Jeune Afrique La folle cavale de Cheb Mami

Accusé par la justice française de violences volontaires, séquestration et menaces sur la personne de son ex-compagne, le « prince du raï » a choisi de regagner clandestinement Oran, sans attendre son procès. Il est désormais recherché par Interpol.

Il y a un an, il était en haut de l’affiche. Prince du raï, Cheb Mami vendait des albums par millions (dix-sept, au total) et multipliait les duos avec les stars du show-biz, de Sting à Enrico Macias, en passant par Zucchero ou la chanteuse israélienne Noa. Il est aujourd’hui la vedette d’un fait-divers particulièrement sordide et s’efforce d’échapper à la justice française.
Pour Cheb Mami (40 ans), la descente aux enfers commence le 27 août 2005. Ce jour-là, son ex-­compagne française, enceinte de lui de trois mois, débarque à Alger où elle est invitée à faire un reportage sur des chanteurs kabyles. Elle aurait été accueillie par un assistant de son manager, puis conduite dans un bungalow situé sur la côte ouest de la capitale. Là, on lui aurait fait boire un jus de
fruits mélangé à des médicaments. Droguée, elle aurait été conduite dans la villa du chanteur, à Alger, où se seraient déjà trouvées deux femmes. Des « faiseuses d’ange »Â… Allongée de force sur un matelas, la jeune femme aurait subi une tentative d’avortement. « Ils m’ont piquée trois fois aux fesses, raconte-t-elle aux policiers. J’étais sur le dos, l’une des femmes était à califourchon sur moi et me pressait le ventre très fortement tandis que l’autre essayait d’extraire le fœtus. Il y avait du sang partout. »
De retour en France, elle constate que le bébé qu’elle porte est miraculeusement indemne. La petite fille naîtra le 14 mars 2006. Craignant, à tort ou à raison, pour la sécurité d’Aïda, sa première fille, la maman, photographe dans une agence de presse, porte plainte contre lui, le 21 novembre 2005, dans un commissariat parisien. Certificat médical à l’appui, elle l’accuse de lui avoir fait subir une tentative d’avortement forcé qui s’est traduite par un arrêt de travail de trente jours. Une enquête est diligentée.

Le 26 octobre 2006, Cheb Mami débarque à l’aéroport d’Orly. À sa descente d’avion, il est interpellé et conduit devant le juge d’instruction du tribunal de Bobigny (Seine-Saint-Denis). Arrêté le même jour, Michel Lévy, son manager, est également interrogé dans le cadre de la même affaire. Confronté à la plaignante, Mami, au terme de deux jours de garde à vue, est mis en examen pour « violence volontaire, séquestration et menaces », et placé en détention dans le quartier VIP de la prison de la Santé, à Paris. Il y restera trois mois et demi.
Début février 2007, Mami est finalement libéré, après versement d’une caution de 200 000 euros. Privé de ses passeports algérien et français, il est placé sous contrôle judiciaire, avec interdiction de quitter le territoire français. Dans l’attente de son procès, le chanteur s’installe dans l’appartement qu’il possède dans le 9e arrondissemement de Paris. Le 14 mai, coup de théâtre : il ne répond pas à une citation à comparaître devant le tribunal de grande instance de Bobigny (la plaignante et son manager sont, en revanche, présents). Furieuse, la juge Élisabeth Herlaut lance aussitôt un mandat d’arrêt international contre lui.
Le mois précédent, pendant les vacances de Pâques, Mami a en effet réussi à gagner l’Espagne en automobile, avant d’embarquer, à Alicante, à destination d’Oran, où sa famille est établie. Comment est-il parvenu à quitter la France alors que ses passeports lui avaient été confisqués ? Sur ce point, les informations divergent. On dit qu’il aurait fait renouveler son passeport auprès du consulat d’Algérie à Paris… Ou qu’il aurait récupéré un passeport périmé… Ou encore, qu’il aurait pu bénéficier d’une « inadvertance » du consulat d’Algérie à Madrid… Seule certitude, Mami a choisi la fuite plutôt que le procès.
« En violant le contrôle judiciaire, il a commis une grave erreur, car la juge l’aurait sans doute autorisé à se rendre en Algérie si ses avocats en avaient fait la demande », commente une source proche du dossier. « Il aurait dû rester en France, confirme un avocat du barreau d’Alger. Hier, il se disait victime d’une cabale. Aujourd’hui, il s’est mis dans la peau d’un coupable. Comment plaider l’innocence après ça ? »
Mais que s’est-il donc passé dans la tête de Mohamed Khelifati, le vrai patronyme de Cheb Mami ? A-t-il brusquement pris conscience des conséquences de son geste sur sa carrière ? A-t-il écouté de mauvais conseillers ? A-t-il tout simplement paniqué à l’idée de passer quelques mois, voire quelques années, derrière les barreaux ?
Longtemps, le chanteur avait affiché sa confiance dans la justice française. Il y a quelques mois, lors d’une rencontre dans le bureau de son avocat parisien, il nous avait confié son intention de répondre aux accusations portées contre lui. « Je vais me défendre parce que je suis innocent », nous avait-il déclaré. Le voici désormais en cavale.

