Elyès, 19 ans, raconte sa difficile vie dans les foyers d’accueil dans un livre intitulé « Dans l’enfer des foyers ».
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Ce matin sur à 7h45, Europe 1 recevait Elyès, 19 ans, enfant maltraité dans des foyers d’accueil.
Voici ses déclarations :
Bonjour Lyès.
« Bonjour »
Merci d’être avec nous en studio sur Europe 1. Vous avez 19 ans et vous racontez donc votre courte vie dans ce livre : « Dans l’enfer des foyers », ça sort chez Flammarion. Pourquoi, tout d’abord, avoir voulu vous replonger dans tous ces souvenirs ? J’imagine que l’écriture a dû être pénible.
« Ça a été très pénible, et en même temps, c’était quelque chose qui me dépassait dans le sens où je l’ai pas forcément fait pour moi, ce livre. A un moment donné, je m’étais beaucoup questionné sur le fait de savoir si j’étais un cas isolé, de me dire que tout ce qui s’était passé était dû à moi, de ma faute. Et, au fur et à mesure de ma réflexion, j’ai commencé à me poser les bonnes questions et ce livre, je l’ai fait pour tous les enfants qui sont encore placés aujourd’hui ou qui l’ont été. D’abord, pour qu’ils sachent que c’est pas du tout des cas isolés et que ce qu’ils vivent, ce n’est pas normal. Mais aussi, surtout, pour que les politiques fassent des choses, commencent un peu à s’emparer du sujet parce que ça fait des années que ça dure. Donc voilà, pour faire essayer de faire avancer les choses. »
Votre histoire en quelques mots : un père qui ne vous a jamais reconnu, une mère avec des problèmes psychiatriques graves. Vous êtes confié à l’Etat dès votre naissance. Au départ, dans votre première famille d’accueil, est-ce que vous êtes heureux ?
« Je suis très heureux. En fait, c’est la première famille d’accueil qui a pris la place d’une mère, pour moi. »
Comment elle s’appelle, cette femme ?
« Elle s’appelle Emilie. »
Et pourquoi ça s’est très bien passé avec elle ?
« Parce qu’il y avait des sentiments, je pense, dès le départ. Et puis, il y avait des bases solides, sur le plan éducatif et sentimental. »
Mais à l’âge de 4 ans, on vous arrache à cette première famille. Vous êtes tout petit, est-ce que vous gardez un souvenir clair de ce qui s’est passé à ce moment-là ?
« Oui, j’ai quelques souvenirs de certaines choses et surtout des sentiments que j’ai pu avoir. Je sais que c’était des sentiments très forts, et je suis d’ailleurs resté en contact par la suite. »
Pourquoi avez-vous dû quitter cette famille ?
« Je dois la quitter parce que, pour des impératifs familiaux et professionnels du côté de son mari, la famille a dû partir dans le Sud. Et l’aide sociale à l’enfance a jugé bon de me faire rester sur Paris sous motif que je devais être près de ma mère, que je ne connaissais pas à cette époque, quand même. Il faut le savoir. »
Alors, plutôt que de rester avec cette famille avec qui ça se passe très bien, vous êtes placé à Paris dans une autre famille d’accueil. Et là, ça va beaucoup moins bien se passer.
« Oui, en effet. Une fois que je suis parti de chez Emilie, je suis arrivé dans une autre famille d’accueil où ça a été un véritable calvaire. Dès le départ, je l’avais pas senti. C’était presque physique. Et par la suite, mon calvaire, ça a été de la maltraitance. »
S’ensuit une troisième famille, et là, vous racontez cette dame qui va vous bourrer de médicaments pour vous assommer. Pourquoi elle fait ça ?
« La troisième famille chez qui je suis allé avait du mal à me gérer, à comprendre les séquelles que j’avais malgré mon jeune âge. Et la solution de facilité a été de me shooter, quoi. De me shooter aux médocs, avec l’accord de l’institution. »
Ça veut dire que l’aide sociale à l’enfance va donner son accord, à ce moment-là ?
