Le Parisien Jonathan Delay veut être «autre chose qu’un enfant d’Outreau »

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Jonathan Delay, l’un des quatre fils de Myriam Badaoui, promet de faire entendre sa voix au procès de Daniel Legrand fils, l’un des acquittés qui sera rejugé le mois prochain à Rennes pour viols sur lui et ses trois frères.

Paris, le 16 avril. Pour Jonathan Delay, ce procès semble plus répondre à un besoin vital qu’à une soif de vengeance : « Ça fait dix ans que je vis avec un puzzle qui n’est pas terminé. Il manque une pièce. Après, je serai libre. »
Paris, le 16 avril. Pour Jonathan Delay, ce procès semble plus répondre à un besoin vital qu’à une soif de vengeance : « Ça fait dix ans que je vis avec un puzzle qui n’est pas terminé. Il manque une pièce. Après, je serai libre. » (LP/Louise Colcombet.)

C’est l’été en avril. Le soleil bombarde Paris. Un jeune homme en costume sombre s’assoit au fond d’un bar, près de la gare de l’Est. Il tombe la veste, retire sa cravate et commande un Coca. On le dirait sorti d’un entretien d’embauche.

Mais c’est une poignée de journalistes que ce grand brun costaud en chemisette blanche a conviés à un rendez-vous, entouré de ses deux avocats, Mes Patrice Reviron et Sylvain Cormier. Jonathan porte un nom qu’il a parfois envie de changer : Delay. Il est l’un des 12 enfants reconnus victimes de l’affaire d’Outreau. Il fêtera ses 21 ans le 23 mai, en plein procès de Daniel Legrand fils devant la cour d’assises à Rennes. Acquitté en appel, le père de famille sera jugé pour les viols et les agressions sexuelles sur les quatre enfants du couple Delay-Badaoui alors qu’il était mineur. Un volet de l’affaire de pédophilie qui n’avait jamais été audiencé. Absurde selon la plupart des observateurs mais parfaitement légal en droit, ce procès de Daniel Legrand fils, qui nie les faits et n’a jamais été mis en cause par les frères Delay pendant l’enquête, Jonathan s’y prépare et a hâte d’y être.

« Ça fait pas mal d’années que j’attends. J’ai envie d’y croire. Il existe peut-être une autre justice, plus respectable à notre égard », dit posément le jeune homme, marqué par le premier procès de 2004 à Saint-Omer (Pas-de-Calais). « Mes frères et moi, on s’est retrouvés à la limite coupables de ce qui nous était arrivé ! » En disculpant treize accusés, Myriam Badaoui avait balayé la grande majorité des accusations de ses enfants. « On avait presque inversé les rôles, nous étions les menteurs », estime aujourd’hui Jonathan. « Mais je n’ai plus 10 ans, j’ai l’âge pour pouvoir parler. J’ai été reconnu comme victime, maintenant je veux être entendu », prévient-il avec fermeté. Pour lui, ce procès semble plus répondre à un besoin vital qu’à une soif de vengeance. « Ça fait dix ans que je vis avec un puzzle qui n’est pas terminé. Il manque une pièce. Après, je serai libre », philosophe-t-il.

Cet accusé qui lui fera face le mois prochain devant les assises de Rennes, il ne l’a pourtant jamais dénoncé. Jonathan élude. « Il ne parle pas de Daniel Legrand fils pendant l’enquête, mais on ne lui a pas non plus montré sa photo. Nous répondrons au procès », intervient Me Reviron. En fait, Jonathan ne fait pas mystère de ce qu’il pense de Daniel Legrand fils. « Si je me constitue partie civile, ce n’est pas anodin. Je n’ai pas l’intention de regarder les mouches voler », avertit celui qui, malgré son jeune âge à l’époque, certifie se souvenir de « 80 % de l’affaire d’Outreau comme si c’était hier ». Et il maintient être monté dans une voiture pour aller dans une ferme en Belgique (lieu présumé de viols jamais retrouvé), et même le meurtre d’une fillette, improbable piste explorée par la police en vain.

