Table Ronde de l’institut de Criminologie
de l’université de Paris -Assas Panthéon
le 24 Février 2011
De gauche à droite : Pierre Mazet
(professeur de Pédopsychiatrie)
Marie-Christine Gryson
(Psychologue – expert judiciaire)
Gérard Lopez (Psychiatre – Expert,
cofondateur et coordinateur de la chaire
Unitwin (UNESCO)
Président de l’Institut de victimologie),
Pierre Joxe (Avocat, ancien Ministre)
La parole de l’enfant après la mystification d’Outreau
par Marie-Christine Gryson-Dejehansart
Auteure du livre « Outreau La vérité abusée »
Table Ronde de l’institut de Criminologie de |
Introduction L’intitulé de cette Table Ronde étant « La parole de l’enfant après la mystification d’Outreau » il est indispensable de le clarifier dès à présent en tant que premier intervenant. C’est en connaissance de cause que je m’autorise à en parler, puisque j’ai été le témoin direct – avec tous les autres professionnels de l’affaire – de l’installation brutale de cette mystification, au moment du premier procès d’Outreau, aux assises de Saint-Omer en mai-juin 2004. De quelle mystification parle t-on exactement ? De la falsification de la réalité d’Outreau qui est une conséquence de l’omerta sur la vérité judiciaire des enfants reconnus victimes. Ce 24 février 2011 personne ne sait – en dehors des initiés – que les 15 enfants concernés ont été reconnus victimes de viols et ou agressions sexuelles, proxénétisme et corruption de mineurs – dont 12 définitivement au procès en appel à Paris – car cette vérité judiciaire n’a jamais été relayée par les médias. A l’origine de cette mystification, l’on retrouve une manipulation par omission – puis par omerta – qui procède d’une dynamique de tromperie de l’opinion, de manière plus ou moins volontaire ou inconsciente, mais dont le dénominateur commun peut s’analyser en termes – d’intérêts opportunistes ou de régulation sociétale. Et c’est à cause de cette mystification que nous sommes repartis 15 ans en arrière dans le domaine de la prise en compte de la parole de l’enfant victime d’agressions sexuelles. La vérité judiciaire des enfants a été progressivement remplacée par la vérité médiatique que j’ai appelé la storytelling d’Outreau. La bonne histoire au bon moment à savoir: « Grâce à Outreau, on a appris que les enfants » carencés »inventent des agressions sexuelles. » On neutralise les références à notre bon sens commun qui estime qu’un petit enfant ne peut imaginer des pratiques sexuelles entre adulte et enfant telles que la sodomie ou la fellation, en ajoutant le qualificatif de « carencé ». Ce sont des enfants différents des nôtres puisqu’ils dont carencés, et donc possiblement dégénérés et donc capable de tout. Ce 24 février 2011, alors que la commémoration des 10 années desarrestations des accusés, se répand sur toutes les télévisions et dans les journaux, la question qui se pose de manière légitime est la suivante : de quelle façon cette rétrospective nous est-elle présentée par les médias télévisés, qui n’ont pas intégré la vérité judiciaire des enfants ? Le constat est immédiat : elle nous est présentée de la manière la plus réductrice, la plus régressive et la plus caricaturale possible. La justice ne « triangule » plus la relation binaire entre le coupable et la victime puisque c’est la justice qui est coupable. Régression de civilisation s’il en est ! La justice « télé-réalité » nous présente, d’un côté les victimes : à savoir les acquittés au moment des procès, mais aussi lors de leur audition devant la Commission parlementaire. On nous présente aussitôt après, leur vie aujourd’hui, la manière dont ils se sont remis ou pas, de leur implication, dénoncée comme odieuse, dans ce qui est toujours présenté comme un prodigieux fiasco judiciaire. En face d’eux, il nous est donné à voir l’exhibition infamante d’un juge – opportunément jeune – devant la commission d’enquête parlementaire – présenté comme un trophée des temps les plus archaïques. Sa souffrance évidente est donnée à voir en symétrie punitive face à celle des acquittés. Elle se doit d’être interprétée comme une mortification, preuve de culpabilité. Paradoxalement, cette image du représentant de notre justice, continue de le condamner à l’opprobre publique, alors que celle du violeur d’enfants condamné à 20 ans de réclusion criminelle, est totalement préservée. Il est donc devenu plus mauvais sujet que ce violeur d’enfant tout comme les experts l’ont été durant les procès, et ce grâce à la réactivation permanente des images qui correspondent à la structure binaire du psychisme humain et de la justice : le face-à-face