Le Monde Affaire Borel : Djibouti tente de relancer la piste pédophile

Douze ans après la mort du juge français Bernard Borrel, à Djibouti, le 19 octobre 1995, les autorités judiciaires djiboutiennes ont lancé une série de convocations, dans le cadre d’une affaire de pédophilie, à l’adresse de plusieurs Français en poste à l’époque dans le pays. Ces convocations font suite à une plainte déposée, le 10 avril, par deux Djiboutiens de 23 et 25 ans pour des agressions sexuelles dont ils auraient été victimes, dans les années 90, dans le cadre d’un réseau pédophile.

Bernard Borrel, coopérant conseiller technique auprès du ministre de la justice djiboutienne, avait été retrouvé mort, en 1995, le corps à moitié carbonisé, dans un ravin, à 80 km de la capitale. Les autorités djiboutiennes estiment que la piste d’un éventuel réseau pédophile sur lequel, selon elle, enquêtait le juge français quand il est mort, n’a jamais été réellement examinée. En France, après avoir privilégié la thèse du suicide, l’instruction s’oriente vers celle d’un assassinat commandité par le régime djiboutien. Depuis, les relations diplomatiques entre Djibouti et la France se sont envenimées.

Quatre convocations pour viol sur mineur – dont Le Monde s’est procuré une copie – ont été envoyées, le 9 octobre, par le juge d’instruction djiboutien Abdoulkader Ibrahim Issack. Elles sont adressées à deux anciens conseillers de la présidence djiboutienne, Claude Sapkas-Keller et Patrick Millon, ainsi qu’à deux prêtres : Cédric Dusfour et Aubert Gangloss.

Plusieurs convocations à témoigner sont également en préparation. L’une d’elles a déjà été adressée à Jacques-Marie Carlhant, un militaire qui avait dénoncé ce réseau. Les autres devraient être envoyées « dans les prochains jours », selon le procureur général djiboutien Djama Souleiman Ali. La justice djiboutienne reproche à ces ressortissants français d’avoir, en 1995, essayé d‘ »étouffer » la piste selon laquelle la mort de Bernard Borrel pouvait être liée à son éventuelle enquête sur un réseau pédophile.

PAS DE « RÉTORSION »

De source judiciaire djiboutienne, ces convocations visent notamment trois diplomates : l’ancien ambassadeur de France à Djibouti Jean-Marie Momal, le consul général de l’époque Philippe Guérin et le chef de mission Jean-Jacques Mouline. Plusieurs militaires devraient également être concernés, dont le général François Gueniot, responsable des forces françaises à Djibouti en 1995, et le colonel Patrice Sartre.

La justice djiboutienne réfute aujourd’hui « toute mesure de rétorsion diplomatique ». « Dans ce dossier, ce n’est pas parole contre parole », estime le procureur Djama Souleiman. « Nous avons une plainte, nous l’instruisons. » Lui-même convoqué le 13 mars 2008 au tribunal de Versailles pour « subornation de témoins », il a annoncé son intention de ne pas obtempérer. Il est soupçonné d’avoir, avec le chef des services secrets djiboutiens, Hassan Saïd, exercé des pressions et des menaces sur deux témoins djiboutiens qui mettaient en cause le pouvoir djiboutien dans la mort du juge Borrel.

Pour Me Olivier Morice, l’avocat d’Elisabeth Borrel, la veuve du juge, ces convocations de la part des autorités djiboutiennes sont « un non-événement ». « C’est un coup politique, estime-t-il. Cela fait des années que certains veulent avoir recours à la thèse pédophile pour expliquer la mort de Bernard Borrel alors que rien dans le dossier ne vient étayer cela. »

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