Le Parisien Outreau : les fils de Myriam Badaoui n’iront pas au troisième procès

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Pour la première fois, les fils de Myriam Badaoui, trois des douze enfants reconnus victimes dans l’affaire Outreau, se confient.

(Photo: Paris, hier. Chérif, 23 ans, Jonathan, 19 ans, et Dimitri, 20 ans (de gauche à droite) (LP/Delphine Goldzstejn.)

Ils ont tenu à ce que la rencontre se tienne près du palais de justice de Paris, face à cette imposante cour d’assises de Paris qui, en 2005, a prononcé l’acquittement en appel des six derniers accusés de l’affaire Outreau qui criaient leur innocence. Pour la première fois, trois des quatre fils de Myriam Badaoui, mère incestueuse et accusatrice, ont accepté de s’exprimer publiquement.

Chérif, 23 ans, Dimitri, 20 ans, et Jonathan, 19 ans, à l’origine des dénonciations d’abus sexuels dans ce dossier, veulent en finir avec les « enfants d’Outreau », expression qui a conduit tant de monde à parler en leur nom. « Aujourd’hui, nous sommes majeurs. On veut qu’on nous appelle M. Jonathan Delay, M. Dimitri Delay et M. Chérif Delay », clament-ils à l’unisson, manière de se réapproprier une histoire qui leur a toujours échappé.

Une semaine après l’annonce d’un troisième procès d’Outreau, qui verra Daniel Legrand fils, l’un des acquittés, être jugé pour des viols présumés commis lorsqu’il était mineur sur les quatre enfants du couple Delay-Badaoui entre 1997 et 1999, les trois garçons préviennent qu’ils ne participeront pas à cette « mascarade ». Ils disent leur rage, leurs traumatismes, leur existence de « m… » et l’incroyable défi à la vie que représente le fait d’avoir été « les enfants d’Outreau ».

Pourquoi ne voulez-vous pas participer à ce troisième procès?
DIMITRI.
Parce que ce sera une mascarade. Depuis le début, la justice nous a manipulés, au point de nous rendre coupables de notre propre vécu, alors que nous avons souffert les pires calvaires imaginables. Je ne veux plus avoir affaire à ces gens-là.
CHÉRIF. Lors du procès en appel, à huis clos, à Paris, l’avocat général m’a demandé si j’avais été violé par des extraterrestres. Certains ricanaient. Nous sommes pourtant douze enfants à avoir été reconnus victimes dans cette affaire. J’ai mes souvenirs, ces flashs qui me hantent, ce Noël 1995 où je suis violé pour la première fois par mon beau-père (NDLR : Thierry Delay, le compagnon de Myriam Badaoui). J’ai toujours dit que neuf personnes avaient participé. Certaines ont été acquittées. Je ne veux plus jouer ce jeu de la justice. Il est évident que M. Legrand sera acquitté lui aussi. C’est acquis. Au pire, il aura du sursis. Tout ça ne sera qu’un cirque au cours duquel on se fera à nouveau exploser psychologiquement. Même si les gendarmes viennent me chercher, je n’irai pas.

Vous n’avez jamais mis en cause Daniel Legrand fils…
D.
Je ne veux pas répondre.
C. Pour nous, cet aspect du dossier partait pour être enterré par la justice. Et, aujourd’hui, le procureur annonce un procès, sans même nous prévenir, ni notre avocat. On le découvre à la télé…
JONATHAN. S’il n’a rien à se reprocher, pourquoi M. Legrand a besoin de dix avocats?

Craigniez-vous d’être confrontés à eux?
C.
Non, j’aimerais les avoir en face de moi les Delarue, les Dupont-Moretti, pour leur répondre, à 23 ans, ce que je ne leur ai pas répondu lors du procès en appel de 2005 alors que je n’avais que 15 ans. Mais là, stop. Je ne veux pas de ce procès. J’ai la phobie de la police, de la justice et de ses palais. Je reste très fragile. J’enchaîne les tentatives de suicide. Regardez… (NDLR : il dévoile ses avant-bras couverts de cicatrices). Je risquerais de péter les plombs.
D. Ce procès, c’est pour eux, pas pour nous. On ne veut plus jouer leur jeu.