victime/coupable. Un autre constat s’impose : la justice est définitivement sous contrôle de la télé-réalité dans ce type d’affaire,en effet, quel magistrat osera courir le risque de cette mise au pilori, juste pour avoir entendu et pris en compte la parole d’enfants dénonçant des viols ? D’enfants, il n’est plus jamais question, ce qui est normal, puisque tout l’espace victimaire est occupé par les acquittés dans l’esprit des citoyens téléspectateurs, il n’y a donc plusaucune place pour les enfants, victimes reconnues judiciairement. Il s’avère que lors de ces divers reportages, le mot enfant n’est même plus prononcé… on parle de procès de la pédophilie associé de suite aux termes d’erreur judiciaire. Les enfants à l’origine de l’intervention de la justice, ont totalement disparu de la scène médiatique mais lorsque de rares fois ils réapparaissent, 10 ans donc après le début de l’affaire d’Outreau, ils ne sont que deux petits êtres dangereux voire diaboliques qui ont accusés à tort et à travers sous l’emprise d’une mère mythomane ! Précisons ici que les premières révélations ont eu lieu un an après le placement des enfants de la première famille incriminée, le couple Delay-Badaoui qui était par ailleurs déjà incarcéré quand d’autres enfants ont effectué leurs propres révélations. La vérité médiatique qui renvoie à la storytelling d’Outreau, ne coïncide donc pas avec la vérité judiciaire, mais c’est cette dernière qui est devenue la vérité officielle. C’est cette mystification, cette authentique falsification de la réalité qui a emporté avec elle, un grand nombre d’acquis en terme de victimologie infantile et donc de protection de l’enfant, mais aussi en termes d’évolution de civilisation. J’en ai été le témoin indigné,en tant que citoyenne – le concept est à la mode – et comme l’indignation est moteur d’action, j’ai tenté d’agir efficacement en tant que psychologue clinicienne, en apportant une analyse du comment et du pourquoi de cette mystification. Comment en est-on arrivé là ?Tout a commencé au procès de Saint-Omer ….je vais donc vous évoquer très brièvement les moments-clé qui ont contribué à la mise en place de cette storytelling et correlativement, de l’omerta sur la vérité judiciaire des enfants. 1 – Au procès de Saint-Omer : installation de la storytelling et de l’omerta sur la vérité judiciaire des enfants.Le procès de Saint-Omer a été le premier procès télé-réalité de l’histoire de la justice française, c’était la stratégie de la défense qui assurait la communication avec les médias.Le procès s’est davantage passé sur le trottoir que dans l’enceinte du tribunal. Depuis, afin d’éviter cette anomalie Outreau, un magistrat est systématiquement désigné pour assurer la communication du procès auprès des médias. Dans un tel procès, la parole de l’enfant ne peut y trouver sa place puisqu’il est interdit d’image pour des raisons de minorité. Sa souffrance ne pouvait donc s’incarner à l’image, il était perdant d’avance, car elle ne peut exister si elle n’est pas représentable à l’écran.Le procès était d’emblée médiatiquement inéquitable. Les deux avocats des enfants d’Outreau, mandatés par le Conseil Général du Pas de Calais – relayés par 3 ou 4 avocats d’association de défense des enfants – se montraient à peine, totalement tétanisés, selon les procureur Erik Maurel1face aux 19 avocats de la défense. Les enfants d’Outreau n’avaient pas de parents – et pour cause – pour pleurer leur désespoir devant les caméras et tous les professionnels susceptibles d’y évoquer leurs traumatismes, était interdits de parole, par obligation de réserve. Et malheur à ceux qui venaient à l’oublier, cette anecdote illustre bien l’inégalité de la communication : le professeur JL Viaux Expert en dualité de 4 enfants Delay, un soir d’exaspération, peu avant notre déposition, a écrit un billet d’humeur au journal Le Monde. Il voulait candidement en appeler à la raison et à plus de lucidité, il s’est vu aussitôt poursuivi par la défense pour atteinte à l’équité du procès et une plainte a été déposée contre lui, auprès de la Cour Européenne des droits de l’homme. De plus, les avocats des accusés ont demandé sa radiation de la liste des Experts près la Cour de Cassation. Certes, il y a eu quand même un procès dans l’enceinte des assises, mais les enfants dans la salle d’audience étaient encore plus mal lotis, puisqu’ils étaient installés faute de moyen et de place, dans le box des accusés Quant aux 17 accusés, ils étaient installés avec leurs 19 avocats et la centaine de journalistes qui n’en n’ont jamais fait état, dans la salle là où se