Libération Le procès de Patrick Font, accusé de pédophilie. «J’aurais dû m’écarter, m’éloigner, m’en aller»

Annecy, envoyée spéciale.

«Font, Patrick, levez-vous» Il se met debout, droit, les mains derrière le dos. Il porte un costume de ville, chemise jaune paille échancrée, T-shirt noir, gilet bordeaux. Son visage aux traits hachés, durs, sa chevelure blanche, la salle les reconnaît. C’est l’humoriste qui, vingt ans durant, est monté sur toutes les planches de France avec Philippe Val. Font et Val, à l’affiche, les blagues de Rien à Cirer sur France-Inter, le dimanche, la bande de Charlie Hedbo. C’est lui, Patrick Font, 58 ans, auteur-compositeur, comique et prévenu. La scène était triste hier. Dans la salle bondée du tribunal correctionnel d’Annecy, qui le juge pour «atteintes sexuelles», il y avait des femmes en larmes. Patrick Font est poursuivi pour avoir caressé leurs enfants, longtemps, souvent, partout. La nuit, le jour, sur la paille des granges, sur les sièges des autocars, chez lui, chez elles, en tête à tête et devant tout le monde. «12 victimes entre 1993 et 1996 se sont déclarées, mais combien y en a-t-il d’autres? Patrick Font est un pédophile», a accusé le procureur de la République en demandant huit années de réclusion criminelle et l’interdiction à vie d’exercer toute fonction sociale ou professionnelle avec des enfants.

«Un paradis en montagne.» Aurélie, Lilas, Margot, Laurette (1) avaient 9 ans, 10 ans, 12 ans. Quand elles avaient atteint l’âge de 15 ans, Patrick Font leur faisait parfois l’amour. A cet âge, le code pénal admet le consentement du mineur. Il n’y a donc plus de viol. Plus de cour d’assises. Les jeunes filles étaient amoureuses de lui. Et lui les aimait.

Il avait monté pour elles une petite école en Haute-Savoie, Marie Pantalon, du nom d’une héroïne savoyarde. Le matin, il donnait des cours d’enseignement général, il avait été instituteur de 1960 à 1968. L’après-midi, il leur apprenait le théâtre. Patrick Font rêve encore de son «petit nuage»: «C’était un paradis en montagne, avec l’euphorie, l’amour, le théâtre, les petits mots sur les paquets de cigarettes, tout le monde s’en souvient.» Et la nuit? Le président voudrait savoir si, chaque soir, dans la grande salle qui servait de dortoir aux élèves et à leur professeur, il choisissait une élue: «C’est vrai ou c’est faux?» «C’est vrai et c’est faux», répond Patrick Font: «Certains soirs, une jeune fille me demandait: est-ce que je peux dormir avec toi? D’autres soirs, c’est moi qui allait m’allonger auprès d’une autre. Avant de se coucher, c’était: «Qui fait des massages à qui? Qui vient dormir avec qui? Je suis allé dormir à côté de tout le monde, c’était tout le monde avec tout le monde.»

«Pas de show-biz.» L’auteur- compositeur reconnaît les caresses, mais nie avoir fait subir aucune violence aux enfants. Il n’insistait pas. Quand il arrivait qu’une fillette repousse la main qui se glissait sous le duvet, il ne la renvoyait pas de l’école. «Je sais que ça se fait dans le show-biz, mais là on ne faisait pas de show-biz.» Les élèves avaient-elles peur de tomber en disgrâce? Avait-il trop d’emprise? «De l’emprise, de l’autorité, il en faut pour diriger une troupe», répond Patrick Font qui sort de sa poche un grand mouchoir blanc. Il enfouit son visage, pleure: «En prison, je suis Dutroux, un violeur d’enfant», il se mouche, proteste: «Je ne suis pas un assassin.» Le président lui rappelle qu’il a vanté, à la radio et dans ses livres, l’amour avec les enfants. «J’ai dit n’importe quoi, histoire de faire effet dans le public.» Le président le coupe: «Pour vous, il y a les faits!» «Lettres d’amour.» Agnès a 19 ans aujourd’hui. Elle est partie civile. «Ma princesse du désert», lui écrivait Patrick Font en lui parlant de ses «cuisses prometteuses». «C’était des lettres d’amour», convient le prévenu, «je me laissais aller à mon lyrisme habituel». Clémence, partie civile, a eu des relations sexuelles complètes avec lui: «Tout ce que je souhaite c’est qu’il n’y ait pas de séquelles», dit-il. Et Mélodie. «Ah, Mélodie. Il y avait une relation intense entre elle et moi. Elle me disait qu’elle m’aimait, je lui disais que je l’aimais, je me prenais peut-être pour un émir au milieu de son harem.» Le procureur corrige, c’est le sultan qui choisit ses femmes dans le harem.

A l’école Marie Pantalon ­ qui avait bénéficié d’un agrément de l’Education nationale et où aucun inspecteur n’a jamais mis les pieds ­ Patrick Font était un «dieu». C’est une enfant qui l’a ainsi décrit aux policiers. Elle avait 10 ans. Avant de déposer, elle parlait de lui «à son chat et ses peluches». Patrick Font est «catastrophé», il pleure à nouveau: «J’aurais dû m’écarter, m’éloigner, m’en aller.» Jugement rendu le 13 mars.

(1) Les prénoms ont été modifiés.

VITAL-DURAND Brigitte

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