La chaîne cryptée Canal Plus propose une investigation très poussée sur le dossier du cédérom dont l’Humanité avait révélé l’existence. Les réseaux pédophiles et leurs étranges protections au centre du scandale.
Qu’est devenu le cédérom pédocriminel dont nous avions révélé l’existence le 24 février dernier ? Qui sont les enfants violés, exhibés en 8 500 photos dont la police hollandaise a tiré un fichier de 475 portraits identifiables ? Qui sont les 14 violeurs adultes identifiables sur le cédérom ? Canal Plus relance l’affaire avec force, ce soir à 20 h 40 et dimanche 5 novembre, en clair, à 14 h 05. Le magazine de la chaîne cryptée, 90 minutes, poursuit cette enquête que la police et la justice françaises ne souhaitent visiblement pas pousser à son terme. Un travail d’investigation magistral, douloureux, mené par Anne Ginzburger, Laurence Beneux et Frédéric Lacroix, qui révèle et cerne d’incroyables blocages.
Par exemple, la remise du cédérom aux autorités judiciaires. Le 12 avril dernier, dans le 19-20 de France 3, Élisabeth Guigou, alors garde des Sceaux, argumentait que la justice ne pouvait rien faire tant qu’elle ne serait pas en possession du cédérom. Elle lançait un appel aux journalistes disposant d’informations et de documents. Message reçu. Le lendemain, nous avons remis le fameux disque au procureur général près la cour d’appel de Paris. Acte de civisme remarquable, nous dit-on. Canal Plus nous apprend qu’au moment où nous remettions le cédérom à ce haut magistrat, il en possédait déjà une copie depuis plus de onze mois ! L’association anti-pédocriminalité belge Morkhoven l’avait en effet adressée à l’Élysée en mai 1999. Par courrier recommandé. L’Élysée l’avait transmis à la Chancellerie qui l’avait immédiatement confié… au procureur général près la cour d’appel de Paris qui n’en avait rien fait ! On comprend mieux la gêne du ministère de la Justice lorsque nous avions publié notre enquête, reprise par le Figaro, toutes les radios et les télévisions. Cette médiatisation l’obligeait à » découvrir » un dossier qu’il connaissait depuis près d’un an et qu’il n’avait pas instruit.
Cette inaction peut aussi s’expliquer par le rôle du procureur des mineurs à Paris, Yvon Tallec, qui s’est lâché en mai 1999 dans un journal télévisé de France 2. Ce magistrat, qui dispose du pouvoir de classer sans suite, a déclaré sans ambages qu’il fallait minimiser cette affaire dans la mesure où la plupart des enfants du cédérom » étaient consentants ou avaient le consentement de leurs parents « . De tels propos, à réécouter dans l’enquête de Canal Plus, sont inadmissibles dans la bouche d’un magistrat dont la mission est justement de rappeler que le droit français punit toute relation sexuelle entre un adulte et un jeune mineur. Faut il rappeler à monsieur Tallec que le cédérom contient des images de nourrissons sodomisés par des adultes ? Le Conseil supérieur de la magistrature, si prompt à sanctionner tel juge trublion, ne s’est pas senti concerné par cette réflexion qui dépénalise de fait de nombreux viols d’enfants.
Faut-il s’étonner qu’aucune des procédures ouvertes à Paris à la suite de nos révélations n’a débouché sur une instruction sérieuse ? Françoise M., une des mères ayant reconnu son enfant sur le cédérom et le fichier de la police hollandaise, s’est vu répondre qu’elle s’était trompée et que l’enfant qu’elle avait identifié, sur une des photos, comme son fils était en fait un jeune Hollandais prénommé Bjorn. Information largement diffusée par le parquet de Paris aux médias. Les enquêteurs de Canal Plus ont remonté la piste jusqu’à un policier hollandais qui a démenti : Bjorn n’est pas sur le fichier !
Actuellement, plus de quinze enfants ont été reconnus par des parents, des proches, des médecins, des travailleurs sociaux, après consultation du fichier théoriquement disponible dans tous les commissariats et gendarmeries. À chaque fois, les enquêteurs et les magistrats parisiens sensés travailler sur le cédérom estiment que les parents se trompent ou qu’il s’agit de sosies. Mais cette inertie résiste mal à l’ampleur du scandale. Nous sommes en mesure de révéler que des professionnels de l’enfance en danger sont actuellement en train d’effectuer des démarches systématiques pour visionner le fichier. Plusieurs reconnaissances ont ainsi été effectuées.
Le syndrome qui semble frapper le parquet des mineurs de Paris n’a rien d’hexagonal. À Aix-en-Provence, le procureur Étienne Ceccaldi démontre, devant la caméra de nos confrères, l’existence des réseaux, à partir d’une affaire de tourisme sexuel jugée à Draguignan en 1998. Ce procureur révèle le caractère international de ce réseau à base française et explique que les » échanges d’enfants » s’effectuent de ville à ville. Il cite Lyon, Paris, Chambéry, etc. Chambéry où trois enfants du cédérom ont été identifiés par des proches. Le procureur de Chambéry, lui aussi interviewé par Canal Plus, explique benoîtement qu’il ne peut pas agir puisqu’il ne sait rien et qu’il apprend les choses en lisant la presse ! On croit rêver…
En Sicile, l’association du père Don Fortunato traque les sites pédosexuels sur Internet. En quatre ans, elle en a identifiée 24 000. Elle a débusqué un réseau international de vente sur le Web d’images d’enfants violés. La justice italienne a requis 831 renvois en justice en Italie et ciblé 660 personnes vivant à l’étranger. Et Don Fortunato est formel : » le réseau passe aussi par la France « . Près de Troyes, l’association Le Bouclier, qui poursuit le même combat, exprime son ras-le-bol. Son président, Bernard Valadon, vient d’adresser une lettre au premier ministre Lionel Jospin : » En mai 1996, j’ai déposé la première plainte contre la diffusion et l’échange pornographiques mettant en scène des enfants sur Internet. « . Opération Achille : 50 interpellations. Bilan quatre ans plus tard : » Malgré tout notre travail, rien n’a été fait… Nous avons à ce jour dénombré 56 000 adresses différentes… avec dans de nombreux cas la participation de Français constatée de manière irréfutable. » Sans suite. Par contre, une vingtaine de médecins ayant fait des signalements d’enfants en danger se retrouvent poursuivis devant le conseil de l’Ordre.
Devant un tel constat, le moment est venu d’exiger des réponses précises aux questions suivantes : À quels niveaux s’effectuent les blocages dans de trop nombreuses enquêtes en France ? Quelles sont les personnalités protégées ? Pourquoi la coopération entre les polices et les justices européennes, dont on nous rebat les oreilles à propos de l’Union européenne, est-elle aussi inexistante concernant la lutte contre les réseaux ? Pourquoi l’UNESCO vient-elle de se désengager d’une campagne d’affichage, qui devait démarrer ces jours-ci, stigmatisant la pédocriminalité ?
Les enquêteurs de Canal Plus viennent de remettre à la chancellerie un second cédérom comportant de nombreuses scènes de tortures et de viols. Subira-t-il le sort du premier ?
Serge Garde
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