Jeune Afrique Joseph Tonda : « Ce n’est pas un rituel, c’est de la barbarie »

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Professeur à l’université Omar-Bongo de Libreville, au Gabon, Joseph Tonda est également l’auteur du roman « Chiens de foudre », aux éditions Odem.

(Photo: Joseph Tonda : « La quête éperdue de puissance débouche sur la disqualification du travail. » © DR)

Jeune Afrique : Les crimes rituels sont-ils devenus un phénomène généralisé ?

Joseph Tonda : Non. Ce n’est pas un hasard si les hommes politiques et les personnalités sont souvent accusés d’être les commanditaires des crimes rituels : tout le monde n’a pas 5 millions de FCFA à dépenser pour recruter quelqu’un qui se chargera de la basse besogne avant de livrer les « pièces détachées » humaines (organes). Il faut avoir les moyens.

Est-ce que ce rite a toujours existé ?

Les sacrifices humains existent depuis très longtemps, mais avant d’en arriver là, traditionnellement, il fallait épuiser toutes les procédures de conjuration du mal. On commençait par sacrifier les animaux. Aujourd’hui, on est face à des voyous à qui on remet de l’argent pour aller abattre des gens, leur extorquer des organes à vifs. Ce n’est pas un rituel, c’est de la barbarie. Le seul rituel en soi, c’est quand le Nganga (sorcier) traite ce « matériel » pour que le client puisse le consommer. C’est un rituel perverti, transgressé.

Comment en est-on arrivé là ?

Dans les sociétés traditionnelles la puissance du corps s’exprimait à travers la chasse, la pêche, la guerre, le prestige, la domination ou le « contrôle » des collectivités, l’acte sexuel… Les choses vont être complètement bouleversées avec l’ordre colonial qui arrive avec d’autres critères de réussite, comme l’esprit marchand.

La valeur correspond désormais à l’acquisition de ce qu’on appelle en langues bantoues « les choses des blancs ». Or, la réussite des blancs dépasse les Africains, les rend anxieux. Les colons sont au sommet du pouvoir, de l’économie, et de la connaissance, et ils jouissent de la force de travail des autres sans travailler eux-mêmes : il y a forcément quelque chose de magique.

La colonisation ne va pas désenchanter nos sociétés. Au contraire, les symboles amenés par les colons, comme la croix catholique, vont être considérés et utilisés comme des objets fétiches. Dans cette quête éperdue de puissance, on en arrive à la disqualification de l’effort continu, du travail.

>> Lire aussi : La sorcellerie au coeur du pouvoir : petits secrets de palais

Peut-on mettre fin à ces pratiques ?

La croyance populaire des élites entretient le phénomène que les dominés condamnent. Si les gens cessent d’y croire, il n’y aura plus de crimes rituels. Le problème, cependant, est qu’une religion comme le pentecôtisme s’impose aujourd’hui partout comme la magie du capitalisme et entretient, intensifie et généralise les croyances qui justifient les crimes rituels.

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Propos recueillis par Elise Esteban

Source: http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/ARTJAWEB20140528170343/gabon-sorcellerie-trafic-d-organes-crime-ritueljoseph-tonda-ce-n-est-pas-un-rituel-c-est-de-la-barbarie.html

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