trouve habituellement le public. Ils étaient spectateurs de leurs procès. L’inversion des culpabilités était donc inscrite d’emblée dans cette configuration que l’on peut qualifier étymologiquement de perverse. (de pervetere, inverser, renverser). Or la liturgie judiciaire ne peut se dérouler que dans un cadre rituel. Ce qui stabilise les repères basiques du psychisme humain par les contraires binaires et qui en l’occurrence sont répétons le, en adéquation avec ceux de la justice le permis/l’interdit, le bien/le mal, le coupable/la victime, ont été mis à mal par cette configuration que l’on peut qualifier de « confusionnante » selon la nomenclature de l’hypnose. Il s’avère que cette réalité objective n’a pas été décryptée par les journalistes puisqu’ils n’en ont jamais parlé. Tous les repères hypnotiques étaient présents : confusion de la structuration qui stabilise le réel, associée à une atmosphère étouffante, une salle bondée, électriquement passionnelle, théâtre d’une bronca et d’une foire d’empoigne incessantes. Et dominant tout cela, un autoritaire et tonitruant maître du jeu – l’avocat de la défense le plus connu – en mouvement permanent dirigeant les débats d’une voix dont l’indignation colérique focalisait totalement l’attention sur son regard et ses jeux de manche. Il a été surnommé la terreur des assises, mais aussi l’ogre des assises et le succès de la technique est imparable, puisqu’il est le champion de France des acquittements. Seul son discours était audible et attendu car pour les jurés médiatiques – les journalistes de la salle d’audience – celui qui dépose à la barre ne peut capter l’attention de l’auditoire car il est de dos. Il est intéressant de remarquer ici que les anglo-saxons en vertu de leur pragmatisme habituel ont depuis longtemps contourné cette difficulté en installant les témoins et les experts à côté du magistrat qui préside le procès et face à la salle d’audience. Les avocats de la défense étaient bien les seuls à être audibles, puisque seules les questions caricaturales et les réponses réinterprétées de manière tout aussi caricaturales, seront reproduites par les journalistes… Les enfants à la barreDans un tel contexte déstabilisation, les enfants traumatisés, questionnés sans répit par les 19 avocats des accusés, ont perdu pied, leur pensée s’est morcelée non seulement parce qu’ils étaient terrorisés mais parce que les enfants ne peuvent mobiliser leur mémoire comme le ferait un adulte. Or les références qui en ont été données par les journalistes ont été puisées uniquement dans le registre de la psychologie adulte. Les traducteurs de leur parole que sont les psychologues-experts, ne sont arrivés qu’après leur passage. Le diagnostic de folie avait déjà été posé par l’Avocat général acquis au doute instillé par la défense. L’invraisemblance apparente de leur récit a verrouillé toute empathie pour ces enfants devenus de dangereux petits monstres. Le mensonge des enfants a été prétendument prouvé par les avocats de la défense, parce que ces petites victimes confondaient lieux et dates, mais aussi la couleur de la tapisserie de la chambre de l’un des accusés, par exemple. On a tout oublié de la réalité psychologique des enfants et surtout de la réalité victimologique des enfants traumatisés ayant à déposer dans des lieux effrayants à deux pas de ceux qu’ils avaient dénoncés comme leurs agresseurs… et il a fallu subir l’interrogatoire et le défilé de 19 avocats ! Ces conditions invraisemblables quant au recueil de la parole des enfants est à opposer avec le professionnalisme de tous ceux qui en amont (policiers, magistrats, experts) avaient travaillé avec respect et expérience. Un journaliste du Monde a osé écrire que la parole des enfants n’a pas résisté au débat contradictoire ! Comme si l’enfant traumatisé était à armes égales avec un adulte maître de la rhétorique qui le harcèle dans un endroit qui l’impressionne plus que tout.2 Par ailleurs l’empathie naturelle pour les enfants et les jugements de bon sens de tout un chacun qui estime qu’un petit enfant qui ne l’a pas vécu ne peut imaginer et rapporter des faits de fellation et de sodomie sur lui-même et sur d’autres enfants. Cette référence du bon sens a été neutralisé par la mis en place d’un verrouillage des références : il a été dit que ce sont des enfants carencés, voire fous… ils ne sont pas comme les nôtres ! Les prétendues invraisemblances de leur récit concernant les utilisations d’objets incongrus en étaient une démonstration définitive. Or nous savons que des adultes qui reconnaissaient les faits citaient les mêmes