Pedopolis Outreau 3 (Jour 4) Audition du juge Burgaud « Une impression d’authenticité dans les aveux de Daniel Legrand »

L’après-midi, après l’audition de son greffier, le Juge Burgaud, premier juge d’instruction à avoir instruit l’affaire en ses débuts, était entendu en visioconférence.

Il a expliqué qu’en juin 2001, des noms sont apparu, cités par Dimitri : « un certain Daniel Legrand lié à la Belgique, et d’autres noms dont le commissariat ne peut assurer de vérification ». Aussi, le juge a co-saisi le commissariat de police de Boulogne-sur-Mer et le SRPJ de Lille.
La piste de la Belgique était suivie suite à un parloir de Thierry Delay, le père, évoquant le taxi Martel.
« La police a fait un travail sérieux qui a permis de mettre hors de cause certaines personnes, a affirmé le juge. Il a cité l’exemple d’un jeune homme qui s’était présenté pour dénoncer l’abbé Wiel et d’autres personnes, mais dont la déclaration n’a pas été retenue, faute d’éléments.

Les nombreuses difficultés de l’instruction

Le juge a insisté sur les difficultés qu’il a rencontrées, alors qu’il possédait des éléments solides concernant les époux Delay.
« Il y a avait des investigations infructueuses en Belgique. Les autorités belges ont, par exemple, refusé deux fois d’exécuter mes commissions rogatoires ». Le juge a cité également le cas d’une dénonciation de meurtre « qui n’a pas donné d’éléments de vérifications positifs ».

Le juge a évoqué les difficultés quant aux expertises médicales. Il a donné l’exemple de Jonathan, le docteur ayant trouvé des stigmates très importantes alors qu’on se trouvait à plusieurs mois des faits, ce qui signifiait, pour l’enfant, une fréquence et une durée très importantes de viols.

Le magistrat a soulevé le fait que les époux Delay n’ont pas été interpellés, mais convoqués au commissariat, par un courrier qui leur a été envoyé, ce qui leur permettait de faire disparaître un certain nombre de preuves, sachant qu’on ne retrouve qu’un seul ADN sur les objets saisis (celui de Thierry Delay).
De plus, le juge des enfants avait rendu une ordonnance dès décembre pour ne pas remettre les enfants aux époux Delay. Ainsi Mme Delay avait été tenue au courant des soupçons d’abus sexuels qui pesaient sur eux, et avait eu potentiellement le temps de faire disparaître des preuves.

Une autre difficulté tenait à la jeunesse des enfants. « J’ai essayé de me mettre à leur portée », a poursuivi le juge. Par exemple, lorsque les enfants parlaient de baguette de pain, ne pensaient-ils pas à de la dînette ? Parlaient-ils d’une boulangère dont c’était le métier, le nom de famille, ou autre ? Quand la victime Aurore disait qu’elle était violée par plusieurs adultes, on saura plus tard qu’elle entendait par là des attouchements, non des viols au sens juridique du terme .

Une autre grande difficulté rencontrée par le juge était celle de mener l’instruction sous pression des médias. Ainsi, France 3 avait eu, avant le juge d’instruction, des informations concernant un meurtre et avait voulu publier à tout prix. « Ce qui a entravé le bon déroulement des investigations ».

Sur l’identification de Daniel Legrand fils

Un Dany Legrand est apparu en juin pour la première fois. Des réquisitions furent menées pour tenter d’identifier ce nom en France, mais ne donnèrent aucun résultat. La Belgique donna le nom d’un Daniel Legrand, un Français interpellé en Belgique qui aurait commis des faits d’utilisation frauduleuse de chèque.
Les enquêteurs se sont penché sur l’individu et trouvèrent deux Daniel Legrand, père et fils. Ils durent faire de nombreuses enquêtes d’environnement car il était impossible de les localiser grâce notamment à EDF. « On apprend en effet qu’ils ont résilié leur abonnement EDF peu après l’incarcération de Delay, après 18 ans d’abonnement ( …). Les interpellations ont pu avoir lieu car le père avait disparu depuis octobre 2001 comme s’ils étaient en cavale ».

De plus, Myriam Badaoui ayant donné des détails sur la voiture des Legrand, le juge a décidé de les mettre en garde à vue.
Lors de sa garde à vue, Daniel Legrand fils affirma ne pas connaître le couple Delay.
Le juge entendit ensuite le taxi Martel qui, lui, a dit qu’il a vu Legrand fils en compagnie des Delay.
Le juge a donc décidé d’une confrontation durant laquelle Legrand fils a nié toute participation aux faits. Les investigations se sont poursuivies.

« J’avais des doutes sur sa participation, explique le juge, parce qu’à partir d’un nom, on en trouve deux. Lors de la confrontation, Myriam Badaoui a donné des précisions sur la coupe de cheveux et les vêtements de Daniel Legrand fils, lesquels n’étaient pas contestés. Elle a même donné la marque du véhicule».

« Si les investigations concernant un sex-shop en Belgique n’ont rien donné, nous avions d’autres éléments a continué le juge, notamment les aveux de Daniel Legrand ».

Les aveux spontanés de Daniel Legrand fils

Celui-ci a émis trois séries d’aveux.

Suite à la confrontation, Daniel Legrand était mis en grande difficultés sur les détails qu’on lui imputait à ce moment. « J’ai eu la lecture que, se sachant coincé, il ne pouvait que passer aux aveux. J’improvise donc un interrogatoire car Daniel Legrand veut revenir spontanément sur ses déclarations. Les faits sont trop importants, il veut faire « la part des choses ».
Cet interrogatoire a donné lieu à quatre pages très importantes où Daniel Legrand dit n’être jamais allé en Belgique mais où il s’excuse auprès des victimes « du mal qu’il leur a fait ».

