(Le Point) Tout ce qu’il faut savoir sur l’affaire Woody Allen

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 Depuis 1992, le cinéaste est accusé de viol sur sa fille adoptive. La controverse a été relancée en 2014, malgré l’arrêt des poursuites judiciaires. Par Phalène de La Valette

Jamais mariés, mais en couple durant douze ans, Woody Allen et Mia Farrow ont eu un fils biologique, Ronan, et ont adopté ensemble une fille et un garçon, Dylan et Moses. Farrow a également d’autres enfants, adoptés avant sa rencontre avec Allen, lors de son mariage avec le musicien André Previn. Parmi eux, Soon-Yi, une jeune femme d’origine coréenne avec laquelle Woody Allen entame une relation en 1991. Elle est alors âgée de 19 ou 21 ans (sa date de naissance exacte, inconnue, fut estimée à 1970 ou 1972 lors de son adoption) tandis que le cinéaste a 56 ans. En janvier 1992, Mia Farrow découvre des photos nues de Soon-Yi et décide logiquement de se séparer de Woody Allen.

Le 4 août 1992, alors que le couple se dispute la garde des enfants, le réalisateur visite sa famille réunie dans la maison de campagne de Mia Farrow dans le Connecticut. Le lendemain, cette dernière, accompagnée de Dylan, 7 ans, se rend au cabinet d’un pédiatre qui contacte les autorités locales pour des soupçons d’abus sexuels. Selon le récit donné par Dylan aujourd’hui, Woody Allen l’aurait conduite ce 4 août « dans un petit grenier mal éclairé au deuxième étage de [leur] maison », lui aurait dit de s’ »allonger sur le ventre » et l’aurait « agressée sexuellement ». À l’époque, son témoignage est enregistré dans une vidéo filmée par sa mère.

L’avis des experts

La police de l’État du Connecticut lance une enquête criminelle et fait appel au service spécialisé dans les abus sexuels infantiles de l’hôpital de Yale-New Haven, pour une évaluation de Dylan. En mars 1993, les experts concluent que « Dylan n’a pas été abusée sexuellement par M. Allen ». Et exposent deux hypothèses : soit « l’affirmation de Dylan n’est pas vraie, mais a été inventée par une enfant émotionnellement vulnérable qui était dans une famille instable et réagissait au stress dans sa famille » ; soit « Dylan a été entraînée ou influencée par sa mère, Mme Farrow ».

Woody Allen et son épouse Soon-Yi © Marion Curtis Sipa
Woody Allen et son épouse Soon-Yi © Marion Curtis Sipa

Mais le juge de la Cour suprême de New York, qui doit statuer sur la garde des enfants, critique l’évaluation de l’équipe hospitalière, estimant que son rapport n’est « pas concluant ». Dans son jugement, en juin 1993, il attribue donc la garde à Mia Farrow et interdit à Woody Allen de visiter Dylan. Les autorités du Connecticut finissent néanmoins par abandonner les charges. L’enquête criminelle est close, chacun va son chemin, et Woody Allen et sa fille Dylan ne se revoient plus jamais. En 1997, le réalisateur épouse Soon-Yi, avec laquelle il est marié actuellement et a adopté deux enfants.

Hommage polémique des Golden Globes

En novembre 2013, Vanity Fair consacre un long article à Mia Farrow et à sa famille. Interviewée par la journaliste, Dylan (28 ans aujourd’hui) évoque sa relation avec son père adoptif et affirme : « Il y a beaucoup de choses dont je ne me souviens pas, mais ce qui s’est passé dans le grenier, je m’en souviens. Je me souviens des vêtements que je portais et de ceux que je ne portais pas. » Elle décrit des scènes d’attouchements et explique avoir été traumatisée par Woody Allen.

