Le Nouvel Observateur Gérard Lopez – Maltraitance des enfants : pourquoi ce sujet est encore si tabou en France

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Combien d’enfants maltraités en France ? Difficile de le savoir. Mais en tous cas, bien plus qu’on ne le croit, explique le docteur Gérard Lopez. Auteur de « Enfants violés et violentés : le scandale ignoré » (éditions Dunod), il livre son analyse sur les conséquences et le tabou de la maltraitance infantile.

Les publications scientifiques relatives à la maltraitance infantile sont pour l’essentiel anglo-saxonnes parce que, à l’exception du travail du Dr Anne Tursz [1], la France répond aux abonnés absents.

La maltraitance est-elle un sujet marginal ? Est-elle un sujet tabou ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes

La recherche démontre que les enfants maltraités présentent de graves troubles du comportement. Devenus adultes, ils risquent 5 fois plus d’états dépressifs, 12 fois plus tentatives de suicide, 7 fois plus d’être alcoolique, 5 fois plus d’être toxicomane, 4 fois plus d’être bronchitique chronique, 2 fois plus de présenter un cancer, etc [2]. Ils présentent également de graves troubles de la personnalité. La maltraitance fait le lit de l’exclusion et de la délinquance.

Nulle hésitation, toutes les études épidémiologiques permettent d’affirmer que 10% des enfants sont maltraités en France comme au Royaume-Uni et ailleurs. Un enfant est tué tous les jours sous les coups de ses parents, dans l’indifférence générale. [3]

Il s’agit donc d’un sérieux problème de santé publique.

Pourquoi un tel silence ?

Les raisons de ce déni s’enracinent dans la culture. L’enfant doit respecter ses parents comme l’affirment les 10 Commandements et… le Code civil, et en toutes circonstances ! Le Code de déontologie médicale (article 44) recommande de signaler les enfants avec « prudence et circonspection », le médecin pouvant même s’en abstenir en cas « de circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ». Soit ils s’abstiennent, soit ils ne repèrent pas les enfants victimes de violences familiales. Selon la Cour des comptes, les médecins parisiens n’ont signalé aucun enfant en danger en 2006 ! [4]

Ce déni est renforcé par toutes sortes de fausses théories qui ne reposent sur aucune preuve scientifique, comme le soi-disant syndrome d’aliénation parentale, la résilience mal comprise, ou selon le mythe que les enfants « carencés » seraient mythomanes, surtout depuis Outreau… bien que les enfants aient tous été reconnus victimes de viols et actes de proxénétisme par la justice.

En fait, chacun d’entre nous refuse d’admettre que nos chers enfants sont massacrés. La famille est certes le pilier de notre fonctionnement social, mais à condition qu’elle soit suffisamment bien traitante, c’est-à-dire qu’elle apporte un sentiment de sécurité indispensable au bon développement physique et psychologique des enfants.

Y a-t-il des solutions ?

C’est la deuxième partie de mon livre. Il s’agit d’un problème politique. Il faudrait que le corps social en prenne conscience et qu’il accepte devant l’évidence de considérer que la maltraitance infantile est un problème de santé publique et de mettre les moyens pour l’éradiquer.

N’est-ce pas déjà le cas ? Non. Les médecins ne sont pas formés. Et personne ne prend en compte les solutions qui ont faits leurs preuves scientifiques, notamment en terme de suivi éducatif des familles et des enfants quand les familles ne sont pas compétentes pour les élever dans de bonnes conditions de sécurité.

 

[1]Tursz A., Les oubliés. Enfants maltraités en France et par la France, Paris, Seuil, 2010

[2] Felliti V. J., Anda R. F., Nordemberg D. et al., “Relashionship of childhood abuse and household dysfunction to many of leading causes of death in adults : the Adverse Childhood Experiences (ACE) Study”, Am J Prevent Med, 1998.

[3] Voir ici. À ces 250 enfants âgés de moins d’un an se surajoutent les homicides des mineurs de moins de 15 ans répertoriés par l’Office national de délinquance, soit 46 cas en 2010 (source : État 4001 annuel, DCPJ, INHESJ/ONDRP, rapport 2011).

 [4] Voir le rapport de la Cour des comptes 2009 sur la protection de l’enfance, page 165

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