Pedopolis #Outreau 3: Entretien avec Chérif Delay (14 Juin 2015)

Chérif Delay  a accepté de répondre à quelques questions après sa libération, après le procès Legrand.


#Outreau 3: Entretien avec Chérif Delay (14… par pedopolis

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18 Mai 2015 : Date d’édition du document (Jour zéro du procès, préparatifs)

19 Mai 2015 : Date de signature du document (Jour 1 du procès)

23 Mai 2015 : Date de sortie de prison prévue initialement (fin de première semaine du procès)

11 Juin 2015 : Nouvelle date de sortie (Procès J+6)

 Retranscription:

Chérif – Non je t’ai dit, mes propres choix je les fait tout seul. Comme aujourd’hui, c’est mon choix d’être là.

Chérif Delay a accepté de répondre à quelques questions après sa libération, après le procès Legrand.

PP – Chérif, quel est ton ressenti après ces 3 semaines de procès ?

Chérif – On ressent tous la même chose je crois qu’on est tous fatigués un peu, on est tous un peu fatigués. Mais … Qu’est ce que je pense du procès ? Je pense que l’avenir nous le dira. Ça risque de ne pas être fini en fait. Je pense que c’est loin d’être fini encore.

PP – Est-ce que tout a été dit durant ce procès ?

Chérif – Ma part ? Ma part je pense, en tout cas moi ce que je voulais dire. Après j’aurai bien aimé parler à ma mère, lui dire ce que je pense, mais non moi je n’ai aucun regret. J’ai aucun regret je pense que j’ai tout dit. J’ai dit ce qu’il fallait dire, j’ai fait mon boulot, j’ai fait ce qui était bon. C’était la meilleure chose à faire.
(…) Je pense qu’à ce procès il y a eu beaucoup d’émotions en fait. Et ce que moi j’ai entendu dans ce procès, c’est … fatigant, c’est fatigant, parce que j’ai vu des avocats qui étaient en mode théâtre ; c’est un peu comme à l’ancienne, à Paris c’était un peu ça, tout le monde faisait un peu ce qu’il voulait. Là je pense qu’il a géré son Assise, mais les avocats pouvaient toujours gueuler au scandale. Mais le mot « menteur » je ne l’ai pas entendu, je ne l’ai pas entendu pour moi en fait, donc ça me va. Aujourd’hui les avocats de Daniel Legrand ils ne disent pas qu’on est des menteurs ; (ils disent) qu’on est victimes de 4 accusés qui ont été jugés, donc ça avance un peu quand même.

PP – Le psy québécois, avec la « théorie des faux souvenirs », prétends que vous ne mentez pas mais que vous vous trompez, que vos souvenirs sont « reconstruits ». Qu’en penses-tu ?

Chérif – Sont reconstruits sur quoi ? Un gamins de 6 ans qui parle de viols, de pénétrations, je pense que ce n’est pas de la fiction (…) Ben c’est ce qu’il pense … Je pense que quelqu’un qui a été violé, le visage de son bourreau il va s’en souvenir toute sa vie, et ça c’est pas de la fiction, c’est pas des souvenirs inventés. Parce que c’est ça un peu qu’il veut dire, (que) c’est des souvenirs inventés. Je ne mens pas mais c’est des souvenirs inventés.

PP – Tu as parlé en face à face avec Thierry Delay : Que se passe-t-il dans ta tête à cet instant ?

Chérif – Tout d’abord quand j’ai vu Thierry Delay je me suis dit il faut que je le fasse, il faut que je batte mon combat, il faut que je batte mon démon en fait, il faut … C’était plus fort que moi en fait il fallait que je le fasse. Et quand le Président a hésité il a vu dans mon regard que j’avais besoin de le faire. Et ça m’a fait du bien, sans regret. J’ai eu en face de moi une merde. Un démon qui m’a hanté pendant des années de ma vie, pendant des années. Et aujourd’hui je le vois il me fait pitié. Il va mourir tout seul, j’ai pas besoin de me venger, j’ai besoin de rien faire. Il va mourir à petit feu. Et c’est ce que je lui souhaite.

PP – Quels autres moments forts pour toi durant ce procès ?

Chérif – Etre à la barre

PP – Pouvoir parler ?

Chérif – Pouvoir parler ça a été un soulagement pour moi, j’ai donné des valises. Très lourdes. J’ai eu ça pendant 10 ans à l’intérieur de mes tripes. J’ai tout balancé. Je pense que les gens qui étaient présent ont pu sentir que c’était dans mes tripes ce que je disais.