Vous avez le sentiment d’avoir été trahis?
C.
Trahis et manipulés. On nous a pris pour des pantins, des marionnettes. Je me rappelle d’un commissaire de police qui m’avait dit : « N’ayez pas peur, vos parents vont partir en prison, vous ne risquez plus rien. » Et voyez comment ça s’est terminé. On nous a traités de menteurs. Pour les gens, Outreau, c’est quoi? Des pauvres personnes qui ont fait trois ans de prison pour rien et des enfants qui sont des menteurs! Ma mère, Myriam Badaoui, que je ne veux plus voir, est sortie de détention (NDLR : en 2011, après dix années effectivement purgées). Personne, là encore, ne m’a prévenu. Quant à mon beau-père, il a toujours dit qu’il me tuerait à sa libération…

Quelle a été votre vie toutes ces dernières années?
C.
J’ai 23 ans. Je ne sais rien faire à part un peu de musique. Même lire ou écrire, j’ai du mal. On m’a mis en foyer en Belgique. Le jour de mes 18 ans, un éducateur est venu me voir, pour me dire : « Voilà, tu dois partir. » Mais pour aller où? On m’a donné un billet de train, et j’ai zoné. Je l’assume : j’ai dû braquer, agresser des gens pour survivre, et me payer une nuit à l’Etap Hôtel de Boulogne-sur-Mer. Quand c’était trop juste, en plein mois de février, je fracturais les portes de petits bateaux de pêche pour y dormir. On a été séparés mes frères et moi jusqu’à notre majorité. Notre plus jeune frère, Dylan, 16 ans, est toujours en foyer. Le conseil général nous empêche de le voir. Ça fait sept ans que ça dure. Je ne sais plus à quoi il ressemble. Jonathan, quand je l’ai revu pour la première fois, je l’ai à peine reconnu…
D. J’étais aussi en foyer. J’ai travaillé dans une fonderie d’art, ça se passait bien. Avant, j’avais été placé dans une famille d’accueil, où je me sentais bien, mais on m’a dit un jour qu’il ne fallait pas trop qu’elle s’attache. Alors, on m’a envoyé à Toulon, sans raison. Après, je me suis retrouvé à errer dans Paris…

Comment vivez-vous désormais?
J.
Je suis SDF. Je n’ai pas de travail, donc je ne trouve pas de logement, et inversement. Avant, j’avais un très bon niveau scolaire. Mais de retour de Belgique, où j’avais été placé, je n’ai pas eu d’équivalence dans les études. Et puis, quand vous voyez un patron et que ça fait un moment que vous n’avez pas pris de douche, ce n’est pas l’idéal…
D. Je vis au jour le jour. Parfois, Chérif, qui a un toit, peut nous héberger. On trime, et on ne s’en sort pas. A chaque fois, il y a toujours quelqu’un à qui notre nom dit quelque chose. Un tour sur Internet et notre passé ressort. Ce passé, c’est un blocage insurmontable.
C. Heureusement, je bénéficie d’un petit réseau de solidarité, qui nous vient en aide. Mais c’est dur. A huit reprises, j’ai été placé en hôpital psychiatrique. Je me sens toujours sale, sali. On me dit que je suis beau, mais quand je me regarde dans la glace, je me dis : T’es un vilain. Pour les médecins, je souffre de stress traumatique. J’ai envie de croire au bonheur mais, tous les jours, je me bats contre moi-même pour ne pas me couper les veines. Et puis je culpabilise. Je me dis que si, en 1995, j’avais osé dénoncer les viols dont j’ai été victime par mon beau-père, mes frères n’auraient pas vécu ce qu’ils ont vécu, et l’affaire Outreau n’aurait jamais existé.

Source: http://www.leparisien.fr/faits-divers/les-fils-de-myriam-badaoui-n-iront-pas-au-3e-proces-d-outreau-03-07-2013-2950379.php

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