Le Point Les secrets de La Mamounia

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Mythe. Scandales, luxe, mystères… Enquête sur le palace de Marrakech.
Spécial Riches

Marie Bordet (envoyée spéciale à Marrakech)

Luc Ferry est-il déjà allé à La Mamounia ? On peut parier que oui, vu que tout ce que la France compte de riches, de puissants ou de célèbres s’est déjà brûlé la plante des pieds sur les dalles surchauffées qui entourent la gigantesque piscine carrée. On peut aussi aisément imaginer que ses tongs ne fouleront pas de sitôt la terre rouge des jardins du palace marocain et qu’il ne serait pas forcément accueilli avec le traditionnel verre de lait d’amandes douces et le plateau de dattes. En effet, l’ex-ministre de l’Education, qui a déclaré qu’ »un ancien ministre s’est fait poisser à Marrakech dans une partouze avec des petits garçons… », a mis le légendaire établissement africain dans l’embarras. Car, si l’on épice cette récente sortie médiatique d’un vieil extrait des carnets d’Yves Bertrand, ex-patron des Renseignements généraux, l’affaire paraît entendue. Celui-ci écrivait le 12 février 2002, après le nom d’un ancien ministre : « À La Mamounia, en novembre, s’est tapé des petits garçons »( Le Point n°1882 du 9 octobre 2008). Voilà qui suffit largement à nourrir le serpent de la rumeur : un représentant de l’État français, le crime abject de pédophilie, l’écrin de luxe total et la chaleur indolente du Maroc. Le scénario est parfait. Mais, pour l’instant, on n’a pas le début d’un commencement de preuve… »La Mamounia est un mythe et suscite beaucoup de fantasmes, dit Youssef Moukhlis, assistant chef concierge de l’établissement.Forcément, puisqu’on reçoit la crème de la crème : politiques, hommes d’affaires, stars de cinéma, écrivains ou journalistes. Notre clientèle n’est pas seulement riche, elle est influente. » Ne jamais perdre de vue, non plus, qu’un agent des Renseignements généraux hante les lieux en permanence. Alors, a priori, nul besoin de tomber dans l’ornière nauséeuse d’un odieux et majuscule scandale, La Mamounia recèle déjà suffisamment de secrets, bons à faire pâlir le plus irrespectueux des tabloïds.

Jardins de La Mamounia, le 23 juin, 45 °C à l’ombre. Un vent bouillant pétrifie le visiteur, tuant dans l’oeuf toute velléité de promenade dans la médina de Marrakech. Lorsque Winston Churchill prenait ses quartiers d’hiver à Marrakech, il sortait peu de sa retraite. Il préférait, d’un mouvement apaisé, poser son chevalet dans le parc aux parfums capiteux, à l’ombre fine des palmiers, et se perdre dans la contemplation des oliviers et des roses blanches. Pour lui, c’était « un des lieux les plus beaux du monde ». Le général de Gaulle, de passage dans la ville ocre, y dormit une nuit, et un lit à la mesure du grand homme fut spécialement confectionné. Maurice Ravel aimait à jouer du piano sous les arbres, à la tombée du jour. Alfred Hitchcock tourna quelques scènes de « L’homme qui en savait trop ». En passant le grand porche d’entrée, on a la sensation diffuse de pénétrer dans l’imaginaire délicieusement suranné d’un roman d’Agatha Christie. « La Mamounia est au coeur de la ville, elle abrite un jardin extraordinaire de 8 hectares et est protégée par de sublimes remparts du XIIe siècle, dit Denys Courtier, directeur exécutif de l’hôtel.Enfin, par temps clair, on aperçoit au loin les sommets enneigés de l’Atlas. C’est unique ! »Ça fait longtemps que le gotha planétaire est tombé amoureux de ce vieux palace, situé à quelques foulées de babouches de la place Jemaa el-Fna.

Défilé de stars

« C’est là que ça se passe » depuis près de cent ans. Depuis la création de La Mamounia – une cinquantaine de chambres – par l’Office national des chemins de fer (ONCF) en 1923, c’est le grand défilé. Mélangeons les époques au shaker pour citer, en vrac, Edith Piaf, Orson Welles, Colette, Paul Valéry, François Mitterrand, Jennifer Aniston, Juliette Binoche, Ronald Reagan, Marion Cotillard, Nelson Mandela, Jacques Chirac, Albert Frère, Bill Clinton ou Sarah Jessica Parker. Si La Mamounia originelle était une maison bourgeoise posée en plein désert, elle est aujourd’hui un palace moderne qui compte 136 chambres, 71 suites et 3 riads privés. Les générations se succèdent et le magnétisme du lieu ne faiblit pas. Avec une mention spéciale pour l’élite parisienne. »Marrakech, c’est le 22e arrondissement de la capitale française, juste après Deauville, sourit Denys Courtier.Et La Mamounia en est le joyau. » Son monde est extrêmement codifié. Les clients ont leurs habitudes : ils réservent la même chambre d’une année sur l’autre, le même chauffeur, la même table au restaurant et le même transat au bord de la piscine. »Il y a une hiérarchie sociale à l’intérieur du palace. Par exemple, occuper une chaise longue située sur la première rangée est une marque de puissance », dixit un coutumier du lieu. Les petites histoires entre habitués sont nombreuses.

