20 Minutes Les Infiltrés: fallait-il dénoncer les pédophiles? Ce qu’en pense la presse

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Laurent Richard a fait un reportage sur le milieu pédophile, et dénoncé ses sources en décrétant faisant son devoir de citoyen. A-t-il eu raison?

Ce mardi soir est diffusée sur France 2 l’émission des Infiltrés. Un journaliste s’immisce dans un milieu, son immixtion débouche sur le reportage. Le procédé faisait déjà polémique en soi (un journaliste n’est pas censé avancer masqué), mais l’édition de ce mardi soir déclenche les passions. Laurent Richard, l’auteur de l’enquête, s’est infiltré dans le milieu pédophile en se faisant passer pour une petite fille, et les a dénoncés.

«Quand on est destinataire d’informations qui peuvent empêcher des tentatives de corruption sur des mineurs ou des viols d’enfants, c’est normal qu’on signale les cas à la police», a estimé Richard dans Télé 2 semaines, soulignant qu’il ne faisait là que son travail de citoyen.

Le droit de dénoncer, pas l’obligation

Au Syndicat national des journalistes, principal syndicat de la profession, Dominique Pradalié estime cependant qu’un journaliste en exercice n’est pas un citoyen. «Je pense qu’il confond sa carte de journaliste avec une carte de policier. Un journaliste en exercice n’a pas à donner ses sources. Depuis le 4 janvier 2010, une loi affirme que personne ne peut contraindre un journaliste à donner ses sources. S’il l’a fait c’est de son plein gré.»

 

L’agence Capa –pour laquelle travaille Laurent Richard- explique à qui veut l’entendre que la loi contraint tout citoyen à dénoncer quand il s’agit d’affaires ayant trait à l’enfance. Maître Pierre-Olivier Sur, spécialiste en droit de la presse et l’un des avocats de France Télévision  explique qu’il existe en France un principe selon lequel ne pas dénoncer les crimes est un délit. Mais que les journalistes n’y sont pas tenus. Qu’il existe effectivement une spécificité des affaires concernant l’enfance; que les journalistes ont alors le droit de dénoncer, mais en aucun cas l’obligation.

Provocations

Au SNJ, Dominique Pradalié ajoute qu’il est «hypocrite de dire qu’il était contraint. Quand on enquête sur des pédophiles, on ne pense pas tomber sur des fraises des bois. Laurent Richard savait à quoi s’attendre.»

Du coup la question se pose de savoir s’il n’a pas provoqué les pédophiles: auquel cas le journaliste aurait commis un délit. «Inciter au crime est interdit par la loi. Imaginez qu’il ait réveillé les pulsions en sommeil d’un pédophile qui dormait? Un pédophile, c’est quelqu’un qui mène chaque jour un combat contre lui-même et ses pulsions. Imaginez que le journaliste ait été capable de lui faire perdre son combat?»

Peu de chances, néanmoins que les journalistes s’adonnant à ce genre de pratiques perdent leur carte de presse. La Commission de la carte des Journalistes, chargée de distribuer les cartes de presse, rappelle qu’elle ne peut vérifier un par un les travaux des reporters, et donc vérifier les cas de non respect de la déontologie.

La conséquence est la perte de confiance des lecteurs et du public, explique Dominique Pradalié, «alors les journalistes ne pourront plus faire leur travail correctement.» Et ils peuvent être assimilés à des policiers.

D’autant que le problème vient de se poser. Fin mars, la police faisait une perquisition à Tremblay-en-France, en Seine-Saint-Denis. Près d’un million d’euros en liquide étaient saisis; le soir même, TF1 diffusait un reportage sur le trafic de drogue de Tremblay. La chaîne avait alors nié toute dénonciation des dealers à la police, et revendiqué son indépendance; mais la police admettait que la diffusion du reportage avait précipité la décente.

A l’étranger pourtant cette collaboration est bien réelle. En Belgique par exemple il existe une émission d’appel à témoins faisant ouvertement collaborer la police, le ministère de la Justice et les médias, et dans le plat pays, cela ne choque personne. L’émission a été créée à la demande de la police, après l’affaire Dutroux. Dominique Demoulin, la présentatrice de l’émission belge Affaires non classées explique sans états d’âme: «Nous traitons une dizaine d’affaires par émission, en direct des locaux de la police fédérale.» Les Infiltrés mènent-ils la France vers ce type de mélange?

Charlotte Pudlowski

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