Deux visages d’ange sur des corps chétifs. Marcus* et Isidore* ont environ 9 ans, des rêves plein la tête — le premier s’imagine mécanicien, le second banquier — mais portent sur leurs trop frêles silhouettes le poids d’un lourd passé. Emportés par la folie meurtrière qui s’est abattue sur Bangui en décembre 2013, ils ont échoué dans le misérable camp M’Poko.
Orphelin de mère et délaissé par son père, Marcus s’est débrouillé pour survivre avec d’autres gamins des rues. « Le midi, je ne mange pas », confie Isidore qui vit encore sur place auprès de sa mère et de ses frères et soeurs, au milieu des huttes recouvertes de bâches en plastique. Ce sont des témoignages sensibles, fragiles, parfois évolutifs mais qu’ils ont également confiés en détail à l’enquêtrice des Nations unies au printemps 2014 : Marcus et Isidore font partie des six enfants dont les récits fondent les accusations.
Pour Marcus, se nourrir était une obsession. « J’étais obligé de demander aux gens », chuchote-t-il. Selon ses explications, il apprend que « les militaires violent les enfants en échange de rations ». « Un jour, je suis venu dire que j’avais faim. On m’a amené dans un endroit fermé où les soldats montent la garde, il y avait des sacs de sable autour. L’un d’entre eux m’a demandé une fellation en échange. Il m’a dit de ne jamais en parler », souffle-t-il le regard vide. Marcus livre le surnom du militaire. Mais selon lui, trois autres soldats étaient au courant. Il affirme connaître quatre autres victimes.
Isidore, lui, ne connaît pas le nom de son agresseur. Il décrit un soldat « musclé, grand et blanc » qui, dans la guérite du checkpoint Alpha 1, lui aurait plusieurs fois proposé de « sucer son bangala (NDLR : pénis en langue sango) contre des biscuits et des bonbons ». « J’avais faim, j’étais obligé de le faire », se justifie-t-il. Isidore espère maintenant aller à l’école et quitter M’Poko.
Depuis un an, Marcus est pris en charge par une ONG locale qui l’a recueilli à la demande de l’Unicef. Or, les personnes qui veillent sur ce gamin facétieux ne l’avaient jamais entendu livrer une telle histoire. « On nous a d’abord dit qu’il faisait partie d’un groupe d’enfants associés aux milices antibalakas », explique le directeur. « Puis on nous a parlé d’éventuels abus mais commis par des soldats burundais », ajoute un responsable qui décide alors de faire passer un examen médical complet à Marcus qui ne révélera aucun trouble particulier.
Le flou entourant le suivi de cet enfant enfin scolarisé révèle toute la complexité de l’affaire et la difficulté des enquêtes. « Son histoire est difficile à croire, mais ce qu’il dit risque malheureusement de me convaincre, se désole le directeur. Le scénario est très plausible : il y a tellement d’enfants qui traînent dans les camps pour récupérer des miettes qu’il ne serait pas étonnant que certains se soient laissé faire. »
Timothée Boutry et Philippe de Poulpiquet (Envoyés spéciaux)
* Les prénoms ont été changés.
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Photo: Bangui (République centrafricaine), le 13 mai. Marcus*, orphelin de mère et délaissé par son père, a échoué en décembre 2013 dans le camp M’Poko. Y trouver de la nourriture était difficile. « J’avais faim. On m’a amené dans un endroit fermé où les soldats montent la garde, raconte-t-il. L’un d’entre eux m’a demandé une fellation en échange. » PHILIPPE DE POULPIQUET