées (Sharika, Britney Spears..), sont de plus en plus sexualisés. On voit des fillettes de 10 à 12 ans s’exhiber sur leur profil Facebook, dans des poses et des tenues directement héritées de leurs idoles.

De nombreux observateurs alertent aussi sur l’impact de la pornographie. « La banalisation des codes de la pornographie saute aux yeux dans les clips, les vidéos, certaines émissions de télévision, souligne Chantal Jouanno. Il s’agit d’une banalisation complète, car ils sont intégrés partout : on les retrouve dans l’usage des piercings, de l’épilation intégrale, dans les tenues vestimentaires. » Ils sont également très clairement relayés par les radios-jeunes

« Les mamans jouent à la Barbie avec leur petite fille »

Le marketing s’est emparé du phénomène, car la sexualité fait vendre et le jeunisme aussi. « Les marques ont compris, dans les années 1970, qu’elles avaient de l’argent à gagner sur les ados, constate le pédopsychiatre Stéphane Clerget. Maintenant elles ciblent les plus jeunes. Elles ont compris qu’il y avait actuellement une inversion des rôles : les adolescents sont devenus les nouveaux modèles des adultes. Les femmes veulent ressembler aux Lolitas, retravaillent leur visage sur photoshop pour avoir l’air d’avoir 12-13 ans. Beaucoup d’adolescents ont d’ailleurs peur de grandir, car les adultes veulent leur ressembler. »

Les parents ont leur part de responsabilité. Ils le reconnaissent d’ailleurs eux-mêmes, comme le montre l’enquête réalisée par le site Magicmaman.com : la quasi-totalité des mamans interrogées estiment que les parents contribuent au phénomène par une forme de laisser-faire ou de conformisme.

Si les fillettes troquent très vite leurs tenues enfantines contre des mini-shorts et des jeans moulants, c’est souvent en effet avec la complicité de leurs mamans, qui « jouent à la Barbie avec leur petite fille » et la considèrent comme « le bras armé de leur féminité », souligne Stéphane Clerget.

Elles ont une attitude ambiguë par rapport à leur précocité. « Elles s’en alarment, et en même temps sont fières d’avoir une enfant en avance pour son âge, qui s’habille en 12 ans alors qu’elle en a 8. C’est un leurre, ajoute-t-il, car ces fillettes ne sont pas adolescentes dans leur tête. » Or, il ne faut surtout pas les faire grandir trop vite, ni brûler les étapes ; surtout dans ce domaine.

« Laissez-leur le temps de l’enfance ! »

Car on risque de court-circuiter chez les enfants une période indispensable à leur développement, qui leur permet aussi d’aborder plus sereinement l’adolescence, alertent unanimement les pédopsychiatres : la période de « latence ». « Entre 6 et 12 ans, explique Stéphane Clerget, la sexualité infantile est normalement mise en sommeil, et l’enfant consacre son énergie psychique aux apprentissages – il cherche à plaire en travaillant bien à l’école ou en étant bon en sport. »

Didier Lauru parle même d’« abus sexuel psychique », car cette « intrusion de la sexualité adulte » dans l’enfance vient contrecarrer un développement normal. Patrice Huerre observe que l’apparence des petites lolitas n’est que le résultat des attentes pressantes de leur entourage, qui incitent les enfants à grandir vite dans tous les domaines. « On voit de plus en plus d’enfants hyperactifs, dit-il ; je dirais plutôt qu’il y a de plus en plus d’enfants hyperactivés : il faut qu’ils apprennent vite, marchent vite. Il faut être excité pour exister ! »

Et ils peuvent être amenés, adolescents, à rechercher d’autres sources d’excitation (l’alcool, les scarifications…). « Laissez-leur le temps de l’enfance ! » lance-t-il aux parents. « On peut limiter certaines dérives, mieux protéger les enfants. On ne peut pas tout bloquer, certes, mais les parents restent les meilleurs pare-feu. »

« On veut des filles romantiques pas des bombes sexuelles ! »

Marie-Laure de Salins, conseillère conjugale au Cler, qui forme des adultes à l’éducation affective des jeunes, plaide pour une éducation plus globale des enfants, qui « éveille leur conscience sur les manipulations » dont ils peuvent être l’objet.

« Les 8-12 ans sont de plus en plus visés par le marché de la mode, de la musique, du cinéma. Les fillettes veulent être populaires en séduisant, sont focalisées sur l’image de soi, le culte de la minceur ; elles manquent de confiance en elles, car elles veulent ressembler à leurs stars, font des fixations sur les relations amoureuses, vivent dans une grande dépendance émotive. »

Elle insiste aussi sur l’urgence de leur proposer d’autres modèles de relations que ceux inculqués par la pornographie « basés sur le machisme et la soumission ». « D’ailleurs, les garçons nous disent “on veut des filles romantiques” pas des bombes sexuelles ! », témoigne-t-elle.

Certains psychiatres relient cette sexualisation précoce à une série de troubles qui se développent chez des fillettes de plus en plus jeunes, comme l’anorexie et la boulimie. Ils alertent aussi sur l’impact qu’elle peut avoir sur leur sexualité adulte.

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LES PARENTS EN PREMIÈRE LIGNE

Selon une enquête sur l’hypersexualisation des petites filles, réalisée par le site Magicmaman auprès de 1 200 internautes :

Plus de 84 % des mamans estiment que l’image des petites filles va en se dégradant et 59 % d’entre elles se disent « choquées ».

60 % d’entre elles affirment déjà débattre de la question avec d’autres adultes, mais seule une maman sur cinq aborde cette question avec son enfant.

Pour près de 31 %, cette image sexuée des petites filles favoriserait un accès trop précoce à la sexualité, voire l’apparition de troubles alimentaires (anorexie, boulimie) pour 27 % d’entre elles.

Selon 44,5 % des mères, la responsabilité de ce phénomène incombe aux acteurs économiques (médias, entreprises spécialisées de la petite enfance etc.).

Mais pour la quasi-totalité des mères interrogées (95,58 %), les parents contribuent aussi à l’hypersexualisation des enfants, par une forme de laisser-faire ou de conformisme. Les parents sont aussi, pour 77 % des sondées, les mieux placés pour réagir, loin devant les pouvoirs publics (10 %) et les acteurs économiques (9 %).

Elles réclament néanmoins des mesures contraignantes à l’encontre des médias et des acteurs économiques (35 %), et une sensibilisation des parents et des enfants via l’école (25 %)

CHRISTINE LEGRAND

Source: http://www.la-croix.com/Famille/Parents-Enfants/Dossiers/6-a-12-ans/Les-petites-filles-ne-sont-pas-des-femmes-fatales-_NG_-2012-02-21-770618

 

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