Michel Garroté, réd en chef – La pédocriminalité (terme exact et correct pour dire « pédophilie ») est le pire des tabous français. Les médias de ce pays ont utilisé l’affaire du Sofitel de Manhattan en ‘Une’ pendant six mois. En revanche, sur la pédocriminalité, pas un mot ou presque. Cela dit, le tabou a été levé aujourd’hui. En effet, on peut lire dans L’Est Républicain (extraits adaptés ; cf. lien en bas de page) : « C’est une affaire hors du commun que viennent de résoudre les policiers du Doubs. Après des mois d’investigations sur commission rogatoire d’un juge d’instruction de Nancy, ils ont démantelé un incroyable réseau de traite des êtres humains. Avec le renfort de la police de l’air et des frontières, ils ont interpellé mardi sept suspects appartenant à une famille originaire des Balkans et installée sur les communes de Valdahon et Maiche ».
L’Est Républicain : « Au moment où ces arrestations avaient lieu dans le Doubs, d’autres membres de cette famille installés en Allemagne ont également été arrêtés par les policiers d’Outre-Rhin. Tous sont soupçonnés d’avoir participé à l’achat et la revente de fillettes. « Cette famille était structurée en réseau criminel et revendait les enfants exclusivement à des membres de sa communauté installés en France, en Allemagne ou en Belgique », indique le substitut du procureur de la Juridiction interrégionale spécialisée (JIRS), Grégory Weil. Selon une source proche de l’enquête, les enfants étaient achetés à leur famille en Macédoine ou au Kosovo pour 1 000 à 1.500 € et revendu 10.000 €. Toujours selon la même source, il pourrait s’agir, non pas d’un réseau de pédophilie ou d’esclavage, mais d’une coutume locale qui aurait été dévoyée ».
L’Est Républicain : « Toujours est-il que les enquêteurs ont retrouvé deux fillettes d’une douzaine d’années cédées comme de vulgaires objets. L’une a été découverte en Belgique, près de Gand. Elle se trouvait au domicile de trois personnes qui ont été arrêtées et qui sont en attente de transfert vers la France. Une seconde enfant a été retrouvée dans l’Allier, à Montluçon. Là encore, les acheteurs chez qui elle se trouvait ont été arrêtés et ils sont toujours en garde à vue. Les deux fillettes étaient saines et sauves. « Nous ne sommes pas dans une affaire d’actes de torture et de barbarie. Les victimes n’étaient ni attachées, ni blessés lorsque les policiers les ont trouvés. Elles ne portaient pas de trace de violences flagrantes ».
L’Est Républicain : « On n’en sait pour l’instant pas plus sur leur sort. On ignore notamment à quoi elles étaient destinées », explique Grégory Weil. L’audition des fillettes et les interrogatoires des suspects doivent permettre d’en savoir plus. « L’objectif du juge d’instruction et des enquêteurs est d’arriver à déterminer ce que les deux enfants ont subi exactement et combien il y a d’autres victimes », précise le substitut de la JIRS. Aujourd’hui et demain, à l’issue des gardes à vue, les suspects devraient être conduits au tribunal de Nancy afin d’être déférés devant le juge d’instruction en charge du dossier », conclut L’Est Républicain.
Lors de l’affaire des prêtres « pédophiles » (pédocriminels), j’avais publié le billet d’humeur que voici (extraits) : la caste des journaleux a consacré plus d’émotion à vilipender les prêtres pédocriminels qu’à témoigner sa compassion envers les victimes de cette pédocriminalité ecclésiastique. C’est peu dire que les larmes médiatiques ne furent guère convaincantes. Ces larmes furent d’autant moins convaincantes qu’elles visaient essentiellement à exiger le mariage des prêtres et à exiger la démission de Benoît XVI. Maintenant, pour ce qui me concerne, la pédocriminalité ecclésiastique reste la chose la plus abominable que j’aie vécue au sein de l’Eglise catholique. L’Eglise catholique va devoir recenser le nombre réel et effectif de victimes, sachant que les chiffres avancés par les médias valent ce que valent les chiffres médiatiques et médiatisés. Mais quand bien même le nombre réel et effectif de victimes serait-il inférieur à celui véhiculé par la rumeur et la fureur médiatique, ce nombre restera toujours trop élevé. Car un seul cas de pédocriminalité ecclésiastique est un cas de trop. Selon le sociologue Massimo Introvigne, c’est la révolution culturelle des sixties qui est à l’origine des scandales pédophiles. Je précise quant à moi que cette révolution en est certes à l’origine. Mais je n’écris pas qu’elle en est responsable ou coupable. Ce serait trop facile. La révolution culturelle des sixties, c’est d’ailleurs le thème développé par Benoît XVI au paragraphe N°4 de sa Lettre aux catholiques d’Irlande, suite aux affaires pédocriminelles de l’Eglise dans ce pays.