S’exprimant avec facilité, Jonathan accepte de revenir sur son enfance difficile. Placé en famille d’accueil, puis ballotté de foyer en foyer en Belgique, « pour ma sécurité ». « Un jour, on m’a même agressé à cause de l’affaire », assure-t-il. Puis il retrace son adolescence chaotique. « Le jour de mes 18 ans, à minuit, on m’a mis dehors, au foyer de Boulogne-sur-Mer. Je suis retourné chez un ami en Belgique. En juin 2012, j’ai touché les 32 000 € de dommages et intérêts en tant que victime d’Outreau. Quand on vit avec 5 € par semaine… J’en ai profité, j’ai fait des soirées, je suis parti en vacances. J’avais soudainement beaucoup d’amis. Jusqu’au jour où je me suis réveillé avec plus rien. » Il travaille quelques semaines dans une boulangerie. Puis la galère. La rue. La psychiatrie…

Le passé, c’est aussi ses parents. Ce père, Thierry Delay, toujours incarcéré. « Aucun dialogue. Sa dernière lettre remonte à 2004. » En revanche, sa mère, Myriam Badaoui, lui a beaucoup écrit quand elle était en prison. « Des classeurs entiers… Je lui ai rendu visite en 2007. Elle n’a pas voulu répondre à mes questions. » Jonathan voulait savoir pourquoi sa mère avait changé sa version des faits. Le rendez-vous a tourné court. Il l’a revue il y a deux ans, après sa sortie de prison, en septembre 2011. Une Myriam Badaoui métamorphosée. « Elle avait perdu 70 kg et s’était fait refaire le nez, les pommettes, les dents. J’étais à côté de cette femme depuis vingt minutes sans l’avoir reconnue ! J’ai été honnête avec elle. Ça n’a pas été bisous-bisous, tu m’as manqué. Mais elle n’a toujours pas répondu à mes questions. Ça a duré quinze minutes maximum. » Depuis, plus de nouvelles. Son histoire, c’est aussi Outreau et la Tour-du-Renard. Il y est retourné, par curiosité. « J’ai croisé des anciens de mon immeuble. On m’a reconnu et fait comprendre que ma présence n’était pas souhaitable. J’ai vite décampé. »

Cela fait quatre mois que Jonathan est à Paris. Il a un logement et pense à son avenir. Dans un grand sourire, il s’imagine père de famille. Lui qui avait des bonnes notes à l’école aimerait reprendre des études de commerce. En attendant, il tient une promesse d’embauche comme serveur dans un restaurant après le procès. Jonathan aspire avec une paille son fond de Coca, comme un enfant, et donne rendez-vous au 19 mai à Rennes. « Et après, j’aimerais qu’on me voie comme autre chose qu’un enfant d’Outreau », lance-t-il en renouant sa cravate.

Une fratrie divisée par ce nouveau procès
Ils sont à la fois les enfants d’Outreau et les enfants Delay. Quatre gamins violés par leurs parents et un couple de voisins, condamnés par la cour d’assises à Saint-Omer en 2004. Quatre frères qui, placés en familles d’accueil, avaient désigné une foule d’agresseurs présumés, que leur mère Myriam Badaoui avait accusés à son tour, avant de les disculper en plein procès. En théorie, Chérif, 25 ans, Dimitri, 22 ans, Jonathan, 20 ans, et Dylan, 18 ans, peuvent se constituer parties civiles au procès de Daniel Legrand fils à Rennes. Pour l’instant, seul Jonathan revendique publiquement ce statut et annonce sa présence aux débats. « Mes relations avec mes frères restent floues. Dimitri a prévu de faire une vidéo comme quoi ce procès sera un fiasco. Je l’ai dissuadé », explique Jonathan. En juillet 2013, Chérif, Dimitri et lui avaient déclaré dans nos colonnes qu’ils ne participeraient pas à cette « mascarade ». « Dans sa tête, Jonathan s’était toujours préparé à ce possible procès », nuance une proche. Sa détermination apparaît aujourd’hui farouche. Son frère aîné, lui, est « incarcéré, une accumulation de trucs débiles, soupire Jonathan. Mais il s’est constitué partie civile ». Contacté, Me Yves Monneris indique : « Chérif Delay nous a, Me Léon-Lef Forster et moi, chargés de le représenter devant la cour d’assises à Rennes. » La présence à l’audience de leur client reste un mystère. Enfin, Dylan serait au Maroc, selon Jonathan. « Je suis en froid avec lui, je ne lui ai pas parlé depuis un an », précise-t-il.

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