LCI Radio Outreau : une psychologue sort de sa réserve (Marie-Christine Gryson-Dejehansart)

Dans « Outreau : la vérité abusée », la psychologue Marie-Christine Gryson, revient sur cette affaire qu’elle a vécue de l’intérieur. Un livre pour réhabiliter le métier d’expert et rappeler que 12 enfants ont été reconnus victimes.

Qu’a-t-on retenu du procès d’Outreau ? Que ce fut un fiasco judiciaire retentissant. Que treize personnes furent acquittées, lavées de toute accusation de pédophilie. Que la parole des enfants n’était pas d’évangile, tout comme celle des experts. Que le rôle du juge d’instruction était à revoir, les conditions de la détention préventive aussi. Des commissions se sont réunies et des lois ont été votées.

Mais le verdict d’Outreau, c’est aussi 15 enfants officiellement reconnus victimes d’agressions sexuelles et de viols lors du premier procès, puis finalement 12 au deuxième procès d’assises, trois enfants s’étant « rétractés ». C’est aussi quatre adultes qui ont reconnu les faits et ont été condamnés. Mais qui s’en souvient ? Cette vérité judiciaire, la psychologue et expert auprès des tribunaux Marie-Christine Gryson-Dejehensart la rappelle avec force dans un livre-brulot intitulé « Outreau, la vérité abusée. 12 enfants reconnus victimes« *.

« Les experts ne se sont pas trompés »

L’expert judiciaire a, en effet, examiné 18 enfants concernés par « l’affaire » en 2001 et 2002, à la demande du juge Burgaud. Dans un souci de réhabilitation du rôle de l’expert, elle décrypte avec minutie dans son ouvrage l’approche méthodologique « très codifiée et très expérimentée des expertises,avec plus de quarante critères de validation« , qui lui a permis de retenir comme crédibles les traumatismes racontés pour 15 des enfants. « Des conclusions qui seront confirmées par quatre autres psychologues et un pédopsychiatre« , tient-elle à préciser. Des souffrances que les jurés ont, eux aussi, par deux fois jugé crédibles, au moins pour 12 d’entre eux. Mais cette partie là du verdict n’a été retenue « ni par les médias, ni par l’opinion« .

Pour l’expliquer, la psychologue revient sur « le rôle dévastateur » qu’ont joué, selon elles, les avocats de la défense « en utilisant pour stratégie la démolition du travail des experts. Nous étions les monstres à abattre, et moi la première« . « Les propos des enfants ont été déformés, mal interprétés alors qu’il est normal qu’ils se contredisent parfois. Les experts savent l’analyser, mais ils n’ont pas pu l’expliquer« . Elle n’épargne pas non plus les médias « qui ont pris ces stratégies classiques de discrédit dans un procès pour des ‘vérités vraies’« . Des médias « qui ont permis aux accusés d’occuper tout l’espace victimaire, parce qu’on pouvait montrer leur souffrance, alors que les enfants d’Outreau n’étaient pas ‘représentables’ puisqu’aucune image d’eux n’a pu être diffusée pour des raisons déontologiques« .

La storytelling

De là, explique-t-elle, est née une « storytelling » (ndlr : le fait de substituer aux arguments raisonnés et aux analyses chiffrées le poids d’une bonne histoire) : « Les enfants carencés inventent des viols et abus sexuels, ils sont dangereux pour la société, leur parole ne doit plus circuler« . Storytelling qui « perdure« , regrette-t-elle, « bienqu’elle ne corresponde pas à la vérité judicaire« . Marie-Christine Gryson reste convaincue que l’affaire d’Outreau rebondira un jour d’une autre façon, « lorsque les enfants auront grandi et qu’ils sauront mieux s’exprimer ».

Dans ses conclusions, l’auteure propose quelques pistes d’amélioration, comme l’enregistrement systématique des expertises faites par les psychologues pour mieux montrer aux jurés comment un enfant revit « physiquement » ses traumatismes et comment « il ne peut mentir » lorsqu’il s’agit d’actes aussi graves que des viols en réunion. Une analyse qui n’engage que son auteur.

 

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