Livre / Chérif Delay & Serge Garde Je suis debout : L’aîné des enfants d’Outreau sort du silence

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livre-je-suis-deboutNovembre 2005. À la barre des témoins de la cour d’assises de Paris, un garçon de 15 ans subit les foudres des avocats de la défense. Traité de menteur, de mythomane, il est tétanisé et ne peut que chuchoter :  » Je sais pas, je sais plus… « . Kevin Delay n’est-il pas le fils de Myriam Badaoui-Delay qui a accablé ses coaccusés avant de se rétracter, puis de revenir sur ses dénégations ? Le second procès d’Outreau bascule. Fait inouï, le procureur général Yves Bot présente, au nom de la Justice, ses excuses aux accusés, avant même que le jury se retire pour délibérer. La « storytelling » (selon l’expression de l’une des experts) est validée par le verdict d’acquittement général.Les victimes d’Outreau ?

Six adultes faussement accusés par des enfants menteurs. Invités par les plus hautes instances de l’État et sur tous les plateaux de télévision, ils racontent leur calvaire et rencontrent l’empathie du public. Après tout, n’importe qui, vous ou moi, peut être accusé par un enfant pervers. L’un des acquittés écrit un livre qui va être porté à l’écran. Présumés coupables de mensonges, les enfants doivent partager la responsabilité de ce « fiasco judiciaire » avec les experts, les travailleurs sociaux et le juge d’instruction Fabrice Burgaud jeté en pâture aux médias. Haro sur le juge d’instruction. Le gouvernement s’empresse d’annoncer son intention de supprimer cette fonction devenue gênante voir incontrôlable dans des dossiers sensibles. Humilié, traumatisé, Kevin Delay quitte la cour d’assises sous haute protection. Placé dans un foyer en Belgique jusqu’à sa majorité, il devient SDF le jour de ses 18 ans. Sa souffrance et sa colère font de lui une menace pour l’ordre public. Il passe par la case prison avant d’être éloigné de la France dans le cadre d’un projet « jeune adulte » financé par le Conseil général du Pas-de-Calais.

C’est à Dakar, en novembre 2010, que j’ai retrouvé Chérif, avec Jean-Michel Garcia, le caméraman avec lequel je fais équipe. Chérif. De cette rencontre va naître un film documentaire produit par Karl Zéro.Kévin-Chérif Delay, un menteur ? Un mythomane ? S’il souffre aujourd’hui, c’est bien de s’être tu :  » J’aurais pu sauver mes frères et les autres enfants… J’étais placé, donc en sécurité la semaine… Mon frère Dimitri a eu ce courage à peine un mois après avoir été placé. J’aurais dû parler, mais j’étais menacé de mort. J’ai été lâche…  » Cet ouvrage ne prétend pas refaire le second procès et ne conteste pas la chose jugée. Mais, tout comme onze autres mineurs, Chérif a été reconnu victime par la Justice. Devenu adulte, il a, lui aussi, droit à la parole. Son témoignage, brut et sans complaisance, souvent à la limite du supportable, étonne par sa force et sa clarté. Chérif parle sans haine, sans ces excès de langage qui seraient pourtant compréhensibles. Un livre choc qui nous place inconfortablement devant deux vérités judiciaires contradictoires. Celle des acquittés et celle, inédite à ce jour, d’un des enfants victimes.

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