(Rapport de la Cour des Compte 2019) L’Ordre des Médecins accusé par la Cour des Comptes de couvrir les agressions sexuelles

Page 105 du rapport de décembre 2019 : Le traitement des plaintes pour des faits à caractère sexuel

Au cours des dernières années, plusieurs affaires médiatisées relatives à des viols et agressions sexuelles sur patients ayant conduit à la condamnation pénale de médecins, n’ont pas été traitées, sur le plan ordinal, avec la rigueur nécessaire. Ainsi en est-il des procès de deux gynécologues de la région parisienne, d’un généraliste de la région Nord ou encore de plusieurs psychiatres de la Sarthe.

Dans le cas de l’un des gynécologues (195), le conseil de l’ordre de Paris a été condamné par la cour d’appel de Paris en octobre 2012 à verser à l’une des victimes la somme de 3 000 €, pour avoir couvert les agissements du médecin pendant de nombreuses années. Alors que la première plainte figurant dans le dossier du praticien, suivie de plusieurs autres (196), date de novembre 1988, la CDPI (Chambre Disciplinaire de Première Instance ndlr) n’a été saisie par le Conseil départemental qu’en 2006 et sa radiation n’a été prononcée par la juridiction ordinale qu’en avril 2013. Il est apparu par la suite qu’un élu ordinal, dont la gestion de l’affaire avait été mise en cause par l’avocat général au cours de l’audience publique, lors de ce procès, et toujours en fonction en 2019, avait lui-même fait l’objet de plaintes de deux patientes différentes pour des faits à caractère sexuel (197).

Entre 2014 et 2017, 150 plaintes pour des faits à caractère sexuel ont été enregistrées dans les chambres disciplinaires de première instance, ce qui représente, en 2017, 3,5 % des plaintes et le 10ème grief le plus souvent allégué sur une soixantaine recensés (198). Près de 43 % de ces plaintes ont fait l’objet d’un rejet. Les 57 % restants ont abouti, pour 11 %, à des avertissements ou blâmes, 5 % à des suspensions totalement assorties de sursis, donc sans effet immédiat sur l’exercice du praticien sanctionné ; 12 % ont abouti à des radiations et 29 % à des interdictions d’exercer assorties de sursis.

Les conseils départementaux de l’ordre prennent rarement l’initiative de déposer plainte devant la juridiction disciplinaire (seulement huit fois en 2016, dont six après le prononcé de condamnations pénales). Ils s’associent également peu aux plaintes des patients, sauf lorsque le médecin mis en cause reconnait les faits (199).

L’analyse d’une cinquantaine (200) de décisions rendues entre 2016 et 2017 (201) révèle l’existence d’irrégularités de procédure (les plus fréquentes concernent des plaintes traitées comme de simples doléances) ou un manque de diligence dans le traitement des dossiers.

Le manque de diligence est le plus souvent lié à la non transmission aux chambres disciplinaires de faits similaires antérieurs ou simultanés mettant en cause les mêmes médecins. C’est ainsi le cas du Dr A., généraliste ostéopathe ayant fait l’objet, en trois ans, auprès de deux conseils, de trois plaintes de patientes pour des faits identiques d’attouchements sexuels. La première plainte a été traitée par le conseil des Alpes-de-Haute-Provence comme une doléance et classée sans conciliation. La seconde, transmise à la juridiction disciplinaire par le conseil du Var, a été rejetée pour absence de preuve, le conseil n’ayant pas porté à la connaissance de la chambre l’existence de la première plainte. Une troisième plainte pour des faits identiques a été déposée en 2018.

Les poursuites et sanctions disciplinaires interviennent souvent bien après des sanctions pénales. Tel est le cas d’un médecin d’un département du centre de la France, déjà condamné pour agression sexuelle à six mois d’interdiction d’exercer par le tribunal correctionnel au début des années 2000, que le conseil de l’ordre n’a décidé de poursuivre au disciplinaire qu’en mai 2016, après une récidive dont l’ordre était informé depuis 2015, ou encore du Dr X, poursuivi par le Conseil national plus de trois ans après sa condamnation en février 2014 par le tribunal correctionnel de Cayenne pour des faits d’agression sexuelle sur mineur par personne ayant autorité.