C’est à Oran où, entre autres biens, il possède une grande villa qui fut la maison d’enfance du couturier Yves Saint Laurent, que le « Cheb » tente d’organiser, maladroitement, sa défense dans les médias. Après avoir systématiquement refusé les sollicitations de la presse française (au mois de mars dernier, il nous avait donné son accord de principe pour une interview dans Jeune Afrique, avant de se rétracter à la dernière minute), il a fini par donner sa version des faits au Quotidien d’Oran (4 juin), puis à El Watan (10 juin). Le chanteur affecte de craindre pour sa sécurité, porte casquette et lunettes noires, refuse de divulguer son adresse et de communiquer son numéro de téléphone. Il est escorté en permanence par deux ou trois cerbères pas franchement avenants. Délire parano ou crainte justifiée ? L’un des deux journalistes qui l’ont rencontré à Oran répond, dans un sourire : « Il est plus facile d’obtenir un rendez-vous avec le pape qu’avec Mami. Il se déplace dans un véhicule aux vitres teintées, esquive les questions gênantes ?et refuse que l’entretien soit enregistré. On se croirait dans un film policier de série B. »
« Je ne nie pas avoir eu un rapport sexuel avec la plaignante, confie-t-il à nos confrères algériens. Mais une seule fois, lors d’une rencontre occasionnelle. Elle m’a trompé en ce sens qu’elle a volontairement omis de prendre un contraceptif, comme nous en étions convenus. Quelques mois après, elle a commencé à faire du chantage, à me demander de l’argent en me menaçant de déposer plainte. »
Déprimé, Mami a alors commis « la plus grande bêtise de [sa] vie en écoutant le conseil de [son] manager ». « Vous savez, explique-t-il, quand on est déprimé, on devient une proie facile pour les mauvais conseillers. Alors, il y a eu cette journée où, dans une maison à Alger, en présence de mon manager et de deux médecins [sic], il y a eu ce curetage. Ces deux médecins ont dernièrement fait l’objet de recherches, dans le cadre d’une commission rogatoire, mais sans succès. Mais c’était heureusement un acte sans conséquence puisque, revenue en France, la mère a constaté la viabilité du fœtus et a décidé de garder l’enfant, une fille qui serait aujourd’hui âgée de 9 mois. »
Jouant les Ponce Pilate, Mami rappelle que « depuis le dépôt de plainte et jusqu’à l’enquête judiciaire, cette femme a toujours déclaré que je n’étais pas présent lors de la tentative d’avortement ».
« Au début, elle a quand même demandé de l’argent pour avorter, dit encore le chanteur. Elle a été dans une clinique en France, mais le prix ne lui convenait pas. C’est une affaire d’argent, tout simplement. Je lui ai remis, dans un premier temps, 10 000 euros, ensuite 5 000 euros. Je voulais oublier cette histoire. »
Et sa cavale en Algérie ? « Non, ce n’est pas dans l’intention de fuir que j’ai quitté la France. J’étais déjà en liberté provisoire… Mais ma mère, qui a 87 ans, est souffrante. Et puis, j’ai des affaires ici. Aussi me suis-je dit : je me déplace et, le jour du jugement, je reviendrai. » Dans ce cas, la posture du bouc émissaire est souvent bien commode, à défaut d’être crédible : « Je suis victime d’un acharnement médiatique hystérique qui va en grandissant, jure Mami. Les journaux et les médias français font de mon affaire de droit commun une affaire d’État. Il y a une volonté manifeste de nuire à mon image en salissant ma personne. Non pas parce que je suis une star, mais parce que je suis une star arabe. »
Michel Lévy, son ancien manager, l’homme qui lui a ouvert les portes du succès international, se voit quant à lui accusé de tous les maux en des termes plus que contestables. « Mon erreur, affirme le chanteur, peut-être la plus grosse de toute ma vie, c’est d’avoir suivi le mauvais conseil de mon manager juif, Michel Lévy. C’est lui la cause de tous mes ennuis. » Last but not least, Mami met en cause la partialité de la justice française, en laquelle, dit-il, il n’a « plus confiance ». « Le 25 octobre 2006, explique-t-il, lors de ma présentation devant la juge d’instruction, en présence de mes avocats, on n’a pas pris beaucoup de temps pour délivrer un mandat d’arrêt contre moi, en dépit du fait que je présente toutes les garanties de présentation [devant la justice] requises. Depuis plusieurs années, je fais la navette entre l’Algérie et la France, où je possède plusieurs biens, notamment à Paris. Mes conseils ont souligné que je me tenais à la disposition de la justice française pour la suite de l’enquête, mais leurs arguments n’ont pas été pris en compte et la juge m’a mis en taule. »
