La société de mannequins s’estime diffamée par l’un de ses ex-associés.
C’est une guerre d’images si féroce et interminable qu’elle devait s’achever devant la 17e chambre correctionnelle du tribunal de Paris, spécialisée dans les procédures en diffamation. Une guerre de communication telle que le plaignant, numéro 1 mondial des agences de mannequinat, Elite, prend soin, démarche inhabituelle, de faire distribuer un dossier de presse aux chroniqueurs judiciaires.
Empire médiatique. Vendredi, Elite poursuivait le magazine Capital pour un article publié en septembre 2001, intitulé: «L’homme qui fait trembler Elite». L’homme en question, Omar Harfouch, également poursuivi pour «complicité de diffamation», est la véritable cible de la société qui a notamment lancé Claudia Schiffer et Naomi Campbell. Dans cet article, ce jeune homme d’affaires d’origine libanaise décrivait pour la première fois publiquement en France des pratiques de harcèlement sexuel sur de jeunes mannequins, des menaces de mort sur sa personne, un cas de kidnapping d’une jeune fille. Deux ans après la diffusion dans vingt pays d’une enquête retentissante quoique controversée de la BBC, l’article de Capital était alors apparu comme une nouvelle menace pour la réputation d’Elite. Omar Harfouch ne s’est pas arrêté là. Le 15 septembre, il a réitéré ses accusations dans l’émission de Thierry Ardisson Tout le monde en parle, Elite n’hésitant pas à envoyer des huissiers dans la régie de France 2, afin d’obtenir en vain un droit de réponse de la chaîne. Ce premier contentieux audiovisuel a été jugé mardi, la 17e chambre déboutant Elite pour des raisons de procédure.
Vendredi, les deux adversaires avaient donc pour la première fois l’occasion de s’expliquer sur le fond. Ancien associé de l’agence pour l’organisation du concours Elite Model Look dans une demi-douzaine de pays, Omar Harfouch est un personnage détonnant. A 33 ans, il possède avec son frère un groupe de médias basé à Kiev (Ukraine), dont la télévision, la radio et plusieurs titres de presse pèsent une quinzaine de millions de dollars. Depuis deux ans, Omar Harfouch présente l’image du chevalier blanc du mannequinat. Pour lui, le conflit est né lorsqu’il a voulu proposer «un code d’éthique» à la direction de l’agence. «J’ai décidé qu’à l’occasion du concours Elite Model Look, il n’y aurait plus de filles de moins de 16 ans, qu’elles seraient accompagnées de leur mère et protégées par des gardes du corps, et qu’il n’y aurait plus de relations entre les filles et les membres du jury. Toutes ces réformes ont été rejetées», explique-t-il. Pour Alain Kitler, fondateur d’Elite avec John Casablancas, les critiques publiques d’Harfouch ne sont pas seules à l’origine de cette guerre. Des doutes sur la provenance des fonds de l’accusateur l’expliqueraient également : «Les accusations d’Harfouch sont grotesques, je ne peux faire que des suppositions sur cette campagne de presse inouïe qu’il a lancée contre nous.»
Menaces. Dépassant largement le cadre des propos contenus dans l’article de Capital, les débats ont illustré la difficile stratégie d’Elite. L’agence est soucieuse de protéger à l’extrême son image, multipliant des procédures judiciaires qui lui ont déjà coûté plusieurs millions de francs, mais s’expose dans le même temps à ce qu’une régulière publicité soit faite aux accusations portées contre elle. Toutefois, les preuves qu’Omar Harfouch prétend apporter («Moi, je sais qu’Elite a fait des gestes gentils pour des gens haut placés en France, des patrons de presse, de police», affirmait-il au Monde en septembre 2001) sont encore incomplètes. Vendredi, l’audience a semblé tourner en sa faveur sur la réalité des menaces physiques dont il a été la victime, mais la démonstration de pratiques illégales d’Elite reste à faire. Le jugement en délibéré au 26 septembre.
TASSEL Fabrice