En 2001, quand éclate la polémique sur son livre « Le grand Bazar » publié en 1975, Daniel Cohn-Bendit admet la provocation mais, comme Joschka Fischer, dénonce la chasse à l’homme.
Daniel Cohn-Bendit a peut-être parlé trop vite. «Je viens de passer les six pires semaines de ma vie», déclarait-il le 7 février. Manifestement épuisé, le député européen, venu à Paris soutenir les Verts pendant la campagne des municipales, faisait alors référence à ses semaines passées en Allemagne auprès du ministre des Affaires étrangères, son ami Joschka Fischer, attaqué sur son passé d’extrême gauche. Depuis hier, c’est Cohn-Bendit lui-même, en France, qui est mis en cause. Et les pires semaines de sa vie viennent peut-être seulement de commencer. «On a sorti tous nos textes, toute notre histoire. Elle n’est pas simplement jolie, on y trouve des pages noires et aussi des pages dont nous pouvons avoir honte», expliquait l’ancien leader de Mai 68 début février dans un amphithéâtre de la Sorbonne, à l’occasion d’un débat public sur «l’engagement en politique». Depuis hier, ce sont ses propres pages qui ressortent.
L’Express a publié, dans le cadre d’un dossier sur l’omerta, un article intitulé «Les remords de Cohn-Bendit», à propos d’un passage de son livre, le Grand bazar (publié en 1975 chez Belfond), où il parle de son activité d’éducateur dans un jardin d’enfants «alternatif» à Francfort. «Il m’était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais: « Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m’avez-vous choisi, moi, et pas les autres gosses? » Mais s’ils insistaient, je les caressais quand même», écrivait-il.
«C’est dégueulasse»
Le voilà vingt-cinq ans plus tard obligé de se défendre d’actes pédophiles. «C’est dégueulasse, déclarait Daniel Cohn-Bendit hier à Libération. Prétendre que j’étais pédophile est une insanité. La pédophilie est un crime. L’abus sexuel est quelque chose contre lequel il faut se battre. Il n’y a eu de ma part aucun acte de pédophilie.» Des parents de ces «crèches alternatives» ont d’ailleurs apporté leur soutien au leader écologiste dès le 31 janvier, soit trois jours après la publication d’une pleine page sur le sujet dans le journal anglais The Observer.«Nous savons qu’il n’a jamais porté atteinte à nos enfants», écrivent-ils. Les enfants eux-mêmes rejettent dans cette lettre «toute tentative de rapprochement entre Daniel Cohn-Bendit et des personnes coupables d’abus sexuels sur enfants».
Reste les écrits. «On peut discuter du texte», dit Daniel Cohn-Bendit en reconnaissant que ces lignes «sont aujourd’hui inaudibles, mal écrites». Il parle de son «insoutenable légèreté». Mais «sans chercher à me justifier, c’était le débat de l’époque. Dans l’introduction du livre, je précise que je suis le carrefour du gauchisme. Je reprends tous les débats du gauchisme, sur le communisme, la violence, l’éducation, la sexualité, en choisissant de le faire à la première personne. C’est un livre qui part de notre anti-autoritarisme en récapitulant les débats du moment. Et aujourd’hui, on fait comme si on révélait une pédophilie qui n’a jamais existé en se servant d’un livre sur la place publique depuis vingt-cinq ans et qui, à l’époque, n’avait suscité aucune réaction», s’indigne le député européen.
Une «revanche»
Joschka Fischer en Allemagne, Daniel Cohn-Bendit en France: pour ce dernier, «la revanche sur 68» est en marche. «C’est dans l’air du temps. Des gens attendaient ce moment depuis longtemps. Quand Hans Joachim Klein a été arrêté (1), il y a déjà eu une campagne contre moi. Elle a échoué. Là, c’est reparti comme en 14.»
Le 8 février à la Sorbonne, l’ancien leader étudiant avait déclaré: «C’est humain d’essayer d’embellir son histoire. Mais pour des hommes politiques, ce n’est pas juste. L’engagement en politique, c’est s’engager publiquement à essayer d’extirper sa vérité et la mettre en discussion.» Le voilà servi: «Cohn-Bendit a-t-il eu un passé pédophile?», se demandait hier TF1 sur son site web. Sans craindre d’appeler les internautes à voter sur la crédibilité de ses explications.
Le hasard a voulu que l’élu écologiste soit justement l’invité hier soir du journal de 20 heures de TF1. Un rendez-vous calé il y a trois semaines que Daniel Cohn-Bendit, en déplacement en Savoie dans le cadre de la campagne municipale, a tenu à honorer. «Ce que l’on peut me reprocher, c’est mon désir de provocation. Mais de grâce, arrêtons la chasse à l’homme. Je ne me laisserai pas assassiner en public, ni par TF1, ni par un journal», a-t-il conclu au terme d’un échange très vif. A la question posée par Philippe de Villiers, président du MPF (relayée par le présentateur télévisé Jean-Claude Narcy), de savoir s’il allait démissionner de son mandat de député européen, Daniel Cohn-Bendit a répondu : «Pourquoi?».
(1) Hans-Joachim Klein, ancien terroriste, a été arrêté en France en septembre 1998. Il était recherché pour avoir participé à l’opération commando menée par Carlos, à Vienne en 1975, contre un sommet des ministres de l’Opep. Daniel Cohn-Bendit ne s’est jamais caché de l’avoir soutenu. Il avait également tenté de le convaincre de se rendre. Jugé en Allemagne, Klein vient d’être condamné à neuf ans de prison.
QUINIO Paul
Source: http://www.liberation.fr/evenement/2001/02/23/l-affaire-cohn-bendit-ou-le-proces-de-mai-68_355607