Très abattu, « le môme » (mami en arabe) souhaite désormais être jugé dans son pays d’origine. Bien qu’il existe une convention d’extradition entre les deux pays, il ne court pas grand risque d’être renvoyé à Paris. Mais il n’est, en théorie, pas à l’abri de poursuites judiciaires. « Si la justice algérienne se saisit de l’affaire, le procès peut être instruit ici », explique un avocat algérien (voir encadré ci-dessous). Mais quel juge d’instruction prendra un tel risque connaissant les solides amitiés dont dispose la star au sein du pouvoir algérien ?
Quoi qu’il en soit, il y a beau temps que les policiers français ne croient plus à l’innocence de Mami. Le 21 novembre 2005, alors que la plaignante se trouvait dans les locaux de police judiciaire de Seine-Saint-Denis, elle aurait reçu de lui un appel téléphonique très compromettant, aussitôt enregistré par les fonctionnaires de police. « Le sang, je l’ai vu, j’étais là. J’ai vu le liquide sortir, tu n’as plus de bébé, c’était comme un morceau de foie », aurait déclaré Mami.
Ses récentes sorties médiatiques ne semblent pas de nature à redorer l’image du chanteur, bien au contraire. La presse française n’a pas manqué de relever dans ses propos des relents antisémites, et son ex-manager n’exclut pas de porter plainte contre lui pour diffamation. Me Françoise Cotta, qui défend les intérêts de son ex-compagne, se déclare pour sa part atterrée : « Cette interview, juge-?t-elle, est pitoyable. La jeunesse algérienne mérite d’autres idoles. Que Cheb Mami sache que, dans ce dossier, la partie civile sera représentée, que le procès ait lieu en France ou en Algérie. »
Quant à la plaignante, qui continue de refuser de s’exprimer publiquement sur cette affaire, elle n’oublie pas que, peu de temps après sa remise en liberté, Cheb Mami avait annoncé à la télévision algérienne son intention d’organiser un grand concert ?pour fêter sa libération et « oublier tout ça ». Tant de légèreté et de désinvolture ont fini par choquer les Français, bien sûr, mais aussi les Algériens, qui, pendant son incarcération, s’étaient pourtant montrés plutôt solidaires.
Mais le vent a tourné. Rares sont aujourd’hui ses compatriotes qui lui accordent des circonstances atténuantes, comme en témoignent les forums Internet. « Mami, tu as fait une connerie, tu dois l’assumer, écrit par exemple Mourad, un internaute résumant assez bien le sentiment général. Tu es pathétique quand tu accuses ton manager et ton ex d’être juifs [ce qui, au demeurant, est faux, NDLR]. Tu n’as plus confiance dans la France et dans sa justice ? Tu oublies que tu as reçu la Légion d’honneur des mains de Chirac en 2001 ? » [En réalité, le chanteur a été fait chevalier de l’ordre national du Mérite, NDLR.]

Sacrée déchéance pour l’ancien soudeur de Saïda devenu star internationale ! Personnage plutôt discret dans un monde du show-biz qui ne l’est guère, il a longtemps joui dans l’opinion d’une image sympathique. Adepte d’un raï plus policé, moins épicé que celui de Cheb Khaled, son grand rival – qui, lui aussi, en septembre 2004, a eu maille à partir avec la justice française pour non-paiement de la pension alimentaire de son fils -, Cheb Mami avait presque le profil du gendre idéal. Tout semblait réussir au prince du raï. Jusqu’au jour où il a déraillé.
En attendant la tenue de son éventuel procès, il est professionnellement à la dérive. Layali, son disque sorti le 30 octobre 2006, a fait un flop avant d’être carrément retiré des bacs à la demande de sa maison de disques. Quant à une éventuelle relance de sa carrière, mieux vaut, pour l’instant, n’en point parler.

Source: http://www.jeuneafrique.com/Article/LIN24067lafolimambe0/

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