Ici, on se souvient de Pierre Joxe et de Pierre Bérégovoy en bagarre pour avoir le droit d’occuper l’un des pavillons les plus prisés. On se souvient de Jean-Edern Hallier refusant obstinément de quitter l’atmosphère feutrée du bar Churchill. On se souvient de la grosse voix de Philippe Séguin et de son solide appétit au restaurant marocain. On se souvient de Jean Daniel, du Nouvel Observateur, échangeant des potins mondains avec Jean-Pierre Elkabbach au petit déjeuner. On se souvient de Renaud Donnedieu de Vabres, de Jack Lang, de Jacques Chancel, de Charles Aznavour. On se souvient de cette fameuse nuit de décembre 2005 où Philippe Douste-Blazy, ministre des Affaires étrangères, a conclu sa mythique scène de ménage avec sa compagne Dominique Cantien, en se retrouvant en caleçon dans le couloir aux petites heures du matin. Ils avaient un peu endommagé la suite 312… »Fréquenter La Mamounia, c’est appartenir à un monde d’initiés. Comme un club, dit le prince Jean Poniatowski, grand amoureux du Maroc.Politiques ou patrons, on est sûr de rencontrer quelqu’un. On y va pour voir qui est en ville et pour pouvoir dire : j’y étais. » Les propriétaires de riads à Marrakech se contentent d’y dîner. Albert Frère, Jean-René Fourtou, Dominique Strauss-Kahn et Anne Sinclair – qui séjournaient régulièrement à La Mamounia quand leur riad voisin était en travaux -, Alain Carignon…

Jean-Pierre Elkabbach aimait La Mamounia, il en parle désormais au passé. »Nicolas Canteloup me fait passer pour quelqu’un qui passe tous ses week-ends à La Mamounia, s’agace-t-il, mi-rigolard mi-sérieux.Je n’y ai pas séjourné depuis sa réouverture en septembre 2009 ! La rénovation, orchestrée par le décorateur Jacques Garcia, a cassé la magie du lieu et les prix se sont envolés. » Les travaux gigantesques – 120 millions d’euros – auront duré… trois ans. »On dit toujours que c’était mieux avant, dit Jacques Chancel.J’ai connu le travail de trois architectes d’intérieur dans ce palace. Mais La Mamounia restera toujours La Mamounia. » Au chapitre des critiques ? Une ambiance trop sombre, un lobby qui a perdu son charme d’antan, un service un brin méprisant. »Les anciens nous reprochent d’avoir touché à leur Mamounia, dit Dounia Bnafkir, directrice de la clientèle du palace.Il y a toujours des déçus. Mais on était vieillissant, on a refait les chambres, construit un spa sublime et amélioré la qualité de service. » Prix moyen : 600 euros la nuit. Piscine, salle de fitness, boulodrome et deux courts de tennis en terre battue avec des professeurs, des ramasseurs et un consultant de luxe, Henri Leconte. Le client peut dîner dans les trois restaurants de La Mamounia : le français piloté de Paris par Jean-Pierre Vigato, l’italien du chef Don Alfonso et le marocain, réputé pour sa pastilla de homard ou son tagine de fraises. Le brunch du dimanche est fameux : viennoiseries faites maison, champagne et huîtres élevées à Dakhla, en Mauritanie.

La Mamounia emploie 800 personnes, qui déambulent dans une sorte de ville souterraine : des kilomètres de couloirs et de salles blanches relient les restaurants, la piscine et les riads privés. »Vous ne verrez jamais une femme de ménage avec un gros chariot et des torchons sales passer dans le jardin », explique Dounia Bnafkir. Trois riads sont aussi disséminés dans le jardin, ils sont dotés de trois chambres, d’une piscine privée et d’un majordome. Il en coûte de 8 000 à 10 000 euros la nuit. L’hôtel propose des excursions : survol de l’Atlas en montgolfière, nuit dans une tente VIP dans le désert, balade en 4 x 4 dans la vallée de l’Ourika, journée de ski à Oukaïmeden l’hiver. A l’aéroport de Marrakech, La Mamounia dispose même d’un salon réservé à ses clients. On vous remplit votre fiche de débarquement, vous offre une coupe de champagne et vous occupe avec des journaux.