objets. C’est surtout le terme de cohérence qui a été le plus souvent utilisé par les journalistes, Le terme d’incohérencea qualifié le récit des enfants, en référence uniquement au récit des adultes. Or pour estimer la cohérence du récit il faut pour le psychologue tenir compte d’au moins 7 données : – 1 – l’âge, – 2 – le niveau de développement intellectuel et affectif, – 3 – l’anamnèse traumatismes médicaux et psychologiques antérieurs, – 4 – le milieu socio-culturel, – 5 – le contexte de la déclaration , lieux sécurisant ou non, – 6 – la distance des faits et la notion de répétitions, – 7 – l’influence par des questions suggestibles compte tenu de la tendance à l’acquiescement, – 8 – la comparaison avec ce que l’on sait des récits d’enfant rapportant un événement qu’ils ont vécu ou dont ils ont été témoins, ou qu’on leur a raconté, – 9 – la mise en perspective par rapport aux spécificité des récits d’enfants victimes d’agressions sexuelles étudiée par la victimologie infantile. Et dans cette affaire il y une 10ème donnée qui est la cohérence par rapport aux récits des adultes qui reconnaissaient les faits au début de l’instruction et celui des autres enfants concernés. Et enfin pour que ces 10 données soient validées, il faut aussi prendre en compte le contexte dans lequel s’effectue la déclaration de l’enfant. Aux assises, dans les conditions que l’on connait, il n’était pas possible de porter un jugement de validation de la parole de l’enfant. Revirement de Myriam Badaoui et injonctions d’identification.C’est le harcèlement durant 7 h à la barre de certains enfants Delay qui a conduit leur mère à intervenir et à décider de « tout prendre sur son dos » (sic) et à innocenter les 13 coaccusés et cela durant quelques jours… mais l’effet a été catastrophique car plutôt que de laisser le tribunal comprendre les motivations de ce revirement provisoire, la télé-réalité est intervenue pour montrer aux français la souffrance des visages des innocents décrétés comme tels. Elle était réelle puisqu’ils subissaient l’incarcération et le bannissement social. Ces images ont eu un effet sur le téléspectateur qui a été de l’ordre de l’effraction au plus profond du psychisme de chacun d’autant qu’il y avait injonction d’identification et message à peine sub-liminal que l’on décode en ces termes : « Si personne n’intervient, cela peut vous arriver à tous ! » Cette effraction a créé une sidération psychologique qui anesthésie tous les processus rationnels. BertholtBrecht qui dénonçait déjà le danger de l’identification au théâtre et la catharsis qu’elle entraine qui renvoie à la perte de liberté, aurait facilement compris les effets dévastateurs de l’indentification à de « vrais gens ». De plus lorsque ces « vrais gens » appartiennent à toutes les couches sociales, chacun d’entre nous peut être concerné de manière spécifique. Lors du procès de Saint-Omer, nous avons eu droit à une magistrale démonstration de l’impact de la dictature des émotions par l’image identificatoire « télé-réalité ». L’image n’est plus le 5ème pouvoir – selon Noël Mamère3– en l’occurrence, elle a gagné la première place, car elle a dévoyé profondément notre justice et avec elle tous les repères de notre civilisation. Ces images ont été de véritable PIÈGES à CONVICTION. En effet la notion de souffrance est forcément associée à celle de victime, et la souffrance doit s’incarner par l’image pour exister dans notre société du XXIème siècle. Celle des enfants était virtuelle, fantomatique, donc inexistante. Les enfants d’Outreau n’étaient pas identifiables, pas comparables aux nôtres, venant de ces milieux dégénérés, ils étaient forcément différents. L’empathie habituelle à leur égard était donc définitivement verrouillée par l’absence d’image de la souffrance des enfants. Le procès est donc devenu avec ces images-là, définitivement médiatiquement inéquitable. L’innocence médiatique a été décrétée à partir des larmes télévisées des accusés et non pas à partir de l’effondrement des charges qui devait suivre inévitablement. Le phénomène hypnotique a été obtenu par la répétition d’images traumatiques inoculées périodiquement, ce qui maintient l’anesthésie de la raison, du moins ce fut l’effet produit, s’il n’était volontairement recherché au départ. L’opportunisme et le panurgisme médiatiques ont fait le reste. Les experts sont arrivés trop tard.Et lorsque les experts sont arrivés aux assises de Sain-Omer, afin d’expliquer comment, grâce à nos techniques longuement rodées et affinées, nous avions validé la parole et le traumatisme des enfants, les jeux