PP – Tes frères et toi aviez déclaré que vous n’iriez pas au procès, qu’est-ce qui vous a fait changé d’avis ?

Chérif – La réflexion. Le temps, d’avoir réfléchi. Je pense qu’il fallait le faire, et pour mes frères je pense que c’est la même chose, ils ont le même ressenti, il fallait qu’on le fasse.

PP – Pas de regrets ?

Chérif – Aucun

PP – Certain disent que tu as été manipulé par ton entourage et les associations, qu’en penses-tu ?

Chérif – Non pas du tout, c’est une impression. Moi aujourd’hui je suis libre de penser et de faire mes propres choix. C’est moi qui ai été voir innocence en danger, c’est pas eux qui sont venus vers moi. C’est moi qui ai été vers eux. Après, les gens ils parlent beaucoup mais ils ne savent pas grand choses …je pense qu’il n’y a pas besoin d’en parler. Toutes les décisions que j’ai prises c’est moi qui les ai prise, ça veux dire qu’à la fin du compte c’est ma décision qui a été … C’est pas quelqu’un qui m’a dit « Chérif il faut faire ça, il faut faire ça il faut faire ça » non, c’est moi qui pense, et après on me dit ce qu’il est possible de faire, et moi après j’avance, voilà.

PP – As-tu pu assister à l’intégralité du procès ?

Chérif – C’était pas possible parce que mon état psychologique ne me permettait pas d’y aller, mais moi si je n’y allais pas, ça aurait été un regret en fait. Je m’en serais mordu les doigts toute ma vie je pense. Et puis je me suis battu pour avoir ce procès, et je pense qu’il fallait que je sois présent, le plus possible, et mon état n’était pas compatible au procès. Mai j’y ai été quand même parce que je sais qu’il y a des gens qui me soutenaient, ils m’ont donné cette force de pouvoir affronter encore un procès.

PP – As-tu pu assister à tous les témoignages que tu souhaitais ?

Chérif – Non pas tous. Déjà ma mère j’aurais bien voulu être là, mais comme je t’ai dit mon état ne me permettais pas d’être présent. Je pense que je n’aurai pas pu me contrôler. Après je l’accepte, mais je pense que c’est mieux comme ça. Donc les acquittés j’ai pas pu être présent …

PP – Tu n’en as vu aucun ?

Chérif – Aucun

PP – Que c’est-il passé pour toi depuis ta dernière intervention publique sur Metatv ?

Chérif – J’étais en prison, par rapport à certaines conneries que j’ai fait. Et puis voilà j’ai fait le jugement comme tu as dit avec une escorte. Donc je suis sorti Jeudi (11 Juin, ndlr), et puis j’ai fait 4 mois et demi.

PP – Peut-on espérer que cette période soit derrière toi ?

Chérif – Oui bien sûr c’est derrière moi. J’ai eu une aide psychologique, j’ai pris conscience du mal que je faisais aussi, avec les gens qui m’entourent, les gens qui m’aiment. J’ai fait le point sur moi-même, sur ce que je voulais faire de ma vie, et puis je pense que c’était du gâchis. Donc aujourd’hui je suis dans une idée où j’ai envie de m’en sortir, j’ai envie de réaliser mes rêves, faire ma musique, être avec les gens que j’aime, les respecter, et puis faire de mon mieux, toujours, toujours faire de mon mieux, de dire quand ça ne va pas, d’aller voir un psy …Parce que c’est pas honteux, avant j’avais cette honte d’aller voir un psy, c’était … pourquoi moi ? Pourquoi moi j’irais voir un psy, pourquoi moi, pourquoi pas un autre, moi je suis dur, je suis plus fort … et puis en fait dans mes cris j’ai accepté la faiblesse des fois d’être faible, d’être fatigué, et puis de dire non. J’ai aussi appris à dire non, parce qu’il y a des moment où j’ai envie de faire ma vie tu comprends, de ne pas penser qu’à Outreau, de ne pas penser qu’à un combat qui n’est pas le mien en fait, il est pour tout citoyen. Donc il ne faut pas que je sois tout seul pour tout ça. Et maintenant j’ai envie de me concentrer sur ma musique comme je t’ai dit, sur mon avenir, puis que du positif. Je pense que la prison, la psychiatrie, sont derrière moi. Mon passé il est toujours à coté mais je pense que je peux vivre avec aujourd’hui. Je ne fais plus de cauchemars je suis bien, j’ai confiance en moi, je sais ce que je veux, donc je pense qu’il n’y aura pas de soucis par la suite.