Le sociologue Massimo Introvigne (extraits adaptés) a particulièrement retenu ce paragraphe N°4 et il nous en livre une relecture sociologique. Pour lui, c’est donc, notamment, dans la révolution des sixties, qu’il faut chercher, l’origine, des abus sur enfants (il est vrai qu’à l’époque les meneurs baisaient les mineures et l’un d’entre eux est même devenu ministre de la cul-ture). Les sixties – et ça c’est moi qui l’ajoute – c’est à dire, pour les Français, Mai soixante-huit, bien que les événements de mai 1968, aient été en retard, sur les événements analogues survenus aux USA et en Allemagne quelques années auparavant. Ce que les Britanniques et les Américains appellent les sixties (et nous, en nous concentrant sur l’année emblématique, 1968, avec Mai 68) apparaît de plus en plus comme le moment d’un bouleversement profond des coutumes, avec des effets cruciaux et durables sur la religion. Il y a eu du reste un Mai 68 dans la société. Et aussi un Mai 68 dans l’Eglise. Car justement, 1968 est l’année de la contestation contre l’encyclique Humanae Vitae de Paul VI, une contestation qui représente un point de non-retour dans la crise du principe de l’autorité dans l’Église catholique. On peut aussi se demander qui est venu en premier de la poule ou de l’œuf, à savoir si ce fut le soixante-huit dans la société qui a influencé celui dans l’Église, ou l’inverse.
Au début des années 1990, un théologien catholique écrivait que la révolution culturelle de 1968 ne fut pas un phénomène de choc qui s’était abattu contre l’Eglise de l’extérieur, mais avait été préparé et déclenché par les ferments post-conciliaires du catholicisme. Le processus de formation du terrorisme italien du début des années 70, dont le lien avec 1968 est à son tour décisif, reste incompréhensible si l’on fait abstraction la crise et des ferments internes au catholicisme post-conciliaire. Le théologien en question était le cardinal Joseph Ratzinger, alors préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, dans son livre « Un tournant pour l’Europe ». Mais, encore une fois, pourquoi les années 1960 ? Sur le sujet, Hugh McLeod a publié (2007, Oxford University Press), un livre important intitulé « La crise religieuse des années 1960 » qui fait le point sur les discussions en cours. Deux thèses s’opposent. Celle de Alan Gilbert, selon laquelle ce qui a déterminé la révolution des années 60, ce fut le boom économique qui a généralisé le consumérisme et éloigné la population des églises. Et celle de Callum Brown pour qui le facteur décisif a été l’émancipation des femmes après la diffusion de l’idéologie féministe, du divorce, de la pilule contraceptive et de l’avortement. Hugh McLeod pense qu’un seul facteur ne peut expliquer une révolution de cette ampleur.
Cette révolution a à voir avec le boom économique et le féminisme, mais aussi avec des aspects plus strictement culturels, qu’ils soient extérieurs aux Eglises et aux communautés chrétiennes (la rencontre entre la psychanalyse et le marxisme) ou intérieurs (la nouvelle théologie). Benoît XVI dans sa Lettre aux catholiques d’Irlande se montre conscient qu’il y eut dans les années 1960, une révolution pas moins importante que la Réforme protestante ou la Révolution française, une révolution qui fut très rapide et qui a asséné un coup très dur à l’adhésion traditionnelle de la population à l’enseignement catholique et aux valeurs catholiques. Le penseur catholique brésilien Plinio Corrêa de Oliveira parla à l’époque des sixties d’une quatrième Révolution, succédant à la Réforme, succédant à la Révolution française et succédant à la Révolution soviétique. Une révolution plus radicale que les précédentes, car capable de pénétrer in interiore homine (l’intériorité de l’homme) et capable de bouleverser non seulement le corps social, mais le corps humain. Dans l’Eglise catholique, la conscience immédiate de la portée de cette révolution ne fut pas suffisante.
Au contraire, cette révolution contamina même – estime aujourd’hui Benoît XVI – des prêtres et des religieux, détermina des malentendus dans l’interprétation du Concile, provoqua une formation humaine, morale et spirituelle insuffisante dans les séminaires et les noviciats. Dans ce climat, ce ne sont pas tous les prêtres, insuffisamment formés, ou infectés, par le climat consécutif aux années soixante, et pas même un pourcentage significatif d’entre eux, qui devinrent pédophile. Nous savons à partir des statistiques que le nombre réel de prêtres pédophiles est beaucoup moindre que celui proposé par certains médias. Pourtant, ce nombre n’est pas égal – comme nous le voudrions tous – à zéro, et justifie les mots sévères de Benoît XVI. Cela dit, l’étude de la Quatrième Révolution des années 60, et l’étude de Mai 1968, sont cruciales ; pour comprendre ce qui s’est passé depuis, y compris la pédophilie ; et pour trouver de véritables remèdes. Si la révolution des années 60, à la différence des précédentes, est morale et spirituelle et touche l’intériorité de l’homme, alors ce n’est que par la restauration de la moralité, de la vie spirituelle et d’une vérité intégrale sur la personne humaine que pourront venir les remèdes (Note de Michel Garroté : je doute que l’on restaure la moralité ; je pense plutôt que l’adhésion libre à la foi et la vie intérieure, peuvent, dans un deuxième temps, restaurer la moralité). Mais pour cela, les sociologues, comme toujours, ne suffisent pas. Nous avons besoin de pères, de maîtres, d’éducateurs et de saints. Et nous avons tous un grand besoin du Pape. De ce Pape, qui, une fois encore – pour reprendre le titre de sa dernière encyclique – dit la vérité dans la charité et pratique la charité dans la vérité » (Fin des extraits adaptés de l’analyse de Massimo Introvigne).
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