Le 12 janvier 2014, les Golden Globes décident de rendre hommage à Woody Allen en lui attribuant le prix Cecil B. DeMille pour l’ensemble de son oeuvre cinématographique. À cette occasion, le documentariste Robert B. Weide réalise un clip en l’honneur du cinéaste, reprenant les meilleurs passages de ses films. Il demande l’autorisation à Mia Farrow d’utiliser son image pour inclure un extrait de La Rose pourpre du Caire. Elle la lui accorde.

REGARDEZ – le clip réalisé en l’honneur du réalisateur

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Pourtant, le lendemain de la cérémonie de remise des prix, l’actrice tweete le message suivant : « Une femme a détaillé publiquement son agression par Woody Allen à l’âge de 7 ans. L’hommage des Golden Globes a montré le mépris envers elle et tous les survivants d’abus sexuels. » « Est-il un pédophile ? » ajoute-t-elle dans un autre tweet, avec un lien vers l’article de Vanity Fair consacré à sa famille. Le même jour, son fils Ronan Farrow, aujourd’hui âgé de 26 ans (il avait 4 ans au début de l’affaire), a de son côté tweeté : « Loupé l’hommage à Woody Allen – ont-ils inclus la partie où une femme a publiquement confirmé qu’il l’a agressée à l’âge de sept ans avant ou après Annie Hall ? » L’ensemble suscite logiquement une polémique, d’autant plus violente que, trois jours plus tard, Woody Allen est nommé aux Oscars pour son dernier film, Blue Jasmine.

« Mon tourment a été aggravé par Hollywood »

La controverse atteint un niveau critique avec la publication, le 1er février 2014, d’une lettre ouverte de Dylan Farrow, publiée par un journaliste du New York Times. Elle y réaffirme avoir été violée par son père. « Il me parlait en le faisant, me murmurant que j’étais une gentille petite fille, que c’était notre secret, me promettant que nous irions à Paris et que je serais une star de cinéma », écrit-elle. « Woody Allen n’a jamais été condamné pour aucun crime, et qu’il ait échappé à ce qu’il m’a fait m’a hantée toute mon enfance. [...] Mon tourment a été aggravé par Hollywood. Tout le monde, à part quelques-uns (mes héros), a fermé les yeux. La plupart ont préféré accepter l’ambiguïté, dire qui sait ce qui s’est produit et prétendre que tout allait bien. [...] Woody Allen est l’exemple vivant de la façon dont notre société néglige les survivants d’agression et d’abus sexuels », dénonce-t-elle.

Une semaine plus tard, l’accusé répond dans les pages du New York Times, lui aussi. « Il y a vingt et un ans, quand j’ai entendu pour la première fois que Mia Farrow m’avait accusé d’agression sur un enfant, j’ai trouvé l’idée si absurde que je n’y ai même pas repensé. [...] Je pensais naïvement que l’accusation serait balayée, parce que, bien sûr, je n’ai pas agressé Dylan et que toute personne rationnelle verrait le complot pour ce qu’il était. » La défense du réalisateur consiste à expliquer que son ex-compagne, en rage après avoir découvert sa liaison avec Soon-Yi, aurait manipulé Dylan. Une hypothèse qui reste plausible dans la mesure où, comme l’explique David Finkehor, professeur de l’université du New Hampshire et directeur du Centre de recherche sur les crimes contre l’enfant, « il est fréquent que des allégations d’abus sexuels infantiles émergent au moment d’une rupture ou d’un conflit sur la garde des enfants ». Mais il est impossible de déterminer s’il y a eu ou non manipulation, et encore plus si les souvenirs de la personne ont pu être altérés par la pression psychologique, ou s’ils sont fidèles à la réalité.

À ce jour, l’affaire Allen n’est plus que médiatique, aucune nouvelle poursuite judiciaire n’ayant été engagée. Et comme le disait récemment Scarlett Johansson, interrogée sur le sujet, « ce serait absurde de faire des suppositions, quelles qu’elles soient, dans un sens ou dans l’autre ».

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