La deuxième série d’aveux provient d’une lettre de deux pages, écrites du fond de sa cellule, où Daniel Legrand a souhaité donner des précisions. Il s’est excusé à nouveau auprès des victimes et a donné des détails concordants, comme les préférences sexuelles d’Aurélie Grenon.
« J’ai trouvé de la sincérité, une authenticité dans ses propos, émis sous la pression de personne ».

Page 114 du livre de Jacques Thomet « Retour à Outreau »:Lettre Daniel Legrand

La troisième série d’aveux fut recueillie par le psychologue Michel Emirzé, expert désigné par les assises (aujourd’hui décédé).

Page 115 du livre de Thomet « Retour à Outreau »

Lettre Daniel Legrand 2Daniel Legrand reconnaît avoir violé des enfants et avoir été témoin de la scène de meurtre d’une fillette. Il avoue qu’il a fait ça pour de l’argent, de 15 à 19 ans, affirme que son père n’y est pour rien, et donne des détails précis sur les sommes qu’il touchait. « Je faisais cela pour payer mon shit, dit-il à l’expert, pas l’héroïne ».
« Les enfants hurlaient, criaient », y précise Legrand.
« Ces  détails semblent apparaître comme du vécu et donnent des indices de crédibilité à ses propos, a témoigné le juge. (…) Ses aveux donnent l’impression qu’il s’est laissé entraîner dans ces faits-là », à tel point que le juge s’interroge, à cette époque, sur le fait que le jeune homme est plus victime qu’auteur.

« Mais il y avait des éléments concordants, comme le fait qu’il tenait une caméra, ce que la presse n’avait pas révélé».
A ce moment, « je comprends ses aveux comme la volonté de ne pas être tenu pour des faits qu’il n’avait pas commis » a souligné le juge.

Des rétractations peu surprenantes
Assez rapidement, Daniel Legrand fils s’est rétracté. Ce qui ne surprend pas le juge Burgaud.
D’une part, « l’effet prison » peut expliquer ces revirements : « il perçoit la gravité des faits et côtoie des personnes qui ont pris 15 à 20 ans de prison ».
D’autre part, Daniel Legrand a reconnu lui-même avoir été victime de menaces de viols dans la prison.
Enfin, son père lui écrivait en prison en lui disant de ne rien dire, qu’on allait trouver les bonnes personnes.

Après ces revirements, Daniel Legrand ne reviendra plus sur ses aveux. « J’ai essayé de comprendre auprès des psychologues. On m’a répondu qu’il n’y avait aucune explication crédible à de tels revirements ».

Les questions du président ont ensuite porté sur plusieurs points.
Le juge a confirmé avoir ressorti les premiers aveux de Legrand tels quels, sans avoir préparé le PV à l’avance ; que ce sont les policiers qui ont organisé les « tapissages » des albums photos montrés aux enfants, et qu’ils les avait acceptés, bien qu’il avait le pouvoir de les refuser en raison de leur non-conformité ; qu’il lui semblait que les services de police avait bien présenté aux enfants les photos de Daniel Legrand fils, mais que ceux-ci n’avaient pas fait de mise en cause précise.
Le président a demandé au juge s’il lui semble plausible que Daniel Legrand ait fait des aveux en constatant que certains, l’ayant fait, ont été remis en liberté, comme Aurélie Grenon.
« Non, a répondu le juge, mais pourquoi pas, ce serait surprenant. Ce que je trouvais étonnant était la multiplicité des aveux et les éléments qu’il apportait ».

Le président s’est penché sur l’époque où le magistrat a été informé du nom d’un Daniel legrand « voleur de chèque » et l’audition de Mme Delay, quelques jours plus tard.
« Je n’ai pas soufflé de noms à Myriam Badaoui, quel intérêt de faire cela ? » a répondu le juge aux insinuations du président.
Le juge a également expliqué qu’il lui semblait être tenu au courant par le juge des enfants de l’avancée du dossier, malgré des relations épistolaires avec lui, et réfute avoir fait des promesses de libération à Mme Delay.
« Je n’ai libéré personne, d’ailleurs ».

M° Reviron, avocat de la partie civile, qui a convoqué le juge Burgaud, lui a ensuite demandé s’il aurait pu donner à Myriam Badaoui le nom des Legrand avant leur interpellation. « Non ! », a répété le juge. Pas plus qu’il a orienté les aveux de Legrand fils, précisant que ce jour-là, il y avait son avocat.
De même, il n’a pas soufflé les réponses à Myriam Badaoui, lorsqu’il l’a confrontée à la lettre de Legrand fils. « Quel serait mon intérêt ? »  s’est presque indigné le juge.

M° Forster a également mis en lumière le fait que le juge Burgaud apprenait le jour-même que le SRPJ de Lille avait eu des réticences sur son instruction, et aurait fait remonter les faits.
« On travaillait en partenariat. Pour moi, le SRPJ comme le commissariat étaient de bonnes compétences. J’entends que je tirais les ficelles, par ma fonction, mais ils avaient leur marge de manoeuvre »
« J’ai eu des réunions de travail avec eux, et je n’ai eu aucune remontée sur d’éventuelles réticences », a affirmé le juge.

« Daniel Legrand dit ne connaître aucune personne d’Outreau, mais des personnes d’Outreau sont amenées à dire, mutuellement, qu’elles connaissent Daniel Legrand. Pouvez-vous imaginer que des personnes puissent dire qu’elles connaissaient quelqu’un qu’elles ne connaissaient pas ? » a demandé l’avocat.

Isa T.

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