Blog Le Monde, Jacques Cuvillier « Présumé coupable » : réalité ou fiction ?

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Par Jacques Cuvillier, Ex Maître de Conférences – 31.08.11

Présumé coupable En version papier ou sur Internet, vous êtes certainement tombé sur un article présentant ce film comme « l’événement de la rentrée ». L’information est partout, et les efforts déployés pour arriver à un tel niveau de couverture démontrent s’il en était besoin le militantisme sous-jacent.

Partout, le film est présenté comme l’histoire effroyable, mais véridique d’un homme broyé par la justice. Un film qui certainement vous fera produire de l’adrénaline et des larmes, et tournera votre ressentiment contre l’un des piliers de notre démocratie : l’institution judiciaire.

De l’aveu même du réalisateur, Vincent Garenq et du producteur Christophe Rossignon, il s’agit pourtant d’une fiction. C’est d’ailleurs la raison qu’a invoqué ce dernier pour laisser le réalisateur libre de donner la tournure qu’il voulait à son interprétation lorsque des éléments contradictoires lui ont été présentés afin de rectifier les éventuelles contre-vérités du scénario. Voyez à ce sujet la lettre1 qu’il a émise en réponse à cette proposition, balayant d’un revers de manche toute idée d’un examen attentif des événements tels qu’ils se sont réellement déroulés.

Son interprétation n’est en effet pas neutre. Elle est entièrement fondée sur le livre « chronique de mon erreur judiciaire2 » que le principal intéressé, Alain Marécaux, l’huissier impliqué dans l’affaire dite d’Outreau a écrit après sa condamnation à l’issue du procès de Saint-Omer pour tenter de diffuser sa propre version des faits. Alain Marécaux sera par la suite acquitté avec les autres accusés lors du procès en appel. On peut comprendre les raisons qui l’ont poussé à faire passer son livre à l’écran, compte tenu de son souci d’éliminer la suspicion qui pouvait subsister sur son passé, même à l’issue de son acquittement en appel.

Le public non averti des usages de la justice a tendance à confondre « acquitter » et « innocenter ». Il y a entre ces deux termes plus qu’une nuance ainsi que l’explique fort bien Henri Hugues, Président de Chambre Honoraire à la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence dans une note fort instructive « quelques réflexions sur l’acquittement 3».

Le livre d’Alain Marécaux ne devait pas présenter d’ambiguïté pour le lecteur qui ne pouvait ignorer ni la position de l’auteur, ni ses intentions, et pouvait fort bien confronter sa lecture avec d’autres écrits tels que celui de Marie-Christine Gryson qui fait dans son ouvrage « Outreau, La vérité abusée 4 »une analyse méthodique des manipulations de l’opinion durant les deux procès et lors des développements médiatiques qui les ont suivi.

Il en va tout autrement pour un film armé de la puissance intrusive de ses images, et particulièrement lorsque la presse l’introduit complaisamment et avec force commentaires aux accents de scandale, comme une histoire véridique. La charge émotive que l’immersion dans les scènes impressionnantes peut produire sur le spectateur est de nature à emporter son adhésion à une démarche qui n’a pas grand-chose à voir avec le souci de dépeindre une réalité.

On peut comprendre que l’histoire d’un ancien accusé, relatée par lui-même, ne soit pas neutre et pas complètement objective — argument qu’on ne s’est pas gêné de produire à tout va lorsqu’il s’agissait par exemple de commenter le livre « je suis debout 5 » que Chérif Delay – enfant victime des pédophiles d’Outreau – a écrit avec Serge Garde pour dire ce qu’il a subi. Par contre, on comprend difficilement le manque de circonspection des articles qui parlent de « présumé coupable ».

Les auteurs de ces articles ne peuvent sérieusement ignorer qu’il s’agit d’une fiction, mais avec une belle unanimité, ils la présentent comme un fait authentique et permettent souvent au principal intéressé de s’exprimer directement dans des dialogues où le contradictoire – à savoir la version des professionnels et celle des victimes — est totalement absent. Dans quel but ? La raison – espérons-le – n’est sans doute pas de s’attaquer injustement à l’institution judiciaire, ce qui serait aussi grave qu’irresponsable de leur part, sans doute pas non plus de désinformer le public, ce qui serait à l’opposé de leur mission, alors peut-être d’agir de la sorte en imaginant que dans le prolongement des fantasmes qui subsistent après l’hypnose collective provoquée lors des procès d’Outreau, cette histoire serait pour le public le scandale de ses rêves ? Mais ce bon public que l’on caresse dans le sens du poil impose-t-il, vis-à-vis de la vérité qu’on lui doit, cette désinvolture ou cette négligence présumée coupable ?

Jacques Cuvillier

1/ http://blogs.mediapart.fr/blog/marie-christine-gryson/310811/presume-coupable-quel-souci-dauthenticite-pour-vincent-garen

2/ Editions Flammarion

3/ http://www.village-justice.com/articles/Quelques-reflexions-acquittement, 10704.html

4/ Outreau, la vérité abusée, 12 enfants reconnus victimes, ed. Hugo et cie.

5/ Aux éditions du Cherche Midi

Source: http://www.lemonde.fr/idees/chronique/2011/09/01/presume-coupable-realite-ou-fiction_1565697_3232.html

 

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