(Le Monde) Le FBI peut-il légalement héberger un site pédopornographique dans le but d’identifier ses utilisateurs ?

En février 2015, le FBI est parvenu à mettre la main sur les serveurs du site Playpen, une importante plate-forme de partage d’images pédophiles qui était uniquement accessible à travers TOR (The Onion Router – « le routeur oignon »), un réseau d’anonymisation censé permettre aux internautes de naviguer sans être tracés.

Au lieu de le fermer, il a décidé de le maintenir en vie en l’hébergeant sur ses propres machines pendant treize jours, révélait au début de janvier le site spécialisé Motherboard. Comme TOR protège l’anonymat des visiteurs en camouflant leur adresse IP, le FBI a utilisé une autre méthode pour les identifier : le piratage. En clair, les ordinateurs des internautes se connectant au site ont été infectés par un programme permettant au FBI de collecter leurs adresses IP. En tout, plus de 1 300 adresses ont été récupérées et l’opération a mené à 137 procédures.

Ce n’est pas la première fois que le FBI a recours à ce type de dispositif, qu’il appelle « Network Investigating Technique » (NIT). En 2011, l’opération « Torpedo », proche de celle menée contre Playpen, avait par exemple permis de collecter 25 adresses IP concernant les visiteurs de trois sites pédopornographiques. Mais, cette fois, l’opération du FBI est d’une tout autre ampleur, puisqu’elle concerne plus d’un millier de personnes. Et n’a pas manqué de faire réagir.

« Conduite scandaleuse » du FBI

« Le comportement des autorités dans ce dossier est sans précédent et a de quoi choquer les citoyens », affirment des avocats de la défense, dans des documents judiciaires publiés par Motherboard. Exigeant l’arrêt des poursuites, ils dénoncent la « conduite scandaleuse » du FBI, qui a hébergé pendant treize jours un site pédopornographique. « Les enquêtes criminelles devraient avoir pour but de contenir et de réduire le mal causé par des activités illégales, et non pas perpétuer ce mal. » Un autre avocat considère, dans ces documents, que « c’est comme si vous inondiez un quartier d’héroïne en espérant attraper plein de petits consommateurs ».

Il s’agit d’une « décision difficile », a répondu le porte-parole du département américain de la justice, Peter Carr :

« Les autorités envisagent toujours de saisir un site illégal de pornographie infantile et de le supprimer immédiatement et définitivement. Mais si cela permet de mettre fin au trafic d’images pédopornographiques sur ce site-là, cela n’empêche pas les mêmes utilisateurs de disséminer de la pornographie infantile à travers d’autres moyens. »

Le département de la justice juge bon de préciser, dans les documents, que les agents du FBI n’ont pas publié de photos sur le site. Néanmoins les utilisateurs étaient toujours en capacité de publier de nouvelles images sur le site hébergé par l’agence.

« Une nouvelle frontière de la surveillance »

L’autre problématique soulevée par cette opération concerne le nombre de personnes visées par le piratage. Un seul mandat a en effet été nécessaire pour autoriser le FBI à s’infiltrer sur les ordinateurs des milliers de visiteurs du site. Cette fois, ce sont certains défenseurs des libertés publiques qui s’en inquiètent. A l’image de Christopher Soghoian, l’un des représentants de la puissante American Civil Liberties Union, qui doute que le juge ayant signé ce mandat ait bien compris la portée de son geste. « Les juges qui ont autorisé le piratage du FBI n’ont eu que deux ou trois phrases de description de la technologie dans la demande de mandat. Effrayant », écrit-il sur Twitter.

Il assure dans les colonnes de Motherboard que « régulièrement, le département de la justice est très vague dans les demandes que les agents remplissent. Ils ne disent pas clairement aux juges ce qu’ils comptent faire. Ils ne parlent pas d’exploiter des failles de navigateurs, ils n’utilisent pas le mot “piratage”. Et même si les juges savaient ce qu’ils autorisent, il reste de sérieuses questions sur la légalité d’un piratage à une telle échelle ».

Ce qui nécessite, selon lui, un véritable débat public :

« C’est une nouvelle frontière effrayante de la surveillance, et nous ne devrions pas partir dans cette direction sans débat public et sans que le Congrès évalue avec attention si ces techniques devraient être utilisées par les forces de l’ordre. »

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