Enquête & Débat Disparues de l’Yonne : un point de vue hétérodoxe sur l’affaire, par Frédéric Valandré

Emile Louis innocent ? La troublante hypothèse. Les avocats d’Emile Louis parlent. Editions David Reinharc, 2011, 17, 50 euros.

Voilà un ouvrage qui devrait, incontestablement, faire grincer quelques dents. Généralement, quand on traite de l’affaire des disparues de l’Yonne, Emile Louis nous est présenté :

– soit comme un prédateur isolé, assassin de sept jeunes femmes issues de la DDASS entre 1975 et 1979 : thèse notamment défendue par le journaliste Hubert Besson (de L’Yonne Républicaine) retenue par la justice française lors de ses procès en première instance (Auxerre, novembre 2004) et en appel (Paris, juin 2006) ;

– soit comme le fournisseur d’un réseau de pervers sexuels en col blanc : c’est que semble penser le journaliste indépendant Eric Raynaud, ou encore l’association de Denis Le Her-Seznec, France-Justice.

Bref, d’une manière ou d’une autre, Emile Louis est coupable. « Et si ce n’était pas le cas ? », demandent ses avocats Me Alain Fraitag et le bâtonnier Alain Thuault… Si l’ancien chauffeur de car bourguignon avait été le dindon d’une très mauvaise farce, celui à qui on a fait payer l’ardoise de tant d’années de paresse judiciaire ?

On se souvient que lors du procès d’Auxerre, les deux avocats n’avaient pas été épargnés par la presse. (1) Le principal mérite de cet ouvrage rédigé à partir du dossier d’instruction est d’exposer avec minutie les arguments des défenseurs d’Emile Louis, ce que n’avaient guère fait les médias à l’époque, reconnaissons-le.

Dénonciation d’un « tour de passe-passe juridique » – une mise en examen pour enlèvements et séquestrations transformée en mise en examen pour assassinats (chapitre 5, p. 51-62) – et d’une « curée médiatique » ayant proclamé la culpabilité de leur client avant tout procès (chapitre 16, p. 149-154) : cette partie de l’argumentation est connue. D’autres éléments le sont un peu moins, par exemple :

  • Suite à ses aveux (analysés p. 63-70, chapitre 6), Emile Louis a indiqué sept sites situés à Rouvray, sur les bords de la rivière du Serein ; seuls deux corps sur sept – ceux de Jacqueline Weiss et Madeleine Dejust – ont été découverts. Explication communément admise : « le cours du Serein s’étant modifié, certains des cadavres avaient du être déterrés et s’en étaient allés au fil de l’eau » (p. 71). Or, les auteurs citent un fort intéressant PV rédigé par un gendarme technicien en identification criminelle (pièce N° 1294) : « Le tracé de la rivière Le Serein à hauteur des sites 02 et 03 n’a pas changé depuis 1974 à ce jour… » (Ibid.)
  • Il est également communément admis qu’Emile Louis est la dernière personne à avoir vu vivantes les sept disparues. Pour ses avocats, rien ne le prouve : par exemple, au moment de la disparition de Madeleine Dejust en juillet 1977, leur client effectuait un transport de personnes âgées pour la compagnie de cars Les Rapides de Bourgogne (p. 86-87).
    Parmi ces jeunes femmes, certaines ont été vues après la date réelle ou supposée de leur disparition. Nadine L. a déclaré avoir rencontré Jacqueline Weiss en 1980, alors qu’elle s’est officiellement volatilisée le 4 avril 1977 (p. 92-94). Quant à Jean-Claude Marlot, il a dit avoir vu sa sœur Christine en 1984 ou 1985, avant qu’elle ne disparaisse… disparition officiellement datée du 23 janvier 1977 (voir chapitre 11, p. 107-111). Notons que Mme L. et M. Marlot ne diront plus la même chose lorsqu’ils témoigneront devant les assises de l’Yonne en novembre 2004.
  • Si on admet la suggestion de l’innocence de l’ancien chauffeur de car, qu’est-t-il arrivé à ces malheureuses ? Les hypothèses ne manquent pas : réseaux de prostitution (p. 78), activités criminelles des sado-masochistes gravitant autour de Claude Dunant, le tristement célèbre « tortionnaire d’Appoigny » condamné à la réclusion perpétuelle le 31 octobre 1991 pour les viols, attentats à la pudeur, actes de barbarie, tortures et séquestrations commis sur deux jeunes femmes (p. 158-159)… On saura gré aux auteurs d’avoir rappelé – fut-ce de manière un peu succincte (p. 78, 127 et 133) – que deux des disparues, Bernadette Lemoine et Martine Renault, ont chacune été reconnues par leur sœur sur des clichés du fichier de la police hollandaise réalisé à partir du CD-ROM du pédophile Gerrit Ulrich (affaire du « CD-ROM de Zandvoort »).

Bien sûr, cet ouvrage n’est pas un catéchisme, et je ne partage pas toutes les observations et conclusions des conseils d’Emile Louis ; à titre personnel, je ne pense pas que celui-ci soit vraiment « blanc-bleu » dans cette affaire. (2) Ceci étant dit, il n’est pas interdit de penser que si ces disparitions avaient été traitées séparément par l’institution judiciaire, et non au cours d’une instruction groupée, ses défenseurs auraient pu obtenir quelques non-lieux pour charges insuffisantes et/ou acquittements au bénéfice du doute.

Quoi qu’il en soit, c’est un livre hétérodoxe qui a sa place dans les bibliothèques des esprits curieux, et de ceux et celles qui s’intéressent à l’affaire des disparues de l’Yonne, qui disposeront ainsi de tous les sons de cloche sur ce dossier.

Frédéric Valandré

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(1) Chroniqueur judiciaire du Figaro à la plume drôle et féroce, Stéphane Durand-Souffland avait notamment reproché aux avocats « une défense de détail », et de salir la mémoire des victimes. Je ferai observer que quelques mois plus tôt, le journaliste s’était montré beaucoup plus indulgent pour les avocats de la défense qui interrogeaient brutalement les enfants parties civiles lors du procès relatif au dossier pédocriminel dit « Outreau » (cour d’assises du Pas-de-Calais, 4 mai-2 juillet 2004).

(2) Du reste, quiconque connaît mes écrits sait que je ne suis pas porté à l’indulgence envers les pédophiles. Sur le plateau de C dans l’air – « Qui a peur d’Emile Louis ? », émission du 11 novembre 2004 – Me Fraitag avait d’ailleurs reconnu que c’était « un des aspects pas très sympathiques du personnage » (je cite de mémoire). Bien entendu, tout pédophile ne constitue pas un serial killer en puissance. Heureusement, d’ailleurs.

Pour se procurer le livre : http://www.editionsdavidreinharc.fr

Bibliographie complémentaire :
• Hubert Besson, Emile Louis et l’affaire des disparues de l’Yonne, Paris, L’Archipel, 2004.
• Eric Raynaud, Les réseaux cachés des pervers sexuels, Monaco, éditions du Rocher, 2004.

Sur l’affaire du CD-ROM de Zandvoort :
• Laurence Beneux/ Serge Garde, Le livre de la honte Les réseaux pédophiles, Paris, Le Cherche Midi éditeur, 2001.
Le fichier de la honte, un film de Serge Garde et Karl Zéro, 2010.

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