Avec ce regard noir qui témoigne des souffrances du passé, il toise le président d’un air assuré, parfois défiant. « Je ne m’excuserai pas. Je ne crois plus en cette justice », lâche-t-il, les dents serrées. Hier matin, Chérif Delay était d’abord venu régler ses comptes au tribunal correctionnel de Boulogne. Le jeune homme de 21 ans, qui réside désormais en région lyonnaise, était convoqué pour « menaces de mort réitérées », après un rappel à la loi en juin. « Je vais tous vous faire la peau », disait un de ces messages, postés sur le compte Facebook de Franck Lavier, à l’attention de ce dernier et des autres acquittés de l’affaire d’Outreau.

« Erreur judiciaire »

Depuis juin, Franck Lavier a déposé trois plaintes contre Chérif Delay. Mais hier, il ne s’est pas déplacé à l’audience. Pas plus que son avocat, Me Frank Berton, qui avait fait comprendre que son client ne souhaitait pas envenimer les choses (notre édition de dimanche).

À la barre, Chérif Delay assume pleinement la paternité des messages. « Vous pensez que c’est normal de proférer des menaces de mort ? », demande le président. La réponse est laconique mais claire : « Bien sûr que c’est normal. »

Le prévenu ne mâche pas ses mots s’agissant de Franck Lavier. Sans jamais approfondir les raisons de cette haine farouche. C’est l’avocat de la défense, Me Gilles Antonovicz, qui crève l’abcès, en semant le doute sur l’innocence de Franck Lavier dans l’affaire d’Outreau. Quitte à citer des extraits des interrogatoires datant de 2001 et à refaire les procès de l’époque. L’avocat réputé du barreau de Grenoble renverse la thèse de « l’erreur judiciaire ». « Les victimes, dans cette affaire, ce sont d’abord les douze enfants. On les a totalement oubliés, on les a même présentés comme des menteurs. C’est ce qui fait mal aujourd’hui », plaide-t-il. Pour autant, Me Antonovicz tente aussi de raisonner son client : « Il doit comprendre que l’affaire d’Outreau est terminée. Qu’il faut respecter la justice, même si c’est difficile.

Qu’on ne menace personne, même si ça soulage. Il faut regarder vers l’avenir et essayer d’oublier. » Chérif Delay l’interrompt plusieurs fois : « C’est pas possible ! »
La procureure adjointe ne conteste pas le douloureux passé de Chérif Delay. « Tout le monde est sensibilisé à votre parcours, estime Nathalie Bany. Mais ici, vous êtes un citoyen comme les autres. »

Le tribunal suivra sa réquisition – six mois de prison avec sursis – en l’assortissant d’une mise à l’épreuve de trois ans et d’une interdiction formelle d’entrer en contact avec Franck Lavier. Chérif Delay devra aussi travailler et suivre des soins psychiatriques. Malgré l’échec des précédentes tentatives – le jeune homme a déjà été condamné cinq fois pour des affaires de vols et de violences -, le président y croit : « Ça n’effacera pas ce que vous avez vécu mais ça vous permettra, j’ai bon espoir, d’apprendre à vivre avec. »