Couleur de l’argent

Sa Majesté Mohammed VI est un roi heureux. Même si La Mamounia appartient toujours à l’ONCF, ainsi qu’à la ville de Marrakech et à la Caisse des dépôts marocaine, le « palais » est derrière chaque décision. »Le roi décide de tout, La Mamounia est une vitrine du Maroc », dit un ancien collaborateur. C’est Mohammed VI qui a mis La Mamounia dans les mains de Jacques Garcia. Et ceux qui se sont opposés à la volonté royale l’ont compris à leurs dépens. Exemple : Robert Bergé, directeur emblématique de La Mamounia pendant treize années, a été licencié en quarante-huit heures, à la suite d’une remarque faite à la princesse sur le projet de Garcia. Le métier de décorateur n’est pas exempt de risques non plus… André Paccard était l’architecte attitré du roi Hassan II. En 1986, sur sa requête, il transforme La Mamounia et ajoute un quatrième étage à l’édifice. Les travaux sont finis, mais Paccard tarde à encaisser son premier dirham. Il réclame son argent à Hassan II par télex. Il est expulsé du Maroc sur-le-champ. Il ne verra jamais la couleur de l’argent.

Pas le style de Mohammed VI. »Du temps de Hassan II, le roi arrivait sans prévenir avec sa suite, dit un témoin.Il fallait libérer les chambres immédiatement, même si elles étaient occupées. Ça, c’est fini. » Mohammed VI vient en 4 x 4, déjeune parfois au restaurant de Vigato – il raffole du risotto -, mais il ne dort pas à La Mamounia, préférant ses palais privés de Marrakech. Chaque membre du personnel reçoit une formation protocolaire pour pouvoir s’adresser au roi et à ses proches. Lors de la réouverture de l’hôtel, la direction avait déclaré le lieu 100 % non fumeur, ce qui était inédit pour le Maroc. Jusqu’au jour où le prince Moulay Rachid est venu dîner et qu’il a sorti une cigarette à la fin du repas… Le lendemain, on pouvait trouver des cendriers sur toutes les tables. »Mohammed VI est chez lui à La Mamounia, il est tranquille », assure un employé de l’établissement.

« La Mamounia était réputée être un endroit où le roi invitait à l’oeil ou à prix d’ami les politiques étrangers et les journalistes, notamment français. C’est moins le cas aujourd’hui », raconte un connaisseur du Maroc. Sa Majesté reçoit le président Sarkozy, Juan Carlos ou le prince Charles dans le palais Jnan Kébir. Il installe aussi ses invités dans son palace secret et flambant neuf, le Royal Mansour, où Jacques et Bernadette Chirac ont passé quelques jours en novembre. Mais, à force de se faire épingler par Le Canard enchaîné pour leurs vacances gratuites, aux frais du royaume du Maroc, les politiques sont devenus plus prudents. Et le scandale provoqué par l’affaire Alliot-Marie en Tunisie a servi de leçon à tout le monde… »Les politiques ont peur des réactions du public. Ah ! Il était à La Mamounia, est-ce qu’il a payé ? » raconte un hôtelier de Marrakech. Combien de ministres français (et de journalistes) ont séjourné gratuitement dans ce palace de légende ? Voilà qui reste un mystère de La Mamounia…

L’autre palace du roi

C’est le palace dont a toujours rêvé le roi Mohammed VI. Le Royal Mansour a ouvert ses portes à Marrakech à l’été 2010. Le budget (illimité) est resté secret. Mille deux cents artisans ont participé à la construction de l’édifice, en utilisant les plus beaux matériaux : feuille d’or, céramique, marbre, peinture tadelakt, soieries, bois sculpté et cristal. Dans une propriété de 3,5 hectares située en plein centre-ville a été reconstituée une médina avec une belle place ombragée par des palmiers et d’étroites ruelles qui serpentent et desservent les 53 riads privés (à partir de 1 531 euros). Le riad d’Honneur offre quatre chambres avec leur propre salle de bains, une piscine privée, un solarium, un hammam, une salle de fitness et même une salle de cinéma. C’est celui que préfère Mohammed VI pour se reposer. Son prix : 16 667 euros la nuit.

 » Si les gens vont à La Mamounia pour voir et être vus, ils séjournent au Royal Mansour pour se cacher, dit un habitué de Marrakech.C’est tellement confidentiel qu’il faut presque être invité par le roi personnellement pour avoir le droit d’y séjourner. «  L’hôtel n’a pas de site Internet. Aucune caméra n’a jamais filmé les lieux. A la tête de l’établissement, Jean-Pierre Chaumard, ancien patron du Royal Palm à l’île Maurice, qui, à ce titre, connaît bien le couple Chirac. Celui-ci a d’ailleurs résidé au Royal Mansour en novembre à l’invitation du roi, ainsi que Cécilia et Richard Attias, natif de Fès

Le réveillon 2010

Sarkozy décide au dernier moment de venir réveillonner à Marrakech. » Dès qu’ils ont su que le président venait, un certain nombre d’hommes politiques nous ont appelés pour avoir une chambre. Nous étions déjà complets depuis belle lurette… « , raconte un hôtelier. Brice Hortefeux, Hervé Morin ou Jean-Louis Borloo étaient présents, tandis que DSK négociait son  » pacte de Marrakech  » avec Martine Aubry. On a croisé aussi Yannick Noah, Alexandre Bompard, Jean-René Fourtou ou Dominique Desseigne, qui résidait au Naoura Barrière.

Source: http://www.lepoint.fr/economie/les-secrets-de-la-mamounia-14-07-2011-1357279_28.php

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