Trois exemples de traitement des plaintes à La Réunion

1/ Le Dr C., conseiller ordinal au conseil départemental de La Réunion (CDOM) entre 2006 et 2009, a été condamné le 14 octobre 2010 par le tribunal correctionnel à six mois de prison avec sursis, deux ans de mise à l’épreuve et obligation de soins pour consultation d’images pédopornographiques. Le CDOM n’a intenté aucune poursuite disciplinaire. Un an plus tard, sous la pression de 131 médecins signataires d’une pétition, le CDOM s’est résolu à porter plainte. Le 30 septembre 2013, le Dr C. a été condamné à un blâme. Parallèlement, l’ordre a continué d’apporter son soutien au Dr C. et porté plainte pour « atteinte à la confraternité » contre le praticien lanceur d’alerte à l’origine de la pétition. Sur appel du CNOM et du Procureur de la République en mars 2015, la sanction initiale a été alourdie et une interdiction d’exercer pendant six mois dont quatre avec sursis a été prononcée (202).

2/ Le 30 avril 2015, le Dr R. a été radié du tableau de l’ordre, décision confirmée en septembre 2017. Dans ce dossier, le CDOM est resté longtemps inactif. En effet, cette sanction n’est intervenue que quatre ans après la condamnation pénale du praticien à huit ans de prison, portée à 12 ans de prison en appel, pour viols aggravés, viol sur mineure de 15 ans par personne ayant autorité que lui confère ses fonctions, et agressions sexuelles sur mineure de moins de quinze ans.

3/ En 2005, le Dr S., médecin à Mayotte, a été condamné par le tribunal correctionnel à deux ans de prison avec sursis assortis d’une interdiction temporaire d’exercice de trois ans pour agression sexuelle par personne abusant de l’autorité qui lui confère sa fonction. En octobre 2006, le CDOM de Mayotte ayant refusé de l’inscrire au tableau, il s’est alors adressé au CDOM de La Réunion qui a validé son inscription en décembre 2006. L’ordre a donc autorisé le praticien à exercer, en dépit d’un jugement du tribunal qui le lui avait interdit. À la suite d’une récidive, il a été condamné le 18 mars 2015 par la Chambre disciplinaire nationale à la radiation définitive.

 

Les sanctions prononcées à l’encontre des médecins ayant eu des relations consenties avec des patients sont très hétérogènes, ces sanctions pouvant aller de l’avertissement à la radiation. Après une première campagne de sensibilisation en 2017, le Conseil national a ajouté au code de déontologie, en mars 2019, un commentaire prohibant tout rapport sexuel entre praticiens et patients, considérant qu’il s’agit, de la part du médecin, d’un abus de faiblesse. Cet ajout pourrait permettre de mieux qualifier les faits et d’homogénéiser les sanctions prononcées.

L’actualité récente, relative aux agissements d’un chirurgien de Charente-Maritime (Affaire Le Scouarnec ndlr), démontre, s’il en était besoin, l’importance d’une transmission rapide et complète des informations disponibles au sein de l’ordre mais également entre celui-ci, les autorités administratives et le cas échéant judiciaires, ainsi que les employeurs.

Notes de bas de page : 

(194) : Circulaire du 24 septembre 2013 relative aux relations entre les parquets et les ordres de professions en lien avec la santé publique (NOR : JUSD1323940C).

(195) : Le Dr X a été condamné le 20 février 2014 à huit ans de prison par la Cour d’Assises de Paris pour des faits de viols et agressions sexuelles sur six patientes.

(196) : Datant de 1990, 1995 et 2004.

(197) : L’une des plaintes a fait l’objet d’un désistement de la plaignante, et l’autre a été jugée irrecevable par la juridiction ordinale, la plaignante ne s’étant pas acquittée du droit de timbre alors en vigueur.

(198) : Ces plaintes sont notamment plus nombreuses que celles introduites la même année pour des arrêts de travail litigieux (34), sont égales au nombre de plaintes introduites par des médecins entre eux au titre de la diffamation (36) et très légèrement inférieures au nombre de plaintes introduites pour erreur de diagnostic (38) ou pour défaut d’information du patient (40).

(199) : Soit 5 cas sur 8 en 2016.

(200) : Parmi 90 décisions relatives à des faits à caractère sexuel transmises par le greffe du CNOM à la demande de la Cour.

(201) : Réparties dans presque toutes les régions françaises.

(202) :  Il a fallu une nouvelle plainte en 2016 à la suite d’une récidive pour que soit prononcée une radiation définitive du tableau de l’ordre, confirmée en appel en avril 2018.

 

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