PP – Pourquoi n’as-tu pas pu assister libre au procès comme c’était prévu ?

Chérif – Je devais sortir normalement une semaine avant le procès (ndlr : une semaine après le début du procès) si mes calculs sont bons je devais avoir 28 jours de RPS (Réduction de Peine Supplémentaire) ils m’en ont donné que 9.

PP – RPS c’est …?

Chérif – La loi te donne 7 jour par mois de RP (Remise de Peine), donc ça c’est obligatoire, ils te les donne

PP – RP c’est Remise de Peine ?

Chérif – Oui voilà, c’est pour les bonnes conduites en fait. Donc si tu as eu un comportement exemplaire en prison ils te donnent des jours de grâce. Moi j’ai eu 9 jours, et mes calculs ils étaient pour 28 jours, donc normalement je devais sortir une semaine avant le procès (ndlr : une semaine après le début du procès).

PP – Et … ?

Chérif – Ben on ne sait pas, chacun aura son opinion. C’est un peu bizarre, j’ai gagné 28 jours, on le barre au stylo, on met 9 jours.

PP – Constates-tu une évolution de l’opinion publique avec ce procès ?

Chérif – Je sais pas je viens de sortir. On verra bien par la suite, on verra bien… En tout cas je pense qu’il y a une opinion publique qui a été renversée. J’ai pu entendre des personnes qui soutenaient quand même la cause, donc ça a changé un petit peu. Avant c’était montrer du doigt et puis « le menteur le menteur », aujourd’hui c’est différent, c’est coupé en deux. C’est : « Est-ce que c’est possible ?», « Que c’est-il vraiment passé ? » ou « c’est dégueulasse ce qui lui est arrivé ». Voilà. Je pense que c’est coupé en deux en fait aujourd’hui, l’opinion elle est divisée. Le jour du verdict on a entendu des gens hurler, et je pense qu’on n’a pas connu ça au deuxième procès, il y a eu que des applaudissements pour les acquittés, aujourd’hui ça change, et c’est ça qui est bien, je pense que l’effort qu’on a tous fait, il a payé un petit peu on va dire.

PP – Es-tu encore en relation avec les autres victimes, celles qui ne sont pas venues au procès ?

Chérif – Oui je suis encore en contact avec certaines personnes … (…) Ils ont la peur. On verra bien, là je viens de sortir donc je n’ai pas eu le temps de leur parler mais …je pense que là ils vont dire qu’ils ont raison, qu’ils avaient raison quoi …

PP – De ne pas y aller ?

Chérif – Mhh … malheureusement …

PP – Et ces jeunes là comment ils évoluent dans leurs vies ?

Chérif – Je ne pense pas que c’est aujourd’hui qu’il faudrait en parler, de ça. Mais …Je donne l’idée à tout le monde de savoir comment, une personne qui a été victime de viols, et qu’on l’oublie pendant des années, et on n’en parle plus, tu crois que la victime se sens comment ? Oubliée. Dans sa souffrance. Complètement oubliée, et je pense qu’aujourd’hui c’est ce qu’ils ressentent, c’est l’oubli. Et ça c’est horrible pour une personne qui a été victime, de n’importe quelle chose, surtout sexuelle … J’ai peur pour leur avenir. J’ai peur de ce qu’ils peuvent faire …

PP – Et est-ce que certains arrivent vraiment à oublier en fait, à faire un déni de ce qui c’est passé ?

Chérif – C’est un déni oui. Et je pense que pour eux c’est le mieux. C’est d’oublier.

PP – Donc on peux avoir ces deux cas de figure : soit le déni, soit la peur, ou la peur qui engendre le déni …

Chérif – Soit …soit le courage.  D’en parler

PP – Ou, soit le courage, d’aller au procès

Chérif – Ou d’en parler

PP – Sans jeter la pierre évidement à ceux qui ne sont pas venus car c’est tout à fait compréhensible…

PP – Un mot pour tes frères ?

Chérif – Il n’y a qu’un seul mot : bravo. Bravo. Je suis fier d’eux.

PP – Un mot pour Daniel Legrand ?

Chérif – Sans commentaire. Je lui souhaite ce que lui me souhaite.

PP – Je crois qu’on ne sait pas ce que lui te souhaite, encore …

Chérif – En tous cas je lui souhaite ce qu’il me souhaite

A suivre …

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