étaient faits. Les enfants mentaient, ils étaient fous et les experts ne l’avaient pas vu ! Et il fallait juste pour la défense, trouver les raisons de notre inaptitude et en cas de résistance, nous déstabiliser par tous les moyens. Le premier moyen de déstabilisation a été la culpabilisation : étions les monstres qui avions tué un innocent et fait souffrir autant ces pauvres gens incarcérés à tort. L’on connait depuis l’affaireLaetitia, l’impact majeur que provoque une telle culpabilisation. Tous les magistrats de France ont manifesté en signe de solidarité avec leurs collègues accusés d’être responsables du viol et du meurtre d’une jeune adolescente dont le corps a été mutilé. Les autres moyens utilisés ont associé, contre-vérités, mots piégés, et attaques ad hominem suivies d’injures. Ces stratégies dites de rupture ne pouvant être acceptées, la seule réponse était le refus de continuer à déposer, d’autant que je n’étais plus audible. Précisons que je n’ai pas été récusée,contrairement à ce que la presse a prétendu. Le Président des assises en vertu de son pouvoir discrétionnaire a mandaté cinq autres experts qui ont ré-examiné tous les enfants et confirmé mes conclusions. L’orientation du procès orchestré par la défense par médias interposés, ne pouvait intégrer une information qui brutalement aurait rectifier l’arrivée d’une lame de fond qui effondre l’accusation par la prétendue faillite des expertises. C’est l’omerta sur leurs conclusions qui a permis qu’elle continue d’avancer. Les expertises psychologiques sont particulièrement importantes dans ce type d’affaire où les preuves n’existent pas. Il s’agit donc pour la défense de les neutraliser coûte que coûte. Les expertises sont des examens dont la méthodologie est très spécialisée et très codifiée. Les repères sont les acquis de la psychologie de la victimologie mais aussi les acquis de l’expérience personnelle ; les méthodes sont l’entretien et l’observation et aussi les tests psychologiques, psychométriques et projectifs. Il comporte trois parties : – 1 – l’examen classique de la personnalité qui prend en compte le niveau de développement cognitif et affectif en fonction de l’âge, de la biographie médicale voire traumatique antérieure, le milieu socio-culturel. – 2 – L’examen de la déclaration de la plainte avec l’analyse du récit au niveau du contenant (le comportement ) et le contenu. On s’intéresse aussi au contexte de la révélation qui obéit à un certain nombre de configurations classiques. A titre d’exemple l’on peut citer le contexte de la révélation spontanée lors de la toilette, comme ayant un caractère de haute fiabilité. – 3 – L’examen des conséquences traumatiques éventuelles est éclairé par les données de comportement pendant l’examen mais aussi à l’extérieur, à l’école et à la maison (troubles éventuels du comportement, débordement ou inhibition excessifs, troubles du sommeil, des conduites alimentaires, réactivité auto ou hétéro-agressives, sexualisation du comportement, conduites d’intrusion ou d’effraction, envahissement par les faits, anxiété ou angoisse phobique et/ou obsessionnelle etc…) Les tests projectifs apportent des indices de validation du traumatisme qui complètent l’ensemble des données. À titre d’illustration, les enfants victimes de viols perdent les limites entre leur corps et le monde extérieur. Ainsi un enfant d’Outreau a pu me dire à une planche du Rorschach où l’on voit une chauve-souris : « c’est une chauve-souris qui va renter dans le derrière de moi »… Un autre a vu de manière envahissante dans chaque planche une seule et même image, celle des araignées qui vont le piquer et rien d’autre » est le côté envahissement qui est traumatique tout comme le vécu de piqure et d’intrusion analogique du thème araignée. Mais cela ne vaut que pour un critère sur les 40. C’est lors de la résurgence des scènes traumatiques que l’enfant donne ce type de réponse. En dehors de ces moments spécifiques, on peut constater qu’il a un rapport à la réalité normal, il n’est pas psychotique. Quand il est pris en charge dans un milieu structurant et sécurisant, au bout d’un certain temps, il met en place une adaptation qui est de surface, c’est une adaptation de survie psychique. Les enfants d’Outreau présentaient une souffrance majeure et à distance des faits, elle s’est réactivée très rapidement et spontanément lors de l’examen psychologique dès que la sécurité s’installait. C’est également lorsque les enfants ont été sécurisés dans les familles d’accueil que les révélations ont eu lieu.
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