« Exactement, et c’est le médecin du placement familial qui a fait la prescription pour le traitement que j’ai pris. »
On poursuit votre parcours. A 10 ans, vous découvrez les foyers d’accueil, vous devenez très vite le souffre-douleur des plus grands. Il s’y passe quoi, dans ces foyers ?
« Il s’y passe énormément de choses. J’ai peut-être pas besoin de vous faire un dessin, mais de la maltraitance, surtout. Après, c’est vrai que c’est un lieu collectif, avec des tranches d’âge différentes qui créent un rapport de forces constant. Des jeunes de 3 ans avec des jeunes de 17 ans, donc forcément, ça crée de la maltraitance malgré tout. Et des professionnels non formés, aussi, qui génèrent aussi de la maltraitance. »
Vous racontez des choses terribles. Les brimades, les agressions sexuelles, les copines qui ont 13-14 ans et qui se prostituent pour 2 cigarettes. A ce moment-là, les adultes ne vous protègent pas du tout ?
« Non, je pense que les adultes déjà, eux-mêmes, sont impuissants face à la situation. Par manque de formation. Dans le foyer où j’ai été, il y a quand même un veilleur de nuit qui est passé éducateur du jour au lendemain. C’est quand même assez dramatique qu’on ne considère pas cette profession et qu’on fasse passer un veilleur de nuit éducateur alors qu’il n’a pas les capacités nécessaires. Je pense que c’est quelque chose qui les dépasse et que l’institution y est beaucoup en leur donnant pas les moyens de mieux comprendre ce qui s’y passe, de mieux comprendre les enfants, de pas avoir de techniques éducatives appropriées à ce public. »
Et vous avez l’impression de ne pas avoir été écouté, il n’y avait personne ?
« Oui, bien sûr. Même si on vit en collectivité, le sentiment que j’ai ressenti le plus souvent, c’était la solitude face à ce qu’il se passait, de la non-compréhension. »
Et c’est pour cela que vous avez écrit ce livre : « Ecoutez les enfants ».
« Exactement. Ecoutez les enfants parce que c’est eux qui vivent dans ces structures, c’est eux qui en sont les bénéficiaires et que si on adapte pas ces techniques ou le cadre de vie à leurs besoins, à leurs envies, alors je vois pas l’intérêt de faire des foyers si c’est pour qu’ils s’y sentent mal, au bout du compte. »
Qu’est-ce qu’il faudrait changer en priorité, selon vous ?
« La première chose, ce serait de faire des structures plus petites, tout en ne mélangeant pas les tranches d’âge. Parce que moi, ça a été extrêmement violent d’être avec des jeunes majeurs, au final. Ça a vraiment créé un rapport de forces constant. Et aussi beaucoup de faiblesses. Donc oui, créer des structures plus petites, former davantage les professionnels, faire de la formation continue tout en adaptant ces pratiques. Analyser ces pratiques, c’est très important. Et puis les contrôler, aussi. »
Aujourd’hui, vous avez 19 ans, vous semblez calme, posé. Qu’est-ce que vous faites, dans la vie ?
« Aujourd’hui, je suis éducateur pour le Samu social. »
On imagine que c’est pas un hasard…
« Non, c’est pas du tout un hasard. C’est vrai que quand j’ai commencé à travailler, ça a été thérapeutique, dans le sens où 40% des SDF âgés de 18 à 25 ans sont issus de l’aide sociale à l’enfance. Et au cours de ma petite carrière, j’ai pu rencontrer énormément de personnes SDF qui en venait. Et le fait de mieux comprendre leur cheminement et moi, à mon tour, pouvoir les accompagner vers quelque chose de meilleur, c’est quelque chose qui me porte et qui peut même, parfois, me prendre aux tripes. »
Merci Lyès, d’avoir répondu à nos questions ce matin. »
Source: http://www.europe1.fr/mediacenter/emissions/l-interview-verite-thomas-sotto/videos/lyes-les-enfants-de-l-aide-sociale-a-l-enfance-doivent-savoir-que-ce-qu-ils-vivent-ce-n-est-pas-normal-2108633