Le Nouvel Observateur Amnesty veut la dépénalisation de la prostitution : j’ai honte. Mon ONG a changé

Réuni à Dublin du 7 au 11 août pour son congrès annuel, le conseil international d’Amnesty International s’est prononcé en faveur de la dépénalisation de la prostitution. Cette prise de position épineuse a profondément déçu Moïra Sauvage, responsable pendant six ans de la commission Femmes de l’ONG. Elle ne comprend pas.

Adieu Amnesty.

Je suis triste. J’ai honte. Moi qui fus responsable pendant plusieurs années de la commission femmes d’Amnesty France, qui ai si longtemps milité pour les droits des femmes au sein de cet autrefois grand, sérieux et incontournable mouvement de défense des droits humains, je suis aujourd’hui amère.

Amère et révoltée depuis ce mardi 11 août où Amnesty a décidé lors de son conseil international de demander la décriminalisation du système prostitutionnel dans son ensemble. Je me sens insultée par cette association à laquelle j’ai tant donné.

Amnesty préfère garder le nez dans le guidon

Je ne souhaite pas, bien sûr, que soient pénalisées les personnes qui se prostituent, comme c’est malheureusement le cas presque partout dans le monde. Mais je pense que c’est le phénomène lui-même de la prostitution qui doit être considéré comme une violence. Dont les femmes sont en très grande majorité les victimes.

Et qu’il serait nécessaire de prendre de la hauteur pour le combattre en tant que système lié à la domination masculine, où le client, un homme, estime qu’il suffit de payer pour utiliser le corps de quelqu’un d’autre (femme, homme, enfant) pour son plaisir sexuel personnel. Sans se soucier le moins du monde de l’être humain qu’il a en face de lui.
En prétendant ne défendre que les droits des personnes prostituées, Amnesty a gardé le nez sur le guidon et n’a pas voulu dénoncer cette violence dans sa globalité.

Il y a 150 ans, l’esclavage, qui avait lui aussi  » toujours existé », a été aboli. Pourquoi alors reculer face à la prostitution ?

J’ai cru que le mouvement avait pris le parti des femmes

Depuis plus de trente ans, j’ai défendu des prisonniers d’opinion, lutté contre la peine de mort et la torture, défendu les droits des homosexuels et dénoncé les violations des droits humains partout sur la planète.

Lorsqu’Amnesty a décidé de dénoncer et combattre les violences faites aux femmes (campagne internationale entre 2004 et 2010), j’ai sincèrement cru que notre mouvement avait pris le parti des femmes, cette moitié de l’humanité victime de tant d’inégalités.

Comme beaucoup d’autres, j’ai animé des débats, parlé dans les lycées, écrit des articles, envoyé des courriers aux gouvernements, signé des pétitions, distribué des rapports, donné des interviews aux médias, etc. Convaincue que le poids de notre association allait changer les choses, permettre un monde meilleur.

Je me trompais, c’est Amnesty qui a changé

Mais je me trompais, c’est Amnesty qui a changé : une fois la campagne achevée, les droits des femmes sont tombés aux oubliettes. Et la discrimination qui subsiste partout sur la planète du fait même d’être née femme – stéréotypes sexistes, inégalités en droit, violences domestiques, viols, mutilations génitales, crimes d’honneur – n’a plus été prise en compte en tant que telle. J’ai pu le constater chaque jour tandis que notre travail militant (sur les femmes) se raréfiait peu à peu sans que nous comprenions bien pourquoi.

Je n’arrive pas à comprendre ce qui a motivé la décision d’Amnesty et ne veut croire à l’influence de je ne sais quel lobby pro-sexe sur les instances du mouvement…

Mais permettre aujourd’hui aux proxénètes de continuer leur travail en toute impunité, – puisque Amnesty veut considérer la prostitution comme un travail comme un autre –, n’aidera en aucune façon, j’en suis certaine, les personnes prostituées. Cela avalisera seulement ce qu’on ose encore nommer « le plus vieux métier du monde » avec son cortège sordide de violence, de mépris et de douleur.

Amnesty considère qu’un corps peut s’acheter

Les proxénètes du monde entier peuvent se frotter les mains : Amnesty donne aujourd’hui un sauf-conduit à tous ceux qui considèrent qu’un corps peut se vendre, qu’un corps peut s’acheter.

Qu’on me permette de leur poser la question : souhaiteraient-ils ce « travail » pour leur enfant ?

Ce n’est pas ce mouvement-là auquel je veux continuer de donner mon temps, mon énergie et mes convictions. Même si je crois encore dans les valeurs et le travail effectué par Amnesty en plus de 50 ans et qu’ils me semblent encore nécessaires, en ce qui concerne les femmes – et je ne serai certainement pas la seule – j’irai, le cœur déçu, militer ailleurs.

par Louise Auvitu

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